Le site avant l’Oratoire

L'Oratoire est situé le long du grand accès occidental à la capitale par la rive droite : la rue Saint-Honoré. Celle-ci est posée sur le rebord de la terrasse alluviale de la Seine, à l’abri des inondations. Les fouilles du Carrousel, plus à l’ouest, ont montré que le maillage de fossés matérialisant dans le secteur du Louvre le grand parcellaire de cultures mis en place à la période antique a perduré tout au long du Haut Moyen Age.

À une portée d’arbalète, l’église Saint-Germain-le-Rond (ou l’Auxerrois), sans doute fondée  par Saint Landry qui y est inhumé en 656, occupe une butte en bord du fleuve. Le développement précoce d’un bourg autour d’elle justifie qu’elle soit entourée dès la période carolingienne d’une enceinte adossée à la Seine. On sait que lors des raids normands de la fin du IXe siècle, les scandinaves venus de l’aval avaient établi leur camp près de cette église Saint-Germain, qu’ils brûlent en 885-886 ; cette clôture est-elle le témoin de leur hivernage au cours du siège infructueux contre la Cité ? À la suite de ces attaques, une enceinte palissadée et fossoyée est établie en rive droite, entre les bourgs Saint-Germain et Saint-Gervais, comme l’archéologie est venue le confirmer récemment* ?

Le Louvre au XVIe siècle
1) emplacement du futur Oratoire
2) la muraille de Philippe Auguste

Un fossile structurant : l’enceinte de Philippe Auguste

Il faut attendre les années 1200 pour que l’élément « structurantissime » de l’histoire topographique, tant de la ville que de notre secteur précisément, se mette en place ; j’ai nommé l’enceinte de Philippe Auguste. Celle-ci succède d’un siècle le développement des Halles de Champeaux toutes proches, qu’elle vient envelopper, et d’une décennie l’implantation du Louvre, forteresse royale en rive droite destinée, avant la conquête de la Normandie en 1204, à intercepter le chemin de halage de la navigation montante*.

L'analyse des vues cavalières* et représentations antérieures au XVIIe siècle, recoupée par l’observation faite lors de la fouille de la cour Carrée du Louvre en 1985, suggère que l'enceinte urbaine s'interrompait complètement au niveau du château, comme si elle était « ouverte à la gorge » sur 60 m de largeur ; ainsi, même en cas de chute de la ville, l’assaillant n’aurait pu se retrancher derrière le mur de ville pour attaquer la forteresse royal hors les murs, conçue comme le dernier réduit de la défense parisienne. Dans le musée d’aujourd’hui, la porte du château vers la ville, entre ses deux tours à jupe talutée, comme le mur extérieur du fossé (la contrescarpe), dressé en moellon, sont les témoins de cette relation ambiguë entre la ville capitale et le château posé devant elle, surveillant ses accès occidentaux, tant de batellerie que de charroi.

Face au Vieux Louvre, la muraille urbaine s’appuie en effet, côté sud sur la tour du Coin baignée par la Seine, côté nord sur la porte Saint-Honoré, détruite vers 1533, dont on ne sait rien d’autre que d’avoir été ornée d’une statue de la Vierge (Sauval). Entre ces deux points d’appui, l’enceinte, de 3 m d’épaisseur, forme un coude ; son seul souvenir topographique est l’actuelle rue de l’Oratoire, diagonale dans sa liaison entre la rue de Rivoli et la rue Saint-Honoré parce qu’elle perpétue le souvenir de la rue d’Autriche, qui longeait l’intérieur de la muraille jusqu’au Louvre. Dans la portion ainsi considérée, la muraille, percée d’une poterne contre la tour du Coin afin d’assurer le passage des haleurs, était flanquée de trois tours semi-circulaires de diamètre constant (environ 6 m), régulièrement espacées tous les 32 mètres. L’une d’entre elles a été exhumée dans la cour Carrée, une première fois en 1866, puis à nouveau en 1985 par Venceslas Kruta*. Une autre existait rue du Coq dans la cour de l’hôtel de Grammont. Visible sur le plan de Turgot, elle a disparu lors du creusement de la ligne 1 du métro en février 1899*. La trace de la troisième est visible dans la chaufferie de l’Oratoire. D’ors et déjà, il convient de souligner que ce secteur exposé de l’enceinte est particulièrement renforcé, puisque ailleurs, les tours sont espacées de 60 m d’intervalle.

