Parole et Blasphème
Lévitique 21
Culte du 25 avril 2021
Prédication de Rabbin Jonas Jacquelin
Vidéo de la partie centrale du culte
Culte à l'Oratoire du Louvre
Dimanche 25 avril 2021
« Parole et Blasphème »
Culte présidé par la Pasteure Béatrice Cléro-Mazire
Prédication par le Rabbin Jonas Jacquelin
Musique : David Cassan, organiste co-titulaire
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Orgue : Mendelssohn, Allegro maestros de la 2ème sonate
Annonce de la grâce
La grâce et la paix nous sont données de la part de Dieu notre Père en son Fils Jésus le ressuscité.
Accueil
Bienvenue à toutes et à tous, bienvenue à ceux qui nous rejoignent sur les réseaux sociaux. Bienvenue à notre invité, le rabbin Jonas Jacquelin, qui nous a fait l’honneur de répondre positivement à notre invitation en ce jour particulier, puisque aujourd’hui, 25 avril, c’est la Journée nationale du souvenir des victimes de la déportation qui se déroule chaque année le dernier dimanche d’avril. Cette date a été retenue en raison de sa proximité avec la date anniversaire de la libération de la plupart des camps.
Cher Jonas, que vous soyez ici aujourd’hui est pour nous très important, votre présence redit nos liens avec le judaïsme, et particulièrement dans ce temple, qui fut reconnu maison de vie parce qu’elle a accueilli des hommes des femmes et des enfants, menacés de mort parce qu’ils étaient juifs. C’est aussi une joie profonde parce que votre venue ouvre l’avenir sur ce que nous pourrons faire ensemble pour annoncer la paix et le respect de la foi de chacun. Nous avons déjà accueilli ici la cantor synagogale de la synagogue Copernic, Sofia Falkovitch pour un concert centré sur les Psaumes, vous avez écrit dans notre Feuille Rose sur le thème de l’esprit et la lettre. Et aujourd’hui vous allez nous partager votre commentaire de la Paracha de la semaine, dans le livre du Lévitique. La synagogue Copernic du Judaïsme en Mouvement est, comme l’Oratoire du Louvre, un lieu ou se développe une théologie libérale, et cette recherche de liberté pour l’homme en Dieu, est notre trésor commun. Bienvenue, donc, dans notre communauté.
Réunissons-nous dans la communion fraternelle avec le 1er chant du livret inséré au début du psautier.
Chant spontané :
Louange
Chant pour ceux qui montent à Jérusalem, de David.
Oui, il est bon, il est agréable
pour des frères d'être ensemble !
C'est comme le parfum de l'huile précieuse
versée sur la tête du grand-prêtre Aaron ;
elle descend sur sa barbe,
puis jusqu'au col de son vêtement.
C'est comme la rosée
qui descend du mont Hermon sur les montagnes de Sion.
Car c'est là, à Sion, que le Seigneur
donne sa bénédiction, la vie, pour toujours !
D’après le Psaume 133
Chantons notre louange :
Psaume 92, 1,2,3,4
Volonté de Dieu
« Ainsi parle l’éternel à la maison d’Israël cherchez-moi et vous vivrez »
Livre du prophète Amos.
Chant spontané :
Repentance
Père aux cieux ! Comme un père envoie son enfant dans le monde, ainsi tu as mis l'homme sur la terre; il est séparé de toi comme par un monde, il ne te voit pas de ses yeux, ni n’entend ta voix de ses oreilles terrestres. Le voilà ici-bas et la route est devant lui…
Si longue à l’heure inerte du découragement qui ne veut pas attendre, si malaisée à l'instant pénible de l'impatience qui lui refuse tout répit : Donne alors à l’enfant du courage dans ce vaste monde, du courage quand tant de fausses routes semblent s’offrir à lui et que la bonne est si difficile à connaître, du courage quand l'angoisse et le chagrin semblent trouver des alliés dans la fureur perverse des éléments, dans l'horreur des événements, dans la misère déprimante des hommes : Donne lui alors du courage pour se souvenir et croire que de même qu’un père envoie son enfant dans le monde, tu as mis de même l'homme sur la terre. _ Dieu de miséricorde ! Comme de l'enfant prodigue en trouvant le chemin du retour, a trouvé tout changé, jusqu'à l'esprit de son frère, mais non son père, dont l'amour l'accueillit, à sa rentrée, par un festin ; dont le cœur paternel lui rendit, à lui l'enfant perdu, l'assurance aisée du convive : quand de même un homme retourne à toi, donne lui alors de l'assurance sur le chemin de la conversion (…) Qu’il ait au moins le front de se croire attendu du Miséricordieux qui s'inquiète et craint sa perdition. Soren Kierkegaard, Journal
Chant spontané :
Annonce de la grâce
L’Éternel Dieu vit en nous.
