Sommaire du N° 2020 T3

Vous pouvez télécharger le bulletin au format PDF

Dossier du mois
Spécial Dé-confinement



Éditorial
Une pause inattendue

par la Pasteure Béatrice Cléro-Mazire

Un confinement comme celui que nous venons de vivre est une expérience tellement inédite que nous avons mis du temps à comprendre les conséquences qu’une telle pause avait sur nos vies.

Il a fallu d’abord réagir au changement d’espace et de temps que cette pandémie a provoqué en rendant les gestes les plus anodins, dangereux.

Ne pas couper le fil de nos relations humaines, ne pas renoncer à faire communauté, ne pas céder à la fatigue intense que suscite toute adaptation brutale.

Tous ces « ne pas … » ressemblaient plus à des actes de résistance qu’à une véritable volonté de vivre avec cette nouvelle situation subie.

Le temps de réaction étant derrière nous, il nous a semblé nécessaire de passer au temps de la réflexion et de mettre en perspective ce qui nous est arrivé, collectivement et individuellement.

C’est pourquoi nous avons demandé à quatre paroissiens de l’Oratoire de nous aider à comprendre ce qui avait été difficile, créateur ou humainement pédagogique.

Isolement, confinement, distance, crise sanitaire, tous ces mots ont surgi dans nos vies sans que nous puissions nous y préparer, le chercheur des expéditions polaires, le psychiatre et l’éthicien ont accepté de nous aider à penser l’impensable en partageant leurs expériences, mais aussi la poésie qui accompagne leur pratique.

Gageons que ce dossier saura éclairer cet étrange épisode de notre vie.



Confiné volontaire à l’autre bout du monde

par Jean-Claude Hureau

De retour de la pêche   © J.C. Hureau

Être isolé, confiné à l’autre bout du monde, est-ce supportable ? En terre Adélie comme ailleurs dans l’Antarctique, vivre pendant plusieurs mois sans voir le soleil, être soumis à des températures « clémentes » en été (de 0° C. à -10° C.) et relativement rigoureuses en hiver (de -15° C. à -40° C.), est-ce supportable ? Être enfermé sur une île de 800 m de long sur 500 m de large, entourée d’eau de mer en été, de glace en hiver, est-ce du confinement insupportable ? On est loin du kilomètre autorisé en France en mars-avril 2020. Être soumis au vent qui souffle en tempête entre 100 et 200 km/heure, accompagné de blizzard… ! Et nous étions volontaires pour nous soumettre à un tel climat et à un tel isolement ! Non pas pour deux mois, mais pour 15 mois ! En compagnie de 17 hivernants dont nous voyions les mêmes têtes tous les jours, 24 heures sur 24. Eh bien non, nous ne prenions pas cela pour un isolement insurmontable.  Ce confinement que nous avions accepté volontairement était facile à vivre…à condition d’être très occupés professionnellement et de savoir se recueillir et remercier le ciel de nous offrir des spectacles merveilleux : éclat lumineux des icebergs et des glaciers, couchers de soleil aux couleurs éclatantes, depuis les bleus sombres, les oranges lumineux, les rouges chaleureux, les verts surprenants, draperies des aurores australes mouvantes et colorées. Admirer la faune d’oiseaux (manchots, nombreuses espèces de pétrels, skuas), phoques paisibles, toutes ces espèces non craintives ne s’effrayant pas devant la présence des intrus que sont les hommes, c’était un formidable spectacle…du moins pour ceux qui étaient sensibles aux beautés de la nature.
Dans ces conditions, comment réussir à se recueillir en oubliant les difficultés techniques de la vie quotidienne ? Tout d’abord j’avais avec moi Le Livre le plus beau jamais écrit, ma Bible. C’est ainsi que mon père la qualifiait lorsqu’il me l’a offerte juste avant mon départ vers le bout du monde et ce cadeau était important pour lui, car il l’avait achetée en 1917 à l’âge de 16 ans ! Achat remarquable pour quelqu’un qui se disait « hussard noir de la République ». J’ai donc pu me plonger dans des lectures réconfortantes quand je pouvais m’isoler, prier et échapper aux brouhahas de mes compagnons de vie, à leurs discussions superficielles, souvent « légères ». Comme mon « laboratoire » était installé dans une caravane sur skis, à distance de notre bâtiment principal, je pouvais m’y recueillir, isolé du reste de notre équipe.

