Expérience humaine, expérience spirituelle

Luc 10:17-24 , Luc 10:1-9

Culte du 20 mai 2018
Prédication de Richard Cadoux

Vidéo de la partie centrale du culte

Tout au long de l’histoire de l’Eglise, on s’est beaucoup querellé au sujet de l’Esprit-Saint. Quelle est sa nature : divine ou créée ? Quelle est son origine : vient-il de Dieu le Père ou est-il donné par le Fils ? Est-il une personne ou une énergie ? Autant de questions qui ont suscité parmi les chrétiens de profondes divisions dont certaines ne sont toujours pas dépassées. Aujourd’hui encore dès qu’on parle de pentecôtisme, de vie charismatique ou de baptême dans l’esprit, les échanges peuvent très rapidement se crisper ! Ce qui finalement est assez navrant, puisque, si nous en croyons l’apôtre Paul, le fruit de l’esprit serait amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi. Parler entre nous de l’esprit et sous la motion de l’esprit devrait nous faire goûter que le royaume est justice, paix et joie. Or cela aboutit parfois à tout le contraire. On gagnerait sans doute alors à faire silence sur l’esprit ! En tout cas, ceux qui se disputent à son sujet devraient se souvenir de ce que saint Basile écrivait au IVème siècle dans son Traité du Saint-Esprit : « Il nous est impossible de donner une définition précise de l'Esprit Saint. »

Et cela nous est impossible, car l’esprit, d’une certaine manière, est insaisissable, incompréhensible, indéfinissable. Un esprit, c’est comme du vent. On ne le voit pas. Il ne se met pas en avant, il ne se donne pas à voir. Au contraire, sans s’exhiber, il révèle et il met en lumière. Il s’efface pour que d’autres que lui entrent en scène. De même, l’esprit ne parle pas. Il n’élève pas la voix. En revanche, il fait parler. Il inspire et il anime. C’est un souffleur d’évangile. Alors qu’on peut se faire une idée, une représentation de ce qu’est un père ou un fils, il est impossible d’enfermer le souffle dans une image ou dans un concept.

Mais s’il est impossible de définir l’esprit, on peut, néanmoins, en parler simplement. Paul Tillich a écrit que l’esprit, c’est Dieu lui-même en temps qu’il est présent, présent en nous, présent dans les groupes humains, présent dans le monde. Oui l’Esprit, c’est une présence. C’est une actualité. Ce n’est pas un simple souvenir. Ce n’est pas non plus une promesse. C’est une présence vivante. Là où est l’esprit, là est la vie. C’est une présence vivifiante qui inspire et qui met en mouvement. Il nous éclaire et il nous dynamise. Il suscite en nous des projets et il nous donne la force de les réaliser. Il est du côté du mouvement, de la créativité et de la liberté.

C’est pourquoi l’esprit nous permet de faire l’expérience du Dieu vivant. On ne peut pas parler de l’esprit saint sans parler de l’expérience spirituelle, de l’expérience chrétienne. Vivre une relation à Dieu, en sa présence, coram Deo, comme disait Luther, n’est-ce pas l’expérience qui est au cœur du croyant ? La bible, d’ailleurs, n’arrête pas de nous rapporter des expériences humaines qui manifestent l’intervention de Dieu et à travers lesquelles Dieu parle à des êtres humains. Certes, quand on parle d’expérience, les « religieux » ont tendance à restreindre l’accueil de l’esprit à ce qui relève de l’univers religieux. Il semble parfois que l’esprit de Dieu est seulement l’esprit de la foi et de l’Eglise, et que l’expérience spirituelle c’est l’expérience religieuse ou l’expérience de l’intériorité. Or si nous reconnaissons l’esprit comme esprit créateur, nous devons admettre qu’il est à l’œuvre dans le monde, dans le cœur de tous les hommes et qu’il ne se laisse pas enfermer dans des catégories religieuses ou confessionnelles. L’esprit saint remplit l’univers, il remplit la vie de tout ce qui est vivant. Finalement il ne s’agit pas de sanctifier une vie qui ne serait pas encore sainte, il s’agit de sanctifier une vie qui est sainte. Alors par expérience spirituelle, j’avance qu’il s’agit d’apprendre à voir et à aimer la vie telle que Dieu la veut et l’aime, c’est-à-dire une vie bonne, juste et belle. L’expérience spirituelle, c’est l’expérience de Dieu au cœur de la vie, au cœur de toute la vie, dans toutes ses dimensions. Alors quels sont les traits dominants de l’expérience spirituelle ? J’en retiendrai quatre.

