Le culte à l’Oratoire du Louvre
Vu de l’extérieur, le temple de l’Oratoire du Louvre a toutes les apparences d’une église catholique, ce qu’il a affectivement été jusqu’à la Révolution française. Mais une fois à l’intérieur, le visiteur se rend compte, peut-être non sans surprise, que l’agencement en est tout différent : pas d’autel, plus de chœur distinct de la nef ni d’orientation des sièges vers le lieu où les prêtres accomplissent le sacrifice eucharistique, pas d’images figuratives, mais seulement une affirmation biblique au-dessus de la porte séparant la nef de l’ancien chevet : « Le don de Dieu c'est la vie éternelle en Jésus Christ notre Seigneur » (Romains 6, 23). Seul signe vraiment « chrétien » aux yeux d’un visiteur catholique, la croix latine, mise en évidence par un éclairage au néon, au-dessus de cette même porte ; mais un protestant français de jadis, voire du dix-neuvième siècle, n’eût pas compris que l’on réintroduise dans un temple réformé ce symbole qui, à ses yeux, était justement par trop « catholique » : il se rappelait que ses prédécesseurs du seizième siècle avaient justement banni de telles croix de leur répertoire symbolique en raison de l’usage par trop « superstitieux » qu’en faisait la piété médiévale. Réintroduite timidement dans quelques temples, en particulier celui de l’Etoile (Paris), dès la fin du dix-neuvième siècle, la croix latine fait maintenant partie du langage symbolique protestant.
A l’intérieur, l’ancienne église des oratoriens est résolument devenue un « temple* ». La célébration du culte à la manière protestante et plus particulièrement réformée entraîne en effet des exigences différentes de celles qu’impliquait le rituel catholique romain avant les modifications qui lui ont été apportées à la suite du deuxième concile du Vatican*.
Un dispositif hérité de la Réforme
Cette différence fut évidente dès le seizième siècle : partout où les chrétiens désormais réformés purent conserver l’usage d’édifices religieux déjà existants, ils durent en adapter l’agencement intérieur à la nouvelle manière de concevoir l’exercice du culte. Sauf quelques rares exceptions*, ils ont en général abandonné l’usage du chœur, espace du clergé, pour tenir le culte dans la nef, espace des laïcs. La devotio moderna, apparue au siècle précédent, avait déjà accoutumé les fidèles à se regrouper, assis ou debout, en demi-cercle autour de la chaire, adossée d’ordinaire à l’un des piliers de la nef, à la moitié de sa longueur. La Réforme n’a somme toute fait à cet égard que tirer parti d’un usage qui lui était antérieur. Dans les édifices de petites dimensions qui étaient dépourvus de jubé, on a purement et simplement supprimé l’autel, installant dans le chœur des sièges résolument dirigés vers la chaire. Résultat : un dispositif de bancs entourant la chaire sur trois, voire sur quatre côtés. J’ai proposé de l’appeler « quadrangle choral réformé »* : « quadrangle » parce que c’est sous cette forme plutôt qu’en demi-cercle qu’on le rencontre d’ordinaire dans les églises adaptées aux exigences de la Réforme, et « choral » parce que cette manière-là de disposer les fidèles convient particulièrement bien au chant des psaumes qui est l’un des moments-clefs du culte réformé. Ce dispositif présente de surcroît trois avantages notables :
- il diminue d’autant la distance entre le prédicateur et l’ensemble de son auditoire, ce qui correspond à la recommandation des réformateurs selon laquelle le ministre de la Parole doit être à la fois bien vu et bien entendu de celles et ceux qui l’écoutent ;
- il accroît la dimension communautaire du culte en permettant aux fidèles d’avoir en face d’eux des visages et pas seulement le dos ou des nuques ;
- du même coup, il fait droit à l’idée selon laquelle la présence des personnes qui y participent doit être considérée comme le symbole le plus nécessaire et le plus adéquat de tout culte chrétien.
Au moment de la Réforme, les autels ont été radicalement bannis des temples réformés pour faire place à des tables de communion, dressées généralement devant la chaire, à l’endroit vers lequel convergent les regards des fidèles. Ce fut une manière particulièrement impressive de signifier que, désormais, le sacrifice sacerdotal de la messe faisait place à une communion des fidèles conçue comme un acte de commensalité symbolique avec le Christ*. Tandis qu’en Suisse alémanique, dans le bassin d’expansion de la Réforme de tournure zwinglienne, ce sont les fonts baptismaux qui ont été installés à ce point central de l’espace cultuel, un plateau étant posé sur eux pour la célébration de la cène, les réformés d’expression française ont très généralement choisi d’administrer les baptêmes à l’aide d’aiguières déposées sur la table de communion ou de bassinets accrochés à la rampe d’accès à la chaire – là encore à l’endroit vers lequel convergent les regards de l’assemblée, ce qui est une manière de montrer combien le baptême est lui aussi un symbole de dimension communautaire.
