Le geste du potier

Jérémie 18:1-12

Culte du 12 janvier 2020
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

           Les paroles de ce texte nous présentent une théologie de la rétribution selon laquelle Dieu traite son peuple selon sa conduite. C’est un Dieu qui punit ou qui récompense, qui nous est présenté ici. Ces propos sur Dieu sont devenus presque inaudibles à notre époque, en raison de leur caractère binaire ;  mais faut-il pour autant refuser entièrement cette lecture du livre de Jérémie, ou en tirer quelques enseignements pour notre foi ?
            En effet, si Dieu est ici représenté comme un juge qui sanctionne les mauvaises actions de ses fidèles et les tient dans sa main comme une argile privée de volonté ou de libre arbitre, la réflexion sur l’incapacité des hommes à réformer leurs agissements a de quoi nous intéresser encore aujourd’hui. Le « À quoi bon ? Nous suivrons nos pensées, chacun de nous agira selon l'obstination de son cœur mauvais » est toujours un trait marquant de nos sociétés.
 
            Le prophète Jérémie est le prophète d’une période difficile dans l’histoire d’Israël.
            Le pays est déjà coupé en deux. C’est un pays affaiblit, disloqué, en proie aux aléas d’une histoire que les rois successifs, tant au nord qu’au sud, ne maîtrisent pas.
            Jérémie est le prophète des exils successifs et des infidélités du peuple de la tribu de Juda envers le Dieu d'Israël. Les Assyriens dominent d’abord la région et déportent les élites du pays. Puis, l’Assyrie elle-même s’affaiblit et devient la proie de Babylone avec le roi Nabuchodonosor, puis de l’Égypte, qui voudrait contrer Babylone.
            Jérusalem est un fétu de paille au milieu de cette tempête.
            Et pourtant, pendant les temps les plus durs des déportations successives, un roi que la postérité retiendra comme « juste », va être donné au royaume de Juda, le royaume du sud. Ce roi, c’est Josias.
            Pendant son règne, il ne va avoir de cesse de réformer son petit royaume écrasé au milieu des grandes puissances. Lui, le roi d’un territoire très petit mais au centre de la géographie des empires, ne va pas céder à la tentation de la corruption, ni à celle de l’abandon.
            Josias veut reconstruire le temple de Jérusalem, détruit par les guerres successives. Et, comme un miracle, une révélation a lieu au milieu des ruines : on retrouve un rouleau sur lequel est écrit un texte qui constituera désormais la matière première de la réforme religieuse et nationale du royaume de Juda.
            Ce rouleau est celui d'un texte de loi qui n’est autre que le Deutéronome : littéralement « la deuxième loi ».
            La découverte du rouleau est un motif de remise en question du peuple et de ses agissements : pour Josias, il est clair que le peuple est dans cet état de déliquescence parce qu’il a oublié la loi divine : il est temps de réformer les institutions du pays. Comme dans toute période de grande réforme, c’est un système devenu inacceptable qui révèle la nécessité de réformer. Les privilèges de quelques-uns, les abus de pouvoirs ou les inégalités scandaleuses, font surgir des réformateurs qui refusent de dire : « À quoi bon ? ».
            Durant la période qui nous intéresse ce matin, un prophète se lève pour parler de ce peuple qui n’en fait qu’à sa tête: ce prophète, c’est Jérémie. Lui, si jeune, qui n’a, dit-on, que 17 ans quand il commence son ministère de prophète. Il est originaire d’une ville maudite. Et oui, cela existait ! Salomon avait exilé dans cette ville une famille de prêtres qui lui avait désobéi. Depuis, la ville était maudite, stigmatisée dans toute la région comme la ville des prêtres bannis de Jérusalem.
            Jérémie est donc marqué par la honte. Il vient d’un endroit d’où rien de bon ne peut sortir.
            Et pourtant, ou justement à cause de cela, il va prophétiser et soutenir l’idée d’une réforme civile et spirituelle du royaume de Juda.
 
            La Bible nous raconte comment Dieu lui apprend ce qu’il veut pour son peuple. Dieu s’adresse à Jérémie et lui demande d’aller dans la maison du potier afin d’y voir le geste de l’artisan qui travaille l’argile.
            Ce choix du travail de la terre, qui est d’abord froide et dure et qu’il faut réchauffer au creux des mains pour qu’elle se laisse façonner, rappelle le rapport si particulier entre le geste du potier et la terre qui résiste. Loin d’être inerte, la terre est influencée par l’humidité, le froid ; comme si « l’air du temps » l’altérait et la rendait tantôt trop malléable, tantôt trop résistante aux gestes du potier. Il y a dans cette métaphore de la poterie, toute la difficulté à faire advenir dans une réalisation concrète l’objet, le projet, l’oeuvre qu’on a en tête.
            Le modèle est clair, il semble même facile, mais  tout ne se passe pas comme prévu. L’obstination n’y peut rien, car plus les mains travaillent la terre, plus la terre devient chaude, molle, et incontrôlable. Elle s’effondre sous l’effort, et tout est alors à refaire.
 
