Deux temps de l’attente
Ésaïe 26:8-21
Culte du 4 décembre 2011
Prédication de pasteur James Woody
( Ésaïe 26:8-21 )
(écouter l'enregistrement) (voir la vidéo)
Culte du dimanche 4 décembre 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
« Sans nouvelles de toi, je suis désespéré. Que fais-tu ? Je voudrais une lettre demain. Le jour s’est assombri, qu’il devienne doré. Et tristement, ma Lou, je te baise la main ».
Cher frères et sœurs, c’est le 12 février 1915 que Guillaume Apollinaire écrit ces vers pour « Sa Lou » dont il n’a pas reçu de lettres depuis de trop longs jours. Lou, son amoureuse qu’il a rencontrée quelques mois plus tôt et avec qui il va entretenir une liaison épistolaire alors qu’il combat au sein de l’armée de Terre, c’est, selon l’Etat civil Geneviève-Marguerite-Marie-Louise de Pillot de Coligny-Châtillon, descendante en ligne directe de l’amiral. Apollinaire attend de ses nouvelles avec une impatience non dissimulée dans ses lettres, avec ardeur. Dans l’attente de Sa Lou, il écrit que le jour n’existe plus, que le soleil s’est noyé, que la caserne s’est changée en maison d’effroi. Son attente est inquiète, fébrile, douloureuse, terriblement douloureuse. Son attente se transforme en cri, en appel, en revendication, en prière qui s’élève au milieu du fatras de la guerre ; c’est le cri d’un homme au milieu d’un conflit mondial qui n’a que faire de la plainte d’un homme, d’un cœur qui est en train de se briser. Que vaut ce cœur au regard des millions de vie qui sont en train de disparaître de la surface de la terre, au même moment ? Que vaut cette lamentation en comparaison des familles qui pleurent et pleureront de longs mois encore un fils, un frère, un ami tombé au champ d’honneur ?
Cela vaut ce que vaut également la plainte dont le livre d’Esaïe rapporte l’angoisse. C’est un cri semblable à celui de la femme enceinte, c’est le cri de la douleur de la mère qui est sur le point d’accoucher et qui se double de l’horreur de faire une fausse couche. C’est le cri de la mère qui s’apprête à donner la vie et ne voit que la mort face à elle ; c’est un cri produit par l’horreur de ne pas pouvoir produire la vie, de ne plus être en mesure de faire quoi que ce soit pour sauver le monde. Au milieu de la pression internationale qui accable Jérusalem qui ne sait pas quelle alliance nouer pour éviter de disparaître comme le Royaume du Nord, il y a ce cri qui confine au désespoir.
Oui, tout cela ressemble au désespoir, mais ce n’est pas du désespoir. Il s’agit, au contraire, d’un sursaut d’espoir. Non pas au sens d’un acte désespéré, d’un baroud d’honneur, d’un dernier râle avant d’expirer. Le cri, peut-être un peu ridicule, d’un homme au milieu d’une tourmente qui le dépasse largement, désigne une attente – inquiète – qui l’anime, qui le fait vibrer. Car ce cri est révolte, c’est le cri d’un homme révolté, celui de Camus : « C'est un homme qui dit non. Mais s'il refuse, il ne renonce pas : c'est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. » Il y a une rage qui anime ces hommes qui ne supportent pas le monde tel qu’il est, dans l’état où il se trouve ; une rage digne de la rage que criaient The Clash dans les années ‘80 ; ce sont des hommes qui n’acceptent pas d’être privés de leur pouvoir d’intervention sur l’avenir du monde, d’être dessaisis de leur droit de participer à la construction de cet espace commun que nous appelons la Création. Ce sont des hommes qui veulent que ça change, que les autres maîtres que Dieu cessent de dominer sur eux (v.13). Ils veulent briser leurs chaînes d’esclave et devenir serviteur.
