Sommaire du N° 830 (2024 T1+T2)

DOSSIER : Plaidoyer pour nos pasteurs en paroisse

« Malheur à moi si je n'annonce pas l'Évangile »
(1 Corinthiens 9, 16)

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Éditorial par Aurore Saglio-Thébault, présidente du Conseil presbytéral

Le protestantisme et ses pasteurs, une belle histoire bientôt finie ? publiait Bernard Reymond, professeur de théologie pratique à Lausanne en 2007 alors que son collègue parisien, le regretté Raphaël Picon, sortait : Ré-enchanter le ministère pastoral, fonctions et tensions du ministère pastoral... [lire la suite]

Plaidoyer pour nos pasteurs en paroisse [cliquer ici ou sur chaque titre pour accéder à l'article]



Préambule au dossier : Les contributions synodales de notre C.P.

4
Pasteur, un ministère cohérent, par la pasteure Béatrice Cléro-Mazire

6
Pasteur : chef d'orchestre en paroisse, par André Gounelle 

8
De la liberté du Protestant, par Bernard Reymond
9
Pasteur, un ministère dûment formé et ancré dans l'expérience paroissiale, par Bernard Reymond
10
Plaidoyer pour la théologie, Rapport de la Commission des Ministères du Synode National 2023
11
On ne peut pas être pasteur sans être théologien, par Raphaël Picon
11
Tous prêtres et non tous pasteurs !, par la pasteure Florence Bondon
12
Pasteur, l'exigence d'un ministère d'écoute, par Thomas Bouvatier, psychothérapeute
13
Les études de théologie, un incontournable, par la pasteure Agnès Adeline-Schaeffer
14
Quand les Conseillers presbytéraux se découragent voire renoncent
16
Imams, curés et pasteurs, par André Gounelle
17
Apôtres en actes : retours sur le 2nd semestre 2023
[se rapporter au pdf de la Feuille Rose et cliquer sur les liens pour des compléments d'information]


Les Journées européennes du patrimoine

18
Actualiser la théologie libérale [voir aussi ici]

20
Susciter les vocations : l'éducation biblique

22
Protéger & Valoriser notre patrimoine tout en préservant nos finances

24
Dans nos familles - le Carnet

26
L’agenda du premier semestre 2024
28
Les contacts
35

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Dossier du mois
Plaidoyer pour nos pasteurs en paroisse

Éditorial

par Aurore Saglio Thébault, présidente du Conseil presbytéral de l'Oratoire du Louvre

Le protestantisme et ses pasteurs, une belle histoire bientôt finie ? publiait Bernard Reymond, professeur de théologie pratique à Lausanne en 2007 alors que son collègue parisien, le regretté Raphaël Picon, sortait Ré-enchanter le ministère pastoral, fonctions et tensions du ministère pastoral. Des alertes sur la situation de nos pasteurs en paroisse, il y en a eu de nombreuses et pourtant leur situation ne cesse de se détériorer ; nous en sommes tous responsables, voire même complices en laissant faire croire notamment que nous pourrions nous en passer au nom d’un sacerdoce universel dévoyé et d’un faux procès en intellectualisme. Comme si nous avions oublié le b.a.-ba de notre ecclésiologie luthéro-réformée ou, pire, la répudiions ?

                               Si nous sommes tous prêtres, rappelons que nous ne pouvons pas tous être pasteurs pour la simple et bonne raison qu’un pasteur luthéro-réformé est d’abord un théologien dûment formé et discerné. Le principe du Sola Scriptura (l'écriture seule) n’a jamais jeté aux orties les études théologiques mais affirmé, bien au contraire, qu’on ne peut pas se contenter d'une lecture naïve et impressionniste des Écritures (pour mémoire, la réforme luthérienne part d'une université et pour Calvin, « l’Église est une École »). Rappelons également que nos pasteurs de paroisse ne sont des serviteurs ni de l’Église ni de la communauté mais de la parole divine (Verbi Divini Minister). Ils doivent jouir à ce titre d’une liberté d’initiative pour exercer leur ministère et c’est ce qui justifie d’ailleurs qu’ils ne soient pas soumis au droit du travail. Certains paroissiens l’oublient parfois, tout comme des ministres devenus « Président » (ou équivalents) qui se pensent en « supérieurs hiérarchiques » de leurs collègues de paroisse alors qu’ils ne sont qu’administrateurs et ne devraient plus à cet égard revendiquer le titre de « Pasteur ». Notre organisation aussi interroge : alors qu’elle doit reposer sur la collégialité des décisions et la pleine participation des laïcs, toutes nos instances (à l’exception des Conseil presbytéraux depuis 1969) sont encore présidées par des ministres du culte dont elles absorbent de plus en plus de temps plein comme si ces instances devenaient un passage obligé pour faire « carrière ». Qu’on s’étonne après que près d’une centaine de nos postes de pasteurs en paroisse ne soit pas pourvue…

                               Est-ce une fatalité ? Non ! Nous avons d’ores et déjà assez de pasteurs pour pourvoir nos postes vacants en paroisses, assez de moyens pour cesser de les payer au lance-pierre et assez de bénévoles laïcs compétents pour veiller à la bonne administration de nos institutions. En revanche, avons-nous la volonté d’être fidèles à l’ecclésiologie luthéro-réformée qui n’a jamais prétendu « faire du nouveau » mais qui a seulement voulu ramener l’Église sur le chemin dont elle n’aurait jamais dû s’écarter ? Celle qui voit dans la communauté locale le lieu où l’Église se produit et seulement, de manière seconde et subordonnée, une institution,  contrairement à celle des catholiques dans laquelle le corps épiscopal prime ou à celle des évangéliques dont la mission est de convertir. N’est-il pas temps de réaffirmer que notre Église n’a besoin ni d’« Évêques », ni d’« Influenceurs » mais de pasteurs dûment formés et rémunérés dans toutes nos paroisses ? N’est-il pas temps de « vivre en apôtre », comme nous y encourageait récemment en chaire la pasteure Béatrice Cléro-Mazire et « de poser ainsi les actes que l’espérance nous commande de faire, même quand ils semblent désespérés, même quand le plus grand nombre nous suggère que tout cela est vain » ?


