Toccatas et Fugues de J.S. Bach
Toccata et Fugue en Ré mineur - BWV 565
Toccata BWV 538 « Dorienne »
Cantate BWV 14
Petite fugue en Sol
Toccata en Fa majeur
L'équilibre même dont fait étal l'œuvre de Bach naît d'un affrontement serein des contrastes. Qu'il suffise de souligner ici la désinvolte improvisation des Préludes et l'extrême structuration des fugues qui les suivent, son constant respect de la tradition médiévale et sa vive curiosité pour toutes les innovations contemporaines (notamment françaises et italiennes). De là sans doute l'émotion toujours directe et profonde de ces pages dont l'extrême densité d'écriture risquait d'être promesse d'ennuyeuse majesté.
La Toccata et Fugue en Ré mineur BWV 565 est certainement l'œuvre la plus célèbre de toute la littérature d'orgue. Page de jeunesse, Bach l'aurait composée vers 1703 à Arnstadt où il avait obtenu son premier poste d'organiste. Il avait moins de vingt ans. On l'y reconnaît tout à son admiration des grands « gothiques » du nord et notamment de Buxtehude qu'il était allé voir à Lübeck, faisant le voyage à pied. Bach, cependant, lit les organistes français et italiens, vise à imiter leur clarté, leur unité dans la conduite du discours. De ces méditations est né le premier chef d'œuvre cette Toccata et Fugue en té mineur où l'éclat virtuose se soumet harmonieusement à un plan préétabli. C'est ainsi que la fugue conclusive sera l'une des rares fugues vraiment régulières de l'auteur. Plus concise, l'à peine moins célèbre Toccata BWV 538, également en ré mineur, est dite « Dorienne » car elle se soumet au mode correspondant de la tradition grégorienne. Ici la lancée de la musique paraît si libre qu'aucun plan n'est plus discernable et pourtant ce déferlement sonore est soumis à des règles d'une précision horlogère alors même que le principe de la « toccata » laissait le compositeur libre d'aménager à sa guise une intervention qui se devait seulement d'être virtuose.
La seconde face de ce disque débute par une page relevant d'un aspect radicalement différent de l'œuvre de Bach, celui qui ne s'épanouira qu'à la fin de sa vie et constituera le plus vaste ensemble de compositions homogènes jamais entrepris par un compositeur les quelque deux cent cinquante Cantates. Nombre d'entre elles sont ponctuées par des interventions chorales reprenant un chant d'église traditionnel dont les paroles paraissent commenter l'Évangile du jour. Ces versions proposées par le « Cantor » revêtent toutes un tour si parfait que ces motifs empruntés passent souvent pour être de Bach lui-même. Ainsi en est-il du fameux Choral « Jésus bleibet meine Freude » (Jésus, demeure ma joie), popularisé chez nous sous un titre qui fait contre-sens « Jésus, que ma joie demeure ». Cette harmonisation apparaît dans la Cantate BWV 147 mais on en connaît plusieurs versions instrumentales.
La célèbre Petite Fugue en sol s'apparente à ces pages intimes que le compositeur destinait aux concerts familiaux. D'une écriture ferme mais légère, une fugue régulière s'y déploie sans que jamais le discours se perde en complications, la régulière scansion du morceau assurant sa démarche tranquille mais inflexible il n'est pas de meilleure introduction au massif des œuvres contrapuntiques de Bach, si intimidant pour le profane. Un autre aspect de cette éloquence sans pesanteur, de cette science emportée par l'enthousiasme créateur, est assurément fourni par la triomphante Toccata en fa majeur, œuvre de jeunesse comme celle en ré mineur et dont on situe, en général, la composition immédiatement avant l'installation de Bach à la Cour d 'Anhalt Coethen (1717). Sur une note grave maintenue, un véritable papillonnement sonore s'y étale, par nappes superposées, structure à la fois mouvante et donnant une impression de monumentale fixité, vision verticale de la musique qui semble anticiper sur les conceptions les plus modernes affrontant des groupes sonores ou des familles d'instruments. Comme souvent chez Bach, la façon dont. la musique ainsi projetée semble s'enrouler sur elle-même conduit à un véritable « mouvement perpétuel », effet d'intemporalisation que nous aurons pu relever aussi bien dans le Choral que dans la Fugue en sol. Mais alors qu'un tel élan semble là ne jamais devoir reprendre contact avec le sol, la Toccata en fa s'interrompt presque brusquement sur trois accords progressivement prolongés.
Marcel Marnat, musicologue