Ce cri n’est pas désespéré, contrairement à ce que pense Apollinaire. Ainsi que le dit ce texte, c’est la vibration de l’âme qui désire l’Eternel (v. 9), c’est l’attrait de l’homme pour ce qu’il y a de plus ultime dans la vie, c’est l’espérance que les grandes causes ne meurent pas du mépris de ceux qui se servent du système (v.11). C’est un cri qui traduit une attente. L’attente d’un monde meilleur, pour reprendre la formule classique, l’attente d’une vie qui ne soit plus livrée au malheur, à l’humiliation, à l’errance, au crime organisé, à l’absence de liberté individuelle. C’est l’attente qui aspire à ce que ça change et qui se fait prière vers Dieu pour que ça change : que la nuit cesse et que le jour devienne doré, selon le mot d’Apollinaire. Cette attente est la manifestation d’une rage de vivre. Ce n’est pas une résignation : c’est une posture conquérante.
Attente confiante
Cette attente n’est pas seulement une indignation. Ce n’est pas seulement une posture de protestation. Il n’est pas question de râler et d’attendre que ça s’arrange. Les choses ne s’arrangent jamais toutes seules. Cette attente est active, participative, dynamique. Ce n’est pas seulement l’âme qui désire un monde meilleur, c’est aussi l’esprit qui cherche l’Eternel et qui va composer la mélodie d’une existence qui reprend vie.
L’attente d’un mieux être ne se fait pas les bras croisés. L’attente de l’homme biblique n’est pas indolente, mais agissante, productive. Si la rage de vivre exprime un désir, la soif d’un nouveau projet de vie, il ne faut pas perdre de vue que, dans la perspective biblique, elle se métamorphose en une attente qui prépare le surgissement de la qualité de vie espérée. L’homme biblique enfante ; il met au monde ; il agit pour qu’advienne ce qu’il souhaite, pour que son espérance s’incarne en actes éminemment concrets.
Le premier acte consiste à mettre en mots, à communiquer les termes de cette espérance, sans quoi elle meurt comme un rêve dont on perd le souvenir au réveil, comme un souvenir détruit d’être resté une ombre, une pâle lueur dans l’horizon de notre vie. Cela le théologien Emerson le dit merveilleusement dans son discours aux étudiants en théologie de Harvard, qui vient d’être édité pour la première fois en français par Raphaël Picon. A ce sujet, il écrit que l’homme épris de cette excellence [communiquer la vie à laquelle il aspire] en devient le prêtre ou le poète qui ressent sa vocation dans les palpitations du désir et de l’espoir. C’est la prière murmurée dont parle Esaïe (v. 16) qui demande à l’Eternel de repousser les limites (v. 15), de nous conduire vers l’au-delà d’une vie étriquée, standardisée, qui n’est pas à notre mesure.
Vient alors le temps de l’action, du passage à l’acte, sans délai inutile, ce que Emerson exprime ainsi, pour le sujet qui l’occupe dans ce discours (la vie de l’Eglise), qui peut s’adresser à chaque domaine de notre quotidien : « il est grand temps que ce murmure refoulé et douloureux de tout homme qui réfléchit contre la famine de nos Eglises, ce gémissement du cœur privé de consolation, d’espoir et de la grandeur dont la seule source est la culture de la nature morale –il est grand temps que ce murmure vienne perturber le sommeil de l’indolence et couvrir le tapage de la routine » (p. 90).
L’attente devient confiance dans le fait que cela va arriver : c’est la foi que nous portons dans la révélation que le divin fait de notre capacité à changer la donne, à reconfigurer le monde, à y injecter du bon et du beau, du vivable, à ressusciter ce qui avait été anéanti. C’est l’attente de l’amoureuse du cantique des cantiques qui se prépare à accueillir son bien aimé qui franchit la distance qui la sépare d’elle. C’est la veillée d’arme du militaire qui va aller sur le théâtre d’opération. C’est le musicien qui affine son interprétation au seuil de la salle de concert. C’est le voltigeur qui mentalise les figures qu’il va accomplir. C’est le chargé de projet qui affûte sa présentation. C’est le demandeur d’emploi qui inspire un grand coup avant de rejoindre le recruteur. C’est l’ami qui dévisage la foule qui arrive vers lui pour y repérer le visage connu. C’est le malade qui liste les symptômes qu’il va communiquer à son médecin. C’est le pépiniériste qui ajuste l’humidité de la serre.
