EB N°2 - La liberté

pasteurs James Woody & Marc Pernot - 1h30

Textes sur la liberté

Notes sur la liberté de la personne humaine dans la Bible

La Bible, particulièrement le 1er Testament, n’est pas un traité de philosophie, il n’y a donc pas de traité sur la liberté. La Bible met en récit. La simple concordance ne suffit pas, ne renseigne que peu.

Genèse 1:27-28 « Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme. 28 Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et assujettissez-la; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. »

  • Liberté métaphysique : l’Ω a une vocation a la créativité, et donc à la liberté et à la capacité.
  • confirmé par Genèse 2 :15 « L’Eternel Dieu prit l’homme, et le plaça dans le jardin d’Eden pour le cultiver et pour le garder. »
  • confirmé encore par Genèse 2:19 « L’Eternel Dieu forma de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les fit venir vers l’homme, pour voir comment il les appellerait, et afin que tout être vivant porte le nom que lui donnerait l’homme. » = vocation et capacité à donner du sens.

Genèse 2:16-17 « L’Eternel Dieu donna cet ordre à l’homme: Tu pourras manger de tous les arbres du jardin; 17 mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras certainement. »

  • On connaît la suite : liberté morale de choisir entre le bien et le mal
  • Suite de ce mal moral : meurtre d’Abel par Caïn, violence des humains dénoncée par l’histoire du déluge

Dans ces récits, l’homme est montré responsable (interrogé et répondant sur son choix) face à Dieu :

  • Genèse 3:9 « l’Eternel Dieu appela l’homme, et lui dit: Où es-tu? Il répondit… » 3:13 « Pourquoi as-tu fait cela? La femme répondit… »
  • Genèse 4:16 « L’Eternel dit à Caïn: Pourquoi es-tu irrité, pourquoi ton visage est-il abattu? »… 4:10 « Dieu dit: Qu’as-tu fait? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi. »

= montre une autonomie de la personne humaine vis à vis de Dieu. Au point que Dieu est surpris Genèse 6:5-6 « L’Eternel vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre, et que toutes les pensées de leur coeur se portaient chaque jour uniquement vers le mal. 6 L’Eternel se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre, et il fut affligé en son cœur. »

 Mais il y a plus que la simple liberté morale, choisir le bien et rejeter le mal, il y a une véritable créativité dans cette vocation à la liberté = le libre arbitre consiste à choisir quand la simple question du bien et du mal ne se pose pas. On peut voir cela dans le récit de la ville et de la tour de Babel,

  • comme un encouragement à la pensée personnelle ≠ pensée unique et ≠ violence contre les autres
  • comme un encouragement à avoir une dimension de verticalité mais pas contre Dieu= ni sans Dieu ni contre Dieu
  • comme un encouragement à construire dans la bonne entente mais sans oublier le monde « extérieur »

Genèse 12 : Abraham est libéré, mis en mouvement par Dieu, libéré de son pays, de sa famille compris comme un point de départ, un élan à poursuivre. Mais il doit choisir de suivre « à l’aveugle » : choix oui/non un peu comme celui donné par Moïse dans le Deutéronome 30:19 « J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité… »

  • Choisis = suppose une capacité de choix. La Bible la pose comme une évidence, et même une vocation. mais parfois réduit au O/N = modèle qui fera, et qui fait,bien de l’usage, choix d’entrer ou non, et si l’on entre d’obéir « Perinde ac cadaver », en général au nom de « la soumission fraternelle », bien sûr, ou de l’Esprit Saint (qui parle, évidemment, par la bouche des supérieurs de l’église, ou des conciles, synodes)
  • Cf Loi de Moïse selon Deut. 4 « “ Je vous ai enseigné des lois et des ordonnances comme l’Éternel, mon Dieu, me l’a commandé... vous n’ajouterez ni ne retrancherez rien… vous les observerez et vous les mettrez en pratique car ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples. »

Genèse 28:15 où l’Éternel, de son échelle, dit à Jacob : « Voici, je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras » = libéré même de Dieu, par sa grâce et sa fidélité : on entre alors dans le libre arbitre > seule liberté morale

Décalogue

Exode 20:1-3 « Dieu prononça toutes ces paroles, en disant: 2 Je suis l’Eternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude. 3 Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face. » (première des 10 paroles)

Exode 20:17 « …Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni aucune chose qui appartienne à ton prochain. » (dernière des 10 paroles)