Que son Esprit nous anime !
Sa force transforme notre faiblesse,
Sa miséricorde nous relève de notre misère,
Sa vérité confond nos mensonges,
Sa liberté ouvre nos différentes prisons.
C'est pourquoi le dernier mot à notre sujet ne sera pas le nôtre, mais le sien,
Celui de son pardon et de son amour.
Il nous redit ce matin : « Ma grâce te suffit »
Chant spontané :
Confession de foi
Voilà ce que nous pensons et croyons.
Notre paix ne réside pas dans la certitude de nos formulations
mais dans l’émerveillement devant ce qui nous arrive et nous donné.
Notre destinée ne réside pas dans l’indifférence et l’avidité,
mais dans la vigilance et la solidarité à l’égard de tout ce qui vit.
L’accomplissement de notre existence ne vient pas de ce que nos sommes et de ce que nous possédons,
mais de ce qui dépasse infiniment nos capacités de compréhension.
Conduits par ces convictions, nous croyons en l’Esprit de Dieu.
Il surmonte ce qui divise les gens, il les attire vers ce qui est saint et bon,
Pour qu’ils louent et servent Dieu, en chantant et en faisant silence, en priant et en agissant.
Nous croyons en Jésus, un homme empli de l’Esprit.
Il est le visage de Dieu qui nous regarde et nous remue.
Il a aimé les êtres humains et il a été crucifié.
Mais il vit au-delà de sa propre mort et de notre mort.
Il est, pour nous, un exemple béni de sagesse et de courage.
Il rapproche de nous l’amour éternel de Dieu.
Nous croyons en Dieu, l’Éternel,
Il est amour insondable, le fondement de notre existence.
Il nous montre le chemin de la liberté et de la justice, et nous appelle à un avenir de paix.
Bien que faibles et vulnérables, nous nous croyons appelés, solidairement avec le Christ,
Et avec tous ceux qui croient, à former une Église qui soit signe d’espérance.
Car nous croyons dans l’avenir de Dieu et du monde,
La patience divine nous offre du temps pour vivre, pour mourir
Et pour ressusciter dans le royaume qui est et qui vient.
Dieu y sera pour l’éternité tout en tous.
A Dieu soit la louange et l’honneur,
Dans le temps et l’éternité.
Amen.
(La Fraternité des Remonstrants, aux Pays-Bas)
Chant spontané :
Doxologie: « Gloire à Dieu dans les cieux et sur la terre, et d’éternité en éternité ».
Lecture du passage de la Bible médité [cliquer ici]
Prédication : Parole et Blasphème
Madame le Pasteur, chers amis,
Je tenais à vous remercier pour ce chaleureux accueil qui m'émeut et me réjouit à plusieurs titres. Tout d'abord, parce que nous le savons vous comme moi, il est toujours important et bon de dialoguer. L'époque dans laquelle nous vivons fait qu'un échange comme le nôtre ce matin n'est pas que de l'ordre de l'option, comme on pourrait l'imaginer, mais à mes yeux véritablement de l'ordre de la nécessité. Ensuite parce qu’il est paraît-il coutume de dire, et on me l'a soufflé à différentes reprises, que l'Oratoire du Louvre serait au protestantisme ce que la synagogue Copernic est au judaïsme. Et vice et versa, la synagogue Copernic serait au judaïsme ce qu'est l'Oratoire du Louvre au protestantisme. C'est à dire deux lieux de liberté et de fidélité. Liberté lorsque, vous l'avez évoqué madame le pasteur, notre approche de nos traditions respectives refuse toujours de se laisser enfermer dans un prêt-à-penser parfois confortable, mais toujours ankylosant. Et aussi parce que notre appartenance à ces deux grandes religions ne nous fait jamais renoncer à un idéal d'universalité. Fidélité aussi parce que nous nous savons les héritiers d'une histoire qui fait de nous ce que nous sommes et dans laquelle nous nous abreuvons chaque jour que Dieu nous donne. Et parce qu’étant conscients de ce que nous sommes et fidèles à ce que nous sommes, nous sommes justement pour cela capables d'emprunter le chemin qui mène à la connaissance de l'autre. De l'Autre avec un grand A.
