Quarantaine pour tout le monde !

Marc 1:12-15 , Luc 4:1-13

Culte du 1 mars 2020
Prédication de Agnès Adeline-Schaeffer

Vidéo de la partie centrale du culte

Chers frères et sœurs,

On peut vraiment se poser de nombreuses questions concernant ce texte de la tentation de Jésus. La première : comment ce texte nous est-il parvenu ? La deuxième : pourquoi est-il conservé dans la tradition évangélique ? Et la troisième : qu’est ce que ce récit peut encore nous dire aujourd’hui ?

Jésus est seul dans le désert, pendant 40 jours. Le chiffre 40 est un chiffre symbolique, que ce soit pour les années comme pour les jours, qui désigne une période approximative d’épreuve ou de retrait. On pense aux 40 jours et 40 nuits, du Déluge, dans le récit de Noé, ou aux 40 jours que Moïse passa sur le mont Sinaï au moment de recevoir les dix commandements, aux 40 années qu’Israël passa dans le désert, ou encore aux 40 jours de marche d’Elie, après son combat contre les prophètes de Baal.

C’est donc au tour de Jésus de faire cette expérience de solitude et de manque.
Seul, face à l’Adversaire, appelé encore Satan ou le diable, on nous raconte le récit d’un affrontement, dont seuls les anges et les bêtes sauvages furent les témoins, la tentation de Jésus est un grand mystère.

Comment ce récit nous est-il parvenu ?

Nous venons de lire les récits de Marc et de Luc.

Nous sommes frappés tout de suite par les différences de longueur du texte.

Chez Marc : 2 versets et 3 phrases. C’est un récit, abrupt, brutal, dans lequel il n’y a même pas le contenu de la tentation : l’Esprit-Saint, dont Jésus vient d’être investi par son baptême, quelques versets auparavant, le pousse dans le désert, 40 jours, pour être tenté par Satan, autre nom du diable. Les bêtes sauvages sont là, mentionnées certainement pour souligner la désolation du lieu, ou alors pour illustrer par anticipation l’harmonie du monde, sous la royauté du Messie, selon la prophétie d’Esaïe (chapitre 11). Le récit se termine sur cette image des anges qui servent Jésus, comme le symbole de l’assistance divine auprès de Jésus qui sort vainqueur de cette épreuve.

Sans transition, le lecteur se retrouve en Galilée. C’est l’annonce immédiate de l’évangile et l’appel des premiers disciples.

L’Evangile de Luc nous raconte au contraire un récit haut en couleurs, où Jésus, remplis du Saint-Esprit est conduit dans un lieu solitaire, un lieu de peurs, d’angoisses et d’épreuves. Un lieu de manque, par excellence.

C’est une histoire sortie du fond des âges, avec un diable qui assiège Jésus de toutes parts, au moment où la faim le prend. Puis le diable emmène Jésus comme par enchantement sur une haute montagne d’où il rassemble tous les royaumes du monde…et mieux encore, quand il conduit Jésus au sommet du temple de Jérusalem, pour mieux le séduire…la faim, le pouvoir politique, le pouvoir religieux, tout y est…

Il y a encore ces références répétées aux Ecritures, qui font penser à une querelle de théologiens, et puis, cette conclusion terrible, où le diable momentanément vaincu, s’éloigne de Jésus, pour revenir au moment fixé. Et par « moment fixé », il faut entendre le temps de la Passion, le moment de l’arrestation, de la condamnation et de la crucifixion de Jésus.

Comment ce récit nous est-il parvenu et pourquoi est-il conservé dans la tradition évangélique ?
Les Evangiles n’ont pas été écrits par Jésus, mais longtemps après sa venue. Cela a commencé par une transmission orale, d’abord par les disciples directs, puis mise par écrit, essentiellement par les disciples des disciples…

Les disciples transmettent ce qu’ils ont compris de ce que Jésus a dit et fait. Et ils comprennent d’ailleurs tout cela à la lumière de la résurrection.

Dans le bref récit de Marc, les disciples ont certainement compris que Jésus avait vécu un combat intérieur très long et très intense, une sorte de cheminement spirituel, avant de passer à son ministère public, à proprement parler.
Les récits plus développés chez Luc, comme chez Matthieu que nous n’avons pas lu ce matin, avec les détails des trois tentations, sont déjà le témoignage plus élaboré de la communauté primitive, méditant avec les disciples de la génération suivante ce que Jésus leur avait sûrement confié.

Ils disent, à leur tour, leur propre expérience, de ce qu’ils éprouvent, comme résistances, comme attaques de toutes parts, et comme tentations, alors qu’eux-mêmes sont en train de devenir des annonceurs publics de l’Evangile.

Le temps que passe Jésus au désert est un temps de retrait avant d’occuper le devant de la scène, avant ses actes publics, ses paroles publiques, ses gestes, ses guérisons, ses interprétations de la Parole qui mettront tant d’hommes et de femmes en route. 

