L'Oratoire du Louvre Sous la Révolution et au XIXe

Jean Marot, le chevet de l'Oratoire du Louvre, milieu du XVIIe siècle

La Révolution fut naturellement fatale à l’Oratoire, au prix d’une double profanation, morale et matérielle. Le 13 juillet 1789, au cœur des événements qui vont de l’incendie de l’Octroi à la chute de la Bastille, la maison fut rançonnée afin de fournir l’émeute en numéraire. Puis, en février 1791, l’évêque d’Autun, Talleyrand, y montait pour la dernière fois de sa vie à l’autel pour sacrer des évêques élus par le peuple suivant la nouvelle Constitution civile du clergé.

La suite est habituelle : le 14 décembre 1792, la Convention abolissait la congrégation de l’Oratoire*. Les logis de la maison furent occupés par divers services administratifs, quelques propriétés vendues à des particuliers, tandis que l’église était affectée à un magasin pour décor de théâtre... Ce nouveau statut entraîna le dépouillement des richesses mobilières de l’église, dont les tombeaux, et d’abord celui de Bérulle, furent mis en pièces*. Le marteau jacobin s’abattit sur l’édifice. En premier lieu, la façade fut complètement mutilée, ce qui reste très sensible aujourd’hui. Elle perdit alors toute sa délicate parure sculptée, comme Saint-Roch un peu plus loin dans la même rue : anges, chérubins, cœur enflammé, profils du Christ et de la Vierge, bas-reliefs, arme de France et croix sommitale disparurent. La croix de la lanterne fut également abattue. Dans l’église même, le maître-autel de Caqué fut démonté (janvier-février 1793), les chapelles vidées, les quatre fleurs de lys de la voûte du transept grattées. Vingt-quatre tableaux furent envoyés au dépôt des Petits-Augustins, chez Alexandre Lenoir, où une première série de cinq était déjà partie en 1792. A la fin de la période terroriste, l’édifice présentait un état propre à tous les édifices religieux français, si bien décrit par Chateaubriand dans le Génie du Christianisme.

L’affectation au culte protestant

L’affectation au culte protestant en 1811 sauva l’édifice, à n’en pas douter. Les travaux effectués apparaissent alors ponctuels, et pour l’essentiel conduits sans grave dommage (voir p. X), exception faite de l’entresolement en 1821 de la chapelle ovale, on l’a dit. Les chapelles de l’église furent également entresolées par des tribunes de bois, toujours en place aujourd’hui. En 1828, un nouvel orgue fut construit avec un buffet de bois à pilastres corinthiens, dessiné par Hippolyte Godde, architecte de la Ville*. Lui succéda Victor Baltard (1805-1874)*, prix de Rome en 1833, successeur de Godde en 1848 comme « architecte en chef des services des Beaux-Arts de la Ville et des édifices diocésain du département de la Seine ». Resté célèbre pour le chantier des Halles, son activité d’architecte de la Ville ne fut pas moins importante dans les églises de 1841 à 1860 – il restaura, entre autres, Saint-Germain-des-Près, Saint-Eustache, Saint-Leu Saint-Gilles…. De confession luthérienne, il transforma également l’église de Pentemont en temple, rue de Grenelle (1844) et réalisa le temple de la ville de Nérac (1854-1858).

Baltard rétablit la croix du lanternon en 1855, ouvrit, au n° 1, rue de l’Oratoire, une nouvelle porte desservant directement la sacristie (1857), et prolongea le couloir qui ceinture désormais la chapelle d’axe*. Au chevet, les travaux furent plus importants et modifièrent les élévations. D’abord, les deux couloirs latéraux du XVIIe siècle furent prolongés pour se réunir autour de la chapelle circulaire ; deux portes furent crées de ce côté. Mais surtout, Baltard fut impliqué dans les débats consécutifs au percement de la rue de Rivoli qui était alors en voie d’achèvement. Afin d’appliquer l’ordonnance d’architecture dessinée un demi-siècle plus tôt, on avait imaginé d’envelopper complètement le chevet par un édifice qui, en condamnant la rue de l’Oratoire en cul-de-sac, aurait abrité le nouveau siège de la Caisse des dépôts et consignations*. Dès 1852, Baltard soutint les protestations du consistoire auprès du préfet de la Seine, Jean-Jacques Berger ; l’architecte imagina alors de prolonger le portique à arcade des élévations réglementaires de la rue de Rivoli, afin de dégager le chevet tout en maintenant le rideau architectural réglementaire*. Les dépendances nécessaires purent être ménagées de l’autre côté de la rue de l’Oratoire, où Baltard réalisa la maison consistoriale, au n° 4, en suivant l’élévation type de la rue de Rivoli, excepté le rez-de-chaussée, qui a été orné de bossages*.

Le monument de Coligny, élevé en 1889 dans le contexte de la « guerre des statues » et du centenaire de la Révolution française*, marqua l’ultime modification extérieure, tandis que dans l’église, l’érection du mur-monument aux morts de 1914-1918 dans la deuxième chapelle est de la nef, œuvre de L. Jaulme (1919) marquait le seul apport moderne avec la mise en place d’un orgue au buffet contemporain (inauguré en 1962).

Alexandre Gady 
extrait du livre du bicentenaire

Notes

* L’Oratoire a été rétabli en France en 1852 ; il dessert l’église Saint-Eustache depuis 1822.

* Le corps de Bérulle ne fut pas profané, son caveau sous la chapelle n’ayant pas été découvert.

* Cet orgue a été refait en 1898-1899 en conservant le buffet, celui-ci finalement détruit en 1955 et refait à neuf par Victor Gonzalez ; il a été inauguré en 1962.

* Pierre Pinon, Louis-Pierre et Victor Baltard, Paris, 2005, chapitre IX, p. 133 et suiv.

* Arch. de Paris, V. 3 M 33, dossier 1, Victor Baltard architecte, Varcollier inspecteur.

* Archives du Temple de l’Oratoire, dossier accompagné d’un plan de Baltard. Je remercie M. Philippe Braunstein de m’avoir communiqué ces documents.

* Arch. de Paris, V. 3 M 33, dossier 1 : portique réalisé en 1854-1855, moyennant 106 630 francs ; pour la balustrade de couronnement, Baltard remploya plus de 120 balustres provenant de la place de la Concorde (anciens parapets des fossés de Gabriel, comblés justement en 1854).

* Archives du Temple de l’Oratoire, procès-verbal de remise par la Ville, 21 novembre 1857, signé Baltard. Bien entretenue, cette maison a conservé son escalier et l’essentiel de ses dispositions intérieures, dont une grande salle à colonnes de fonte au premier étage.

* Le monument, élevé par souscription nationale en 1889, est dû à l’architecte Scellier ; la statue est de Crauck (modèle en plâtre au musée de Cambrai).