Préambule au Dossier : Les contributions synodales de notre C.P.

                « Dans la Feuille Rose n°826, nous avions publié notre contribution au premier des trois synodes annuels dédiés au thème « la mission de l’Église et les ministères ». En cette dernière année de réflexions synodales, nous avons, en amont du synode, commenté les orientations envisagées :

                « Dans une démarche presbytéro-synodale, nous estimons que le renouveau de l'Église doit s'inscrire d'abord dans l'élan donné aux églises locales. L'église locale repose sur 3 composantes indissociables : une communauté, un temple, un pasteur. Seule l'animation, conduite par un théologien à l'aptitude reconnue et validée par un parcours universitaire complet en théologie peut permettre à une communauté de s'épanouir dans un lieu depuis lequel rayonner. Nous entendons manifester notre inquiétude devant la tentation de confier des tâches relevant aujourd'hui du ministère pastoral à des animateurs qui ne disposeraient pas d'une formation théologique approfondie. Celle-ci est nécessaire pour asseoir une prédication, une annonce de la Parole de Dieu qui soit forte et questionnante et invite chacun à la réflexion indispensable pour partir à la rencontre, dans nos vies, du Dieu de Jésus-Christ. Le nombre de postes de pasteurs vacants en paroisses témoigne d'une crise réelle. Pour y remédier, une réflexion approfondie sur le ministère pastoral doit être conduite dans notre Église. Il s'agit, pour nous, de la première des priorités. Une réévaluation sensible de la rémunération des pasteurs en paroisse est une condition indispensable de la rénovation de leur ministère. […] Nous demeurons convaincus que l'Église Protestante Unie doit consacrer ses forces et ses ressources à la croissance des églises locales, seuls lieux où la parole est annoncée et les sacrements célébrés. Cela doit conduire à faire preuve de prudence devant la tentation d'accroître le nombre, le rôle et les effectifs des structures de notre Église, notamment régionales, très consommatrices de moyens, leurs bienfaits pour les églises locales sont parfois difficiles à discerner quand elles ne deviennent pas des lieux de pouvoir et d'ambition ».

                               Au cours du synode régional, nous avons à nouveau plaidé pour une gestion transparente, équitable et raisonnable de notre « direction » régionale dont les frais s’élèvent à 444 455 € pour 2024 (en hausse de 10,2% suite à la création d’un poste « communication » alors même que cette fonction est déjà assurée au niveau national). Ainsi, la structure de nos 9 « directions régionales » nous coûte chaque année près de 2 Mio € en sus des 3 Mio € nécessaires aux services et frais communs du niveau national (à titre de comparaison, le budget Institut protestant de théologie (IPT), pourtant primordial dans notre ecclésiologie luthéro-réformée, est de 1,2 Mio €). Sur les 16 Mio € de contributions (« cibles ») que nos paroisses remontent chaque année « pour financer nos pasteurs », la moitié seulement leur est vraiment dédiée (rémunérations, formations, retraites, etc, …). Aussi, avec le soutien de nombreuses paroisses,  nous avons présenté et fait approuver le vœu suivant :     « Alors qu’il est question de rémunérer à l’avenir de nouvelles formes de ministère, le Synode régional, réuni à Paris du 10 au 12 novembre 2023, demande au Conseil National de revoir significativement à la hausse la rémunération pastorale et de réunir une équipe d’experts financiers et juridiques pour réfléchir aux économies et aux réformes qui pourraient être engagées dans ce but ».

                               Non soumis au droit du travail et malgré 5 ans d’études supérieures et 2 ans de stage, les pasteurs de l’EPUdF sont rémunérés 1 346 € bruts en début de carrière et 1 682 € bruts en fin de carrière. Pour mémoire, le SMIC en France est de 1 767 € bruts mensuel pour 35 heures par semaine. Les pasteurs en paroisse n’ont qu’un jour de congé hebdomadaire et 7 semaines de congés annuels mais, dans les faits, ils sont rarement en capacité de les prendre. Pour se donner bonne conscience, on mentionne qu’ils sont logés mais, quand ils font le choix de ne pas l’être, ils ne reçoivent que 403 € supplémentaires. De fait, le traitement de nos pasteurs ne leur permet pas de subvenir aux compléments de soins, aux études d’une famille, etc. ; il ne leur permet pas non plus d’emprunter pour s’acheter un logement pour leur retraite, ultra minimale et proratisée au temps de service (une pasteure vient d’apprendre qu’elle ne touchera pas de complément de retraite après 20 ans de ministère !). À l’heure où 94% des pasteurs proposants sont des reconversions professionnelles et où la moyenne d’âge du premier poste est passé en dix ans de 29 ans à 46 ans, il y a vraiment de quoi se mobiliser.
 