Sur quel texte se pencher alors pour répondre à votre invitation ? En bon rabbin ou en bon juif, je me suis dit que le plus simple et le plus logique, le plus pertinent serait certainement de se pencher sur ce que l'on appelle en hébreu פרשת השבוע Parashat Hashavoua, la péricope de la semaine. Dans la tradition juive, le Pentateuque, qu’on appelle aussi le חומש, Houmach, les cinq livres, est découpé en cinquante-quatre sections, qui sont lues sur une année. Chaque semaine nous avons la coutume, la tradition, de lire un segment différent. Et cette semaine, le texte lu est le texte paracha אמור Emor. La section de Emor dans le livre du Lévitique court des chapitres 21 à 24. Une paracha riche, plurielle, qui contient des règles relatives à la prêtrise, qui contient des règles relatives au calendrier et aux différentes offrandes à porter à l'occasion des différentes solennités tout au long d'une année. Mais un texte qui va se conclure de manière étrange, étonnante, par un épisode narratif dans un livre, le Lévitique, qui est avant tout un livre riche en prescriptions, en détails, en lois. C’est l'un des deux seuls passages narratifs du livre du Lévitique. Cet épisode est appelé l'épisode du Mekalel, l'épisode, l'histoire, le récit du blasphémateur. Et c'est sur ce dernier passage, ce passage qui vient en conclusion de la paracha Emor que j'aurais aimé me pencher, m'arrêter avec vous. Permettez-moi donc de lire la traduction de ce texte que j'ai copiée de l'édition dite du rabbinat, une traduction de la Bible sous la direction du grand rabbin Zadoc Kahn, qui fut éditée il y a plus d'un siècle maintenant.
Nous sommes dans le Lévitique au chapitre 24, verset 10 : « Il arriva que le fils d'une femme israélite, lequel avait pour père un Egyptien, était allé se mêler aux enfants d'Israël ; une querelle s'éleva dans le camp entre ce fils d'une Israélite et un homme d'Israël. Le fils de la femme israélite proféra (וַיִּקֹּב va-ïkov en hébreu), en blasphémant (וַיְקַלֵּל va-yekalel) le Nom sacré (הַשֵּׁם hachem, le nom de l'Éternel) ; on le conduisit devant Moïse. Le nom de sa mère était Chelomith, fille de Dibri, de la tribu de Dan. On le mit en lieu sûr jusqu'à ce qu'une décision intervînt de la part de l'Éternel. Et l'Éternel parla ainsi à Moïse : ‘Qu'on emmène le blasphémateur (הַמְקַלֵּל ha-mekalel) hors du camp ; que tous ceux qui l'ont entendu imposent leurs mains sur sa tête et que toute la communauté le lapide. Parle aussi aux enfants d'Israël en ces termes : (אִישׁ אִישׁ כִּי-יְקַלֵּל ich ich qi yekalel) quiconque outrage le nom de Dieu portera la peine de son crime. Pour celui qui blasphème (וְנֹקֵב vanokev) nominativement l'Éternel, il doit être mis à mort, toute la communauté devra le lapider ; étranger comme indigène, s'il a blasphémé nominativement, (בְּנָקְבוֹ-שֵׁם bénakevo shem), il sera puni de mort. » Quelques versets plus loin, le texte se termine en disant : « On emmena le (הַמְקַלֵּל hamekalel) blasphémateur hors du camp et on le tua à coup de pierres ; et les enfants d'Israël firent comme l'Eternel avait ordonné à Moïse. »