            Dans le texte du prophète Jérémie, le potier rate d’abord son vase. Il doit écraser la terre pour tout recommencer. Cette image du Dieu potier dit ainsi plusieurs choses essentielles pour faire comprendre sa relation à son peuple : d’abord, que Dieu rate parfois son oeuvre, ce qui relativise sa toute-puissance et l’intransigeance de ses jugements. Ensuite, cela nous apprend que Dieu recommence jusqu’à ce que le vase soit conforme à ce qui lui plaît. Il faut qu’on puisse dire, comme dans le récit de la création : « il vit que cela était bon ». Dieu a donc un projet de réussite pour son peuple ; son exigence est une façon de bénir son peuple, de lui souhaiter du bien.
 
            En lisant une parabole comme celle du potier, il faut se souvenir que la rédaction des livres de la Génèse ou des livres de la Sagesse, sont écrits en période d’exil ou après l’exil, au moment de la reconstruction de la culture d’Israël. Ainsi, cette image de la terre et du façonnage du peuple par un Dieu artisan n’est-elle pas si loin de celle qui est employée pour parler de la création d’Adam.
            Les textes semblent éloignés chronologiquement dans la Bible, mais dans leur rédaction, ils proviennent de la même culture, de la même vision de Dieu : un Dieu qui ne parvient pas à rendre compte des vicissitudes d’un peuple de croyants. Ces textes proviennent, aussi et surtout, du même questionnement d’un peuple qui reconstruit sur des ruines institutionnelles et qui cherche à refonder un pays meurtri dont les codes ont été profondément changés par l’intervention de pays étrangers et de cultures différentes.
            Josias, le roi juste, qui tente de réformer son peuple et son royaume, sera tué à Méguido, dans une bataille qui devait empêcher aux Babyloniens de marcher sur le pays. Le royaume de Juda, a choisi le mauvais allié : l’Égypte. Il a choisi le perdant, et il y aura donc encore une période d'exil, une période de guerre, et donc de destruction.
            Le livre de Jérémie porte en lui cette question : comment expliquer que le juste ne l’emporte pas ?
            Est-ce que les menaces et les voeux que renferme le texte de Jérémie : « je façonne un malheur pour vous, je prépare un plan contre vous, que chacun revienne de sa mauvaise voie » suffiront à faire changer le peuple de Dieu ? Quel est ce Dieu qui a, comme argument dominant, la menace ?  N’est-ce pas un Dieu faible ? Un potier qui ne réussit pas à obtenir le vase dont il avait le projet ?
            Les tenants du « À quoi bon ? » avaient-ils, au bout du compte, raison ? Les réformes ne servent-elles à rien ?
 
            Le livre de Jérémie interroge notre foi sur la capacité que nous avons à nous laisser réformer sans cesse par Dieu. Il est sans doute plus facile de dire : « À quoi bon ? » et de continuer à agir comme on a l’habitude d’agir, sans se poser la question de l’avenir, de la construction de demain, que de remettre en question ses certitudes, ses habitudes, sa routine. Réformer sa vie demande des efforts, un travail sur soi et l’acceptation d’une adaptation au temps qui passe et aux époques qui changent.
            Ces efforts de réforme sont si difficiles qu’ils font dire à certains qu’un pays ou une institution est impossible à réformer. Pourtant la vie même nous oblige à changer sans cesse de méthode, de façon de penser, de projet, sous peine de sclérose et de mort.
            L’artisan d’art lui-même, qui détient des savoir-faire ancestraux, et sait refaire à l’identique les gestes des maîtres, innove sans cesse dans son métier et son excellence  tient en sa capacité à chercher de nouvelles méthodes qui ré-interprètent les gestes du passé en les mettant au service de défis nouveaux.
            Et même en matière religieuse, l’exemple du moine Martin Luther nous montre que c’est à force de recherche sur des textes bibliques et leur lecture traditionnelle, qu’il a proposé la réforme d’institutions qui s’étaient perdues dans une impunité et une arrogance qui défiguraient le message qu’elles étaient censées porter.
           