Premier trait : la joie d’être un vivant. Cette joie qui donne des ailes, qui donne l’envie de chanter, de sourire, de danser, d’embrasser. La joie est, par essence, l’émotion de la vitalité. L’évangéliste Luc souligne que les soixante-douze disciples sont joyeux alors qu’ils sont de retour auprès du Christ, mission accomplie. Et Luc ajoute que Jésus, tout à coup, exulte sous l’action de l’Esprit saint. Exulter, c’est être transporté d’une joie extrême, qu’on ne peut contenir, ni dissimuler. Jésus est joyeux, les disciples sont joyeux. Le premier effet du passage de l’Esprit dans une vie, c’est la joie, une certaine légèreté de l’être. En cet instant précis, Jésus et ses disciples sont dans une attitude de réceptivité absolue, dans une ouverture totale à l’esprit de vie. A l’inverse, quand l’Esprit n’est pas accueilli, le monde et la personne sont dans la tristesse. Quand un être humain centre sa vie sur lui-même, il s’enferme dans une prison, et se prive d’une dimension essentielle à son être. Combien d’hommes et de femmes tombent dans la dépression, le mal-être, le marasme parce qu’ils se meurent, au sens fort du mot, de ne pouvoir briser la gangue qui les empêche d’entrer en relation avec d’autres, avec l’autre ? L’expérience spirituelle, c’est avant tout l’expérience de la sortie de la tristesse et de la mort, du retour à la joie et à la vie. Ce n’est pas pour rien que les récits de résurrection nous parlent avant toutes choses de tombeau ouvert et de pierre roulée. L’esprit a pour mission d’ouvrir des brèches et de frayer des passages. Pour certains, tel Paul sur la route de Damas, c’est une expérience fulgurante. Pour beaucoup d’autres c’est une quête ou une reconquête progressive. Celui qui s’ouvre à l’Esprit et accepte de l’accueillir, ou celui qui bénéficie de l’immense grâce d’une irruption gratuite de l’Esprit en sa vie, expérimente une joie et une paix profondes, une douceur de vivre jamais goûtée. L’Esprit fait ainsi de nous des vivants. Oh bien sûr, cette expérience, elle est mise à l’épreuve. A certains moments, cette joie, elle court le risque d’être submergée, engloutie. Cette joie, dont le Christ nous a assuré que nul ne pourrait nous la ravir, il arrive qu’elle soit mise en péril. Il faut savoir que nous portons ce trésor de la joie de Dieu dans le vase d’argile de notre humaine précarité. Et à certaines heures, il importe de se dire et de se répéter avec le psalmiste que ceux qui sèment dans les larmes finissent par moissonner avec des chants de joie. La joie, ça va et ça vient. Alors attends avec patience la prochaine livraison. Premier critère donc : la joie d’être vivant.

Deuxième critère : une intelligence nouvelle, un regard renouvelé ou nouveau sur les êtres et les choses. Cette intelligence nouvelle elle est aussi source de joie et de paix. Les disciples voient. Ils voient que les forces du mal sont endiguées. Jésus voit, lui aussi. Il voit ce que ne voient pas ceux qui ne regardent pas plus loin que le bout de leur nez. Il voit que Dieu, son père, est vainqueur. Le projet de Dieu est accompli. Il voit le terme de l’histoire. Il l’anticipe : le Satan tombe comme l’éclair. Les forces du mal sont terrassées. Il voit le nom des élus inscrits dans les cieux. Le dessein de Dieu est un projet de réconciliation et de communion universelle. Jésus voit que l’amour l’a emporté sur la mort. Il est certain de la victoire finale de Dieu. Il voit encore l’œuvre de Dieu en cours de réalisation. Il voit le ministère fécond de ses disciples et il se réjouit de leur joie. Le grand jour est arrivé. Dieu est à l’œuvre en cet âge. L’Esprit-Saint nous fait entrer dans l’intelligence des choses qui plaisent à Dieu. Il nous fait voir les choses comme le Christ les voit. C’est ce qui se passe à la Pentecôte. Pendant leur vie aux côtés de Jésus, les disciples avaient souvent une compréhension limitée de ses gestes et de ses paroles. Après la Pentecôte ils perçoivent le sens caché de l’Ecriture et ils reçoivent une force tranquille pour annoncer que Christ est ressuscité alors que, peu auparavant, ils étaient enfermés, morts de peur, au cénacle. Dans la vie, on peut ne voir que les ombres et les échecs, les ratages et les dérapages. L’esprit nous fait voir la réalité dans la lumière de Dieu. Les " faits " restent les mêmes, mais les yeux de la foi les replacent dans un cadre plus large, plus profond qui est celui de l’émergence du royaume. D’ailleurs, à ce moment-là, le Christ proclame une béatitude, elle est pour nous : heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! Oui heureux ceux qui savent voir les choses dans la clarté de Dieu, leur cœur et leur intelligence en seront illuminés. L’expérience spirituelle, c’est appliquer la grille de lecture offerte par Dieu à la réalité complexe et troublée de notre monde.