Ce dispositif en « quadrangle choral » s’est imposé quasiment partout dans les régions de la francophonie passées à la Réforme jusque vers les années 1950, là du moins où de nouveaux édifices ne sont pas venus remplacer entre temps les églises héritées du Moyen Age. Il a également prévalu dans les temples construits spécifiquement pour la célébration du culte réformé, par exemple celui de Charenton, que fréquentaient les protestants de la région parisienne, rasé lors de la révocation de l’édit de Nantes en 1685 ; même s’il avait finalement été installé en long, peut-être pour des raisons d’acoustique, un indice très sûr montre que Salomon de Brosse, son architecte, avait d’abord prévu une installation en large*. C’est aussi le dispositif de nombre de temples réédifiés en France dès le début du dix-neuvième siècle. Notons toutefois que, dès le mitan du siècle suivant, une mode liturgique fortement teintée de mimétisme œcuménique, mais qu’il faut bien qualifier de « recatholicisante », a incité nombre de paroisses réformées à renoncer au modèle du « quadrangle » pour lui préférer un aménagement non seulement en long, mais orienté de surcroît vers un « espace liturgique » souvent surélevé et rappelant le chœur sacerdotal de jadis, la table de communion se donnant à voir là où pourrait tout aussi bien se trouver un autel, flanquée de part et d’autre d’une chaire et de fonts baptismaux. Les partisans de ce nouveau modèle d’aménagement liturgique se sont réclamés de l’ancienne conviction réformée selon laquelle « il y a Eglise là où la Parole de Dieu est droitement annoncée et où les sacrements sont fidèlement célébrés* » et ont affirmé vouloir ainsi rétablir entre la parole et les sacrements un équilibre que le dispositif réformé traditionnel ne manifesterait pas avec suffisamment de clarté. Mais c’était oublier que l’ancienne sentence réformée énonce une conviction relative à la nature de l’église et non à la forme du culte, et c’était ne pas voir que le nouveau modèle est encore plus déséquilibré que l’ancien en déjetant la chaire sur le côté tandis que la majeure partie de « l’espace liturgique » ainsi créé est occupée par le mobilier dévolu à la célébration des sacrements*. Considéré sous cet angle, l’ancien dispositif réformé garde toute sa légitimité.
De l’église des oratoriens au temple de l’Oratoire*
Ce bref coup d’œil sur le passé architectural protestant montre que le temple de l’Oratoire reste fidèle, dans l’ensemble, à la solution la plus classique en la matière. Le passage de l’ancienne église des oratoriens au dispositif actuel a connu, ne l’oublions pas, une étape intermédiaire : entre la Révolution et l’Empire, l’édifice a en effet été radicalement désacralisé et dévolu à des fins séculières. Complètement débarrassée de son décor et de son mobilier, la nef a servi pendant plusieurs années de magasin de décors pour la Comédie Française et le chevet (ou ancien chœur) a été aménagé en casino de jeu. En 1811, quand les protestants, ont enfin pu disposer de l’édifice mis à leur disposition par le gouvernement impérial en remplacement de l’église Saint-Louis du Louvre dont ils jouissaient depuis 1791, nef et chevet étaient donc déjà nettement séparés l’un de l’autre, probablement par un mur. Fidèles à la logique caractérisant leur manière de concevoir le culte, les nouveaux usagers de l’édifice doivent n’avoir pas songé un instant à le restaurer dans son état antérieur, par exemple en installant leur table de communion à l’emplacement de l’ancien maître-autel, au centre de l’hémicycle qui clôt la nef vers le sud. Ils ont fait compléter les anciennes stalles des oratoriens par une paroi de bois en arc de cercle qui accentue encore la fermeture de la nef en direction de l’ancien chevet. Ils n’ont pas non plus hésité, en 1820-1821, à ajouter des tribunes à mi-hauteur dans les arcades de la nef qui, précédemment, abritaient des autels latéraux. Ces modifications et ces ajouts ont renforcé d’autant le caractère protestant de cet édifice désormais voué à la prédication, donc à l’écoute de la Parole, et non à la célébration de la messe, même si la congrégation fondée en 1611 par le cardinal de Bérulle accordait une large place à l’enseignement et à la prédication.Une restauration de l’édifice attentive à ne pas effacer les traces que l’histoire de ces deux derniers siècles y a laissées devrait s’abstenir absolument de toucher à ces interventions protestantes si riches de signification symbolique.
Les éléments les plus importants du dispositif actuel à l’Oratoire du Louvre sont à cet égard la chaire dressée à mi-longueur de la nef, probablement à l’endroit même où se trouvait déjà celle des pères oratoriens, les sièges des fidèles répartis en quadrangle dans cette même nef et sur plusieurs étages de galeries (les plus élevées datent de la construction de l’édifice), avec face à la chaire des bancs à portillon latéral* pour les conseillers presbytéraux, et devant cette même chaire la table de communion située au point de convergence de tous les regards. Une habitude prise vraisemblablement à l’instigation de Wilfred Monod (1867-1943), pasteur à l’Oratoire dès 1907, veut que la Cène y soit célébrée mensuellement, comme c’est aussi devenu souvent le cas dans les autres paroisses de l’Eglise réformée de France depuis les années 1950. Auparavant, la tradition réformée voulait qu’elle ne le soit que quatre fois l’an, lors des grandes fêtes chrétiennes et au début de septembre. C’est dire l’importance que revêtait et revêt toujours, les autres dimanches, la Parole prêchée et écoutée – une importance que vient souligner la prestance de la chaire du haut de laquelle les pasteurs s’adressent à l’assemblée, à une hauteur suffisante pour être bien vus et entendus des fidèles assis jusque dans les travées les plus éloignées.
La chaire et son environnement
Lorsque les protestants ont obtenu la jouissance de l’édifice, la chaire des oratoriens était encore en place, mais avait été fortement endommagée en 1793, ses panneaux sculptés ayant été tout simplement détruits. Un très bon menuisier lui a conféré son apparence actuelle. Elle a donc conservé la même que jadis, les contraintes acoustiques de l’édifice demeurant inchangées : avant l’installation de haut-parleurs, les prédicateurs devaient s’adresser au clou fiché dans la paroi face à eux, faute de quoi ils n’auraient pas été entendus de la moitié de leur auditoire, et l’ampleur de la nef leur imposait non seulement de fortement amplifier la voix, mais encore, ce qui est toujours peu ou prou le cas, de beaucoup modérer le rythme de leur élocution pour éviter que leurs syllabes ne se chevauchent sous l’effet de certaines réverbérations acoustiques.