A la lecture de ce texte, il y a de quoi frissonner. La lecture de ce texte peut légitimement, logiquement choquer nos consciences. Il nous dit tout simplement, tout bonnement, de faire lapider, faire mettre à mort un homme qui a tenu des propos certes inconsidérés, mais qui en l'occurrence n’a attenté à la vie d'aucun vivant de chair et de sang. Et qui vise à éliminer de cette terre un homme fait lui aussi à l'image de Dieu. À la lumière de l'actualité, on ne peut pas ne pas se demander si, face à un texte comme celui-là, il nous reste une autre solution que la condamnation ou un pudique et quelque peu coupable silence. Mais c'est justement là qu'interviennent nos traditions religieuses qui mettent l'exégèse, l'interprétation au centre de tout. C'est ici que prend sens l'étude de nos traditions, l’étude qui veut trouver une autre voie, la voie de l'exégèse, face à ce que d'aucuns ont pu appeler les versets douloureux. Si nous rejetons la littéralité de ces textes, nous les prenons en même temps à bras le corps et nous cherchons à דָּרַשׁ darash, rechercher en hébreu, exiger comme le dit l'exégèse, un autre sens. Dans le livre des Proverbes 3, 18 il est écrit au sujet des textes :
עֵץ- חַיִּים הִיא, לַמַּחֲזִיקִים בָּהּ; וְתֹמְכֶיהָ מְאֻשָּׁר : « Ces textes sont un arbre de vie pour ceux qui peuvent les saisir : s'y attacher, c’est s'assurer la félicité. »
Comment comprendre ce passage et comment expliquer sa présence dans ce moment précis ? Les sages vont apporter toute une série d'explications.
Un premier sage Rabbi Berakhia, cité par un commentaire, le midrash Tan'houma, qui date des premiers siècles de notre ère, considère que ce mekalel, ce blasphémateur, voit son histoire racontée dans ce passage précis du texte biblique parce que son blasphème, son outrage, vient de la remise en question des lois énoncées dans le paragraphe précédent. Et sa colère vient du fait qu'il refuse ou qu'il souhaite tourner au ridicule les prescriptions qui ont été données quant aux offrandes.
Le Sifra, un autre commentaire, un petit peu plus ancien, considère que cet homme, en réalité, sortait du tribunal de Moïse, qu'il avait été débouté de la requête qui était la sienne. Et face à cela, plutôt que de ne s’en prendre qu'à Moïse, il cherche à s'en prendre également au législateur : au législateur divin. Et son propos outrageant visait à remettre en cause le jugement et celui au nom duquel la loi avait été rendue.
Dans les deux cas, ces paroles outrageantes sont des paroles qui remettent en question la Loi. Des paroles qui remettent en question la loi, qui ici est remise en question non pas par des actes, mais par des propos. Une loi qui n'est pas transgressée par un comportement outrancier ou déplacé, mais par la parole. Et dans ce sens, on peut voir un parallèle ou trouver une signification à ce mot de Emor qui donne son nom à la paracha. Emor signifie "parle". Et Dieu dit à Moïse de parler à la famille d'Israël.
D'après les concordances bibliques, on trouve la racine de ce mot Emor plus de cinq mille fois dans le texte de la Torah et on peut se demander pourquoi est-ce qu'un terme, une racine qui apparaît à plus de 5000 reprises dans le texte se voit gardé comme titre, comme appellation de cette paracha. Et peut-être que la réponse sera à trouver dans la conclusion de cette paracha, parce que la parole en réalité va au-delà du simple discours. La parole est toujours une vision du monde. La parole est toujours le véhicule de quelque chose qui la dépasse. Le texte nous interroge sur cette parole et sur ce que l'on pourrait traduire ici par blasphème ou que l'on a traduit, en tout cas, par blasphème. Ce qui peut sembler quelque peu inexact à certains moments parce que, en hébreu, on a l'idée de mekalel. Le mekalel, c'est celui qui va traiter soit avec légèreté, soit qui va maudire. Et on a l'idée de nokev, celui qui va proférer. Mais qu'est-ce que c'est que proférer ici ? Qu'est-ce que le blasphème ? Le mot français vient du latin et désigne cet outrage à la divinité. En hébreu, comme je vous le disais, il est question de mekalel ou de nokev, celui qui maudit ou outrage le nom de Dieu.
