Noël : voir, juger, agir
Luc 2:1-20
Culte du 25 décembre 2017
Prédication de Richard Cadoux
Vidéo de la partie centrale du culte
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On nous l'a dit. On nous l'a répété. On le sait. Les évangiles ne sont pas d'abord des récits historiques. Ils n'ont pas pour but de nous raconter la vie de Jésus. Ce sont des confessions de foi mises en récit. Les premières communautés chrétiennes y expriment leur foi dans le Christ ressuscité. Les actes et les paroles de Jésus de Nazareth prennent tout leur sens à la lumière de la Résurrection. La Résurrection est au cœur des écrits du Nouveau Testament. Il est possible que le récit de la nativité ait été rédigé aussi pour répondre à la curiosité de celles et ceux qui s'interrogeaient sur l'origine de ce personnage hors du commun. La naissance et l'enfance d'un grand homme sont toujours sources d'interrogations. Mais il faut bien mesurer le fait que les évangiles de l'enfance ont été rédigés avant toute chose pour rendre compte de la venue dans le monde de celui qui est confessé dans la foi de l'Eglise, comme sauveur, comme Christ et Seigneur. Si Jésus est ce vivant qu'il ne faut plus chercher parmi les morts, d'où vient-il et comment est-il entré dans ce monde ? La question est légitime. Je vous propose donc d'entendre cet évangile de la nativité comme la bonne nouvelle de la naissance du Ressuscité. D'ailleurs si l'on y prête attention, on s'aperçoit que le récit de Noël est construit comme celui de Pâques : autour de la crèche comme au tombeau, il se passe quelque chose. Au matin de Pâques comme dans la nuit de Noël, des hommes et des femmes sont interpellés par des anges ou des hommes en habit de lumière qui leur livrent le sens de ce qui se passe. Enfin dans l'un et l'autre cas, celles et ceux qui ont bénéficié de cet éclairage se mettent en route pour aller à leur tour annoncer à d'autres cette bonne nouvelle d'une vie qui commence ou qui se renouvelle. Trois scènes. Trois tableaux.
Premièrement, la crèche. La naissance d’un enfant, la scène est d'une simplicité absolue. L'enfant est pareil à tous les autres enfants du monde. Ni plus grand, ni plus beau, ni plus fort. L'évangile se garde bien d'enjoliver ce qui se déroule à l'intérieur de la crèche. Ici les choses et les gens sont simples. Un enfant dort sur la paille, langé par la nuit, bercé par l'amour de sa mère. C'est une naissance comme toutes les naissances. Tous les commencements sont humbles et modestes, comme est très simple l'attitude de cette maman qui accomplit les gestes millénaires de la vie : elle emmaillote son petit et elle le couche. Mais tous les enfants sont aussi de petits dieux, et comme celui de Bethléem, des dieux pauvres et nus. Son souffle est doux, parfois il soupire, sa main se crispe légèrement. Il a des idées sans rides, un front tout neuf. Son visage est encore tourné vers l'intérieur, scellé sur des rêves qui n'appartiennent qu'à lui. Il est prêt à recommencer le monde. Il est merveilleusement unique, véritablement premier né. Toute naissance, voyez-vous, est un événement. Α rigoureusement parler, la naissance est même un évènement incompréhensible. Elle n'est jamais vécue. Je ne nais pas, je suis né. Ma naissance, tout en m'étant arrivée, m'est à jamais étrangère : je n'en ai jamais eu conscience, je n'en garde aucun souvenir, tout juste puis-je l'imaginer. Mais si la naissance est advenue, elle est aussi avenir. L'enfant qui nait est d'ailleurs désigné sous le vocable de nouveau-né. Le nouveau-né est un être qui n'a jamais été vu, il apparait pour la première fois dans le monde et de ce fait même le renouvelle. Comme il est autre, unique, irremplaçable, il ne peut pas être la reproduction de quelque chose de connu. C'est enfin la promesse d'un renouvellement. C'est le sens de la célébration de la natalité à laquelle s'est livrée la philosophe Hannah Arendt dans la Condition de l'homme moderne : « Le miracle qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, naturelle, c'est finalement le fait de la natalité. En d'autres termes : c'est la naissance d'hommes nouveaux, le fait qu'ils commencent à nouveau, l'action dont ils sont capables par droit de naissance. » Donner naissance, c'est, qu'on le veuille ou non, faire apparaître dans le monde un être nouveau, un être doué de la faculté spécifiquement humaine d'innover. Oui un enfant nous est né et voici que tout devient possible. A cet égard la naissance d'un être humain ne peut pas être comprise comme un simple processus naturel de reproduction de la vie, précisément parce que la naissance interrompt le processus de la nature : les hommes ne naissent pas et ne meurent pas comme naissent et meurent les feuilles au printemps et à l'automne. Ce qui est naturel, c'est l'usure des choses : la natalité interrompt ce processus et ouvre à l'infini le champ des possibles. Dans la nuit de Bethléem, un enfant vient au monde, c'est à la fois banal et grandiose, c'est une histoire absolument singulière et tout à fait universelle. C'est la promesse d'un avenir dont personne en cet instant ne possède le secret.