A l’Oratoire, la prédication revêt donc obligatoirement une certaine solennité qui était évidemment dans l’esprit du grand siècle, quand cette église faisait office de chapelle royale, mais qui était aussi dans l’esprit de la Réforme à son âge classique. Si aujourd’hui on a souvent renoncé à doter les chaires d’abat-voix ou même supprimé ceux qui existaient, elles en étaient très généralement chapeautées jusqu’au début du siècle dernier. La présence de ces abat-voix s’imposait souvent pour des raisons d’acoustique, mais pas partout : dans certains temples, ils semblent n’avoir eu de fonction que décorative. En fait, ils étaient et sont encore là à titre de symboles : avec leur forme de dais ou de « couronnements* », ils rappellent l’éminente dignité de la prédication*.
A l’ampleur de la chaire correspondait, jusqu’au début du vingtième siècle, celle de la durée de la prédication. Aujourd’hui, l’habitude veut qu’en ce lieu les pasteurs consacrent à cette partie du culte entre vingt minutes et une demi-heure pour le moins. Voilà cent ans, on aurait jugé qu’ils se seraient contentés de fort peu : les grands prédicateurs de l’époque n’hésitaient pas à se lancer dans des prônes pouvant aller parfois jusqu’à une heure et demie, et les fidèles se pressaient pour les écouter. Le fait aujourd’hui nous étonne : les auditoires actuels ne supporteraient vraisemblablement pas un retour à ces habitudes d’hier. Mais l’exigence de base demeure : la prédication est un moment central du culte et les pasteurs auraient tort de ne pas lui accorder toute l’importance qu’elle requiert en contexte protestant. Les autres éléments du culte, prières, chants, actes symboliques, ont aussi leur raison d’être, mais sans éclipser jamais cette nécessaire actualisation du message biblique. Le protestantisme n’est en effet pas à proprement parler une religion du livre, mais une religion de la parole vive, reprise aujourd’hui en écho à celle qui a été si fortement dite et proclamée au temps des prophètes, du Christ et des apôtres.
En réaménageant l’édifice à leur usage, ses nouveaux utilisateurs n’ont pas reconduit la formule des anciens réformés français qui consistait installer la chaire et la table de communion dans un « parquet », c’est-à-dire à les entourer d’une barrière à portillon formant un petit parc et permettant de contrôler la participation à la Cène*. Sous le régime de l’édit de Nantes, cette mesure permettait d’en écarter les fidèles jugés temporairement indignes de communier et d’éviter que n’y participent des provocateurs catholiques, ce qui aurait pu entraîner la destruction du temple. Une partie des temples reconstruits dès le début du dix-neuvième siècle a bel et bien été dotée d’un parquet, ou tout au moins d’une esquisse de ce qu’était jadis le parquet ; c’est par exemple le cas du grand temple d’Anduze. Mais à ce moment-là, l’ancienne discipline de la cène n’était plus de mise et, sauf dans quelques milieux particulièrement rigoristes*, personne ne songeait plus à en interdire l’accès à qui que ce soit. Comme le dit un vieil adage réformé, de intimis non judicat ecclesia : il n’appartient pas à l’Eglise, ni même à ses responsables qualifiés, de porter un jugement sur la conscience intime des gens. C’est donc à très juste titre qu’aujourd’hui à l’Oratoire, dans un le libellé qui peut varier d’une fois à l’autre, la formule d’invitation à la cène dit en substance que cette communion est ouverte à tous ceux qui reçoivent l’appel de Dieu dans leur cœur, quelle que soit leur appartenance ou leur non appartenance à une dénomination religieuse.
La table de communion
Dans un premier temps, les protestants n’ont pas installé de table de communion à demeure dans l’édifice qui venait de leur être attribué. Ils n’en dressaient une que les dimanches de communion, soit quatre fois l’an. C’est seulement en 1889 que le pasteur Auguste Decoppet (1836-1906) a demandé « le déplacement immédiat de la chaire du lecteur et son remplacement par une table de communion* ». Nous reviendrons plus loin sur cette chaire de lecteur et sur les fonts baptismaux qui ont pris sa place. Offerte par les catéchumènes de ce pasteur*, la table installée désormais à demeure est plutôt massive, mais de bois, ce qui écarte toute confusion avec la symbolique d’un autel. Des photographies antérieures à 1924 montrent que cette table reposait comme aujourd’hui à même le sol, tandis qu’elle fut exhaussée d’une marche par une estrade jusque dans les années 1990, probablement pour la rendre plus visible de l’ensemble des fidèles, de même que le pasteur présidant la célébration de la cène. Très fréquente aujourd’hui, cette manière de faire voir non seulement la table, mais aussi le moment où le pasteur présente le pain et le vin à l’assemblée n’était pas dans l’habitude des anciens réformés, et ils avaient raison.
Mes repérages montrent que, jusqu’au début du dix-huitième siècle, la table était toujours au niveau des fidèles, comme c’est de nouveau le cas à l’Oratoire, pour signifier, même si les textes ne le disent pas, que la célébration de la cène n’est pas l’affaire de pasteurs, voire d’un prêtre, mais de l’assemblée des fidèles. Si le moment culminant de l’eucharistie catholique est la consécration des espèces par le prêtre – consécration qui, selon la doctrine de cette Eglise, entraîne la transsubstantiation du pain et du vin en corps en corps et sang du Christ – le moment le plus signifiant de la cène protestante est celui où les fidèles communient effectivement*. Toute la communauté devient ainsi symboliquement corps métaphorique du Christ et manifeste par sa participation à la communion sa résolution de répondre concrètement à l’appel évangélique dans la diversité des situations personnelles.