L’une des conséquences importantes d’une telle expérience m’a permis de créer quelques amitiés solides avec huit ou neuf de mes compagnons, en particulier avec Bernard (malheureusement aujourd’hui disparu) qui s’intéressait à mon travail de biologiste océanographe alors qu’il était géophysicien. Ce qui nous a rapprochés, c’est notre foi en Dieu, lui bon catholique à l’esprit ouvert et moi futur protestant. Il nous arrivait souvent d’avoir ensemble des discussions que j’ose qualifier de théologiques, d’un niveau bien supérieur à ce que nous entendions dans la « salle commune ». C’était très réconfortant.

Un incident me revient en mémoire : quelques-uns se sont plaints de ne pas pouvoir se recueillir ni prier « car il n’y avait pas de chapelle sur la base Dumont d’Urville », comme il y en a une à Port-aux-Français (Kerguelen), à Alfred-Faure (îles Crozet) ou à Martin-de-Viviès (île Amsterdam)…j’ai tenté d’expliquer qu’il n’y avait pas besoin d’une chapelle pour prier et que là où deux ou trois se réunissent pour prier (dans une chambre, un laboratoire ou tout autre lieu ou même à l’extérieur), le Seigneur est avec eux. En fait l’absence de chapelle était une bonne excuse pour éviter d’avoir une conversation profonde et intelligente.

L’ambiance générale de notre équipe était bonne et chaleureuse. La moindre occasion était mise à profit pour faire la fête…un anniversaire (nous étions 18, donc 18 anniversaires !) où des cadeaux faits maison étaient donnés à l’heureux récipiendaire. Bien d’autres occasions étaient mises à profit pour avoir un bon repas et…pas mal d’alcool ! A ce propos, c’est justement le drame : le vin et les alcools étaient à libre disposition et certains ont fini par en abuser, ce qui a terni notre bonne ambiance à la fin de l’hivernage. Ce problème rencontré du point de vue du groupe montre qu’un hivernage en terre Adélie est aussi une épreuve psychologique parfois difficile à surmonter pour certains. 
L’hivernage 1961 en terre Adélie n’a été marqué par aucun évènement remarquable ou dramatique et le travail demandé a été mené à bien, contrairement à d’autres années où de véritables difficultés sont survenues : accidents, décès, mésententes profondes. Compte tenu des conditions de vie sur place, des contraintes d’isolement, des conditions atmosphériques et du confinement des personnes, cette absence de fait marquant peut être considérée comme un élément positif.
Le cadre exceptionnel autour de la base Dumont d’Urville restera certainement le plus beau souvenir qu’emporteront avec eux les hivernants. Chacun est pressé de quitter ces contrées inhospitalières, mais, curieusement, au bout de quelque temps, tous ont envie de repartir pour admirer à nouveau les paysages, rêver devant les lumières et les couchers de soleil que l’on ne voit pas ailleurs et retrouver une chaleur humaine bien précieuse.

© J.C. Hureau



Au cœur du soin, au cœur de soi

par Hervé Oléon  

© H. Oléon

La prise en charge d'un patient Covid+ en réanimation : les soignants étaient à cinq pour procéder au retournement du patient !

18 mars. L’hôpital est en ébullition. Les patients atteints du coronavirus affluent massivement depuis quelques jours. L’urgence : libérer les réanimations de leurs actuels patients et en faire des secteurs dédiés. Notre Unité de Soins Intensifs sera l’une des multiples rocades. En deux jours, formation des soignants aux techniques de réanimation, dotation en personnel et en matériel supplémentaires s’organisent. Des craintes sont perceptibles, bien sûr, mais elles laissent rapidement place à un bel élan collectif. A peine sommes-nous prêts que les lignes bougent à nouveau : les réanimations dites “Covid+” sont submergées. Nous rentrons à notre tour dans le vif du sujet...

