Service funèbre du pasteur Wilfred Monod

célébré à l’Oratoire du Louvre le 5 mai 1943

Invocation du pasteur Gustave Vidal

Notre secours est en Toi, Maître de la vie et de la mort, notre Seigneur et notre Père; car tu nous as appelés à la vie, et, par delà la mort, Tu nous appelles encore à la vie, à la Vie Eternelle, par Jésus-Christ notre Sauveur.

Sois avec nous pendant ces quelques instants que nous voulons consacrer ensemble au recueil-lement et à la prière, au souvenir et à l'espé-rance; et fais-nous trouver, dans la Communion du Ressuscité et dans la méditation de son Evangile, les consolations que nous attendons de Toi seul et de ton Fils Jésus-Christ.

Chers frères et sœurs, 

Nous sommes réunis dans ce sanctuaire, pour donner une voix au deuil de l'Eglise, à sa dou-leur et à son espérance, à son action de grâces et à sa prière, à l'heure où Dieu vient de rappeler à Lui le fidèle berger de notre troupeau, notre frère et collègue dans le Saint Ministère, Wilfred Monod, endormi dans la foi, le 2 mai 1943, à l'âge de 75 ans.

Amen.

Liturgie

Prière

Allocution du pasteur Paul Vergara

Le pasteur Wilfred Monod a demandé que le service religieux célébré à l'occasion de ses obsèques revêtit un caractère strictement impersonnel, et qu'aucun discours, aucune allocution n'y fût prononcé.

Sans doute notre vénéré frère a-t-il redouté que l'affection ou la gratitude de l’Église s'attachât à louer le pasteur autant qu'à glorifier le ministère, à dire la fidélité du serviteur autant qu'à chanter la souveraine beauté de son Maître.

Cette volonté sera scrupuleusement respectée. Toutefois les pasteurs de cette Église ont pensé que pour demeurer impersonnel, le service qui nous réunit ne devait pas nécessairement être anonyme. Le pasteur qui nous quitte dira lui-même l'austère grandeur du ministère ; c'est sa voix qui saluera le Maître de nos âmes, et nous préparera à l'écouter, Lui, l'unique, lorsqu'il nous apportera les paroles de l'espérance et de la consolation.

Le jour de la consécration d'un de ses jeunes collègues au Saint Ministère¹ le pasteur W. Monod faisait de l'activité pastorale une peinture où nous le retrouvons lui-même, tel qu'il fut tout au long d'un ministère béni. Écoutons-le :

« Soyez pasteur à fond, disait-il, pasteur dans l'âme. Pasteur !

Le pasteur est bien autre chose qu'un marieur et un enterreur. Certes, il éprouve une émotion profonde quand il remet au nouveau couple agenouillé l'anneau nuptial et la Bible de famille, et quand il proclame, en plein cimetière, la victoire de la vie sur la mort : ce sont là des moments inoubliables de vérité intense où l'on touche le fond de la réalité.

Mais, malgré tout, le Pasteur est plus qu'un exécuteur d'actes pastoraux.

De même, il est plus et mieux qu'un distributeur de sacrements.

Loin de moi la pensée de diminuer la valeur des moyens de grâce. Quelle poésie ravissante, quelle simplicité miséricordieuse, quelle divine philosophie dans nos mystères. Où est le vrai Pasteur que n'illumine pas une grave allégresse quand il verse l'eau pure sur le grand front du petit enfant, quand il offre le vin symbolique à l'ancien nouveau-né qui cherche la nouvelle naissance.

Et cependant, le Pasteur est plus qu'un officiant.

C'est un prédicateur, dira-t-on. Assurément, la prédication de l'Évangile est notre gloire. Annoncer le Christ et sa plénitude à un auditoire de dix personnes est un événement dans la vie d'un homme.

Par la prière, par le recueillement, s'emparer de la pensée de Dieu, l'incarner par la puissance de l'Esprit Saint, et puis se présenter devant des fatigués qui ont soif de repos, des laids qui ont soif de beauté, des lâches qui ont soif de courage, des tristes qui ont soif de consolation, des mauvais qui ont soif de pardon, et leur dire à tous... à tous, avec un accent qui ressuscite les morts : « Sors de ton sépulcre ». Voilà notre tâche. Elle est royale.

Et pourtant le pasteur est plus qu'un prédicateur.

Le pasteur est un Pasteur, en d'autres termes, un berger. Le berger a pour devoir de nourrir le troupeau et de le protéger. Or, la prédication publique ne suffit pas pour fournir une alimentation substantielle aux âmes, il faut que la Parole de Dieu soit appliquée aux cas spéciaux, aux circonstances individuelles.

C'est une œuvre de longue haleine, c'est l'activité par excellence du berger fidèle qui s'efforce de conserver ou de ramener au bercail les brebis menacées par d'invisibles griffes.