Première des 10 paroles => Donc fondamentalement : Dieu est libérateur, il affranchit de l’esclavage, il émancipe « fait sortir » (Rq lit. « église »)

Libération + une alliance = les deux vont ensemble, sont attachés comme les deux faces d’une feuille de papier (même si l’on pèle une feuille, elle a toujours deux faces). être libre, s’est être libre de s’attacher ≠ faire n’importe quoi

Fait appel à la liberté morale : ne pas faire le mal + se donner les moyens de ne pas faire le mal mais plutôt le bien (en gardant le jour du repos et en honorant père & mère, Père et Mère)

Dernière des 10 paroles => Mais aussi conversion du désir : que nous savons bien évidemment, par définition, en dehors de notre liberté = invite à compter sur l’Éternel Dieu, libérateur d’autre chose que des égyptiens, et à bien d’autres moments de l’histoire que dans le passé.

+ Relecture par Jésus de la Loi de Moïse : reprend les deux tables, l’invitation à écouter Dieu, et donc sa Parole, mais transformation de deux façons : passe du négatif au positif : passe du mode de l’interdit à celui de l’idéal, et invite plus au libre arbitre :

  • Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… de tout ton être + de toute ta réflexion personnelle (dianoia) discernement personnel + ton prochain comme toi-même ® devoir d’exercer son libre arbitre
    liberté morale non sous une loi mais comme éthique d’une créativité personnelle.

Jésus, dans ses tentations : montre un homme allant contre son désir instinctif % Dieu, les autres et soi-même : de chef de meute & de corps vivant.

On pourrait voir là une individualisation de la loi, et donc une liberté morale limitée à l’obéissance, au « non ma volonté mais la tienne » de Jésus à Gethsémanée, % une loi écrite comme dans la poussière du sol comme le fait Jésus pour la femme accusée d’adultère ? mais bien épisodes montrent qu’il y a plus de liberté que cela.

  • Cf. les « ta foi t’a sauvée, va en paix » Luc 7:50 ; Luc 8:48 au lieu de garder les personnes dans son entourage
  • Cf. « vous êtes le sel de la terre… la lumière du monde »
  • Cf. les guérisons de la vue, du pouvoir de marcher, la libération de nos démons intérieurs,
  • Cf. Jean 4:14 « Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle. »,

Jean 7:38-39 «  Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son sein, comme dit l’Ecriture. Il dit cela de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui »

La prédication à Nazareth en Luc 4 est « programmatique », elle reprend grandement Ésaïe, les promesses de libération et d’émancipation. Luc 4:18-21 « L’Esprit du Seigneur est sur moi, Parce qu’il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres; Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le coeur brisé. Pour proclamer aux captifs la délivrance, Et aux aveugles le recouvrement de la vue, Pour renvoyer libres les opprimés, Pour publier une année de grâce du Seigneur….Aujourd’hui cette parole de l’Ecriture, que vous venez d’entendre, est accomplie. » Tout, ici parle de libération : comme œuvre de salut du Christ // Pâques, mais de libération non des égyptiens.

  • Année jubilaire : affranchissement des esclaves,
  • libéré du péché Jean 8:32-34 « vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres… En vérité, en vérité, je vous le dis, leur répliqua Jésus, quiconque se livre au péché est esclave du péché.
  • liberté de s’approcher librement de Dieu, car le « royaume de Dieu s’est approché », et l’adoration n’est plus sur telle ou telle montagne ou lieu, mais « en Esprit et en vérité »
  • liberté de pensée, de réfléchir par soi-même
  • grâce , pardon, et amour de Dieu = libère de la peur et du chantage, dit que nous sommes autorisés à nous tromper, à être imparfait, autorisés à vouloir, à inventer, à créer.

La Pentecôte : don de l’Esprit, individuellement : don du libre arbitre : capacité à donner du sens, à être source de création nouvelle, à voir clair, à purifier (et donc à éliminer le mal < à ne pas le choisir)

prologue de Jean : la Parole-Lumière « donne le pouvoir de devenir enfant de Dieu »

Paul :