 23 mars. Nous y sommes. Tous nos lits sont occupés et le resteront pendant près d’un mois. S’y succèderont près de quarante patients gravement atteints, la plupart sous assistance respiratoire lourde et dans le coma artificiel - fait exceptionnel pour une unité comme la nôtre - et plutôt jeunes. Un quart d’entre-eux décédera in situ. La secousse émotionnelle est réelle, dans un service où la mortalité post-opératoire est habituellement faible.
 
De jour en jour, les cadences s’accélèrent. Dès qu’un patient s’améliore, il est transféré vers des Unités de Soins Continus, parfois en province, pour répondre à la demande incessante de places. Dans cette précipitation, les soignants sont un peu perdus… La satisfaction de savoir une vie gagnée se mêle à la frustration de ne pouvoir accompagner jusqu’au bout le processus de guérison.
 
Les soins sont techniquement, physiquement et mentalement éprouvants pour les équipes. Et pourtant, on tient… parce qu’une formidable solidarité fédère des corps professionnels aux interactions parfois difficiles jusqu’alors et ouvre le champ de possibles insoupçonnables.
 
Tout près des secteurs “brûlants”, dans les unités “non Covid”, la charge de travail est moins intense, et la relative inactivité imposée par la crise nourrit questionnements et inquiétudes. Il faut accompagner et rassurer, autant que possible.
 
Ce qui empêche de faiblir, ce sont aussi tous ces encouragements et gestes extérieurs de reconnaissance, les applaudissements du soir, et toutes les généreuses contributions individuelles ou collectives que nous recevons pour améliorer le quotidien des professionnels de santé.
 
Et Dieu dans tout cela ? Le croyant que je suis s’interroge : au milieu de ce tumulte, Lui qui nous a aimé le premier, se serait-il écarté de nous ? Mais très vite cette pensée fond, ainsi que la cire au feu… Et si tout ce qui nous arrive n’était d’abord que le produit de nos inconséquences humaines ? Manger ou non du pangolin et de la chauve-souris, telle est la question ?! Plus sérieusement, ces moments de tourmente ne questionnent-ils pas nos choix et nos valeurs ? Le Crucifié ne s’incarne-t-il pas dans notre semblable, celui-là même qui est couché devant nous dans un lit d’hôpital, souffrant dans sa chair de l’écharde de notre Humanité meurtrie ?

N’est-ce pas Lui qui nous rappelle alors le pouvoir immense du “faire et exister ensemble”, dans le soin prodigué à l’autre, le réconfort qu’on lui apporte, le sens que l’on redonne à sa vie fragile et la richesse humaine que l’on en retire pour soi-même ?  Et si tout cela participait d’un mot si commun et si mystérieux à la fois ? Résurrection…

                        © H. Oléon

Quand le fabriquant de cale-tête (qu'on met aux patients lorsqu'on les tourne sur le ventre) est en rupture, on se débrouille avec ce qu'on a, et si c'est en bricolant des frites en mousse données par la piscine de Chevilly-Larue (où travaille le mari d'une des anesthésistes), on peut obtenir des résultats étonnants (une de nos fiertés a été que nos patients étaient moins "abimés" lors des mobilisations que dans des réas où ils avaient un matériel a priori de pointe !). Ici Laetitia, secrétaire d'accueil, et Aurélie, infirmière coordinatrice, en plein ouvrage !


L’intimité à l’épreuve du confinement

par Guillaume Monod

Si le confinement est une seule et même règle qui s’applique à toutes et tous, sans considération des caractéristiques individuelles, ses effets ne sont pas pour autant identiques d’une personne, d’une famille, d’une communauté à une autre. Certains ont été coupés de leur proches, reclus de longs mois seuls dans leur logement, d’autres ont rejoint les membres de leur famille pendant deux mois, alors qu’ils ne les retrouvaient qu’une fois par an pendant les vacances.

Quelles que soient les conditions dans lesquelles nous l’avons vécu, ce confinement nous a été imposé contre notre gré, et chacune et chacun d’entre nous en avons éprouvé un certain degré de stress, d’angoisse, de souffrance psychique. Nous avons craint, au moins pour un temps, le spectre d’une maladie psychiatrique séquellaire.