C’est la nature qui craque sous l’impulsion de la vie. C’est la crise qui n’est plus seulement effrayante mais aussi le signe que de mauvaises règles, de mauvaises habitudes peuvent laisser place à de nouveaux comportements.
L’attente des chrétiens n’est donc pas seulement une bonne disposition de l’âme mais l’œuvre de l’esprit qui libère notre énergie créatrice pour accomplir une éthique capable d’incarner l’espérance divine. Non pas seulement de beaux discours mais réaliser un accueil véritable ; non pas seulement des formules pieuses mais prendre soin de la création tout entière ; non pas seulement « parler de la révélation comme de quelque chose de donné et de réalisé depuis longtemps déjà, comme si Dieu était mort », pour citer à nouveau Emerson (p. 89), mais vivre à la manière du Christ et de ses rencontres, en faisant à nouveau vibrer ses dialogues, « vivants et chauds, éléments de la vie humaine, du paysage et du jour d’allégresse » (p. 88).
Aujourd’hui encore, l’Eternel sort de sa demeure (v. 21) pour mettre en évidence les désordres sociaux dont la terre se couvre abusivement et pour nous inciter à intervenir sur les situations qui défigurent l’humanité, qui contrarient l’harmonie entre nous, qui assoupissent les consciences, qui déçoivent notre espérance.
Avec le prophète Esaïe nous pouvons crier pour que les hommes qui gisent dans le mal et la faiblesse se relèvent, pour que la rosée divine vivifie notre Terre. Debout les morts !
Amen
Lecture de la Bible
Ésaïe 26:8-21
Aussi nous t’attendons, ô Eternel! sur la voie de tes jugements; Notre âme soupire après ton nom et après ton souvenir.
9 Mon âme te désire pendant la nuit, Et mon esprit te cherche au-dedans de moi; Car, lorsque tes jugements s’exercent sur la terre, Les habitants du monde apprennent la justice.
10 Si l’on fait grâce au méchant, il n’apprend pas la justice, Il se livre au mal dans le pays de la droiture, Et il n’a point égard à la majesté de Dieu.
11 Eternel, ta main est puissante: Ils ne l’aperçoivent pas. Ils verront ton zèle pour le peuple, et ils en seront confus; Le feu consumera tes ennemis.
12 Eternel, tu nous donnes la paix; Car tout ce que nous faisons, C’est toi qui l’accomplis pour nous.
13 Eternel, notre Dieu, d’autres maîtres que toi ont dominé sur nous; Mais c’est grâce à toi seul que nous invoquons ton nom. 14 Ceux qui sont morts ne revivront pas, Des ombres ne se relèveront pas; Car tu les as châtiés, tu les as exterminés, Et tu en as détruit tout souvenir. 15 Multiplie le peuple, ô Eternel! Multiplie le peuple, manifeste ta gloire; Recule toutes les limites du pays.
16 Eternel, ils t’ont cherché, quand ils étaient dans la détresse; Ils se sont répandus en prières, quand tu les as châtiés. 17 Comme une femme enceinte, sur le point d’accoucher, Se tord et crie au milieu de ses douleurs, Ainsi avons-nous été, loin de ta face, ô Eternel!
18 Nous avons conçu, nous avons éprouvé des douleurs, Et, quand nous enfantons, ce n’est que du vent: Le pays n’est pas sauvé, Et ses habitants ne sont pas nés.
19 Que tes morts revivent! Que mes cadavres se relèvent! -Réveillez-vous et tressaillez de joie, habitants de la poussière! Car ta rosée est une rosée vivifiante, Et la terre redonnera le jour aux ombres.
20 Va, mon peuple, entre dans ta chambre, Et ferme la porte derrière toi; Cache-toi pour quelques instants, Jusqu’à ce que la colère soit passée. 21 Car voici, l’Eternel sort de sa demeure, Pour punir les crimes des habitants de la terre; Et la terre mettra le sang à nu, Elle ne couvrira plus les meurtres.