                S’agissant du manque de pasteurs en paroisse, plus d’une centaine de postes ne sont pas pourvus, soit un taux de vacance de 27%. Cette carence n’est pas nouvelle : en 2013, à la création de l’EPUdF, ce taux était déjà de 25% mais le nombre de postes en paroisses ayant diminué de 10% depuis, il n’aurait pas dû s’aggraver. Ce qui est nouveau en revanche et très insidieux, c’est l’inflation du nombre de pasteurs affectés en « directions » régionales : ils ont augmenté de 35% depuis 2013. Au niveau national, cette inflation est moindre mais significative (+22%). En revanche, elle n’est que de 7% à l’IPT. Aussi, au lieu de donner la priorité aux deux ministères prévus par la Réforme (pasteur en paroisse et docteur enseignant), nous affectons nos théologiens à des postes d’administration que des laïcs devraient assurer bénévolement. Étonnamment également, alors même que nos paroisses manquent cruellement de pasteurs, notre institution détache 23% d’entre eux dans des entités hors EPUdF. Ainsi, sur 411 ministres et proposants que compte l’EPUdF au 1er octobre 2023, seulement 232 sont affectés dans nos paroisses et 16 à l’enseignement.
 
                Ne pensons donc pas qu’il est impossible de doter toutes nos paroisses d’un pasteur dûment formé et rémunéré. Encore faut-il faire des arbitrages budgétaires et arrêter ce cercle vicieux qui consiste à donner l’impression que nos pasteurs ont vocation à « faire carrière » au sein de nos institutions au lieu de rester auprès de nous pour annoncer la Parole et susciter des vocations et/ou soutiens (alors que l’EPUdf a perdu près de 23% de ses donateurs en 10 ans, rappelons aussi qu’un poste pastoral pourvu, c’est plus de rentrées financières).


Pasteur, un ministère cohérent

par la pasteure Béatrice Cléro-Mazire

            À l’heure où l’Église protestante unie de France pourvoit difficilement au besoin de pasteurs et cherche les solutions adéquates à la pénurie, le ministère pastoral est de nouveau interrogé dans sa légitimité comme dans la forme de son exercice. Devant la peur du vide, on accuse le ministère pastoral d’être obsolète dans une société des loisirs et de la communication où la simplicité des messages et la flexibilité des engagements donnent le ton dans les églises mêmes. Trop exigeant : cinq années d’études et deux ans de stage en paroisse ; trop intellectuel : avec sa formation académique en histoire, en philosophie, en langues anciennes et modernes, en dogmatique et en herméneutique ; trop clérical avec son engagement personnel basé sur la vocation intérieure et sa reconnaissance par les communautés ; trop mesuré : avec sa propension à prendre en compte la complexité du monde sans se résoudre à simplifier les problèmes individuels et sociaux de notre temps ; trop invisible, avec sa pudeur et sa confidentialité qui ne l’enjoignent pas à s’exposer tous azimuts sur la place publique ; trop dubitatif, avec sa recherche constante d’une vérité qu’il ne prétend pas détenir seul. Le ministère pastoral est surtout vu comme pas assez prosélyte et pas assez conforme aux codes de communication de notre époque, comme si la communication pouvait suffire à annoncer l’Évangile aujourd’hui.

            La tentation de nos synodes est de simplifier le problème de pénurie et de revoir nos ambitions à la baisse. Nous aurons bientôt, et nous avons sans doute déjà, dans notre Église, des ministères d’évangélistes formés à la théologie en deux ans et bénéficiant de formations ad hoc proposées par les professionnels de la mission. Notre Église pourrait bien alors devenir organisatrice de spectacles pour un public en mal d’émotion. Mais, ce qui fait la valeur du ministère pastoral tel qu’il a été pensé par les réformateurs et adapté par notre Église à chaque époque, c’est qu’il travaille sur le sens sans s’arrêter à l’émotionnel, c’est qu’il pense l’existence sans proposer du prêt à penser, c’est qu’il arrive à être instructif, sans être prescriptif, c’est qu’il annonce la bonne nouvelle de la grâce de Dieu en Jésus Christ à tous, sans présumer des formes qu’elle prend dans la foi de chacun.

            Alors, pour arriver à une telle souplesse dans l’exercice du ministère, il faut une épaisseur de savoirs, de savoir-être et de savoir-faire qui ne se résume pas en deux années de formation accélérée en théologie ou en missiologie. La cohérence du ministère pastoral dans son ensemble requiert cette exigence qu’a voulue notre tradition d’Église de pasteurs à plein-temps, engagés complètement dans cette aventure passionnante qu’est l’apostolat. De sorte que les différentes activités du pasteur se répondent les unes aux autres et se nourrissent entre elles. Pas de prédication du dimanche sans entretiens pastoraux ou de visites dans la semaine, pas d’écoute adaptée sans lectures théologiques et bibliques méditées et assimilées, pas de communication riche sans une culture générale sans cesse entretenue. Pas de paroles de bénédiction recevables dans les actes pastoraux (baptêmes, mariages, actions de grâce) sans écoute attentive des récits de vie de nombreuses personnes et dont la multiplicité et la singularité ont pour effet de nous faire sortir de la morale chrétienne pour tous, pour nous élever vers l’Évangile de la grâce pour chacune et chacun. « Un pasteur est un apôtre », disait le théologien Von Allmen, envoyé vers celles et ceux qu’il ne connaît pas encore ; il ne peut être remplacé par un membre de la communauté locale, aussi exigeant soit-il dans son service, sans perdre du même coup sa fonction prophétique. « Un pasteur est un herméneute » comme le disait le théologien Dubied, mais pour l’être il a besoin de confronter des textes bibliques à l’expérience polymorphe du ministère, de l’aumônerie à la célébration, de l’écoute à la proclamation, de la convivialité à la solennité, de l’intimité de la méditation au risque de la parole publique. Pour être loyal envers son engagement et fidèle à sa vocation, le pasteur a besoin d’avoir été transformé longtemps et de savoir qu’il est engagé personnellement, non pas d’abord parce que cela lui plaît, mais parce que cela constitue le cœur même de sa cohérence intime, lien vital entre sa foi et sa vie. C’est de cette cohérence que découlent son autorité et la confiance qu’il inspire à ses contemporains.