Pour alléger la gestion du matériel, on a renoncé depuis une quinzaine d’années à reconduire une habitude prise elle aussi à l’instigation de Wilfred Monod : les dimanches de communion, dresser une longue table recouverte d’une nappe blanche devant la table de 1889, cette dernière n’ayant alors plus de signification réelle dans le déroulement du culte. Les fidèles étaient invités à prendre place debout autour de cette nouvelle table, par tablées successives d’une trentaine de personnes. Cette manière de faire particulièrement signifiante faisait écho à l’ancienne habitude des réformés néerlandais et écossais de s’asseoir effectivement à une très longue table dressée spécialement ou à demeure au milieu du temple pour les dimanches de communion. L’intention, dans les deux cas, était la même : rappeler très concrètement le dernier repas de Jésus avec ses disciples et accentuer ainsi l’aspect de commensalité qui doit caractériser la célébration protestante de la cène. Cet aspect reste préservé dans la mesure où, maintenant, les fidèles sont invités, à l’instar de ce qui se fait de plus en plus souvent dans les temples réformés, à communier par larges cercles autour de la table de communion, quelles qu’en soient la forme ou les dimensions*.
Quand la cène n’est pas célébrée, une habitude prise par les réformés d’expression française probablement au début du dix-neuvième siècle sous la pression des sociétés bibliques, veut qu’une Bible soit ouverte sur la table de communion*. C’est en quelque sorte un renvoi visuel à la réponse de Jésus tenté dans le désert : « L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Matthieu 4, 4), à cette nuance près que, en perspective réformée, le texte de la Bible n’« est » pas à proprement parler « parole de Dieu » mais, comme on disait au seizième siècle, se contente de la « contenir ». De toute manière, la paroisse de l’Oratoire relève de la tendance protestante libérale selon laquelle il convient toujours de distinguer entre le libellé factuel d’un texte biblique et l’intention dont il doit rendre compte. La Bible n’est pas faite pour simplement figurer emblématiquement et bien en vue sur une table de communion, mais pour être lue. Or lire, c’est choisir entre les différents sens possibles d’un texte, c’est l’interpréter, c’est prendre le risque de cette interprétation, et si c’est au cours d’un culte, c’est se mettre à disposition de ce que Dieu nous dit par le biais de ce texte et de ce que nous en comprenons. Or c’est aussi ce qui se passe au moment de la cène et la présence de la Bible sur la table de communion est une manière de le rappeler. Les communiants ne reçoivent d’ailleurs qu’une bouchée de pain et une gorgée de vin, bien trop peu pour les rassasier physiquement, mais bien assez pour les renvoyer à ce qui, venant de Dieu, les nourrit spirituellement, les motive et les mobilise au fil des jours.
Les fonts baptismaux
Comme déjà signalé plus haut, la présence de fonts baptismaux n’était pas dans les habitudes réformées francophones jusque dans les années 1950. Ceux de l’Oratoire datent de 1889 et ont été installés en même temps que la table de communion. Nous ignorons les raisons qui ont motivé cette initiative du pasteur Decoppet, mais il est possible qu’il ait voulu conférer à la célébration des baptêmes davantage de prestance que ne le permettait l’usage d’une simple aiguière. Ce serait parfaitement dans l’esprit d’un temps qui aimait les solennités.
Dans une église catholique, les fonts baptismaux étaient jadis normalement situés près de l’entrée occidentale du sanctuaire. Le baptême y est en effet considéré comme un sacrement non seulement d’entrée dans l’Eglise, institution de caractère divin, mais aussi et par là même de participation au salut, les enfants morts sans baptême n’étant pas réellement « sauvés ». A l’Oratoire, les fonts ont pris la place de l’ancienne chaire du chantre et sont installés à côté de la chaire, dans la proximité immédiate de la table de communion.
L’ancienne tradition réformée voulait que les baptêmes soient administrés en présence de la communauté, donc au cours d’un culte dominical. Mais jusque vers la fin du siècle dernier, ce ne fut généralement pas le cas à l’Oratoire. Les cultes y sont en effet fréquentés par une assistance souvent formée en partie de curieux ou de protestants de passage à Paris, et l’on trouvait que les baptêmes ont une connotation trop familiale pour être à leur juste place dans ce contexte-là. Cela aussi était dans l’esprit du temps. La manière réformée de célébrer les baptêmes a de fait beaucoup fluctué au cours des deux derniers siècles, oscillant entre une manière très privée et individualisante de la concevoir (dans les années 1900, certains pasteurs n’hésitaient pas à célébrer des baptêmes au domicile des intéressés), et le souci de préserver et manifester leur dimension communautaire. C’est cette dernière qui prévaut maintenant et les baptêmes sont de nouveau célébrés au cours du culte, en présence et au cœur de toute l’assemblée.
Quant au sens même du baptême, quelle qu’en soit la manière, il reste celui sur lequel les réformés n’ont cessé de mettre l’accent depuis le seizième siècle : il ne confère pas à proprement parler le salut, comme s’il était un « remède d’éternité », ce qui en ferait un acte quasiment magique ou superstitieux, mais il est un geste attestant symboliquement aux baptisés et à leur entourage qu’ils sont bel et bien au bénéfice de la grâce de Dieu, qu’ils ont part à son « alliance », qu’ils ont leur place dans la communauté chrétienne et qu’« elle y restera toujours marquée même s’ils venaient à s’en éloigner* ».
Les orgues
En 1807, les protestants avaient installé un orgue sur la tribune de Saint-Louis du Louvre qui était à leur disposition pour leur célébration du culte. Ils ont transféré cet instrument à l’Oratoire dès qu’ils ont pu disposer de cet édifice en 1811, en l’installant d’abord dans la proximité de l’ancien chœur, puis dès 1813 sur une tribune construite au-dessus de l’entrée principale donnant sur la rue Saint-Honoré. Mais comme indiqué plus haut, cela ne les avait pas dissuadés d’installer à côté de la chaire pastorale une chaire « du lecteur », comme semble l’avoir désignée le pasteur Decoppet, en réalité une chaire du chantre. L’installation d’orgues ne les avait donc pas conduits à renoncer à ce ministère du chantre. Cela demande quelque explication.