Alors quel est le sens de ce qui est en train de se passer ? C'est le deuxième point de mon propos. Le sens nous en est délivré par Dieu en personne. Cela nous est donné tout comme nous est donné l'enfant. Dans la nuit une lumière resplendit et une voix se fait entendre. Les anges, ce sont les communicants de Dieu. La transcendance de celui qu'on appelle l'Eternel fait irruption dans l'histoire des hommes. Un temps interrompt le temps et le remplit de l'éternité de Dieu. Nous assistons à l'irruption d'une parole venue d'ailleurs, sans que rien ne l'annonce ni n'en laisse prévoir le surgissement. Le message signifie que la communication est définitivement établie entre Dieu et sa création. Il invite les hommes à ne plus avoir peur. Dieu veut apprivoiser les hommes et il leur adresse une promesse de bonheur et de joie. La gloire de Dieu, c'est la vie et la paix pour les hommes. La vie et la paix pour les hommes c'est de reconnaître cette présence de Dieu en notre monde. Celui qui va être l'artisan de cette réconciliation et de cet accomplissement, c'est un personnage dont les anges révèlent à cet instant l'identité et la vocation, ce qu'il est et ce qu'il est appelé à être : Sauveur, Christ et Seigneur. Nous avons là le condensé de tous les titres christologiques attribués à Jésus par l'Eglise qui confesse sa foi et qui reconnaît l'action du Dieu vivant et vivant au cœur d'un monde qui gémit encore dans les douleurs de l'enfantement. Mais au cœur de cette révélation, de cette apocalypse, il y a un paradoxe. Certes un signe qui est donné en guise de confirmation. Mais ce signe est paradoxal. Dans les écritures on appelle signe toute manifestation solennelle du divin : depuis les tremblements de terre jusqu'aux guérisons et aux miracles. Des signes, la nuit de Bethléem n'en manquent pas : les anges rassemblés dans l'ordre de bataille de l'armée céleste, la grande clarté, les hymnes. Mais tout ça, ce ne sont pas les véritables signes, tout au plus des indicatifs. En fait, ce jour-là, il n'y a qu'un seul signe, un signe qui n'en met pas plein la vue. On pourrait même dire que le signe s'efface et que son effacement même devient signe. Ce signe, c'est un nouveau-né emmailloté et couché dans une crèche. D'autant que ce signe, tellement discret, tellement secret est déjà signe de contradiction. Il cache Dieu et ne se dévoile que dans les humilités. Contradiction de la puissance : Christ est Seigneur. Mais pour l'heure, c'est Auguste qui paraît être le véritable maître du monde. C'est l'empereur qui ordonne un recensement pour connaître le nombre de ses sujets. Joseph et Marie sont jetés sur les chemins comme des réfugiés et des personnes déplacées. Le petit enfant est Seigneur de la création et de l'histoire, mais pour l'heure c'est César qui occupe la première place et semble être le maître universel. Contradiction de l'habitation : alors que l'empereur par un simple oukase envoie le monde entier sur les routes, déjà le Fils de l'Homme n'a pas de lieu où reposer la tête. Lui qui est fils de David, il vient dans sa bonne ville de Nazareth et il doit se contenter d'un abri de fortune. Autre contradiction, il est la vivante parole de Dieu et pour l'heure il est réduit au silence. Autant d'abaissements qu'il faut savoir décrypter parce qu'ils révèlent la manière divine de faire. Dieu ne vient pas à nous dans le faste, la puissance et la gloire. Il vient dans l'humilité, la petitesse et le dénuement. Le sauveur du monde se manifeste dans l'extrême faiblesse. Le salut de Dieu, c'est dans la faiblesse et la petitesse qu'il faut en repérer les signes et ainsi les interpréter. C'est bien pourquoi les bergers se sont rendus à Bethléem. Ils ont voulu voir, voir la chose arrivée, voir ce qui leur avait été dit, pour comprendre ce qui se passait. La foi naît de cette rencontre entre l'événement et l'interprétation qu'on en donne. Oui les bergers entrent dans la foi, parce