Et d’autres en déroute.

Jésus vit ce temps comme un temps de solitude, de réflexion intense et de mise à l’épreuve de sa foi et de sa vocation.
Nous avons déjà remarqué que les tentations dont le diable l’assaille au moment de sa plus grande faiblesse physique sont les problèmes et le questionnement humain fondamentaux : le besoin de manger, le pouvoir politique, l’attente religieuse.

Ces trois tentations vont contraindre Jésus « à faire un choix lucide, et libre, quant à la manière dont il sera devant Dieu et pour les hommes, le Fils de Dieu ». Au service de qui entre-t-il par sa vocation ? Au service de lui-même ou au service des autres ?

Examinons un instant les trois tentations décrites dans l’Evangile de Luc.
Ces tentations se passent à l’intérieur même de la personne de Jésus. Ces tiraillements sont nommés symboliquement par ce nom du diable. C’est Jésus qui se pose la question à lui-même : investi que je suis par cette présence de Dieu en moi, et puisque j’ai faim, je peux profiter du pouvoir qui est le mien, en cet instant. Je dis seulement une parole, et ces pierres deviendront du pain. Je peu me servir moi-même.

Et c’est le moment de se rappeler l’étymologie du mot « diable » qui veut dire « le diviseur »… Et en ce qui nous concerne, c’est tout ce qui, en nous, nous tiraille, nous complique, nous tourmente, quand par exemple, nous sommes indécis, hésitants, lorsque nous avons peur de mal faire et que cela nous paralyse. Ce sont aussi ces forces qui nous opposent les uns aux autres, avec juste ce qu’il faut de malveillance, de suspicion et de préjugés, au risque de la dispute, de l’affrontement et de la séparation.

Loin de se servir lui-même, en se donnant à lui-même le pain, Jésus se souvient d’une citation de l’Ecriture, que les hommes connaissent bien, aussi bien que le besoin impérieux de manger. Jésus s’appuie sur une parole de Dieu, et reste solidaire des hommes qui ont faim. Il est écrit : L’homme ne vivra pas de pain seulement,…et c’est, d’ailleurs, l’évangéliste Matthieu qui donne la citation en entier : « L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sortira de la bouche de l’Eternel » (Deutéronome chapitre 8). Et c’est justement de cette Parole là que Jésus veut vivre, tout entier, afin de pouvoir la dire et la donner aux hommes et aux femmes de son temps, dans une totale plénitude, sans conditions.
Jésus ensuite se confronte au pouvoir politique, qu’il peut acquérir et dominer, en faisant juste le choix d’adorer ce qui va asservir les êtres humains.
Mais il s’appuie sur une autre citation de l’Ecriture : « tu adoreras Dieu seul et tu le serviras lui seul ».

Et alors, suprême tentation : Et si Jésus avait été traversé ne serait-ce qu’un instant, par ce désir de contraindre Dieu à agir…: « Puisque tu es le fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas car l’Ecriture déclare « Dieu ordonnera à ses anges de te garder. Ils te porteront sur leurs mains pour éviter que ton pied ne heurte une pierre…..

Ici, c’est un usage perverti des Ecritures qui est fait. Est utilisé ici, l’extrait d’un psaume, qui n’est plus du tout une prière confiante du croyant avec Dieu, mais plutôt une main mise sur son amour. Mais Jésus se positionne, en offrant une opposition respectueuse contre tout ce qui se qui l’assaille : « Il est aussi écrit : tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. Ne mets pas l’épreuve le Seigneur ton Dieu. L’autre sens du mot tentation est justement épreuve. C’est ce que nous disons dans la prière de notre Père : ne nous soumets à la tentation….nous pourrions tout aussi bien dire : ne nous soumets pas à l’épreuve.

Jésus, ici, refuse, en quelque sorte de s’approprier une parole qui vient de Dieu, pour obliger Dieu à une intervention spectaculaire de Dieu qui prouverait l’efficacité de son existence ou de sa présence. Mais cette intervention plongerait les hommes dans l’illusion et l’esclavage d’un Dieu qui interviendrait dans la vie de chacun de façon prodigieuse. Mais cela ne changerait la vie de personne. Ce serait se moquer des hommes et de leur histoire personnelle, de leurs échecs et de leurs espoirs Non, décidément, Jésus reste devant Dieu et avec les hommes, à sa place de Fils, dans une relation de foi, de respect, d’amour et non de pouvoir, même si cela doit le conduire à être rejeté et à mourir.

Alors, qu’est ce que ces récits de la tentation de Jésus peuvent encore nous dire aujourd’hui ?