Au seizième siècle, les réformés avaient purement et simplement banni des églises devenues leurs temples les orgues qui s’y trouvaient et qu’ils considéraient comme « les instruments de la papisterie ». Leurs successeurs du dix-septième siècle et même du siècle suivant n’en auraient pas voulu non plus. Le temple de Charenton qui accueillit les réformés de la région parisienne jusqu’à sa destruction en 1685 en était dépourvu en dépit de ses très grandes dimensions. Le chant des psaumes y était justement conduit par un chantre, une fonction généralement assumée par le « régent » (instituteur) de la localité. Dans la plupart des cas, il chantait une première fois en soliste la première strophe du psaume annoncé, peut-être même en rappelait-il les paroles aux fidèles illettrés (leur proportion devait varier d’une communauté à l’autre), puis il dirigeait et stimulait le chant de l’assemblée*. On se demande comment le chantre de Charenton s’y prenait pour faire chanter sans l’aide d’aucun instrument une assemblée comptant plusieurs milliers de fidèles*. A noter que, si les temples hollandais urbains ont abrité des orgues dès le seizième siècle, ces instruments n’étaient jamais utilisés au moment même du culte, mais seulement pour des concerts d’agrément après le culte ou le dimanche après-midi. C’est seulement au cours du dix-huitième siècle que des orgues ont commencé à faire leur apparition pour accompagner le culte et soutenir le chant des fidèles en contexte réformé, en rupture avec l’austérité toute calviniste qui avait musicalement prédominé jusque là et probablement par attrait pour ce qui se faisait chez les luthériens.
On comprend que les réformés parisiens du début du dix-neuvième siècle aient voulu que leur culte, enfin célébré sans entraves en plein centre ville, le soit désormais avec toute la majesté voulue, donc avec accompagnement d’orgue, mais sans renoncer pour autant au ministère du chantre. Si le procès-verbal de 1889 cité plus haut parle toutefois de « chaire du lecteur » et non « du chantre », cela montre que, entre temps, on avait cessé de compter sur ce dernier pour diriger les chants de l’assemblée. Que lisait alors ce « lecteur » ? Dans bien des paroisses, on en est venu à confier à des personnes qui ne sont pas pasteurs la lecture de la Bible. Ce n’est pas dans les habitudes de l’Oratoire, non sans raison, d’abord parce que lire correctement dans un édifice de cette dimension n’est pas à la portée de chacun, ensuite parce qu’il est bon et signifiant que la lecture de la Bible et son commentaire par le biais de la prédication soit le fait de la même personne. Mais il n’y a pas de règle en la matière ; c’est vraiment de l’ordre des choses sans importance (des adiaphora dit-on en langage théologique spécialisé).
Aucun instrument de musique n’est pas à proprement parler nécessaire à la tenue du culte, d’autant moins que, comme le disent les chrétiens de tradition orientale, Dieu a doté l’homme de la voix pour chanter sa louange. Dans le déroulement du culte, les orgues ou d’autres instruments, par exemple les trompettes, ont essentiellement pour fonction d’aider les fidèles à chanter et non de se substituer à leur chant, encore moins de les écraser de sonorités trop volumineuses. Les réticences des premiers réformés à l’endroit de ce type d’accompagnement musical gardent à cet égard toute leur pertinence, de même que leur souci d’éviter que les interventions instrumentales dans le culte ne tournent au concert ou pis encore à la démonstration de virtuosité. La participation musicale à un culte doit relever de la tonalité de la louange et de la prière ; elle doit aider les fidèles à prier, à méditer, à remercier Dieu et à le faire en s’associant par l’écoute à un autre langage que celui des mots ; elle doit se garder absolument de distraire leur esprit et leur cœur de ce qui, en un tel moment, est essentiel.
Sens et portée de la prédication
Tandis qu’en d’autres lieux, les pasteurs ont souvent renoncé à revêtir la « robe de Genève », comme on appelle d’ordinaire ce survêtement noir à rabat blanc*, à l’Oratoire elle reste de mise. Cette « robe » qui ressemble à celle des avocats manifeste un certain attachement à la tradition réformée : elle n’y a pas valeur de surplis sacerdotal, mais est une survivance de la robe que portaient jadis les titulaires d’un titre universitaire. Elle renvoie donc au type de formation qu’ont reçue les pasteurs. D’aucuns peuvent la trouver désuète, mais elle reste préférable à l’« aube » blanche ou écrue que se sont mis à porter certains pasteurs de Suisse romande*, sous prétexte que les élus de l’Apocalypse sont « revêtus de robes blanches » (7, 9), mais avec le risque de semer dans l’esprit des gens la confusion avec une fonction sacerdotale.
Quoi qu’il en soit, avec ou sans robe, l’ampleur du lieu impose à celles et ceux qui y prennent la parole un rythme de débit et une rhétorique qui ne sauraient être ceux de la conversation au coin du feu. Jadis, quand on ne disposait encore d’aucun aucun moyen d’amplification, la nécessité de forcer quelque peu la voix aboutissait chez certains pasteurs à tomber dans les travers du « ton pastoral », comme on l’appelait – un ton que n’était pas sans rappeler dans son genre celui de certains tribuns politiques*. Mais ce ton-là n’était en réalité le fait que des orateurs maîtrisant mal l’instrument de leur propre voix ou, qui pis est, n’ayant rien de réellement personnel à dire et se réfugiant dans les lieux communs d’un discours religieux plus ou moins convenu. Ce que nous savons des pasteurs en fonction à l’Oratoire dans ces temps sans haut-parleurs donne à penser qu’ils étaient en général de bons orateurs qui avaient quelque chose à dire et qui savaient le dire sur un ton personnel en dépit de la contrainte technique liée aux dimensions de l’édifice. Cette exigence, en fait, est toujours d’actualité, même avec une installation acoustique bien au point : on ne prêche pas à l’Oratoire comme dans un petit temple de province ou de banlieue.