Deux plans anciens et deux témoins archéologiques concordants permettent de caler le tracé de la muraille sous l’église actuelle et, par suite, de mieux comprendre la genèse du projet de l’architecte de l’Oratoire.

Le premier (figure 1), daté de 1750, est un « plan du Passage de la fortification de Philippe Auguste, établi sur les vestiges actuellement subsistans », soulignés par un trait rouge plein*. Au sud de la rue Saint-Honoré, il suggère que l’enceinte détruite, marquée par un trait pointillé, passe en diagonale en travers de l’église de l’Oratoire, pour rejoindre, sous la rue de Rivoli actuelle, une « portion du gros mur de ville du côté du vieux Louvre, d’environ 7 toises de longueur avec une tour entière couverte de thuilles dans la maison occupée par la Dame de Bauve, cul-de-Saq du Cocq ». Du côté pair (nord) de la rue, il indique précisément le coude que faisait l’enceinte après la porte Saint-Honoré, toujours observable dans le parcellaire actuel, mais aussi, la présence du mur encore en élévation juste en face du milieu de la façade de l’église, pour lequel il spécifie : « autre portion dudit mur d’environ 9 pieds de long dans la boutique du Sr Le Preux rue S. Honoré vis-à-vis l’Oratoire » ; comme nous allons le voir, ce mur est toujours visible dans la cave du 150 rue Saint-Honoré.

Le second (figure 2) est le plan Vasserot, daté de 1810-1836. Il témoigne bien du coude déjà noté au nord, et de l’emprise parcellaire du mur, qui occupe toute la largeur du numéro 148 de la rue, soit 2,60 m de largeur de courtine. A contrario du plan de 1750, le plan Vasserot suggère un tracé du mur strictement axé au centre de la nef de l’église, pour rejoindre la tour de la chaufferie et le Louvre.

Les vestiges archéologiques de l’enceinte, encadrant l’église, sont constitués par le vestige d’une tour sous l’abside de l’Oratoire et par la présence du parement extérieur de la muraille en place dans la cave du 150 rue Saint-Honoré. Le fragment principal est remployé dans la chaufferie du temple actuel, sous l’ancien chœur ovale de l’Oratoire. Il s’agit d’une maçonnerie curviligne de moyen appareil rectangulaire calcaire avec deux ressauts, conservé sur 2 m de longueur, suggérant que nous sommes en présence d’un libage de fondation du parement interne d’une tour d’environ 3 m de diamètre intérieur*. Le plan de la cave a été levé et interprété, dès 1918, par Aimé Grimault (1864-1947), géomètre responsable du levé du plan parcellaire de Paris, qui consacra son loisir, 30 ans durant, à relever les vestiges de l’enceinte ; sa documentation, restée inédite, a été déposée par ses soins à la BHVP. Le plan (figure 3) qu’il dresse* positionne la tour à la périphérie ouest de la chaufferie, ce qui signifie que la forme du chœur du XVIIe siècle a été conditionnée par son remploi.

De l’autre côté de la rue, les deux maisons du 146 et du 148 rue Saint-Honoré (côté nord de la rue) ont été frappées d’alignement avant le Vasserot ; leur façade est en retrait de la rue d’1,5 m par rapport à leur cave, qui empiète sous le trottoir grâce à un voûtement perpendiculaire rapporté leur ayant permis de conserver leur puits en sous-sol ; la cave du 148 s’élargit considérablement sous la rue, très certainement à cause de la présence de la porte urbaine disparue. Au 150, la muraille est en place en fond de parcelle, contre le numéro 148 (figure 4). Il s’agit du parement extérieur de la courtine, non taluté, dressé en assises plein sur joint de moyen appareil rectangulaire de calcaire jaune coquillé, alternées entre 30 et 40 cm de hauteur d’assises*. En façade sur rue, depuis le balcon de l’Oratoire, la diagonalisation des murs mitoyens, se disposant en éventail à partir d’un point dur à deux mitoyens parallèles, le 148, encore amplifiée par l’adossement des souches de cheminées, marque de façon indélébile le tracé de l’enceinte jusque dans les superstructures actuelles (figure 5).