Comment comprendre cet épisode ? En réalité la Torah reste silencieuse sur ce qui va constituer l'essence même de ce blasphème. Le blasphémateur avait-il directement maudit le nom de Dieu ou avait-il utilisé le nom de Dieu dans la querelle qu'il avait avec d'autres au moment de cet épisode ? Le texte ne le dit pas. Rachi, le grand commentateur du XIe siècle, considère qu’ici le blasphème réside dans le fait d'avoir simplement prononcé le nom ineffable, le tétragramme qui dans la tradition juive ne peut être vocalisé, qui à l'époque biblique n'avait été entendu qu'au moment du don de la Torah, au pied du mont Sinaï, et qui depuis ce moment, tant que le temple était bâti dans Jérusalem, n'était répété, n’était prononcé en réalité que le jour de Kippour, le jour le plus saint. Autrement il y avait interdiction absolue de dire, de prononcer le nom de Dieu. Pour Rachi donc, le blasphème consistait simplement dans le fait d'avoir prononcé le nom de Dieu. Aujourd'hui plus personne ne sait vocaliser ce nom, ce qui rend techniquement caduque la possibilité d'un blasphème. Et c’est Sforno, un grand commentateur italien du XVIe siècle, qui nous dit que les idées liées au blasphème, à la transgression, à la profanation du nom de Dieu, avait un sens dans les temps les plus reculés, mais qu’aujourd'hui - il nous parle au XVIe siècle, et nous avons quelques siècles de plus… - il est impossible techniquement de parler de blasphème, parce que le blasphème ce serait simplement prononcer le nom de Dieu, quelque chose qui n'est plus en notre pouvoir et qui rend impossible une quelconque condamnation. Il y a comme un paradoxe dans ce texte qui traite d'une question importante pour la société biblique, qui se termine par une lapidation, mais qui ne dit rien du contenu de l'offense en question.
Un autre auteur médiéval, Aaron Halevi, l'auteur du Sefer Hahinoukh en Espagne au XIIIe siècle, propose une autre interprétation de ce que l'on appelle le blasphème. Il considère que blasphémer revient en réalité à profaner l'image divine qui est présente en chaque individu. Ce qu'a fait ce blasphémateur, ce n'est pas d'injurier ou d'outrager la divinité, mais c'est de faire sortir de lui-même la présence divine, le reflet divin qu'il avait, comme chaque individu. L'auteur nous dit que celui qui profane le nom de Dieu se départit de tout le bien et de toute la noblesse qui peut résider en lui. Il fait sortir cette image divine. Ce que l'on appelle alors ici le blasphème, loin des explications, des interprétations qui se lisent jusque dans la presse aujourd'hui, serait en réalité de retirer à l'homme, de retirer à la femme l'image de Dieu, la noblesse qui réside en lui. Et cette explication va renverser, va inverser radicalement la signification du terme, du concept, et le transporter de ce qui serait considéré comme un outrage au Créateur à un outrage à l'idée d'humanité, un outrage à l'idée de dignité humaine. Dans cette perspective, le respect de la vie humaine, de sa dignité, a une dimension sacrée qui passe avant toute autre considération.
Permettez-moi de revenir sur cette idée de parole qui est au cœur de la transgression. Pour les maîtres de la tradition juive, pour les Sages, dans le Talmud, les Midrachim ou la littérature de ce qu'on appelle le mussar, l'éthique, cette parole n'est pas qu'un son, un bruit, mais elle est avant tout un vecteur de création. Dans la prière quotidienne, chaque matin nous disons Baroukh sheamar vehaya haolam « Béni soit Celui dont la parole a créé l'univers… ». Nous nous souvenons ici des premiers versets du livre de la Genèse, dans lesquels c'est par la parole divine que le monde a été créé :
וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, יְהִי אוֹר; וַיְהִי-אוֹר. Vayomer Elohim, yihéi or : l'Éternel a dit "qu'il y ait la lumière et il y eut la lumière". C'est par le verbe divin que provient, qu'advient la Création. Dieu le répète chaque jour de la création, יְהִי רָקִיעַ בְּתוֹךְ, וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים הַמָּיִם, וִיהִי מַבְדִּיל, בֵּין מַיִם לָמָיִם. "Qu'un espace s'étende au milieu des eaux et forme une barrière entre les unes et les autres". Là encore et pendant tous les jours de la création, c'est par la parole que le monde va être créé. Les Maximes des pères, les Pirkei Avot, un traité du Talmud, nous rappellent que c'est par dix paroles que le monde a été créé, établissant ainsi un parallèle entre les paroles de la création et le Décalogue, les dix commandements, qui sont le socle de chaque société qui se veut décente.