            Attention donc à ne pas trop vite croire que, parce qu’on embauchera des hommes et des femmes de bonne volonté pour faire fonction de pasteur, ils le deviendront. L’autorité, c’est-à-dire ce qui autorise le pasteur à l’être, relève de tant de facteurs croisés et complémentaires, qu’elle ne souffre pas la simplification en une mission d’évangélisation. Les « ministères de remplacement a minima » que notre Église semble voir comme des solutions pourraient bien devenir un problème plus important que celui de la pénurie pastorale. En effet, il en va de la légitimité sur laquelle celles et ceux qui cherchent un chemin spirituel peuvent ou non s’appuyer pour fonder leur confiance.


Pasteur : chef d'orchestre en paroisse

par André Gounelle

Je compare parfois l’Église à un concert. Un concert, c’est le moment où de la musique retentit et se fait entendre. De même, l’Église est le moment où l’évangile est annoncé (par la prédication et les sacrements, précisent les textes réformateurs) et entendu. L’Église est un événement (un happening dirait-on en anglais), pas une institution.

Le catholicisme a tendance à insister sur l’orchestre, autrement dit sur le clergé et spécialement sur l’évêque : « là où est l’évêque, là est l’Église » dit une formule souvent citée. Il considère qu’héritiers des apôtres, les évêques sont les dépositaires de l’ecclésialité et la transmettent en quelque sorte aux prêtres et aux fidèles. Les radicaux ou evangelicals ont tendance à mettre l’accent sur l’auditoire ; selon eux, les fidèles rassemblés et regroupés constituent l’Église. Les luthéro-réformés, pour leur part, ont tendance à privilégier la musique, autrement dit l’annonce de l’évangile.

Bien sûr, il ne peut y avoir de concert sans orchestre, sans public et sans lieu ni horaire. De même, nous avons besoin d’institutions ecclésiales pour organiser l’annonce et l’écoute de l’évangile. D’un point de vue protestant, ces institutions ne sont cependant pas l’Église ; elles sont des instruments à son service, plus précisément au service de la proclamation de la Parole et de la foi des croyants.

L'institution ecclésiale ne doit donc pas s'accorder une valeur démesurée. Elle ne constitue pas un magistère (elle ne commande rien), mais un ministère (c'est-à-dire un service). Elle n'a pas son sens et son but en elle-même. Elle n’est pas la finalité, l'objectif mais un moyen, un outil. Elle a à prêcher l'évangile, elle n'a pas à se prêcher elle-même.   Les « autorités » ecclésiales, régionales, nationales, voire internationales, représentent des superstructures qui répondent à des besoins pratiques, mais non à des nécessités théologiques. Il importe au premier chef qu’elles demeurent en communion avec les communautés locales qui sont le lieu où l'Église, proprement dite, se produit et où réside l’ecclésialité au sens strict. Dans cette perspective, il serait préférable de dire les Églises Protestantes Unies de France plutôt que l'Église Protestante Unie de France.

Rappelons enfin, ce qu’écrit Martin Luther : « C'est le ministère de la parole qui fait le pasteur [...] Celui qui ne prêche pas la parole [...] n'est en aucune manière pasteur ». En protestantisme, on ne devrait pas continuer à appeler « pasteur » un ministre qui exerce d'autres fonctions (de même l’administrateur d’une salle de concert n’est pas, à strictement parler, un musicien, même s’il est au service de la musique).

L’Église, ainsi comprise, représente un des temps de la vie chrétienne et non sa totalité. Elle en est le moment fondamental, celui de la rencontre avec la Parole ; d’autres temps suivent : celui du service, celui du témoignage. La foi se nourrit de l’écoute de la Parole ; elle se pratique dans le monde, en dehors et non au sein de la communauté ecclésiale.


De la liberté du protestant

par Bernard Reymond

Le protestantisme et ses pasteurs, une belle histoire bientôt finie ?, Labor et fides, 2007
 
« Le réformateur s’est bien gardé d’affirmer comme l’aurait fait la tradition catholique que le pasteur serait un berger in persona Christi ; la figure du berger implique l’idée de l’utilité et de la nécessité de cette fonction pour le bien-être du troupeau. Peut-on encore se permettre de comparer les fidèles à un troupeau, qui plus est, de moutons ? Les protestants aiment, à juste titre, se targuer d’un état d’esprit qui justement les incite à ne jamais s’en remettre les yeux fermés à quelques conducteurs ou bergers que ce soit. Cela dit ne nous laissons pas prendre au piège du vocabulaire ; Zwingli eût été entièrement d’accord avec nous sur ce point, lui qui n’a pas hésité à s’en prendre vertement aux faux bergers voire aux loups ravisseurs qu’étaient devenus à ses yeux le pape et bien des évêques*. Le protestantisme a fini par bien apprendre la leçon même si elle fut parfois longue à entrer dans les faits : un protestant reste libre de ne pas être d’accord avec son pasteur voire avec le synode de son Église et refusera toujours de le suivre les yeux fermés car le seul vrai berger dans cette perspective n’est jamais à proprement parler son pasteur de paroisse ou de secteur mais le Christ. »