Pour une tâche aussi complexe, aussi délicate, aussi obscure, parfois aussi stérile en apparence, qui ne rapporte à celui qui l'accomplit ni honneur mondain, ni gain matériel, ni profit intellectuel, il faut une véritable vocation, il faut l'amour de l'humanité.

Le vrai pasteur a l'amour de l'humanité. Non pas un amour vague pour l'idée de l'espèce humaine, mais un amour qui s'adresse au genre humain lui-même, concret, palpitant, entrevu, comme l'océan, dans sa masse énorme et ténébreuse, un amour qui va aussi et surtout aux créatures isolées, prises une à une.

Celui-là est pasteur, qui aime chaque fils de l'homme en tant que tel.

Celui-là est pasteur, qui éprouve une joie grave et désintéressée à frayer avec ses semlables. Heureux le vrai pasteur qu'aucune banalité, aucune médiocrité, aucune laideur, aucune méchanceté n'arrêtent, et qui, dans la mansarde lépreuse du pauvre, ou même — ce qui souvent est plus difficile encore — dans le salon bourgeois du riche, sait discerner le fond ultime de la réalité insondable, ineffable, sait remarquer l'intense poésie, les nuances tragiques, les remous et les murmures mystérieux de l'éternel courant de la vie sous-jacente !

Celui-là est pasteur qui s'intéresse passionnément à tous les aspects de la destinée humaine, à l'enfant qui grandit, au père qui travaille, au vieillard qui somnole près de la fenêtre où rougeoie un géranium au soleil.

Celui-là, enfin, est pasteur, qui salue un Christ en espérance, un Christ préformé dans chaque être humain, et que saisit la véhémente ambition d'amener cette âme, innocente ou souillée, à l'épanouissement définitif, à l'initiation suprême, au salut.

Cher ami, vous serez un Pasteur.

Vous serez, d'abord, un pasteur de votre temps, c'est-à-dire que vous supporterez la contradiction, vous la réclamerez, au besoin. Vous ne prétendrez pas être cru sur parole, comme si vous étiez un distributeur infaillible de la vérité, jetant la becquée à des êtres irresponsables. Vous vous adresserez à la conscience et à la raison : vous n'imposerez pas, vous proposerez. Est-ce à dire que vous n'apporterez pas des certitudes et que vous ne serez pas l'annonciateur d'un message de vie ? Hélas ! dans ce cas-là, vous ne seriez qu'un roseau débile, perçant la main qui s'y appuie. Non, non ! c'est bien le don de Dieu que vous offrirez aux hommes ; vous parlerez avec l'autorité d'un témoin. Seulement, vous refuserez de considérer comme intangibles les formules antiques ou récentes qui ont été forgées dans l’Église pour exprimer les réalités spirituelles.

Vous aurez le courage d'être et de rester un chercheur ; et cela, non seulement au point de vue de la théorie, mais encore dans le domaine pratique. Car, à l'heure actuelle, nous nous posons tous, pasteurs et troupeaux, des questions comme celles-ci :

En quoi consiste l'imitation de Jésus-Christ ? Comment peut-on se conduire en chrétien, se comporter fraternellement dans le monde moderne ? Est-ce possible, au sein d'une humanité où la guerre civile ne cesse jamais, puisque la concurrence elle-même n'est souvent qu'une forme de la bataille universelle ?

Ne craignez pas de diminuer l'idéal de rapetisser le ministère évangélique, en avouant, très sincèrement, que vous êtes un chercheur. Au contraire, cingler toujours vers le large, être sans cesse aux écoutes, n'est-ce pas la meilleure manière de nous placer au bénéfice de la fameuse promesse : « L'Esprit vous conduira dans toute la vérité ; vous ferez des œuvres plus grandes que les miennes » ?

Vous serez donc un pasteur de votre temps, mais surtout, et c'est par là que je termine, vous serez un pasteur qui construit sur le rocher des siècles, un homme qui vit dans l'Éternel, « un homme de Dieu ».

Les formes changent, le fond demeure. L'Évangile dont l'âme humaine a soif, c'est toujours le vieil Évangile du pardon, de la régénération, de la consolation, de la vie, l'Évangile qui enseigne à aimer, à souffrir, à triompher en succombant, l'Évangile de l'enthousiasme et de la prière, l'Évangile du Fils de l'homme.

Soyez donc un témoin, au XXe siècle, du Christ qui est « le même hier, aujourd'hui, éternellement ».

Encore une fois, je vous le rappelle : nous, pasteurs, nous n'avons ni le prestige de la richesse, ni le prestige de l'uniforme, ni le prestige de la science, ni le prestige du pouvoir ; un seul prestige est à notre portée, si toutefois nous sommes décidés à nous en prévaloir, et c'est le prestige de la sainteté. Non pas une sainteté factice, qui vise à éblouir par l'extraordinaire, mais une sainteté substantielle et paisible, fidèle dans le détail, humble et hardie, impitoyable pour le péché, miséricordieuse pour le pécheur, une sainteté qui sert et qui sauve, et qui met sur le front du disciple transfiguré un reflet du Rédempteur.