Ainsi, le repositionnement exact de l’enceinte sous l’église éclaire de façon essentielle le processus de la genèse du projet de l’Oratoire. Il convient désormais de créditer le Vasserot, que corroborent les deux témoins archéologiques présents au nord et au sud de l’église : la muraille est exactement centrée au milieu de la nef, et le couloir souterrain axé qui va de la chaufferie au caveau de Bérule est percé au cœur de la maçonnerie philippienne. Il ne pouvait en être autrement : fonder des piles sur un mur arasé passant en diagonale par rapport à elles eut immanquablement entraîné des tassements différentiels et, par suite, des désordres dans le voûtement. Les deux files de pilastres de la nef sont donc fondées dans la terre, de part et d’autre de la fondation du mur arasé. On a vu que l’abside ovale repose sur une tour qui lui est d’un diamètre légèrement inférieur, mais qui en détermine l’assiette.

Ainsi, et en toute logique, le projet de Lemercier est conditionné par la contrainte des fondations affleurantes dont il doit tenir compte pour s’asseoir, au point que l’enceinte est un élément structurant de la construction, la limitant vers le Nord-Ouest, la contraignant dans son orientation inusitée. Même la façade plus tardive, assise sur la porte Saint-Honoré, devra jouer de cette mémoire parcellaire incontournable. Au-delà, cette trace profonde, fondatrice de la ville capitale au Moyen Age, a-t-elle été le marqueur du projet classique ? La manière dont chaque génération depuis huit siècles est venue revisiter cette enceinte de référence autorise à poser la question.

Un dense maillage d’hôtels aristocratiques

Dès le second XIIIe siècle, mais surtout à partir des années 1360 — avec la création de l’enceinte dite de Charles V, qui va absorber le Louvre et le secteur qui nous concerne intra muros, comme avec la fixation permanente du roi au Louvre et à l’hôtel Saint-Pol dans le Marais — l’aristocratie afflue dans ces deux quartiers en rive droite ; Christine de Pisan note, émerveillée, « la grant quantité de gens et divers peuples, princes et aultres, qui, pour cause que là est le siège principal de la noble cour, arrivent de toutes parts ». Entre le Louvre et l’église Saint-Germain, devenue paroisse royale, le maillage préexistant était déjà si dense que les ducs de Bourbon vont mettre un siècle, de 1303 à 1404, et devront traiter avec plus de trois cents propriétaires pour se ménager leur hôtel du Petit Bourbon jusqu’à la Seine !

Tout au long de l’enceinte, des hôtels nobles viennent s’adosser à l’intérieur de la muraille, la perçant pour se ménager un jardin à l’extérieur, allant jusqu’à réutiliser une tour de l’enceinte pour afficher leurs titres de noblesse. Ainsi, entre le Louvre et la rue Saint-Honoré, des trois hôtels de Rocheguyon, d’Étampes et Saint-Pol, démesurément étirés en longueur pour se loger entre la muraille et la rue d’Autriche.

Cette fixation des demeures nobles le long de l’enceinte, hors d’usage militaire depuis 1360, ne laisse pas d’interroger l’historien. Mary Whiteley* a prouvé que l’enceinte était un moyen pour le roi Charles V, résidant entre le Louvre et l’hôtel Saint-Paul, à l’autre extrémité en rive droite, de circuler en balcon sur la ville par le chemin de ronde, à l’abri des révoltes toujours à craindre. Cette communication à l’insu de la canaille sert aussi aux princes pour se recevoir à dîner, comme l’atteste une chronique sous Louis XI entre hôtels d’Artois et d’Orléans/Bohème, tout proche du Louvre.

Toujours aussi proche du pouvoir à la Renaissance, le quartier ne pouvait que voir fleurir une nouvelle génération d’hôtels aristocratiques. Dans ce cadre, l’hôtel de Bouchage va venir s’adosser à l’extérieur de la muraille, compte tenu de la densification du parcellaire. Il est construit à l’initiative d’Henri de Batarnay de Joyeuse, comte du Bouchage (1563-1608), une des personnalités les plus colorées de la cour d’Henri III. En effet, Grand Maître de la garde-robe, son veuvage précoce de Catherine de La Valette en 1587 le convainc de devenir capucin sous le nom de Père Ange, au grand dam de son roi. Mais il reprend les armes de 1592 à 1596 comme lieutenant général pour la Ligue en Languedoc, avant de devenir un prédicateur renommé et un mystique sujet à des extases.