Voilà bientôt un siècle, le théologien strasbourgeois Charles Hauter (1888-1981) n’a pas hésité à écrire que « dans le protestantisme […] la prédication est essentielle au culte, elle remplit le rôle de la transformation des éléments dans la messe, c’est-à-dire qu’elle amène la présence de la divinité. En quelque sorte, elle est comme l’élévation de l’hostie par le prêtre catholique, la présentation de Dieu aux fidèles réunis.* » C’est à peine trop dire. Ce serait trop s’il s’agissait d’affirmer que le pasteur, par l’acte même de prêcher, matérialise pour ainsi dire la présence de Dieu dans le culte. Ce ne l’est pas, si c’est pour indiquer que la prédication est avec la prière l’un des moments du culte les plus aptes à « présentifier » Dieu – à le rendre présent au cœur, à l’esprit, à la réflexion, à la méditation des personnes présentes pour autant qu’elles les veuillent bien et que Dieu soit à l’œuvre dans les tréfonds de leur intériorité .
Il n’y a là rien d’automatique ou de magique. A la suite des réformateurs, le protestantisme a raison de distinguer entre la parole « externe » et la parole « interne ». La parole « externe » est celle qui est dite, écrite ou imprimée : il ne suffit pas qu’elle le soit pour atteindre son but ou avoir son effet. Rien ne garantit humainement que le meilleur, le plus convaincu et le plus convaincant des pasteurs, fasse mouche sur l’esprit, le cœur, l’intelligence, l’âme de celles et ceux qui l’entendent. Certaines personnes peuvent parfaitement rester sourdes ou imperméables à ses exhortations. De même pour la Bible : il ne suffit pas que son texte soit lu pour porter des fruits. Encore faut-il qu’à cette parole « externe » corresponde une parole « interne », c’est-à-dire que Dieu lui-même « parle » dans l’intime intériorité les auditeurs ou des lecteurs. C’est ce que, en langage traditionnel, on appelle le « témoignage intérieur du Saint-Esprit ». En perspective réformée, il en va d’ailleurs de même lors de la cène : il ne suffit pas que le pain et le vin soient distribués entre les participants ; encore faut-il que Dieu, par son Esprit, soit à l’œuvre dans leur cœur et leur esprit pour les mettre en communion profonde avec le Christ et les autres croyants. C’est ce que donnait à entendre l’apôtre Paul quand il rappelait que, si lui-même avait planté et qu’Apollos avait arrosé, « c’est Dieu qui fait croître* ».
Que toutes les paroles « externes » ne soient pas bonnes à cet usage, c’est l’évidence même. La règle veut que la prédication se rapporte toujours à un ou plusieurs textes bibliques, mais dans la conscience très nette que la Bible n’est pas, comme telle, « parole de Dieu ». Tout au plus contient-elle cette « parole ». Le prédicateur, à bien comprendre son office, s’attache à entendre au plus près de sa conscience et de sa science, cette parole divine lovée dans les textes que la tradition juive, puis chrétienne, a regroupés dans la Bible. Comme on y trouve des textes qui n’ont pas tous la même portée ni la même valeur, inévitablement il choisit, comme le font tous ceux qui se réfèrent à ce livre même quand il prétendent en tenir tous les passages pour divinement inspirés. Et le choix fait, il interprète, il s’instaure pour ainsi dire en truchement de Dieu auprès de celles et ceux auxquels il destine sa prédication.
La tradition de l’Oratoire veut que les pasteurs assument cette responsabilité « libéralement », comme le veut le courant « libéral » du protestantisme, c’est-à-dire en toute responsabilité personnelle et sans devoir s’assujettir aux exigences d’une autorité doctrinale susceptible de les censurer ou de leur imposer des formules dogmatiques. Elie Lauriol, qui fut pasteur en ce lieu de 1946 à 1962, fit grande impression, raconte-t-on, en déclarant péremptoirement en chaire, à propos de l’ordre que Dieu aurait donné à Moïse de tuer tous les hommes de Madian (Nombres 31, 7), « Eh bien non, Dieu n’a jamais dit cela ! ». Tant il est vrai qu’il ne faut jamais confondre ce que Dieu dit et ce que la Bible – ou Moïse – dit que Dieu aurait dit. A plus forte raison se gardera-t-on de prendre la parole du pasteur pour la parole même de Dieu. Le pasteur propose, comme un barde ou un poète ; il n’a pas pour mission d’imposer. A chacun, ensuite, de faire son choix et de prendre ses responsabilités, c’est-à-dire en l’occurrence de répondre ou non à l’appel ou aux consignes qu’il a le sentiment ou la conviction d’avoir reçus de Dieu, fût-ce à l’encontre des exhortations pastorales.