C’est pourquoi il parait tout d’abord nécessaire de rappeler deux évidences. En premier lieux, la souffrance psychique n’est pas la maladie psychiatrique. Le confinement ressemble au deuil et non pas à la schizophrénie. Si chacune et chacun vit un deuil à sa façon, anesthésie affective et incrédulité pour certains, détresse et larmes pour d’autres, il n’en est pas moins vrai qu’il s’agit d’un processus normal du quotidien, une réponse modulée par la personnalité de celui qui fait face à une épreuve inattendue. D’autre part, il ne faut pas saisir le prétexte d’une pandémie, inhabituelle par son ampleur mais non pas par sa nature, pour psychiatriser l’ensemble des affects négatifs qu’elle provoque. Faute de quoi, le bonheur n’est rien de plus qu’une norme médicale édictée par des organismes administratifs, le psychisme rien d’autre qu’un logiciel biologique, que les psychiatres sont tenus de remettre à jour à la moindre perturbation.

 En prenant suffisamment de recul, on peut distinguer les deux grandes catégories d’affects qui ont exprimé la réaction affective : l’indifférence et la frustration.

Indifférence pour ceux qui n’ont connu que peu de signes de menace et d’inconfort, car vivant en famille, loin des clusters, à proximité d’une forêt ou face aux alpages, ayant une situation professionnelle assurant la pérennité d’un salaire. Frustration pour ceux qui ont dû vivre loin de la présence rassurante de leur proches, subissant le contre-coup économique d’un licenciement, vivant le confinement et la fermeture de leur outil de travail comme la dernière goutte d’eau qui fait déborder le vase de la précarité sociale et économique.

Indifférence et frustration sont des réactions normales, mais qui ne sont pas figées, car elles peuvent évoluer, croître et se transformer. L’indifférence peut facilement devenir résignation, acceptation passive, sans se soucier de l’avenir, laissant aux autres le soin de régler le problème pour eux. A ce titre, l'indifférence est stérile et peut devenir toxique, car elle est le signe avant-coureur d’un manque d’envie, de désir, de vie. La frustration, quant à elle, se transforme rapidement en colère, expression d’une injustice commise par un auteur qui l’ignore superbement. Mais dans cette colère se trouve une source de sortie de crise, car, bien que brutale, parfois violente, elle est une volonté de sortir du statu quo, l’expression d’un désir de vivre.

 Mais tout aussi légitimes qu’elles soient, l’indifférence et la frustration n’ont été rien de plus que deux arbres qui cachaient une forêt. Car le véritable enjeu du confinement aura été de gérer une perte, de faire un deuil auquel nous ne nous étions pas préparés, celui de notre intimité.

L’intimité est un voile pudique et invisible qui nous protège des regards inconnus. Elle est ce sentiment fragile, fugace, d’un bien-être physique qui traduit un bien-être psychique. Une sensation mélangée de sécurité et de prudence, qui nous offre un refuge émotionnel et éloigne, au moins pour un temps, les inquiétudes du quotidien. Perception éminemment individuelle de sécurité affective, elle ne peut pourtant exister que dans l’échange avec autrui. Si elle nous est un confort moral personnel, elle ne peut vivre que de l’apport discret mais certain de ceux qui nous sont chers. C’est ce subtil équilibre que le confinement a fait voler en éclat.

Vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre sous le regard des autres, quand bien même ce soit ceux avec qui l’on a choisi de vivre, peut s’avérer étouffant. Plus de secrets, plus de cachettes, plus de jardin secret, il n’y a plus qu’un espace vital saturé par la présence des autres. La vie sociale nous manque non pas uniquement parce que l’on n’a plus les échanges, les rencontres, les partages, mais aussi parce qu’on n’a plus des cachettes et des refuges pour échapper à l’uniformité du confinement. Pour beaucoup, le deuil le plus difficile à faire aura été celui de l’intimité que l’on trouve dans la vie sociale et amicale. Avant le confinement, qui d’entre nous s’étaient préparés à perdre le contact avec ses amis, ses collègues, les inconnus que l’on croise dans la rue ? Qui s’était imaginé perdre ces instants précieux où l’on se coupe de la discussion lors d’une réunion professionnelle, des échanges légers et anodins à la terrasse d’un café, pour aller se réfugier dans ses propres pensées, et goûter au plaisir secret de l’intimité de sa vie intérieure ?
 