Quand on continue la lecture du livre de la Genèse, on se rend compte que c'est en imposant un nom aux différentes créatures qu'Adam va marquer son ascendant sur elles. En effet, vous vous souvenez que toutes ces bêtes créées par Dieu vont passer devant Adam, devant le premier homme, et se voir nommées par lui. L'homme devient ainsi un cocréateur du monde, parce qu'à défaut d'avoir créé, formé toutes les créatures, il a été capable de leur donner un nom, une appellation, une désignation. C'est par cette parole humaine également que le monde ou tout ce qu'il y a de signifiant dans le monde a été créé. En continuant notre lecture du livre de la Genèse, on se rend compte aussi que c'est du fait de l'absence de paroles, du fait de l'incapacité de dialoguer qu'intervient le premier fratricide, le moment où Caïn va tuer son frère Abel. Et plus loin, dans le livre des Proverbes 18:21, il est écrit : « la vie et la mort sont au pouvoir de la langue », ce que les sages dans le Talmud commentent, explicitent par l'idée qu'une parole prononcée à Rome peut tuer à Damas ou à Jérusalem.
Chaque jour, dans les relations humaines, nous pouvons observer le fait qu'une parole réconfortante va pouvoir rassurer celui qui manque de confiance en lui, alors qu'au contraire des mots désobligeants, des mots blessants pourront causer la chute du plus téméraire des hommes. Ces deux possibilités poussées à l'extrême montrent bien le pouvoir de vie et de mort de chacun des mots que nous prononçons. Dans ce sens, un midrash, un commentaire, raconte l'histoire d'un Sage envoyant son serviteur sur la place du marché. Il lui demande : « Ramène-moi la plus belle chose que tu pourras trouver sur la place du marché ». Le serviteur sort de la maison, va voir les différents étalages des commerçants et revient avec une langue de veau. Un petit peu plus tard, ce même Sage demande à ce même serviteur : « Ramène-moi la chose la plus laide que tu pourras trouver sur la place du marché. » Le serviteur s'exécute, sort, va voir les différents étalages et revient chez son maître avec une langue de veau. Et son maître l'interroge : « Je t'ai demandé d'apporter ce que tu trouves de plus beau, tu me rapportes une langue de veau. Je t'ai demandé de me rapporter ce que tu trouves le plus laid. Tu m'as rapporté exactement la même chose ». Et renversant la situation et devenant l'enseignant de son patron, le serviteur lui dit : « La langue est ce qui est capable de construire, de rassurer, de réconforter, de bâtir des mondes et la langue est aussi ce qui est capable de blesser, de tuer, de détruire ». Dans le texte biblique, la parole, au départ apanage divin, devient la faculté humaine par excellence. Et en ce sens, le linguiste Claude Hagège définit l'être humain comme « homo loquens », comme l'homme de la parole, comme l'homme de la locution. On l'a vu dans cette paracha Emor, la paracha de la parole, c'est par des mots que le personnage dont il était question a été capable de blasphémer. Il ne s'agit pas ici de défendre le texte dans sa littéralité, mais de comprendre les enseignements qui sont portés en lui et de voir ce qu'une simple parole peut avoir le destructeur et de grave. Dans les Psaumes (dans un passage du Psaume 51) qui est récité trois fois par jour dans la prière de la Amida, il est dit :
אֲדֹנָי, שְׂפָתַי תִּפְתָּח; וּפִי, יַגִּיד תְּהִלָּתֶךָ. Adonai, sefatai tifta'h, oufi yagid t'hilatekha. « Éternel, ouvre mes lèvres et que ma bouche dise ta louange », dise ta prière. Notre faculté à parler, à communiquer, à louer, nous a été donnée par Dieu. Mais en créant l'être humain, Dieu nous a dotés de ces deux facultés, celle de bâtir, celle de détruire ; celle d'aller vers la bénédiction, celle d'aller vers la malédiction. Et c'est doté du libre arbitre qu’il a placé en l'homme, que nous devons nous demander : est-ce que les paroles de mes lèvres, est-ce que les mots qui sortent de ma bouche seront, selon ma liberté, des mots de construction, de bénédiction, ou des mots de malédiction. Si ce sont des mots de malédiction, je suis capable de détruire, de brûler l'image divine qui est en moi. Si ce sont des mots de bénédiction, des mots de construction, je suis capable de magnifier et de faire fleurir cette image de Dieu qui a été placé en mon sein.