Les autres moments du culte
L’Oratoire n’est pas de ces lieux où les pasteurs se permettent d’exposer les fidèles à toutes sortes de fantaisies et autres innovations liturgiques, comme si le culte avait sans cesse besoin d’être ravalé en surface à l’égal de certains shows télévisés. L’édifice, encore une fois, impose un certain sens de la solennité et les pasteurs, d’ordinaire, en respectent cet aspect : ils conforment le déroulement du culte à un schéma qui peut sembler sempiternellement le même. Fait curieux, dans les deux décennies d’après-guerre, le texte des prières avait été adopté par le conseil presbytéral et ne changeait pratiquement pas d’un dimanche à l’autre, alors même que se succédaient en chaire, dimanche après dimanche, trois, voire quatre pasteurs. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais cette répétitivité avait sa raison d’être. Ce n’était pas du ritualisme, toujours mal vu en contexte protestant, mais le souci de permettre aux habitués de s’associer d’autant plus aisément aux prières qu’ils en connaissaient déjà le libellé. Tout, dans le culte, n’a pas besoin d’être surprenant ; il suffit que la prédication le soit, tant il est vrai que, sur ce point, les pasteurs doivent s’astreindre à un constant renouvellement non seulement de leurs réflexions, mais aussi de leur manière de se référer aux textes bibliques. Les rencontres qu’ils font au cours de la semaine sont assez variées et les perspectives qu’elles leur ouvrent assez diverses pour que ce renouvellement aille quasiment de soi.
Dans l’ordre, à part la prédication, le déroulement du culte voit normalement se succéder, entrecoupés du chant de psaumes ou de cantiques, les éléments suivants :
- Une prière remerciant Dieu de cette occasion de lui rendre un culte et lui demandant de prédisposer chacun à s’y associer de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa pensée.
- Une prière dite de « confession des péchés » qui est une manière de reconnaître devant lui que nous ne sommes que ce que nous sommes et avons besoin de son assistance et de son pardon. Elle est suivie de « paroles de grâce » attestant ce pardon à tous ceux qui se repentent dans le secret de leur cœur.
- Une « confession de foi » qui est spécifique à l’Eglise de l’Oratoire, mais sans prétendre aucunement régenter la croyance des fidèles. A noter que, dans ce temple comme au Foyer de l’Ame (Eglise réformée de La Bastille), également de tendance libérale, le symbole dit « des apôtres » n’est jamais repris par les pasteurs pour la simple et bonne raison qu’il n’est justement pas « des apôtres »* et retient l’attention sur des affirmations doctrinales ou des faits parfois sujets à caution et secondaires par rapport aux enseignements les plus centraux des évangiles.
- Une prière qu’en langage traditionnel on appelle « d’illumination » ou « de collecte ». Juste avant la prédication, elle demande à Dieu d’éclairer l’entendement de chacun et, à cet effet, de rassembler ou « collecter » son esprit, c’est-à-dire aussi son attention.
- Après la prédication une prière d’intercession par laquelle on remet les autres et le monde à la sollicitude de Dieu. Elle s’achève d’ordinaire par la reprise de l’oraison dominicale (« Notre Père qui es aux cieux… »).
- Le culte prend fin sur une bénédiction qui, là non plus, n’est pas un acte magique ou sacerdotal, mais une manière de demander à Dieu son accompagnement sur les chemins du monde.
Le cadre général, on le voit, est plutôt traditionnel et sans surprise. Expérience faite, c’est dans ces conditions-là que la pensée, donc aussi la manière de concevoir et de vivre son christianisme, est encore la plus libre – d’une liberté non point formelle, mais intrinsèque. C’est celle que suppose la foi évangélique, telle du moins que la comprend l’Eglise réformée de l’Oratoire du Louvre.
Bernard Reymond
extrait du livre du bicentenaire
Notes :
* Selon Bernard Cottret, me rappelle André Gounelle, ce terme caractéristique du langage protestant francophone serait dû à l’helléniste Mathurin Cordier (1484.1564) qui, sévère pour le latin ecclésial, trouvait anormal de désigner un édifice par le mot ecclesia qui signifie « assemblée »; il aurait fait remarquer à Calvin qu'en latin on appelle templum le lieu destiné aux offices religieux. Mais je remarque aussi que les réformés d’expression française se sont d’autant plus volontiers rangés à cet avis que le mot « temple » renvoie également au temple de Salomon. Mais ils l’ont repris à leur compte sans jamais lui conférer aucune connotation donnant à entendre que l’édifice en question serait en quelque sorte une résidence de la divinité. A leurs yeux, il n’était et n’est encore « temple » à proprement parler qu’au moment où le culte y est célébré et où les fidèles qui y sont rassemblés sont eux-mêmes « temples » de Dieu (voir I Corinthiens 3, 16).
* Si ce rituel a changé de forme après Vatican II, son tour sacrificiel et sacerdotal est resté le même.
* C’est en particulier le cas de la cathédrale Saint-Pierre, à Genève, où la nef est pratiquement restée hors d’usage jusqu’au début du dix-neuvième siècle, tandis que les fidèles étaient regroupés autour de la chaire dans l’espace du chœur, des tribunes étant même aménagées dans le tansept pour augmenter le nombre de places à proximité du prédicateur.
* Voir Bernard Reymond, L'architecture religieuse des protestants – Histoire, caractéristiques, problèmes actuels, Genève, Labor et Fides, 1996. Voir aussi le numéro du Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français consacré à « L’architecture des temples réformés », tome 152, juillet-août-septembre 2006, pp. 323-519.
* Voir mon article « Du sacrifice de la messe à la convivialité de la Cène, ou la Réforme vue sous l’angle des rituels », Etudes Théologiques et Religieuses (Montpellier) 2001, pp. 357-370.
* Voir Heinrich von Geymüller (1839-1909), Architeckturforscher und Architekturteichner (catalogue d’exposition), Basel, Reinhardt, 2009, p. 139.