*Gare alors aux faux bergers qui, loin de faire paître fidèlement le troupeau que Dieu leur a confié, se comportent comme des loups dans la bergerie : « Si le berger ne se présente pour craignant Dieu que par de nombreuses messes et l’aspect extérieur de ses vêtements et de ses mœurs, il peut être avare, licencieux, ivrogne, joueur et les brebis toutes simples pourront s’imaginer qu’il est un berger alors qu’il n’est autre chose qu’un loup ravisseur ». Le Berger de Zwingli - 1523

Pasteur, in ministère dûment formé et ancré dans l'expérience paroissiale

par Bernard Reymond

On ne l’a pas assez remarqué : le premier réformateur spécifiquement « réformé », Ulrich Zwingli, fut d’abord curé de paroisse. Destiné à la prêtrise par sa famille, il bénéficia d’une solide formation aussi bien philosophique et culturelle que théologique. Et c’est au gré de son ministère à Glaris, de 1506 à 1516, qu’il prit de plus en plus nettement conscience de l’incompatibilité entre ce qu’il lisait dans la Bible et les pratiques d’une piété censée acquérir des mérites ou des gages pour le salut éternel. Dès son arrivée à Zurich en janvier 1519, c’est comme curé de sa principale paroisse qu’il prêcha de plus en plus nettement dans le sens de ce qui allait être la Réforme.

Dès le début et tout au long de son épanouissement, la Réforme n’a donc pas été une sorte de nouvelle théorie théologique hors-sol, mais bel et bien le mûrissement d’un message, d’une spiritualité et d’une prédication éclos, telle une nouvelle floraison, sur ce terreau éminemment humain d’hommes et de femmes à l’écoute des Écritures, mais une écoute d’un genre particulier : les fidèles rassemblés pour le culte attendent du ministre qu’il ne se contente pas de leur lire des passages de la Bible en langue vernaculaire et sans autre commentaire, mais qu’il ait étudié ces textes de près pour leur en exposer toute la richesse et la signification ; et le pasteur, de son côté, doit être suffisamment à l’écoute des gens et attentif à leurs préoccupations pour être capable de mettre en évidence le lien entre le message évangélique et ce contexte aussi bien localisé que daté.

On comprend mieux, dès lors, le prix que les Églises de la Réforme ont attaché à la formation de leurs pasteurs. Ils devaient être capables de lire le texte des Écritures dans leur libellé original en grec ou en hébreu, de le faire par eux-mêmes et non en s’en remettant paresseusement à des commentaires, fussent-ils les plus fiables, mais être aussi en mesure d’apprécier le bien-fondé des doctrines censées rendre compte de ce donné biblique, ce qui a impliqué toujours plus nettement des connaissances élargies en histoire des Églises et de leurs doctrines, en philosophie, en littérature, en musique, etc. Tout cela pour les mettre en mesure, une fois sur le terrain, c’est-à-dire en paroisse, de bien monnayer à tout un chacun l’essentiel des Écritures.

Considéré sous cet angle de son enracinement paroissial, le ministère pastoral reste tributaire de la même exigence. Mais quels changements de contexte ! Et quels changements de pratiques ! Ils furent déjà considérables tout au long du XIXe siècle quand l’Église réformée de l’Oratoire prit son essor. Alors aujourd’hui ! Nous ne savons pas ce qu’il en sera, ne serait-ce que d’ici vingt ou trente ans. La physionomie de nos paroisses change plus vite que nous ne nous y attendions, en contexte de minorité confessionnelle comme en contexte de majorité (ça devient criant en Suisse romande). Le nombre de candidat-e-s au ministère pastoral y est de plus en plus restreint. Me voici trop avancé en âge pour être en prise directe sur ce qui est en train d’advenir. Mais de grâce, ne bradons pas à la va-vite les enseignements de l’expérience cinq fois séculaires que fut et que reste l’exercice d’un ministère pastoral ancré dans l’expérience paroissiale !

Plaidoyer pour la théologie

Rapport de la Commission des ministères du Synode national 2023  

« Et si les futurs pasteurs apprenaient leur métier plutôt que de se perdre dans des explorations théologiques qui ne leur sont directement pas utiles lors de rencontres avec des membres d'Église ? Les représentants de la Commission des ministères entendent souvent des remarques comme celles-là.  La Commission des ministères est convaincue de la nécessité de doter les nouveaux ministres d'une solide formation théologique indispensable à leur ministère de prédication et d'enseignement, l'accompagnement humain et spirituel, leur prise du recul et de leur ressourcement. Elle n'est pas loin de faire sienne la pensée provocante du théologien Rudolf Bultmann qui estimait que « moins la théologie fraiera avec les freins pratiques et mieux elle préparera les étudiants à la pratique ».

