Agis sans te préoccuper du lendemain

Matthieu 6 : 24-34 , Proverbes 24: 30-34 , Proverbes 6 : 6-11

Culte du 2 août 2009
Prédication de pasteur James Woody

( Matthieu 6 : 24-34 ; Proverbes 24 : 30-34 ; Proverbes 6 : 6-11)

Culte du 2 août 2009 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, l'image des oiseaux et des lis des champs pourraient nous donner à penser que la vie, dès lors qu'elle est mâtinée de foi chrétienne, n'est que douceur et insouciance. Loin des préoccupations matérielles, le chrétien serait cet être qui peut savourer la vie à la manière des héros des films qui ne font jamais les courses, ne font jamais la vaisselle, ne paient jamais de facture et dont les chemises sont toujours repassées sans qu'il y ait eu besoin de brancher le moindre fer.

Vous avez peut-être rencontré de tels croyants qui vous assurent qu'il n'y a qu'à prier le Père de miséricorde pour obtenir ce dont vous avez besoin selon la formule de Jésus : demandez et l'on vous donnera (Mt 7/7). Et l'argument semble imparable : comment Dieu nous laisserait-il dans le besoin ? s'il nous manque la nourriture, s'il nous manque un toit, s'il nous manque un vêtement, s'il nous manque ceci ou cela, à n'en pas douter, Dieu nous l'offrira. Il n'est qu'à voir de quelle manière les oiseaux et les lis des champs sont pourvus de tout ce qui leur est nécessaire pour comprendre que nous, qui ne valons pas moins qu'eux aux yeux de Dieu, nous serons équipés par Dieu lui-même de ce qu'il nous faut.

Et lorsque nous regardons autour de nous, que nous voyons à quel point tant de personnes manquent de tout et même d'affection, la réponse ne manque pas d'arriver : c'est parce que ces personnes qui sont dans le besoin n'ont pas assez la foi… comme si les oiseaux du ciel et comme si les lis des champs avaient la foi, eux… et comme si un Père attendait une déclaration de confiance de la part de ses enfants pour leur offrir ce qui leur est nécessaire. Allons donc…

La tentation de lire en ce texte l'éloge d'une vie facile peut être grande tant il semble que tous les quotes concourent à conduire le croyant vers une forme d'insouciance, laissant à Dieu le soin de gérer toute la partie matérielle de notre existence. Un brin de réflexion, pourtant, suffit à prendre conscience que cette interprétation ne tient pas, qu'elle est contraire aussi bien à notre expérience de la vie qu'à nos compréhensions de Dieu.

C'est alors que les deux passages du livre des Proverbes que nous avons lus peuvent nous être d'un précieux secours pour comprendre plus clairement l'enseignement que Jésus donne sur cette colline de Galilée.

A l'encontre d'une vie qui serait toute contemplative, exempte de labeur, ces passages attirent notre attention sur la nécessite d'agir, d'entreprendre, de ne pas se laisser aller à une attitude passive. Le chapitre 24 parle à nos tentations de lâcher prise total, de laisser faire la nature et de donner du temps au temps… ici comme ailleurs, la Bible ne présente pas la nature et le temps comme de bons compagnons. La nature, dès lors qu'elle n'est plus accompagnée de la main de l'homme, devient le lieu du chaos où règne la loi du plus fort. Quant au temps… quelle bonne action pourrait-il faire, lui qui n'est pas, ou, plus exactement, lui qui n'est qu'une convention que la société des hommes se fixe pour permettre une vie commune ? donner du temps au temps est le plus souvent une manière de ne pas avouer qu'on ne sait que faire face à une situation dont on n'est pourtant pas satisfait. Comme si c'était le temps permettait aux gens fâchés de se réconcilier, plutôt que les marques d'attention, les paroles positives, les attitudes généreuses, les changements de comportements manifestes. Laisser faire la nature, c'est laisser la vie progresser en s'affranchissant de toute forme de culture humaine et donc de tout projet de Dieu.

L'office national des forêts a poursuivi une expérience menée depuis Napoléon qui consiste à laisser à l'abandon une parcelle de forêt, sans intervenir le moins du monde. Cette parcelle n'est que fouillis assez impénétrable, les arbres ne poussent pas très haut et beaucoup sont malades. Il en va de même dans la vigne du livre des Proverbes qui est une image du peuple de Dieu livré à lui-même, laissé à l'abandon : un peuple auquel plus personne ne porte de soin, un peuple qu'on n'entretient plus. Le temps a été laissé au temps et tout tombe en ruine. Lorsqu'on n'entretient pas sa vie, lorsqu'on n'entretient pas ses relations humaines, lorsqu'on n'entretient pas ses affaires… tout cela tend à s'abîmer puis à disparaître. C'est alors le temps de la disette où tout vient à manquer.

Contre ce déclin qui n'a rien d'inexorable, le passage que nous avons lu au chapitre 6 du livre des Proverbes nous propose d'observer les fourmis. La plupart d'entre nous ont passé de bons moments à observer une fourmilière, l'agitation qui anime les fourmis qui vont et qui viennent inlassablement, qui transportent des objets qui peuvent peser jusqu'à 50 fois leur poids. La fourmi, bien entendu, est tout sauf une paresseuse. Quand vient la bise, elle a mis de côté tout ce qu'il faut pour n'être pas prise au dépourvu. Le livre des proverbes ne dit pas si la fourmi est prêteuse ou non. Ce passage insiste plutôt sur le caractère besogneux de la fourmi, alors même qu'elle n'a ni contremaître, ni chef de service, ni président pour surveiller qu'elle fait bien son travail.