Tout cela, vous le savez bien. À toutes ces affirmations, votre âme dit oui et amen ! C'est pourquoi, mon frère, au nom de cette Assemblée chrétienne et dans la communion de l’Église universelle, au nom de vos aînés dans le ministère qui vont solennellement vous imposer les mains, je vous répète avec le Maître : « Heureux es-tu, parce que ce n'est ni la chair ni le sang qui t'ont révélé ces choses, mais mon Père qui est dans les cieux ».

Prière et bénédiction par le pasteur André-Numa Bertrand 

[...] Nous Te prions pour notre paroisse de l'Ora-toire, qui a eu le magnifique privilège de pos-séder ce chef spirituel; nous Te demandons qu'elle comprenne que «richesse oblige» et que lorsqu'on a beaucoup reçu, il faut savoir beaucoup donner et qu'une église du Christ n'a jamais le droit d'accepter la médiocrité, mais surtout pas lorsqu'elle a reçu les bénédictions que Dieu nous a données par son serviteur. Et dans le sein même de notre communauté, nous Te prions pour notre patronage de la Clairière, œuvre de sollicitude et de tendresse, jaillie du cœur miséricordieux de l'ami qui ne pouvait supporter que la souffrance fût.

Nous Te prions pour la communauté des Veilleurs, fruit d'un ministère pastoral qui vou-lait déborder les cadres de la paroisse, fleur mystique de sa vie profonde, de sa discipline intérieure et de son amour pour toute âme qui cherche et qui prie.

Nous Te prions pour l'Eglise réformée de France, dans les rangs de laquelle notre frère a combattu au premier rang et dont il a salué par des cris de joie et de reconnaissance l'unité enfin retrouvée. Et nous Te prions pour l'Eglise universelle à laquelle il a voulu donner un visage défini, qu'il a travaillé à restaurer dans sa réalité œcuménique, et qui restait pour lui la seule Eglise à qui l'on pût se donner sans réserves ni hésitations.

Nous Te prions pour notre France dans son épreuve, dans sa recherche, dans ses tâtonne-ments, dans ses déchirements; et avec elle, nous portons dans notre prière, le Monde, car aucun peuple ne peut se sauver seul, aucun peuple ne

peut trouver la paix s'il n'y a pas une paix pour tous; et nous Te prions pour cette humanité douloureuse et pécheresse, douloureuse parce que pécheresse, cette humanité sur laquelle le Christ a pleuré et pour laquelle il est mort.

Au nom du Fils de l'homme, au nom de son cœur miséricordieux, au nom de tous ceux que sa pitié a éveillés à la pitié, comme sa foi les avait éveillés à la foi, aie pitié de nous, Seigneur!

Cette prière qui monte de nos cœurs vers Toi, c'est notre foi, notre sereine certitude que celui dont les restes reposent là, sous les fleurs, la porte aussi dans son cœur, la prie avec nous, dans la communion de Celui qui est vivant aux siècles des siècles; et qu'ainsi nous restons en communion avec lui par la prière, puisque tous ceux qui vivent de la vie du Christ sont unis par cette vie.

«Encore un peu de temps, disait le Seigneur, et le monde ne me verra plus; mais vous, vous me verrez, parce que je vis et que vous aussi, vous vivrez».

Fais nous vivre, en effet, ô Dieu, afin que nous ne soyons jamais séparés des vivants!

Notre Père qui es aux Cieux; que Ton nom soit sanctifié; que Ton règne vienne; que Ta volonté se fasse sur notre terre comme dans Ton ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain quo-tidien. Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés; et ne nous conduis pas vers la tentation, mais délivre-nous du mal, puisque c'est à Toi qu'ap-partiennent dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire.

Amen.

Que l'Eternel vous bénisse et vous garde ! et que le Dieu de l'espérance vous donne par la foi toute la plénitude de la joie et de la paix qui sont en Jésus-Christ!

Allez maintenant dans la paix de Dieu, et que la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ soit avec vous et avec les vôtres, avec les présents et avec les absents, avec les vivants et avec les morts, pour le Temps et pour l'Eternité.

Amen.

Note

  1. Consécration du pasteur P. Vergara à l’Oratoire du Louvre le 34 octobre 1909

Pour aller plus loin

  • Wilfred Monod, Voir Jésus, 1939, recueil de 8 prédications avant-guerre (lire sur notre site)
  • Wilfred Monod, recueil In Memoriam, "Souvenez-vous de vos conducteurs", 1948, 152 pages, 5 prédications (lire sur notre site)
  • A.-N. Bertrand, P. Vergara et G. Vidal, Voix chrétiennes dans la tourmente, 1940-1944, 1945, Paris, 192 pages, recueil de 15 prédications prononcées à l'Oratoire du Louvre durant l'Occupation (lire sur notre site)