 

On ne peut pas être pasteur sans être théologien

Raphaël Picon

Ré-enchanter le ministère pastoral, Éditions Olivétan

« Nous assistons depuis quelques années dans les Églises de la Réforme à une inflation théologique du terme de « sacerdoce universel » au point qu'on tend à se servir de celui-ci pour soutenir l'idée d'un ministère qui serait commun à toute l'Église, et parfois pour souligner que le pasteur n'aurait aucun monopole, aucune exclusivité, que tout ce qu'il fait pourrait l'être par un autre. Si nous sommes tous prêtres nous ne sommes pas tous pasteurs…. Nous pouvons aussi interpréter cette notion de sacerdoce universel dans le sens où, lors de la cène, c'est l'ensemble de la communauté, et non le seul prêtre, qui est in persona Christi. […]. En théologie protestante ce n'est pas le prêtre mais l'ensemble des fidèles présents qui est en Christ et in persona Christi. Le pasteur n'est plus celui qui rend le Christ présent mais celui qui prêche et enseigne sa présence. La théologie, comprise ici comme interprétation et explicitation de l'Évangile de cette grâce offerte, devient dès lors la grande affaire du pasteur. L'Église n'est plus le lieu du sacrifice de la messe mais le lieu où est proclamée, racontée, interprétée cette présence de Dieu déjà donnée. Voilà pourquoi dire du pasteur qu'il est théologien n'est en fait qu'un pléonasme : si on peut être théologien sans être pasteur, on ne peut pas être pasteur sans être théologien ».
 

Tous prêtres et non tous pasteurs !

par la pasteure Florence Bondon

« En effet, annoncer la bonne nouvelle n'est pas pour moi un motif de fierté, car la nécessité m'en est imposée ; malheur à moi, en effet, si je n'annonçais pas la bonne nouvelle ! » (1 Cor 9:16)

Ainsi, toutes celles, tous ceux qui ont reçu la bonne nouvelle doivent la partager. Mais cela signifie-t-il que nous serions toutes et tous appelés à devenir ministre de cette Parole ? Ce verset est trop souvent utilisé dans cet objectif. Est-ce bien cela que Paul énonce ? C’est un peu plus complexe.

Si Paul n’a pas fréquenté les bancs de nos Facultés de théologie, il a reçu une solide éducation dans le judaïsme, et il a une très bonne connaissance de la culture grecque. Cela va lui permettre d’argumenter. S’il se réclame apôtre par appel (Rom 1,1), ici, c’est son savoir qu’il utilise pour asseoir son autorité. Lorsqu’il emploie le mot « malheur », il s’inscrit dans la lignée des prophètes. La pensée de Paul se déploie tout au long de ses épîtres. Dans un autre passage (1, Cor 12), il propose de concevoir l’Église comme corps du Christ, qui permet de vivre de nos différences et de nos complémentarités. Il esquisse ce que peuvent être les différents ministères : apôtres, prophètes, enseignants… Évangéliser, oui, mais chacun selon ses dons.

Aujourd’hui, nous avons la mission de partager la bonne nouvelle que nous avons reçue. Parfois nous sommes bien frileux, mais cette annonce fait partie de l’existence chrétienne. L’Église a besoin de tous ses membres. Pourtant, il existe des rôles, des fonctions spécifiques. Nous ne sommes pas toutes et tous appelés à être diacre, conseiller, catéchète, trésorier, pasteur, enseignant... Le protestantisme inscrit dans ses principes fondamentaux le sacerdoce universel. Mais comme l’énonce Martin Luther : « Tous les chrétiens appartiennent vraiment à l’état ecclésiastique. Il n’existe entre eux aucune distinction, si ce n’est celle de la fonction ». Dès l’origine, l’Église protestante sera organisée en différents ministères, avec des responsabilités différentes, en mettant l’accent sur l’importance de la formation pastorale et dont notamment la connaissance approfondie des Écritures. C’est elle qui permet d’appréhender la richesse, la complexité de la Bible, et de ne pas, entre autre, réduire notre argumentation à un seul verset.

C’est la fonction des pasteurs !


Pasteur, l'exigence d'un ministère d'écoute

par Thomas Bouvatier, psychothérapeute

Une question centrale anime la communauté protestante : comment remédier au manque de pasteurs en paroisses ? Une des solutions, en voie d’être adoptée, consisterait à faire intervenir des paroissiens payés pour être formés pendant deux ans dans le but d’accomplir certaines tâches pastorales. L’idée peut paraître intéressante. Elle permettrait une plus grande implication du peuple protestant dans leur paroisse, sachant que les bénévoles y sont aussi de plus en plus rares. Mais, outre le fait que le pasteur risque de se transformer en supérieur hiérarchique, cela soulève un autre problème. On ne peut pas mettre en contact des paroissiens en demande d’aide spirituelle et parfois psychologique avec d’autres paroissiens peu qualifiés en « cure d’âme » (les pasteurs y sont préparés pendant sept ans) et pouvant être, pour certains, tentés par la séduction, le pouvoir ou une grille de lecture évangélique. Évangélisme qui s’active pour proposer ce type de formations, qui comprennent souvent un enseignement psychologique. Même un pasteur n’est pas un psy et un psy lui-même n’est pas forcément bon. On peut faire des études supérieures et ne pas être assez à l’écoute du patient, tenter de le charmer, le dominer, le convertir à telle idéologie ou se fermer à tout autre thérapie. Tout psy doit bien garder à l’esprit sa mission : abaisser les symptômes au point de les rendre vivables, en cherchant objectivement à comprendre leur fonctionnement. Et pour cela, le meilleur outil à sa disposition est le travail qu’il a entrepris sur lui-même, articulé à une connaissance poussée des découvertes dans son domaine, ce qui prend de nombreuses années. 

On peut donc s’inquiéter qu’un petit groupe de personnes,  appelées à accomplir quelques charges pastorales, utilisent des compétences vite acquises, notamment en psychologie, sans requérir ce travail sur elles-mêmes, et finissent par abuser de leur nouvelle latitude d’une manière ou d’une autre. Avant de prendre ce risque et de salarier de nouveaux ministères, ne faudrait-il pas mieux valoriser le statut des pasteurs en paroisse, par exemple, en augmentant leurs traitements ? En menant une enquête pour déterminer les divers obstacles que rencontrent les pasteurs en paroisse dans leur quotidien puis de proposer une série de mesures pour y remédier ?