Nous le comprenons bien lorsque nous lisons la recette pour rater sa vie (un peu de sommeil, un peu d'assoupissement, un peu se croiser les bras en se couchant…), l'oisiveté est une attitude que déplore ce passage biblique et que la Bible n'encourage pas. Une véritable éthique du travail trouve son fondement dans ces textes qui ne font pas la part belle à ceux qui ne veulent rien faire, à ceux qui veulent se laisser aller et profiter de la vie sans effort. Toucher un salaire sans travailler, réussir le baccalauréat sans apprendre, avoir une famille heureuse sans en prendre soin, avoir une vie intérieure resplendissante sans s'instruire…

Un jour, un homme va voir un pasteur et lui dit :
-je suis athée, peux-tu m'éveiller à la question de Dieu ?
-as-tu étudié les évangiles, les Ecritures ?
-Non, je suis athée !
-as-tu appelé Dieu tous les matins pour lui demander d'éclairer ta route ?
-Non, je suis athée !
- As-tu cherché une communauté pour trouver des frères et des sœurs avec qui partager ta quête ?
-Non, je suis athée !
-tu n'es pas athée… tu es paresseux !

Pas d'éloge de la paresse dans la Bible, mais une valorisation du travail, ce que le protestantisme a particulièrement bien compris puisque les Réformateurs, dès le XVIème siècle, parlent du travail comme notre manière d'accomplir notre vocation divine.

Mais ne serait-ce pas contradictoire avec ce passage de l'Evangile selon Matthieu qui peut nous donner l'impression que nous aurons automatiquement tout ce dont nous avons besoin, grâce à Dieu ? Cette impression, mauvaise, se réalise lorsque nous lisons cette prédication de Jésus comme une allégorie dans laquelle nous remplaçons les héros de l'histoire par nous-mêmes. Autrement dit, les oiseaux c'est nous, les lis des champs c'est nous et nous n'aurions rien d'autre à faire que picorer la vie comme les oiseaux du ciel ou nous laisser nonchalamment dorer par le soleil comme les lis des champs. Or la prédication de Jésus ne fonctionne pas comme une allégorie mais comme une comparaison, comme une métaphore qui nous dit : quand l'oiseau fait son métier d'oiseau, il vit très bien. Quand le lis fait son métier de lis, il vit très bien Et donc, lorsque l'homme fait son métier d'homme… il vit très bien aussi. Et le métier d'homme consiste, justement, à accomplir durant sa vie tout ce qu'il est capable de faire. Martin Luther le disait de manière la plus directe qui soit : comme l'oiseau est fait pour voler, l'homme est fait pour travailler (Œuvres, I, 289).

La prédication de Jésus n'est donc pas une annulation des encouragements au travail que nous lisons dans le livre des Proverbes, ce n'est pas une nouvelle règle de vie qui est proposée, mais une réorientation pour éviter l'excès inverse. Car une autre tentation est de vivre comme la fourmi des poètes qui passe son temps à accumuler et qui n'est pas prêteuse (et c'est là son moindre défaut, dit-on). :vivre en ne songeant qu'à avoir toujours plus, de peur de manquer un jour de quelque chose. Dans ce cas, on n'est jamais rassasié, on n'en a jamais assez… il y a toujours quelque chose qui pourrait nous manquer. Et au lieu de servir Dieu, au lieu d'agir selon les talents dont il nous a munis, et de faire profession de nos compétences, nous nous laissons mener par cette soif inextinguible de posséder toujours plus, ce qui revient à vouer sa vie à Mamon qui est une image pour personnifier cette idole que peuvent devenir les biens matériels. N'avoir que ces inquiétudes en tête est aussi efficace que la paresse pour passer à côté de sa vie. Mieux vaut, dit Jésus, laisser le lendemain s'inquiéter de lui-même : c'est la meilleure manière de prendre le présent au sérieux, d'en profiter et d'être soi-même bien présent au monde. Sans cela, tôt ou tard, on saura vous faire le reproche d'être toujours absents, même lorsque vous êtes physiquement présents, parce que vous êtes toujours préoccupés par une réunion à venir, par un futur rendez-vous, par un projet qui vous mobilise, par une contravention qui risque d'arriver si on en juge par la jolie lumière qui s'est éclairée à votre passage sur le périphérique. Dès lors, ceux qui vivent à vos côtés auront le déplaisir de n'avoir qu'une sorte d'hologramme de vous, car vos pensées, vos craintes, vos chagrins, vous transporteront toujours ailleurs.

A chaque jour suffit sa peine, ses malheurs, dit Jésus, pour ne pas en plus rajouter ceux à venir. Occupe-toi plutôt de ce que tu as à faire, à présent, et ne te détourne pas de ta tâche car le temps ne le fera pas pour toi. Occupe-toi de ce qui t'incombe du mieux que tu peux, sans paresse, sans traîner les pieds car c'est là justice aux yeux de Dieu d'accomplir ce que nous pouvons faire dès à présent. Le reste te sera donné de surcroît.

Amen