עֵץ-חַיִּים הִיא, לַמַּחֲזִיקִים בָּהּ; וְתֹמְכֶיהָ מְאֻשָּׁר : « Cette Torah est un arbre de vie pour ceux qui s'en saisissent. » Il s'agit de la prendre dans sa totalité, avec ses versets heureux, ses versets plus regrettables, et de se demander comment nos paroles, comment mes paroles pourront transformer un passage qui place l'homme dans ce qu'il peut y avoir de pire dans une civilisation - la mort, la destruction - en un passage de bénédiction. וְתֹמְכֶיהָ מְאֻשָּׁר Vetomkhea meoushar, « ceux qui soutiennent cette étude », ceux qui soutiennent cet enseignement pourront trouver la félicité. Puissent ces enseignements nous accompagner et nous inviter à nous poser chaque fois la question avant d'ouvrir la bouche : est-ce que mes paroles, est-ce que mes mots, parfois futiles, parfois irréfléchis, seront des mots qui vont construire, rassurer, ou au contraire des mots qui vont détruire, faire perdre confiance. C'est dans le pouvoir de l'homme. Et chacun a cette possibilité de suivre la malédiction comme la bénédiction. Et c'est toujours pour un monde fleuri que nous nous inscrivons dans le chemin qui est celui de la bénédiction. Que ces paroles soient toujours des paroles de vie, des paroles sincères et agréables à jamais.
Merci pour votre attention.
Orgue : Mendelssohn, Andante de la 6ème sonate
Chant du Psaume n°107, strophes 1, 2, 3 et 4
Annonces et Collecte
Orgue : Mendelssohn, Allegretto de la 4ème sonate
Prière d’intercession
Notre Père
Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ; pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Ne nous laisse pas dans la tentation mais délivre-nous du mal, car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire, aux siècles des siècles. Amen.
Bénédiction
Répons
Orgue : Mendelssohn, Toccata de la 6ème sonate
Paroles des cantiques du dimanche 25 avril 2021
Psaume n° 92 (Louange et Prière n° 38) « Oh ! que c'est chose belle », strophes 1, 2, 3 et 4 [ version avec mp3, cliquer ici ]
Strophe 1 Oh ! que c’est chose belle Strophe 2 Tes œuvres surprenantes |
Strophe 3 Si les méchants fleurissent Strophe 4 Tu oins d’une huile fraîche |
Psaume n°107 « Louez Dieu pour sa grâce » Strophes 1, 2, 3 et 4
Strophe 1 Louez Dieu pour sa grâce, Célébrez son amour,
Strophe 2 Ils erraient solitaires dans le désert sans fin
|
Strophe 3 Dans les prisons obscures, des hommes enchainés
Strophe 4 Au Seigneur rendez grâce, Au Dieu libérateur ;
|
Paroles des répons du temps de Pâques
Après la salutation
Répons : « Ô Seigneur, ta fidélité » (Ps. 36, str. 1).
Ô Seigneur, ta fidélité
Remplit les cieux et ta bonté
Dépasse toute cime.
Ta justice est pareille aux monts,
Tes jugements sont plus profonds
Que le plus grand abîme.