  • la libération, la liberté, est souvent celle de ne plus être sous la Loi de Moïse
    Galates 5:1 « C’est pour la liberté que Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes, et ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude. Voici, moi Paul, je vous dis que si vous vous faites circoncire, Christ ne vous servira à rien. … 6 Car, en Jésus-Christ, ni la circoncision ni l’incirconcision n’ont de valeur, mais seulement la foi qui est agissante par l’amour. … mais aussi : 13 Frères, vous avez été appelés à la liberté; seulement ne faites pas de cette liberté un prétexte de vivre selon la chair; mais rendez-vous, par l’amour, serviteurs les uns des autres.
  • libération de l’esclavage du péché
    Romains 7:19-25 « je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas. 20 Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi. … 24 Misérable que je suis! Qui me délivrera de ce corps de mort?... 25 Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur!... Ainsi donc, moi-même, je suis par l’entendement esclave de la loi de Dieu, et je suis par la chair esclave de la loi du péché.

et Christ me libère de l’un comme de l’autre pour une autre dynamique, celle de l’Esprit, par la Grâce et la Foi

Florilège de textes sur la liberté chez des théologiens et philosophes

 

Martin Luther, Du serf arbitre. Paris, 2001. Gallimard.

 En effet, nous ne divisons pas le libre arbitre en deux natures différentes, l’un étant semblable au limon, l’autre à la cire, ou encore l’un étant semblable à la terre cultivée, l’autre à la terre inculte, mais nous parlons d’un seul libre arbitre également impuissant dans tous les hommes, qui n’est que limon, que terre inculte, puisqu’il ne peut vouloir le bien. C’est pourquoi, de même que le limon devient toujours plus dur, et la terre inculte toujours plus épineuse, de même le libre arbitre devient toujours plus mauvais, aussi bien par la mansuétude du soleil qui l’endurcit que par l’orage de pluie qui le liquéfie. Si donc le libre arbitre n’a qu’une définition et qu’une seule impuissance chez tous les hommes, on ne peut donner aucune raison qui fasse que l’un parvienne à la grâce et l’autre n’y parvienne pas, dans le cas où l’on ne prêche la mansuétude du Dieu qui tolère et le châtiment de Dieu qui fait miséricorde. On a établi en effet que le libre arbitre a la même définition chez tous les hommes, qui est qu’il ne peut vouloir rien de bien.

p. 278

 Que le libre arbitre fasse dans le monde entier et avec ses forces tout entières tout ce qu’il peut, il ne produira pas cependant, à titre d’exemple, une chose par laquelle il pourrait éviter d’être endurci sans que Dieu lui ait donné l’Esprit, ou par laquelle il mériterait miséricorde, s’il était abandonné à ses propres forces.

p. 282

 Cela est sûr et certain, si nous croyons que Dieu est tout puissant et ensuite que l’impie est une créature de Dieu, mais que, dévoyée et laissée à elle-même sans l’Esprit de Dieu, elle ne peut vouloir ou faire le bien.

p. 286

 Car nous plaidons le fait que le libre arbitre n’est rien, c’est-à-dire que par lui-même il est inutile (comme toi tu l’expliques) devant Dieu, car c’est de ce genre d’être que nous parlons – sans ignorer que la volonté impie est quelque chose, et non pas un pur « rien ».

p. 374

Car même si le premier homme, assisté par la grâce, n’a pas été impuissant, Dieu cependant, par ce précepte, lui montre combien il le serait, si la grâce était absente. Or si cet homme, alors que l’Esprit était présent, n’a pas pu, de sa volonté neuve, le bien qui lui était nouvellement proposé, c’est-à-dire l’obéissance – et cela parce que l’Esprit ne l’ajoutait pas de surcroît – quoi donc en ce qui nous concerne, pourrions-nous faire sans l’Esprit, à propos d’un bien qui a été perdu ? Il a été donc montré, chez cet homme-là, par un terrible exemple destiné à écraser notre orgueil, ce que peut notre libre arbitre lorsqu’il est laissé à lui-même et qu’il n’est pas constamment et de plus en plus mis en action et augmenté par l’Esprit de Dieu

p. 209

Aussi ne faut-il pas penser que lorsque Dieu est dit endurcir ou opérer en nous le mal (car endurcir, c’est faire le mal), il agit comme s’il créait de nouveau le mal en nous – comme si l’on imaginait un aubergiste malintentionné qui, étant lui-même mauvais, verserait ou composerait du poison dans un récipient qui lui n’est pas du poison : le récipient ne faisant rien, pour sa part, que de recevoir ou supporter la malignité du compositeur. (…) Dieu opère le mal, non par sa faute mais par notre vice ; puisque nous sommes mauvais par nature, et que Dieu, qui est bon quant à Lui, ne peut faire autrement (quand il nous emporte par son action en vertu de sa toute-puissance) que d’accomplir le mal avec un mauvais instrument, tout bon qu’il soit lui-même, quoique, en vertu de sa sagesse, il fasse bon usage de ce mal, en vue de sa gloire et de notre salut. C’est ainsi que trouvant la volonté mauvaise de Satan – sans l’avoir créée telle, puisque c’est Satan qui a abandonné Dieu et a péché – il saisit en son action cette volonté devenue mauvaise et la met en marche vers où il veut, bien que cette volonté-là ne cesse d’être mauvaise par suite de ce mouvement même qui vient de Dieu