Les études de théologie, un incontournable

par la pasteure Agnès Adeline-Schaeffer

Je ne serais pas devenue la pasteure que je suis aujourd’hui, sans mes études universitaires. Entrée à la Faculté libre de théologie protestante, à Paris, en 1991, (aujourd’hui IPT) après un parcours scolaire atypique, j’ai passé l’examen d’entrée à la Faculté de théologie, proposé alors par l’École préparatoire de théologie, réservé aux personnes n’ayant pas le Baccalauréat. L’Église accompagne les personnes qui désirent devenir pasteurs, de deux manières : d’une part avec la Commission des Ministères, qui auditionne les candidats sur leur parcours spirituel et sur leur projet d’église, et d’autre part avec la Faculté de théologie, qui s’occupe de la formation universitaire. Toutes les matières enseignées à la Faculté de théologie m’ont été d’une aide précieuse. Elles m’ont ouvert l’esprit d’une manière que j’avais peine à mesurer avant d’y être. 

La Faculté n’est pas une « école pastorale », à proprement parler, en ce sens qu’elle ne forme pas systématiquement des pasteurs. Pendant les trois premières années, qu’on appelle le premier cycle, avec l’examen de licence, le souhait de l’étudiant de devenir pasteur est momentanément mis de côté. Ce qui compte, c’est que chaque personne puisse recevoir une formation générale solide, permettant d’appréhender la question de Dieu et les questions de société, que ce soit dans le contexte de la rédaction des écrits bibliques, puis tout au long de l’histoire, pour arriver à notre contexte actuel. La théologie est une discipline vaste et variée qui aide à l’approfondissement de la foi. Elle permet de découvrir et de comprendre comment celle-ci s’est transmise par l’histoire ancienne du judaïsme et du christianisme, des Pères de l’Église, puis par l’Église universelle, et plus particulièrement par l’histoire moderne et la Réforme. On se plonge également dans la compréhension de la doctrine chrétienne par la dogmatique, ou la systématique, la philosophie qui aide à comprendre les différents courants de pensée, la missiologie, pour comprendre la réception du christianisme dans le monde, l’éthique pour faire le lien entre la religion et la société, sans oublier l’hébreu et le grec pour l’exégèse biblique. C’est au cours du second cycle qui débouche sur la maîtrise, que la Faculté prend en compte le projet ministériel de l’étudiant.

Et la formation s’approfondit sur le rôle pastoral, la formation à la prédication, les accompagnements pastoraux (baptême, confirmation, mariage, décès), avec une accentuation sur la psychologie, l’accompagnement spirituel ou « cure d’âme ». C’est avec mes études que j’ai compris combien la théologie est utile à la fois à l’Église, et à la société, et que tout est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Elle permet d’écouter et d’accompagner les questions de notre temps, elle propose des réponses, pour qu’elles soient discutées, elle offre une réflexion rationnelle de la foi. Elle permet aussi de développer la capacité de chacun à raisonner et à argumenter. Elle permet encore d’élargir les connaissances, sur d’autres disciplines, comme l’histoire de l’art ou de la musique, ou les autres religions. 

La théologie n’empêche ni de croire ni de prier. Bien au contraire, elle permet d’affiner ce que l’on croit. D’ailleurs, ne dit-on pas « faire sa théologie » ? Parce que c’est bien à notre propre discours sur Dieu que nous sommes formés. Penser et croire par soi-même, ça n’a pas de prix. Jamais je n’aurais pu accepter toutes les missions qui m’ont été confiées en Église, sans la base incontournable des études de théologie. Mes études m’ont donné la soif d’apprendre, la joie d’approfondir ce que je connaissais. La formation est adaptée à chaque projet, à chaque type d’engagement. 

En ce qui concerne le ministère pastoral, il me parait évident que des études longues de théologie sont indispensables, ne serait-ce que pour que la prédication dominicale ne s’affadisse pas. Les personnes qui fréquentent l’Église sont en recherche de quelque chose qui les nourrisse en profondeur, qui les aide à aller plus loin dans leur vie. Elles ne se contentent pas d’un discours réducteur. Ce qui fait la force du protestantisme, c’est la formation de celles et ceux qui s’engagent. Il y a toujours eu cette soif d’apprendre, qui est menacée, et peut disparaître, surtout si l’on oppose la foi et la raison. 

C’est le danger qui nous guette, quand aujourd’hui, on propose la création de nouveaux ministères, qui pourraient vite devenir des ministères pastoraux au rabais. L’important, me semble-t-il, c’est de bien former des pasteurs, et de bien les accompagner par la suite. Ils pourront être des pasteurs heureux sur le terrain paroissial, capables de prêcher, d’enseigner la Bible, d’accompagner des situations humaines et des parcours de vie inédits, et d’enfin approfondir des questions spirituelles qui ne manqueront pas de se poser. Les pasteurs en paroisse ne brassent pas de l’air, bien au contraire : ils sont en lien constant avec le concret et la spiritualité de l’être humain dans sa diversité. Avec la vie.