Troisième critère, qui est paradoxalement lié au précédent. L’ouverture à l’Esprit qui renouvelle notre intelligence et qui nous fait voir le fond des choses, le dessous des cartes, nous fait aussi prendre en compte le réel. L’expérience spirituelle conduit à reconnaître le tragique de l’existence et la souffrance des hommes. Elle ne ferme les yeux devant aucune douleur ni aucune injustice. Elle prend tout, elle retient tout. Voilà un critère d’une grande pertinence à l’heure où fleurissent tant de spiritualités complètement désincarnées. L’esprit n’est pas donné pour nous faire planer. L’esprit ne souffle pas pour emmener ses fidèles dans des rêveries cosmiques, des mondes magiques ou des paradis artificiels. Non l’esprit-Saint est le maître du réel. Jésus confronte ses disciples à la réalité. Il les envoie dans un monde qui grouille de serpents et de scorpions. Il les envoie en mission, non pas comme des troubadours de l’insouciance, des ménestrels de l’amour et de l’eau fraîche, mais comme des ouvriers qui vont se donner de la peine. Ils vont enseigner des esprits lents à croire et sans intelligence. Ils vont apporter des soins à tous ceux qui souffrent. Ils vont tenter de repousser les forces du mal. Jésus sait bien que ceux qu’il appelle et envoie rencontreront des difficultés. Ils n’auront pas forcément les moyens de leur mission. Ils auront faim et soif. Ils vont en « baver ». Ils feront l’expérience de l’hostilité et du rejet. Ils seront comme des agneaux au milieu des loups. Parfois on leur fera bon accueil et à d’autres moments on leur claquera la porte au nez. L’esprit ne nous conduit que sur les voies concrètes et réelles de la vraie vie, loin des pays de cocagne et des mondes imaginaires. L’esprit nous conduit à dire oui à la vie telle qu’elle est. Ce oui au réel est un passage obligé pour gouter la vie dans ce qu’elle peut avoir de plus âpre. Car ensuite l‘enracinement dans la réalité incarnée conduit ceux qui sont conduits par l’esprit de Dieu à vouloir transformer ce monde, à travailler le réel pour qu’il soit plus conforme au rêve de Dieu. L’Esprit est un esprit d’entreprise. Il ne nous installe pas dans la passivité. Il suscite en nous des énergies, pour le travail, pour l’œuvre, pour l’action.

Quatrième critère de la vie dans l’Esprit, c’est la remise de soi dans la confiance. C’est l’attitude des disciples qui viennent rendre compte de leur activité à Jésus et qui s’émerveillent du fruit qui a été produit. C’est l’attitude profonde du Christ qui loue ce Dieu qu’il appelle son père. Jésus rend grâce à Dieu. Il remercie Dieu de s’être révélé aux petits et il remercie Dieu pour la communion qui existe entre eux deux. Jésus sait sur qui il peut compter. Il n’est pas seul dans la vie. En cet instant précis, il en fait l’expérience et c’est pour lui bouleversant. Sa joie et sa paix qui s’expriment dans la prière naissent de cet accord profond avec Dieu. Il y a une plénitude en Jésus à ce moment-là. Il prend conscience qu’un autre se communique à lui. C’est cela aussi l’expérience spirituelle. C’est découvrir que la vie n’est pas forcément un casse-tête ou un parcours d’obstacle que je devrais m’efforcer de mener en y mettant toute mon énergie, toutes mes ressources. Ce que me souffle Jésus, c’est que la vie est avant tout confiance en Celui qui la mène et qui veut la faire « reposer sur des prés d’herbe fraîche ». Jésus me souffle que Dieu est comme un berger, que grâce à lui que je ne manque de rien, parce que justement je ne suis plus le propriétaire anxieux de mon existence. Ce que nous dit aussi Jésus, c’est que Dieu place sur notre route des parents, des amours, des maîtres, des amis, des compagnons et des frères qui sont autant de médiateurs de cette confiance. Il est vrai que l’entrée en relation avec autrui est toujours une prise de risque, le risque de la déception. Mais vivre dans la confiance, c’est accepter d’être déçu et c’est savoir dépasser ce genre de déceptions. Vivre cette confiance en soi, en les autres, en Dieu est une question de survie, une question de vie. Il n’y a pas de vie sans confiance.