p. 288

 Dieu est ! Et de sa volonté il n’y a ni cause ni raison qui lui soit prescrite comme si c’était une règle et une mesure. Car rien ne lui égal ou supérieur, mais elle est elle-même la règle de toutes choses. En effet, si elle avait une règle ou une mesure, ou encore une cause ou une raison, elle ne pourrait plus être la volonté de Dieu. Ce qu’il veut n’est pas droit parce qu’il doit ou a dû le vouloir ainsi ; au contraire, c’est parce que lui-même veut qu’il en soit ainsi que ce qui arrive ainsi doit être droit. A la volonté de la créature sont prescrites une cause et une raison, non pas à la volonté du Créateur – à moins que tu ne mettes au-dessus de Lui un autre créateur

p. 292

Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne

Les scolastiques reconnaissent que l’homme n’ait point dit avoir le libre arbitre parce qu’il aurait le choix entre le bien et le mal, mais parce qu’il agit selon sa volonté et non par contrainte : ce qui est bien vrai. Mais n’est-ce pas se moquer que de donner un nom si solennel à quelque chose de si limité ? Quelle belle liberté que de dire que l’homme n’est point obligé de pécher, mais qu’il est cependant en esclavage volontaire, puisque sa volonté est retenue captive par les liens du péché ! (…) Or, quand on reconnaît à l’homme le libre arbitre, beaucoup croient immédiatement qu’il est maître de sa raison et de sa volonté, ce qui lui permet de se tourner, par sa propre force, d’un côté ou de l’autre.

On objectera que ce danger sera écarté, si on avertit correctement le peuple du vrai sens du terme « libre arbitre ». Je crois, au contraire, qu’étant donné que nous sommes naturellement enclins à accueillir ce qui est faux et mensonger, nous saisirons l’occasion de trébucher sur un seul mot plutôt que de nous laisser instruire sur la vérité par le long commentaire qui l’accompagnera. (…) je préfère ne pas m’en servir moi-même. Si quelqu’un me demandait conseil, je lui dirais de s’abstenir de l’employer

II,II

 En bref, voilà ce que pensent les philosophes : la raison qui est dans l’intelligence humaine est suffisante pour que nous nous conduisions bien et pour nous montrer ce qu’il faut faire. La volonté, qui lui est inférieure, est tentée et sollicitée de mal agir mais, dans la mesure où elle a le choix, elle ne peut pas être empêchée de suivre entièrement ce que conseille la raison

II,II

Notre conviction est que cette phrase ne peut être contestée : l’homme a une intelligence si totalement étrangère à la justice de Dieu qu’il ne peut rien imaginer, concevoir ou comprendre que ce qui est méchant, inique et corrompu. Son cœur est même si atteint par le péché qu’il ne peut qu’accomplir des actes pervers. S’il arrive qu’il fasse quelque chose qui ait l’apparence du bien, il n’en reste pas moins que son intelligence est engluée dans l’hypocrisie et l’orgueil et que son cœur est enclin à la méchanceté

II, V

 (…) il est arrivé que, par sa liberté, l’homme se soit mis à pécher ; maintenant, la corruption qui s’en est suivie comme punition a fait de la liberté une nécessité [citation de Saint Augustin, sur la perfection de la justice de l’homme IV, 9 ]. (…) Il convient donc de distinguer : l’homme, depuis qu’il a été corrompu par sa chute, pèche volontairement (…) d’un très fort désir et non sous celui d’une contrainte. (…) Si cela est vrai, il est clair que l’homme est soumis à la nécessité de pécher. (…) Cette nécessité, étant volontaire, ne permet pas d’excuser la volonté ; et la volonté, étant séduite, ne peut pas exclure la nécessité, car cette nécessité est comme volontaire (…) elle est esclave par nécessité et libre de par sa volonté. (…) Ainsi elle est esclave parce qu’elle est libre.