que croire, c'est laisser la parole transfigurer l'événement en le voyant tel que Dieu le voit. Ils ont d'ailleurs compris ce qui arrivait mieux que ne l'eussent fait les docteurs, les scribes et les maîtres de la loi. Ils trouvent en fin de compte tout naturel que Dieu soit présent dans un enfant. Leur veille les ont préparés au discernement. Ils ne sont pas motivés par l'ambition ou par l'appât du gain. Ce sont des pauvres et ils ont la faiblesse de croire en un Dieu qui se livre à l'homme d'une manière aussi désarmante qu’inattendue. Ce sont des petits, des obscurs, des sans-grades qui sont sur la même longueur d'ondes que le Dieu qui s'abaisse dans ce que l'humaine condition peut receler de plus fragile et de plus précaire. Alors après l'événement, après l'interprétation, je peux passer au troisième temps qui est celui de la proclamation. L'on ne voit bien que si l’on a d'abord entendu. Les bergers se mettent en marche. Ils deviennent porteurs de sens et messagers de la bonne nouvelle. Ce qu'ils viennent de recevoir, ils brûlent de le transmettre. Ils se mettent en route pour raconter tout ce qui leur avait été dit au sujet du nouveau-né. Ils prennent la relève des anges et désormais, ce sont des êtres de chair et de sang qui reçoivent mission de la part de Dieu. Ces êtres terre à terre, issus d'un prolétariat méprisé et rejeté, ne sont propres qu'à ôter tout crédit à la nouvelle. Mais voilà le message convoque des messagers à sa ressemblance. Les premiers destinataires de cet Evangile, ce sont d'ailleurs Marie et Joseph. A celle qui vient de mettre au monde le petit enfant, ils confirment le message que Gabriel avait annoncé à la jeune femme dans la petite chambre de Nazareth. Et cette première étape franchie, voilà qu'ils se remettent en route infatigables et pressés. Il ne sert à rien de rester à la crèche. Non, il faut aller. Ce qui compte désormais c'est d'annoncer au monde qu'aujourd'hui s'ouvre le temps de la paix et de la joie. A cet égard, c'est sans doute cet élément de la proclamation qui est l'événement fondateur de la foi. La proclamation du message de la nativité fait partie du mystère de Noël. Et ce message de Noël n'est pas fondamentalement différent de celui de Pâques, c'est celui d'une vie nouvelle, offerte par Dieu qui ouvre à tous les hommes de bonne volonté les perspectives d'un monde réconcilié et renouvelé. Trois temps : l'événement, l'interprétation et la communication. Ces trois temps nous aident à comprendre ce qu'est la foi. Il s'agit pour nous de voir, de juger et d'agir. Voir : nous sommes invités à ouvrir nos yeux et nos oreilles. La venue de Dieu s'inscrit dans l'histoire de l'humanité. Dieu n'est pas à chercher ailleurs que sur la terre des hommes. Les choses ne se passent plus dans les lieux très hauts, là où résonnent les chœurs angéliques, mais sur la terre des hommes, dans des villes où les foules s'entassent et s'agitent, dans un monde où les pouvoirs s'affirment dans leur entière brutalité, un monde où si l'on est sans ressources, on se retrouve très vite sans toit et sans abri. C'est ce monde-là que Dieu vient visiter et sauver. Mais toutes ces réalités de la vie du monde, des sociétés, des personnes, ce sont des signes. Les signes sont faits pour être interprétés. Nous avons un jugement à porter. Quel est le sens de ces événements ? La foi, c'est le sens que nous donnons à l'événement. La naissance de cet enfant, quelle est finalement sa signification ? De quoi s'agit-il ? D'une fable, d'un conte, destiné à rafraîchir notre âme d'enfant et à nous faire oublier la rigueur et la dureté de la vie, quelques heures durant, à force de champagne, d'illuminations et de cadeaux. Mais au contraire, le cœur intérieurement illuminé par l'Esprit, nous pouvons reconnaître dans le signe de l'enfant, dans tous les signes de la vie de notre monde, la manifestation d'un Dieu qui sans bruit vient travailler et faire lever la pâte