Quand les Conseillers presbytéraux se découragent voire renoncent

Être une conseillère presbytérale sans pasteur

par Antoinette Groeneweg

« En 2020, à l’âge de 28 ans, je  réponds à l’appel et deviens conseillère presbytérale (et déléguée synodale) de la paroisse de Châtillon-Coligny, bien décidée à m’engager et pleine d’énergie. Quelques mois plus tard, le pasteur Amos nous quittait après 7 années passées avec nous. Nous pensions alors n’avoir qu’un an de vacance pastorale à gérer. Nous nous sommes organisés pour assurer les activités, cultes, enseignement des enfants, temps pour les anciens, et avoir une vie communautaire par des rencontres, des temps d’écoute. 

Quatre ans plus tard, je suis fatiguée. De longues discussions en Synode mais jamais sur le sujet des postes vacants, comme si cela n’était pas la priorité de notre Église !  Dois-je me présenter en 2024 ? J’en doute. Quand je repense à un drame que nous avons vécu - une jeune maman de 31 ans qui décédait brutalement laissant 3 enfants derrière elle - et aux mots justes et réconfortants que notre pasteur avait eus pour nous aider à traverser et apaiser notre peine, je sais assurément qu’un pasteur est irremplaçable et le pilier d’une communauté. Notre paroisse a testé le pasteur « référent » comme un temps partiel où tout est survolé faute de temps. Pas d’ancrage, pas de perspective, pas de dynamique. Sans pasteur à plein temps en paroisse, on s’essouffle et on souffre.


Cas de conscience de Bernard Raynaud

président démissionnaire du Conseil presbytéral de la paroisse de Champigny*

« D’autres sujets sur lesquels mes engagements dans l’Église ont été en contradiction avec mes principes : la rémunération et le statut juridique des pasteurs : nos règles internes insistent longuement sur le droit pour les Églises d’employer du personnel sans que ceux-ci n’aient accès au statut de salarié. L’URSSAF et les étonnants allers-retours financiers relatifs aux salaires des ministres entre la région et l’Association cultuelle paroissiale donnent à penser que l’employeur est bien cette dernière. C’est donc le président du Conseil presbytéral qui porte la responsabilité de payer un employé au-dessous du Smic, de valoriser l’avantage en nature du logement à un niveau indécent, réduisant d’autant la retraite des pasteurs, […] de ne pas pouvoir accéder à la prime Macron (il aurait fallu payer les charges sociales m’a t-on dit), de ne pas bénéficier des modes de concertation inhérents à toute société : délégués du personnel ou comité d’entreprise (cela est inutile puisqu’ils sont « pleinement » associés à la direction de leur église …), de ne pouvoir avoir accès au chômage en cas de rupture de  « contrat de travail ». Un fait est certain : si j’avais eu conscience de ces faits avant ma prise de poste, j’aurais refusé celui-ci car ces pratiques sont indignes d’une société française quelle que soit sa nature et encore plus d’une église. […]. Notre organisation ecclésiale aurait-elle oublié de faire profiter ses ministres des améliorations sociales acquises aux paroissiens protestants ? ».

(*) Avec l’accord de l’auteur, extraits de sa longue lettre de démission intitulée : « De la confiance à l’inacceptable, exemple de l’ACREPUF - RP ».


Et, pour ne pas oublier le journal Évangile & Liberté dont nous aurions tellement aimé qu’il soit encore en vie et réagisse aux orientations synodales, nous publions ci-dessous, en conclusion de notre dossier, ce billet d’André Gounelle, paru il y a dix ans, et pourtant plus que jamais d’actualité.

Imams, curés et pasteurs

par André Gounelle

Article paru dans Évangile & Liberté, 4 mars 2014 (lien externe)

« Dans les débats sur la place de l’islam dans notre pays, on soulève toujours le problème de la formation des imams. On souhaite, à juste titre, qu’ils connaissent les règles et les lois qui régissent notre société. Il serait aussi bon qu’ils sachent distinguer entre ce qui dans les croyances, pratiques et coutumes musulmanes est central ou essentiel et ce qui y relève de l’accessoire ou du circonstanciel.
 
Ce souhait ne se limite pas à l’islam. Ne devrait-on pas exiger de tous ceux qui portent dans une communauté religieuse la responsabilité de la prédication et de l’enseignement une formation de type universitaire ? Je trouve assez insuffisante celle donnée par les Grands séminaires ; les curés de paroisse gagneraient à passer par une Faculté de théologie. Il en va de même des pasteurs d’Églises dites « évangéliques » chez qui la piété remplace trop souvent la connaissance et la réflexion.
 
Certes, avoir un bon niveau de connaissance n’empêche nullement de dérailler. Certes, on peut être un excellent prédicateur sans savoir un mot d’hébreu ni de grec. Il n’en demeure pas moins que contre les aberrations qui menacent constamment le religieux, de solides études sont un garde-fou plutôt efficace (ce n’est pas le seul). Les Églises réformées et luthériennes ont eu bien raison de les imposer à tous leurs pasteurs. Cette exigence est bénéfique. Elle n’affaiblit ni la ferveur, ni la consécration, ni l’élan spirituel, mais contribue souvent heureusement à les éclairer. »
 

Conclusion

De grâce, que notre Église continue à avoir la même exigence de formation de nos pasteurs, que l’Institut protestant de théologie et la Commission des ministères restent les passages obligés. Qu’on arrête d’ignorer notre ecclésiologie luthéro-réformée et ainsi de penser que nous pouvons tous être pasteurs et/ou qu’ils auraient mieux à faire que d’être ancrés dans nos paroisses (ou aumôneries) ; qu’ils pourraient être des experts en management, en communication, en gestion, en droit, etc., plus « sachants » que nos laïcs bénévoles dont c’est le métier !