II,III

Certains objectent qu’il n’est pas possible de distinguer entre nécessité et contrainte. Si on leur demande : Dieu est-il nécessairement bon et le diable nécessairement mauvais, que répondent-ils ? Il est certain que la bonté de Dieu est tellement jointe à sa divinité qu’il ne lui est pas moins nécessaire d’être bon que d’être Dieu. Et le diable, par sa chute, s’est tellement aliéné du bien qu’il ne peut que mal agir.

Or si un blasphémateur dit, entre haut et bas, que Dieu ne mérite pas d’être loué pour sa bonté puisqu’il ne peut être autrement, lui répondre ne sera pas difficile. C’est parce qu’Il [Dieu] est infiniment bon qu’Il ne peut pas mal agir et non parce qu’Il y est contraint par la violence. Si donc rien n’empêche la volonté de Dieu d’être libre en faisant le bien, il est nécessaire qu’il fasse le bien ; si le diable ne cesse pas de pécher volontairement, bien qu’il ne puisse faire rien d’autre que de mal agir, qui argumentera que le péché n’est pas volontaire chez l’homme alors qu’il est soumis à la nécessité du péché ?

II, III

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité entre les hommes (1755)

« Je ne vois dans tout animal qu’une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens  pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu’à un certain point, de tout ce qui tend  à la détruire, ou à la déranger. J’aperçois précisément les mêmes choses dans la machine  humaine, avec cette différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au  lieu que l’homme concourt aux siennes, en qualité d’agent libre. L’un choisit ou rejette par  instinct, et l’autre par un acte de liberté ; ce qui fait que la bête ne peut s’écarter de la règle  qui lui est prescrite, même quand il lui serait avantageux de le faire, et que l’homme s’en  écarte souvent à son préjudice. C’est ainsi qu’un pigeon mourrait de faim près d’un bassin  rempli des meilleures viandes, et un chat sur des tas de fruits, ou de grain, quoique l’un et  l’autre pût très bien se nourrir de l’aliment qu’il dédaigne, s’il s’était avisé d’en essayer. C’est  ainsi que les hommes dissolus se livrent à des excès, qui leur causent la fièvre et la mort ;  parce que l’esprit déprave les sens, et que la volonté parle encore, quand la nature se tait.  Tout animal a des idées puisqu’il a des sens, il combine même ses idées jusqu’à un certain  point, et l’homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins. Quelques  philosophes ont même avancé qu’il y a plus de différence de tel homme à tel homme que de  tel homme à telle bête ; ce n’est donc pas tant l’entendement qui fait parmi les animaux la  distinction spécifique de l’homme que sa qualité d’agent libre. La nature commande à tout  animal, et la bête obéit. L’homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre  d’acquiescer, ou de résister ; et c’est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre  la spiritualité de son âme. » 

Première partie

« Il me reste à considérer et à rapprocher les différents hasards qui ont pu perfectionner la  raison humaine, en détériorant l’espèce, rendre un être méchant en le rendant sociable, et  d’un terme si éloigné amener enfin l’homme et le monde au point où nous les voyons. [...]  La différence des terrains, des climats, des saisons, put les forcer à en mettre dans leurs  manières de vivre. Des années stériles, des hivers longs et rudes, des étés brûlants qui  consument tout, exigèrent d’eux une nouvelle industrie. Le long de la mer, et des rivières, ils  inventèrent la ligne et l’hameçon, et devinrent pêcheurs et ichtyophages. Dans les forêts ils se  firent des arcs et des flèches, et devinrent chasseurs et guerriers. Dans les pays froids ils se  couvrirent des peaux des bêtes qu’ils avaient tuées. Le tonnerre, un volcan, ou quelque  heureux hasard, leur fit connaître le feu, nouvelle ressource contre la rigueur de l’hiver : ils  apprirent à conserver cet élément, puis à le reproduire, et enfin à en préparer les viandes  qu’auparavant ils dévoraient crues. »

Première partie

Thomas Hobbes, Léviathan (1651)