Alors voilà les quatre aspects de l’expérience spirituelle ; l’amour de la vie, un regard neuf sur le monde, l’acceptation du principe de réalité, la confiance. Et cela contre l’instinct de mort, contre l’habitude, l’idéalisation et la méfiance. On peut confesser la foi et ne rien vivre de tout cela. On peut aussi vivre tout cela sans confesser la foi. De la sorte, faire l’expérience spirituelle, c’est finalement être présent à ce que l’on est en train de faire, attentif aux autres, curieux et ouvert à ce qui nous entoure, nous touche et nous affecte. C’est discerner ce qui est bon pour nous. C’est s’accepter soi-même, s’aimer un peu, en réalisant que nous sommes appelés à une vie libre et responsable, sans pour autant être accablés par cette responsabilité. Car dans cette expérience nous reconnaissons que notre vie est renvoyée en harmonie à quelque chose qui la dépasse. On ne décrète pas la joie et la confiance. On n’en est pas les maîtres et les ordonnateurs. En accueillant l’esprit, nous reconnaissons que nous recevons d’ailleurs et d’un autre la lumière qui éclaire notre vie et la force qui l’anime : nous ne les produisons pas et nous ne les possédons pas. Nous n’en sommes ni les maîtres, ni les propriétaires. Nous sommes ainsi débarrassés du fardeau de tout contrôler, de tout posséder, de tout maîtriser. Nous sommes invités à l’action libre et créatrice et nous reconnaissons en même temps que c’est l’esprit qui porte en nous son fruit. Pour une vie libre et responsable, une vie joyeuse et confiante. Une vie dans l’esprit. Cet esprit que nous attendons, en ce jour de fête, il nous reste à l’invoquer. Qu’il vienne en nos cœurs et alors nous pourrons naître ou renaître à une vie nouvelle, pour aujourd’hui et pour demain, à la grâce de Dieu et nous découvrirons ainsi que nous ne sommes pas des êtres humains appelés à l’expérience spirituelle, mais que nous sommes des êtres spirituels appelés à une expérience humaine, passionnément humaine, véritablement humaine !

Amen

Lecture de la Bible

Luc 10/1-9
1 Après cela, le Seigneur en désigna soixante-douze autres et les envoya devant lui, deux à deux, dans toute ville et en tout lieu où lui-même devait se rendre.
2 Il leur disait : La moisson est grande, mais il y a peu d'ouvriers. Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers dans sa moisson.
3 Allez ! Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.
4 Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin.
5 Dans toute maison où vous entrerez, dites d'abord : « Que la paix soit sur cette maison ! »
6 Et s'il se trouve là un homme de paix, votre paix reposera sur lui ; sinon, elle reviendra à vous.
7 Demeurez dans cette maison-là, mangez et buvez ce qu'on vous donnera, car l'ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.
8 Dans toute ville où vous entrerez et où l'on vous accueillera, mangez ce qu'on vous offrira,
9 guérissez les malades qui s'y trouveront, et dites-leur : « Le règne de Dieu s'est approché de vous. »

Luc 10/17-24
17 Les soixante-douze revinrent avec joie et dirent : Seigneur, même les démons nous sont soumis par ton nom.
18 Il leur dit : Je voyais le Satan tomber du ciel comme un éclair.
19 Je vous ai donné l'autorité pour marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la puissance de l'ennemi, et rien ne pourra vous faire de mal.
20 Cependant, ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux.

21 A ce moment même, il fut transporté d'allégresse, sous l'action de l'Esprit saint, et il dit : Je te célèbre, Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que tu as caché ces choses aux sages et aux gens intelligents, et que tu les as révélées aux tout-petits. Oui, Père, parce que tel a été ton bon plaisir.
22 Tout m'a été remis par mon Père, et personne ne sait qui est le Fils, sinon le Père, ni qui est le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils décide de le révéler.

23 Se tournant vers les disciples, il leur dit en privé : Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez !
24 Car je vous dis que beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que, vous, vous regardez, et ils ne l'ont pas vu ; ils ont voulu entendre ce que vous entendez, et ils ne l'ont pas entendu.

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