De la puissance du néant,
Tu veux sauver tous les vivants,
Toute chair, toute race ;
Les hommes se rassembleront,
Autour de toi ils trouveront
Leur paix devant ta face.
Après la volonté de Dieu
Répons : « Parle, parle Seigneur, ton serviteur écoute » (Arc-en-Ciel n°484, str. 3)
Proclame ta Parole,
Lumière pour nos vies;
Rassemble tous tes membres,
En un seul corps unis,
Et fais de tous les hommes
Tes instruments de paix
Pour restaurer le monde
Selon ta volonté !
Après la prière de repentance
Répons : «Mon Rédempteur est vivant » (L&P n°149 ou Arc-en-Ciel n°475, str. 1).
Mon Rédempteur est vivant,
C’est en lui seul que j’espère.
La mort le tenait gisant
Dans l’étreinte de la terre.
Mais Dieu reste le plus fort,
Jésus a vaincu la mort.
Après l’annonce de la grâce
Répons : «Mon Rédempteur est vivant » (L&P n°149 ou Arc-en-Ciel n°475, str. 2).
Je ne craindrai désormais
Aucun pouvoir de ce monde
Car tu nous donnes ta paix
Où toute autre paix se fonde.
Garde-nous dans ta clarté,
O Jésus ressuscité.
Après la confession de foi
Répons : «Mon Rédempteur est vivant » (L&P n°149 ou Arc-en-Ciel n°475, str. 3).
Dans ma vie de chaque jour,
Je partagerai ta gloire ;
Je vivrai dans ton amour
Le bonheur de ta victoire
Et dans ton éternité,
Nous chanterons ta beauté.
Après la bénédiction
Répons : « Ô Seigneur, tu nous as fait voir » (Ps. 68, str. 5).
O Seigneur, tu nous as fait voir
Et ton amour et ton pouvoir
Dans mainte délivrance.
Fais-nous voir encore aujourd’hui
L’œuvre que ton amour construit
Et quelle est ta puissance.
Toute la terre et tous les cieux
Ensemble tournés vers leur Dieu
Célèbrent sa présence :
A toi qui fais notre bonheur,
A toi, grand Dieu, soient tout honneur,
Force et magnificence.
Lecture de la Bible
Lévitique chapitre 24, versets 10 à 23
[version Louis Segond]
10 Le fils d'une femme israélite et d'un homme égyptien, étant venu au milieu des enfants d'Israël, se querella dans le camp avec un homme israélite.
11 Le fils de la femme israélite blasphéma et maudit le nom de Dieu. On l'amena à Moïse. Sa mère s'appelait Schelomith, fille de Dibri, de la tribu de Dan.
12 On le mit en prison, jusqu'à ce que Moïse eût déclaré ce que l'Éternel ordonnerait.
13 L'Éternel parla à Moïse, et dit:
14 Fais sortir du camp le blasphémateur; tous ceux qui l'ont entendu poseront leurs mains sur sa tête, et toute l'assemblée le lapidera.
15 Tu parleras aux enfants d'Israël, et tu diras: Quiconque maudira son Dieu portera la peine de son péché.
16 Celui qui blasphémera le nom de l'Éternel sera puni de mort: toute l'assemblée le lapidera. Qu'il soit étranger ou indigène, il mourra, pour avoir blasphémé le nom de Dieu.
17 Celui qui frappera un homme mortellement sera puni de mort.
18 Celui qui frappera un animal mortellement le remplacera: vie pour vie.
19 Si quelqu'un blesse son prochain, il lui sera fait comme il a fait:
20 fracture pour fracture, oeil pour oeil, dent pour dent; il lui sera fait la même blessure qu'il a faite à son prochain.
21 Celui qui tuera un animal le remplacera, mais celui qui tuera un homme sera puni de mort.
22 Vous aurez la même loi, l'étranger comme l'indigène; car je suis l'Éternel, votre Dieu.
23 Moïse parla aux enfants d'Israël; ils firent sortir du camp le blasphémateur, et ils le lapidèrent. Les enfants d'Israël se conformèrent à l'ordre que l'Éternel avait donné à Moïse.
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