Le mot LIBERTÉ désigne proprement l’absence d’opposition (par opposition, j’entends les obstacles au extérieurs au mouvement), et peut être appliqué aux créatures sans raison ou inanimées aussi bien qu’aux créatures raisonnables. Si en effet une chose quelconque est liée ou entourée de manière à ne pas pouvoir se mouvoir, sauf dans un espace déterminé, délimité par l’opposition d’un corps extérieur, on dit que cette chose n’a pas la liberté d’aller plus loin. C’est ainsi qu’on a coutume de dire des créatures vivantes, lorsqu’elles sont emprisonnées ou retenues par des murs ou des chaînes, ou de l’eau lorsqu’elle est contenue par des rives ou par un récipient, faute de quoi elle se répandrait dans un espace plus grand, que ces choses n’ont pas la liberté de se mouvoir de la manière dont elles le feraient en l’absence d’obstacles extérieurs. Cependant, quand l’obstacle au mouvement réside dans la constitution de la chose en elle-même, on a coutume de dire qu’il lui manque, non pas la liberté, mais le pouvoir de se mouvoir ; c’est le cas lorsqu’une pierre gît immobile ou qu’un homme est cloué au lit par la maladie.
D’après le sens propre (et généralement admis) du mot, un HOMME LIBRE est celui qui, s’agissant des choses que sa force et son intelligence lui permettent de faire, n’est pas empêché de faire celles qu’il a la volonté de faire.

 II, 21

Hors de l’état civil, chacun jouit sans doute d’une liberté entière, mais stérile ; car, s’il a la liberté de faire tout ce qu’il lui plaît, il est en revanche, puisque les autres ont la même liberté, exposé à subir tout ce qu’il leur plaît. Mais, une fois la société civile constituée, chaque citoyen ne conserve qu’autant de liberté qu’il lui en faut pour vivre bien et vivre en paix, de même les autres perdent de leur liberté juste ce qu’il faut pour qu’ils ne soient plus à redouter. 
Hors de la société civile, chacun a droit sur toutes choses, si bien qu’il ne peut néanmoins jouir d’aucune. Dans une société civile par contre, chacun jouit en toute sécurité d’un droit limité. 
Hors de la société civile, tout homme peut être dépouillé et tué par n’importe quel autre. Dans une société civile, il ne peut plus l’être que par un seul. 
Hors de la société civile, nous n’avons pour nous protéger que nos propres forces ; dans une société civile, nous avons celles de tous. 
Hors de la société civile, personne n’est assuré de jouir des fruits de son industrie  ; dans une société civile, tous le sont. 
On ne trouve enfin hors de la société civile que l’empire des passions, la guerre, la crainte, la pauvreté, la laideur, la solitude, la barbarie, l’ignorance et la férocité ; dans une société civile, on voit, sous l’empire de la raison, régner la paix, la sécurité, l’abondance, la beauté, la sociabilité, la politesse, le savoir et la bienveillance.

Le Citoyen (1642)

J.-Jacques Rousseau,

Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C’est alors seulement que, la voix du devoir succédant à l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme, qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants. Quoiqu’il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu’il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s’exercent et se développent, ses idées s’étendent, ses sentiments s’ennoblissent, son âme tout entière s’élève à tel point que, si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l’instant heureux qui l’en arracha pour jamais et qui, d’un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme. 
Réduisons toute cette balance à des termes faciles à comparer ; ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède. Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle, qui n’a pour bornes que les forces de l’individu, de la liberté civile qui est limitée par la volonté générale, et la possession, qui n’est que l’effet de la force ou le droit du premier occupant, de la propriété qui ne peut être fondée que sur un titre positif. 
On pourrait sur ce qui précède ajouter à l’acquis de l’état civil la liberté morale, qui seule rend l’homme vraiment maître de lui ; car l’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté.

Du Contrat social (1762), livre I, chap. 8

Baruch Spinoza

Mais descendons aux choses créées qui sont toutes déterminées par des causes extérieures à exister et à agir d’une certaine façon déterminée. Pour rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple : une pierre par exemple reçoit, d’une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvement et, l’impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement. Cette persistance de la pierre dans le mouvement est une contrainte, non parce qu’elle est nécessaire, mais parce qu’elle doit être définie par l’impulsion d’une cause extérieure. Et ce qui est vrai de la pierre, il faut l’entendre de toute chose singulière, quelle que soit la complexité qu’il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause extérieure à exister et à agir d’une certaine manière déterminée.
Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, pense et sache qu’elle fait un effort, autant qu’elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre, assurément, puisqu’elle a conscience de son effort seulement et qu’elle n’est en aucune façon indifférente, croira qu’elle est très libre et qu’elle ne persévère dans son mouvement que parce qu’elle le veut. Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent.

Baruch Spinoza, Lettre à Schuller

L'homme raisonnable est plus libre dans la cité où il vit sous la loi commune que dans la solitude où il n'obéit qu'à lui-même.

Baruch Spinoza, Ethique (1677), IV, prop. 73