Nous sommes entrés dans ce temps de Carême, cette période de 40 jours et de 40 nuits qui nous conduit jusqu’à la fête de Pâques. Tout en restant présent dans notre monde, nous sommes pourtant mis en quarantaine, d’abord au sens spirituel, mais au fond, nous sommes en train de le vivre, en tout cas, pour certains d’entre nous, au sens propre. Nombreuses sont les personnes, notamment les plus fragilisées dans leur santé, à la suite d’une opération par exemple, qui, en ce moment, préfèrent rester chez eux. Nous sommes mis aussi en quarantaine affective, si nous ne pouvons plus, momentanément nous serrer la main ou nous embrasser….

Indépendamment de ce cas particulier qui nous concerne tous aujourd’hui, nous sommes assaillis hier comme aujourd’hui par quantités de tentations. A part les tentations classiques de la convoitise sous toutes ses formes, essayons de repérer quelles sont les tentations dont les médias se font dramatiquement l’écho. Que ce soit sur le plan politique, dans le domaine de l’éducation, de la psychologie, dans les sphères religieuses, dans le domaine spirituel, sur le plan conjugal et sexuel, la première tentation est celle de l’emprise que l’on a sur les autres, ayant pour conséquence la tentation de devenir une référence incontournable, une sorte de gourou, par la fascination que l’on peut exercer par la séduction du corps et des sens, l’intelligence de la démonstration, l’utilisation pervertie des mots et des charismes. Pour y résister, c’est de faire attention, dans la relation aux autres, au moment où l’on prend conscience du pouvoir que l’on a sur quelqu’un, et ce quelqu’un devient dépendant de nous.

Une autre tentation perceptible, relayée souvent par les réseaux sociaux, c’est celle de faire sa propre justice, au mépris de la justice commune. C’est d’une certaine manière cultiver la haine par la vindicte du lynchage populaire, en remettant à l’honneur la référence du bouc émissaire.

Toujours à l’abri derrière les écrans de téléphone ou d’ordinateur, c’est de participer virtuellement au débat public, sans prendre le risque de rencontrer l’autre, et sans prendre le recul et le discernement de savoir si la réponse que l’on envoyer par un simple clic, est valable ou non.
Il y a encore cette tentation de ne plus douter, de ne plus se remettre en question, de ne plus réfléchir. La tentation d’une pensée unique.

La tentation au fond c’est de ne prendre que soi-même et sa propre pensée, comme unique référence et de croire que c’est la référence pour tous.

Comment garder la tête froide ? Comment ne pas céder à sa propre toute puissance ?
Nous n’aurons pas trop de 40 jours pour répondre à toutes ces questions, et nous aurons besoin de beaucoup de plus de temps, pour inventer de nouvelles façons de nous rencontrer, de réfléchir à de nouvelles formulations de la foi, de l’espérance et de l’amour, pour vivre, en ce qui nous concerne, « un christianisme d’avenir » ! Mais avant de nous lancer dans ce travail, nous ne pourrons pas faire, me semble-t-il, l’économie d’un retour sur soi, un retour sur nos agissements, nos paroles, nos pensées. Cela ne nous plaît pas toujours, mais cette quarantaine, c’est le temps de notre examen personnel. C’est aussi le temps de gestation permettant de mettre au monde notre personne, remise à neuf et de discerner au service de qui nous voulons être.

Amen

Lecture de la Bible

Marc 1/12-15

12 Aussitôt, l'Esprit poussa Jésus dans le désert, 13 où il passa quarante jours, tenté par Satan. Il était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient.

14 Après que Jean eut été livré, Jésus alla dans la Galilée, prêchant l'Evangile de Dieu. 15 Il disait: Le temps est accompli, et le royaume de Dieu est proche. Repentez-vous, et croyez à la bonne nouvelle.

Luc 4/1-13

1 Jésus, rempli du Saint-Esprit, revint du Jourdain, et il fut conduit par l'Esprit dans le désert, 2 où il fut tenté par le diable pendant quarante jours. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, après qu'ils furent écoulés, il eut faim. 3 Le diable lui dit: Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre qu'elle devienne du pain. 4 Jésus lui répondit: Il est écrit: L'Homme ne vivra pas de pain seulement.

5 Le diable, l'ayant élevé, lui montra en un instant tous les royaumes de la terre, 6 et lui dit: Je te donnerai toute cette puissance, et la gloire de ces royaumes; car elle m'a été donnée, et je la donne à qui je veux. 7 Si donc tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi. 8Jésus lui répondit: Il est écrit: Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul.

9 Le diable le conduisit encore à Jérusalem, le plaça sur le haut du temple, et lui dit: Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d'ici en bas;

10 car il est écrit: Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet, Afin qu'ils te gardent;

11 et: Ils te porteront sur les mains, De peur que ton pied ne heurte contre une pierre.

12 Jésus lui répondit: Il est dit: Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu.

13 Après l'avoir tenté de toutes ces manières, le diable s'éloigna de lui jusqu'à un moment favorable.

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