Le confinement aura au moins eu le mérite de nous rappeler que l’intimité, condition de tout sentiment familial, amical, affectueux, n’est jamais acquis mais se construit, et que ce qui s’y oppose n’est pas l’isolement ou la proximité, mais l'impossibilité de pouvoir naviguer entre les deux, l'incapacité d’échapper à la saturation de l’espace vital ou de remédier à l’abandon.

Nos vies, confinées ou non, sont le résultat d’un subtil équilibre entre l’excès et le manque de la présence des êtres chers.



Un abîme ou une bénédiction ?

par le Professeur Didier Sicard

« Toutes ces questions qui ne peuvent que rester sans réponse en ces jours ténébreux. Ce muet et fantomatique pas-encore, ce plus-jamais, encore plus fantomatique et plus muet, et ce déjà-de-nouveau, et là entre, l’imprévisible, déjà demain, déjà aujourd’hui. » Paul Celan (lettre du 30 mai 1958 à Nelly Sachs).

Ces mots sont les plus justes. Ils nous invitent à accepter l’entre deux, l’incertitude du futur, à ne pas nous raccrocher trop vite à un usage convenu du monde. Comme s’il s’agissait d’une panne gigantesque, d’un simple entracte planétaire plus destiné à la détente qu’à la réflexion. Chacun y va de son utopie la plus désincarnée, à la résignation la plus désenchantée. Alors que nous avons habité un monde de fantômes pendant quelques semaines dont les seuls éblouis étaient les photographes, les réalisateurs de films d’épouvante qui pouvaient restituer de façon anachronique le climat des grandes angoisses d’épidémies du passé. Ce monde émerge progressivement avec ce dimanche de Pentecôte au temple de l’Oratoire qui rassemble une centaine de masques de la « comedia del arte » où ne brillent que des yeux étincelants du bonheur de leur communion retrouvée.

La violence, la soudaineté, l’universalité brutale d‘une situation pour une humanité qui découvre son unité avec ce mélange de surprise et d’humilité doit nous toucher en profondeur avant de réclamer à cors et à cris le retour des cafés ! Rarement l’humanité moderne n’a été aussi sollicitée dans sa capacité à regarder la mort en face, une mort portée par l’Autre au travers de sa généreuse invitation à la rencontre fraternelle. Cette humanité que l’on pensait devenue si individualiste découvre soudain la tragédie de sa solitude. Fuir les autres pour ne chercher que son propre intérêt s’incarne en ces moments de façon tellement légitime et violente que chacun redécouvre qu’un être solitaire n’a d’existence que par et pour les autres. Un petit signe apparemment insignifiant venu du monde animal des chauve-souris sonne comme un avertissement. Dieu n’y est pour rien. Il nous laisse nous débattre avec nos angoisses, nos débats idéologiques et scientifiques un peu dérisoires. Simplement sa Parole redevient le cœur de nos interrogations en scandant les Béatitudes.

Ne nous débarrassons pas trop vite de notre robe de fantôme, mais au contraire interrogeons-nous sur notre relation à l’autre. Ne la laissons pas aux seules embrassades et solides poignées de main, pour un temps, remises au grenier. Regardons-nous, découvrons le regard de l’autre qui nous regarde. Avec un désir de rencontre, de curiosité, de parole de vérité et surtout la découverte de son propre manque comblé par le manque de l’autre, tels la soudaine difficulté du sourd de ne pouvoir lire sur les lèvres, de l’aveugle de demander le bras, du sans-abri de se confiner, du plus fragile sur le plan physique ou psychique de vivre la fraternité des aidants. Alors peut- être s’inscrira dans notre mémoire la découverte que la vie est si précieuse quand les oiseaux surpris du silence retrouvent leurs chants à tue-tête, que l’air est devenu si léger pendant les quelques minutes autorisées de promenade, que la table familiale a retrouvé ses rites. Si peu de chose. Mais l’essentiel, la gratitude ressentie à l’égard du Tout Puissant nous adressant peut-être un dernier message pour le futur. Souvenons-nous de ces jours étranges, ne les jetons pas au feu des désespérances, pas d’impatience futile. Que ces chauve-souris, innocentes et responsables nous contaminent du virus de la sérénité et de la fraternité !