La seule date sûre est un contrat de 1586 avec Baptiste Androuet du Cerceau pour la construction de l’aile d’entrée, à deux pavillons d’escalier et grand portail sur la rue du Coq, à l’opposée de la muraille. La cour centrale était entourée de bâtiments sur toutes ses faces, reliées par une admirable galerie partiellement détruite dès 1618 pour l’installation de l’Oratoire (figure 6). Dans un style que Thomson décrit comme un jalon du « classicisme flamboyant », la galerie sous comble à surcroît présentait une alternance de lucarnes à fronton triangulaire et de niches cintrées somptueusement décorées de jeunes feuilles d’acanthe avant floraison. En contraste, le corps de logis était intentionnellement austère, avec un jeu de plinthes marquant des horizontalités fortes. C’est ce rare édifice de la Renaissance tardive dans le quartier aristocratique du Louvre qui va très vite céder la place, à l’Oratoire tout d’abord, à la rue de Rivoli ensuite.

Par Nicolas Faucherre (université de Nantes) 
extrait du livre du bicentenaire

Bibliographie

  • Maurice BERRY, Michel FLEURY dir., L’enceinte et le Louvre de Philippe Auguste, Délégation à l’Action artistique ville de Paris, 1988.
  • Françoise BOUDON, André CHASTEL, Hélène COUZY, Françoise HAMON, Système de l'architecture urbaine : le quartier des Halles à Paris, Paris, CNRS, 1977, 2 vol.
  • Alexandre GADY, « L’enceinte de Philippe Auguste », Les enceintes de Paris, Délégation à l’Action artistique ville de Paris, 2001, p. 58-79.
  • Renaud GAGNEUX, Denis PROUVOST, Sur les traces des enceintes de Paris, Promenade le long des murs disparus, Parigramme, Paris, 2004.
  • Jacques HEERS, La ville au Moyen Age en Occident. Paysages, pouvoirs et conflits, Fayard, 1992, sous-chapitre « Paris, les hôtels autour du Louvre et de Saint-Pol », p. 454-460.
  • David THOMSON, Renaissance Paris: architecture and growth, Londres, A. Zwemmer, 1984.

Illustrations

Figure 1 : plan de 1750 ; AN, N III Seine 235

Figure 2 : plan Vasserot avec positionnement du tracé de l’enceinte ; dessin Atelier Duché

Figure 3 : plan Grimault, BHVP, Ms Grimault, CP3122, 1918

Figure 4 : mur dans la cave du 150 rue St-Honoré ; cliché Nicolas Faucherre

Figure 5 : toitures du 146-150 rue Saint-Honoré ; cliché Nicolas Faucherre

Figure 6 : restitutions de l’hôtel de Bouchage (Thomson d’après A. Don Johnson)

Notes :

* Découverte de son fossé rue du Temple en 1995, puis 144 rue de Rivoli en 2009.

* A Paris, site d’inversion du chemin de halage entre deux méandres, le chemin de halage est en rive droite et les ports en rive gauche vers l’aval, et l’inversion se fait entre île de la Cité et la future île Saint-Louis ; cf. François Baudouin, Paris-sur-Seine, ville fluviale, La Martinière, Paris, 1993.

* Plans dits de Braun et Hogenberg, de Belleforest, de la Tapisserie, Truchet et Hoyaux, de Saint-Victor.

* Venceslas Kruta, « La tour de l’enceinte urbaine de Philippe Auguste », Le Louvre des rois. Dossiers de l’archéologie,n°192, 1994, p. 40.

* P.V. de la Commission du Vieux Paris, 9 février 1899 (Ch. Sellier).

* Archives nationales, N III Seine 235, signalé par Alexandre Gady.

* Les derniers à signaler le vestige sont : GAGNEUX, R., PROUVOST, D., op. cit. p. 31.

* Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, Ms Grimault, CP3122, 1918, publié par A. Gady, op. cit. p. 58, avec plaidoyer pour Grimault p. 75.

* Ma reconnaissance va à M. Gérard Senfaute, pour m’avoir donné accès à sa cave, qui a permis cette découverte inédite.

* Marie Whiteley, « Les résidences princières parisiennes dans la deuxième moitié du XIVe siècle », in N. Faucherre (éd.), Sous les pavés, la Bastille, catal. expo, Paris, CNMHS, 1989, p. 35.