humaine. L'action de Dieu est patiente. Il faut laisser du temps à la foi pour qu'elle devienne apte à discerner et à reconnaître. L’évangéliste Luc a d'ailleurs le soin de nous rappeler que Marie conservait toutes ces choses et les repassait dans son cœur. Elle est, tout comme chacun d'entre nous, entrée dans ce long travail de l'apprentissage de la foi. Et puis enfin après l'événement, après l'interprétation, vient le temps de l'action. Il ne s'agit pas de rester à la crèche. Le message divin ne peut rester en l'air, dans un ailleurs resplendissant de la gloire de Dieu. Il doit s'incarner. Les bergers reçoivent vocation et nous aussi. Noël ne prend tout son sens que si nous à notre tour nous nous mettons au travail, si nous nous donnons de la peine, de telle sorte que le message d'une paix sur la terre pour les hommes de bonne volonté ne reste pas un vœu pieux ou un slogan bien-pensant.
Voir, juger, agir et puis peut-être encore célébrer. C'est ce que nous faisons ce jour. Comme les bergers, nous glorifions et nous louons Dieu. Nous ne sommes pas à Bethléem, mais aujourd'hui nous devenons contemporains de l'événement. Animés par la foi, nous rendons grâce d'un cœur empreint de reconnaissance. Car la logique de Noël, tout comme celle de Pâques, est celle de la gratuité d'un don inconditionnel ainsi que de la confiance que nous accordons à celui en qui ce don s’est incarné. Dieu est entré sans bruit dans notre histoire et la première image qu'en reçoivent les hommes est le sommeil d’un innocent. La foi, notre foi, qui naît sur un tas de paille est fidélité et espérance, elle est mémoire des hauts-faits de Dieu et ouverture à l'avenir. Avec nos pauvres mots humains, par nos actes apparemment si limités, nous pouvons annoncer et préparer le règne de la justice et de la paix.
AMEN
Lecture de la Bible
1 En ce temps-là parut un édit de César Auguste, ordonnant un recensement de toute la terre. 2 Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. 3 Tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville. 4 Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléem, parce qu'il était de la maison et de la famille de David, 5 afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. 6 Pendant qu'ils étaient là, le temps où Marie devait accoucher arriva, 7 et elle enfanta son fils premier-né. Elle l'emmaillota, et le coucha dans une crèche, parce qu'il n'y avait pas de place pour eux dans l'hôtellerie.8 Il y avait, dans cette même contrée, des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux. 9 Et voici, un ange du Seigneur leur apparut, et la gloire du Seigneur resplendit autour d'eux. Ils furent saisis d'une grande frayeur. 10 Mais l'ange leur dit : Ne craignez point; car je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d'une grande joie : 11 c'est qu'aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. 12 Et voici à quel signe vous le reconnaîtrez : vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une crèche. 13 Et soudain il se joignit à l'ange une multitude de l'armée céleste, louant Dieu et disant : 14 Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, Et paix sur la terre parmi les hommes qu'il agrée ! 15 Lorsque les anges les eurent quittés pour retourner au ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : Allons jusqu'à Bethléhem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. 16 Ils y allèrent en hâte, et ils trouvèrent Marie et Joseph, et le petit enfant couché dans la crèche. 17 Après l'avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant. 18 Tous ceux qui les entendirent furent dans l'étonnement de ce que leur disaient les bergers. 19 Marie gardait toutes ces choses, et les repassait dans son coeur. 20 Et les bergers s'en retournèrent, glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu, et qui était conforme à ce qui leur avait été annoncé.
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