            Jérémie nous apparaît tout à coup si proche. Il semble bien que, sans cesse, Dieu, comme un potier persévérant, se propose de façonner la vie de ses enfants en montant la terre qu’il a pétrie dans ses mains pour lui donner vie. Paul reprendra cette image des vases d’argile pour dire ce que nous sommes dans notre relation à la parole de Dieu.
            Quand le potier fait ce geste magnifique de monter le vase sur le tour, il crée du solide autour du vide. Paradoxalement, il « monte » un creux. C’est peut-être cela qui nous fascine tant, comme Jérémie, spectateurs de cette construction destinée à renfermer un espace vide, inconnu.
            Les prophètes de tout temps, et les réformateurs parmi eux, se sont confrontés à cette idée d’un Dieu qui façonne l’homme, qui le tient dans sa main, comme de la glaise à ouvrager et qui, pourtant, ne peut le contraindre à la fidélité.
            Jérémie met sur le compte de l’infidélité du peuple, le fait que les catastrophes s’abattent sur le royaume de Juda. Mais est-ce ainsi que se construit la relation entre Dieu et son peuple?
            N’est-ce pas plutôt le vide qui nous constitue qui est le vrai défi de toute relation? Ce vide nous oblige à la confiance, à la foi. Accepter de transformer les choses établies implique de prendre des risques.
            Comme un potier persévérant, Dieu façonne une forme pour contenir sa Parole : cette eau fraîche à laquelle il se compare, cette neige du Liban, cette eau qui vient de loin. Dans la foi, il façonne les conditions d’une vie avec lui, source vive dans nos déserts. Mais il faut du temps et des recommencements, pour que le vase tienne. Car nous ne sommes pas toujours prêts à nous laisser façonner. C’est tout l’enjeu de notre liberté.
            Le Dieu de la Bible est un Dieu de liberté. La confession de foi d’Israël est d’abord la mémoire d’avoir été libéré de l’esclavage en Égypte. C’est là le paradoxe d’un Dieu qui rend libre et qui donne ses prescriptions. Il veut obéissance et, dans le même temps, il nous rend libres.
 
            Martin Luther, dans son expérience de foi, parlait d’un serf arbitre. Il avait compris que la foi en Dieu le sauvait et que l’obéissance à Dieu était la condition même de sa liberté.
            Se laisser façonner autour du vide de nos vies, (toutes ces choses que nous ne pouvons savoir de nous-mêmes et de notre destin), c’est sans doute l’apprentissage de toute une vie. Apprendre à être dociles à Dieu pour être libres, argile dans les mains de Dieu pour devenir vases pour sa parole libératrice. C’est sans doute une image possible de ce qu’est la foi.
            En ce début d’année 2020, j’ose nous souhaiter, au milieu des remous que provoquent les essais de réforme sociale de notre pays, une capacité à nous adapter aux défis que l’avenir nous réserve et une capacité à résister au « À quoi bon ? » défaitiste qui n’espère plus en l’avenir d’un monde meilleur. Les églises ne sont pas là pour dire au politique ce qu’il doit faire, il faut rendre à César ce qui est à César. Mais la foi nous porte à espérer sans cesse et à annoncer la vie contre à fatalité du lendemain.


            Dieu ne se désespère pas de nous façonner sans cesse. Alors, acceptons la tâche qui nous est confiée de construire l’avenir et de réformer nos comportements. N’ayons pas peur du vide, de demain, du temps qui passe et qui nous oblige au changement, il faut sans cesse résister à la peur et construire demain, comme un vase d’argile autour de l’inconnu.
 
AMEN.

Lecture de la Bible

Jérémie 18/1-12

1 La parole qui fut adressée à Jérémie de la part de l'Eternel, en ces mots: 2 Lève-toi, et descends dans la maison du potier; Là, je te ferai entendre mes paroles. 3 Je descendis dans la maison du potier, Et voici, il travaillait sur un tour. 4 Le vase qu'il faisait ne réussit pas, Comme il arrive à l'argile dans la main du potier; Il en refit un autre vase, Tel qu'il trouva bon de le faire.

5 Et la parole de l'Eternel me fut adressée, en ces mots: 6 Ne puis-je pas agir envers vous comme ce potier, maison d'Israël? Dit l'Eternel. Voici, comme l'argile est dans la main du potier, Ainsi vous êtes dans ma main, maison d'Israël! 7 Soudain je parle, sur une nation, sur un royaume, D'arracher, d'abattre et de détruire; 8 Mais si cette nation, sur laquelle j'ai parlé, revient de sa méchanceté, Je me repens du mal que j'avais pensé lui faire. 9Et soudain je parle, sur une nation, sur un royaume, De bâtir et de planter; 10 Mais si cette nation fait ce qui est mal à mes yeux, Et n'écoute pas ma voix, Je me repens du bien que j'avais eu l'intention de lui faire. 11 Parle maintenant aux hommes de Juda et aux habitants de Jérusalem, et dis: Ainsi parle l'Eternel: Voici, je prépare contre vous un malheur, Je médite un projet contre vous. Revenez chacun de votre mauvaise voie, Réformez vos voies et vos oeuvres! 12 Mais ils disent: C'est en vain! Car nous suivrons nos pensées, Nous agirons chacun selon les penchants de notre mauvais coeur.

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