* Cette sentence se retrouve avec quelques variations dans tous les principaux textes de la Réforme. La confession de foi dite de La Rochelle (1559) l’exprime sous une forme négative qui a l’avantage d’éviter de donner à entendre que parole et sacrements suffiraient à définir la nature de l’église : « nous affirmons que là où la Parole de Dieu n'est pas reçue et où l'on ne se met nullement en peine de s'y soumettre, et là où il n'est fait aucun usage authentique des Sacrements, on ne peut estimer qu'il y ait quelque Eglise ».
* Pour autant que l’on tienne à ce terme qui prête à malentendus et qui est étranger au vocabulaire du Nouveau Testament.
* Je dois à l’obligeance de Christiane Guttinger et de Philippe Braunstein une partie des informations factuelles dont fait état la présente contribution à propos des premières mises en place protestantes dans cet édifice..
* Ces bancs ne figurent pas encore sur la gravure antérieure à 1823 mentionnées plus haut.
* C’est le terme danois pour désigner les abat-voix.
* Voir mon article « Les chaires réformées et leurs couronnements », Etudes Tthéologiques et Religieuses 1999, pp. 35-49.
* L’existence de « parquets » est une particularité des temples réformés français de la période antérieure à la révocation de l’édit de Nantes. Il n’y en a jamais eu en Suisse romande, pas même dans la Genève de Calvin. Le « doophek » ou enceinte baptismale des anciens temples néerlandais ont une autre fonction : délimiter le périmètre particulièrement solennel au sein duquel le baptême est administré. La fonction des balustrades dont sont souvent entourées les tables de communion des temples réformés de Hongrie et de Transylvanie est encore différente : éviter que les fidèles ne se bousculent autour de la table.
* C’est la discipline que le pasteur Adolphe Monod (1802-1856) voulut réintroduire en 1831 à Lyon, au grand déplaisir du consistoire qui obtint sa révocation. Monod est néanmoins devenu pasteur à l’Oratoire en 1849, mais il avait renoncé à cette rigueur première.
* Procès-verbal de la séance du conseil presbytéral de l’Oratoire en date du 22 octobre 1889
* Les paroissiens de l’Oratoire se recrutaient en partie dans des familles très aisées de la société protestante parisienne et l’usage voulait que, à l’occasion de leur confirmation, les catéchumènes offrent au pasteur dont ils avaient été les catéchumènes un présent d’importance. C’est en l’occurrence toute la paroisse qui en bénéficia.
* Cette affirmation n’empêche évidemment pas que des pasteurs ou des fidèles puissent avoir de la fonction symbolique des uns et des autres dans cette célébration une conception plus catholique que réellement protestante, ainsi quand ils pensent que ladite célébration n’est licite et valable qu’à condition d’être présidée par un pasteur dûment consacré. La présidence n’en est réservée à des pasteurs que par souci de discipline synodale, pour éviter des prises de pouvoir irréfléchies dans le domaine symbolique. En cas de carence pastorale, elle peut très bien revenir à quelqu’un qui n’a pas cette qualité, mais à condition que la personne en question soit dûment mandatée pour le faire, par exemple un synode ou, en situation d’urgence, par une décision dûment assumée par la communauté locale.
* Autre manière de faire très répandue dans les églises réformées jusque dans la première moitié du siècle dernier : la communion par défilé des fidèles devant la table. Dans ce cas, bien des pasteurs avaient l’habitude de dire un verset biblique à chacun en lui remettant son petit morceau de pain, comme pour bien lui signifier que c’est la « parole de Dieu » qui est le véritable « pain des âmes », comme on disait à l’époque. Il est possible que des pasteurs aient procédé de la sorte à l’Oratoire, mais je n’en ai pas d’indice probant.
* C’est parfois le cas dans les temples réformés d’autres régions linguistiques, mais pas aussi systématiquement qu’en francophonie.
* Selon une phrase souvent présente dans les liturgies protestantes de baptême.
* On trouve une très belle et savoureuse description de ces interventions du chantre dans Le presbytère, roman de Rodolphe Toepffer (Genève 1832, plusieurs rééditions).
* Quant à la capacité d’accueil du temple de Charenton, les évaluations varient beaucoup. Certains parlent de 5'000 personnes, ce qui semble énorme. Sir Christopher Wren (1632-1723) qui présida à la construction d’une cinquantaine de temples, dont la cathédrale St-Paul, après le grand incendie de Londres, estimait qu’un édifice de ce type ne devait pas accueillir plus de 2'000 fidèles, faute de quoi les prédicateurs ne pourraient pas être entendus.
* Dans la région de l’Engadine, en Suisse, cette robe noire à rabat blanc fait place à une petite cape dorsale, dite « manteau de prédicateur »,fixée sur les épaules. Chez les réformés de l’ancien Empire autrichien (Autriche, Hongrie, Transylvanie), les pasteurs revêtent pour la célébration du culte une cape de plus grande ampleur, agrafée sur le devant à la hauteur du col.
* A ma connaissance, cet usage ne s’est heureusement pas répandu chez les réformés français qui, en l’occurrence, préfèrent à juste titre l’abandon pur et simple de quelque survêtement cultuel que ce soit au bénéfice d’une simple tenue de ville – un usage très répandu en Suisse alémanique depuis de nombreuses décennies.
* Voir par exemple la manière de Georges Marchais.
* « Le problème sociologique du protestantisme », Revue d’histoire et de philosophie religieuse (Strasbourg) 1923/1, pp. 21-50, cité par Jean-Paul Willaime, Profession pasteur. Sociologie de la condition du clerc à la fin du XXe siècle, Genève, Labor et Fides, 1986, p. 53.
* I Corinthiens 3, 6.
* Ce symbole date des quatrième-cinquième siècles et émane de l’église de Rome. Contrairement à ce que donnent à entendre nombre de ceux qui le reprennent à leur compte, il n’est pas « universel », mais propre à la chrétienté occidentale ; les chrétientés orientales n’en font jamais usage.