Le Libéralisme et la Prédication

Conférence débat dans le cadre du cycle "Brunch libéral"

Conférence débat du 27 avril 2024 dans le cadre du cycle "Brunch libéral" animé par la pasteure Béatrice Cléro-Mazire.

Introduction par la pasteure Agnès Adeline-Schaeffer : qu’est-ce qu’une prédication :
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Conférence de la pasteure Béatice Cléro-Mazire : qu’est-ce qu’une prédication libérale :
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Ci-dessous, enregistrement vidéo sur YouTube.

 

Introduction par la Pasteure Agnès Adeline-Schaeffer :
Qu’est-ce qu’une prédication


Je commencerai cette introduction par une citation de Martin Luther (1483-1546) :
« Quand la parole est dite, alors voici l’Église ».
Le protestantisme aime la prédication. Depuis la Réforme, il lui accorde une valeur importante et décisive.
Même si nos prédications ne durent plus une heure, comme au 19ème siècle, beaucoup viennent au culte pour y recevoir en priorité une parole instructive et stimulante.
La prédication est une source d’enseignement et de convictions ;
C’est une force d’interpellation et de confrontation ;
Elle est comprise comme l’annonce et l’explication de la Parole même de Dieu.
Dans notre Église, personne n’a la maîtrise de la prédication.
Pour résumer : prêcher c’est d’abord se former, autrement dit apprendre à lire, à construire et à transmettre.

Dans un extrait d’Évangile et Liberté, du mois de septembre 1992, le professeur André Gounelle écrivait ceci, dans un cahier central intitulé « Protestantisme et Prédication » :
« Le protestantisme a toujours accordé une très grande importance à la prédication et l’a toujours pratiquée. On le constate dès les débuts. Au XVIème siècle à une époque où les curés avaient tendance à la négliger, les réformateurs ont agi par la prédication et ont écrit de nombreux commentaires bibliques à l’usage des prédicateurs. L’historien Pierre Chaunu souligne la force séductrice qu’a exercée la « prédication inlassable » des pasteurs, et Marc Lienhard, pasteur, historien et professeur de théologie à la faculté de Strasbourg, précisait que « le mouvement évangélique (au sens noble du terme, en opposition au terme papisme, à l’époque de la Réforme), s’est imposé par la prédication, plus encore que par l’écrit. On prêchait énormément, plusieurs fois par semaine. On a conservé le texte de 1 200 sermons de Calvin qui en prononçait de 12 à 16 par mois. Significativement, on ne disait pas « aller au culte, mais aller au sermon ».  Au XVIIIème siècle après la révocation de l’Édit de Nantes (1685), les protestants français ont organisé de dangereuses assemblées clandestines présidées par des « prédicants » souvent improvisés, plutôt que de renoncer à la prédication ; ils ne se contentaient pas de lire les écritures, ils voulaient qu’on les leur prêche. Au XIXème siècle, beaucoup de protestants avaient l’habitude d’arriver au culte pour le sermon et d’en repartir dès qu’il était fini ; ils considéraient tout le reste (prières, chants, célébration de la Cène) comme des accessoires dont on pouvait se dispenser. On attendait avant tout du pasteur qu’il soit un bon prédicateur ».  

Dans l’Église on trouve plusieurs mots pour désigner la prédication.
Le premier mot c’est « sermon ». Et la définition du sermon, c’est : discours moralisateur et ennuyeux. Le sermon est aussi une remontrance importune.
Un autre mot, souvent employé, c’est le mot « prêche ». Un prêche désigne le sermon d’un ministre protestant. On prêche, et le texte est un prêche.
Encore un autre mot : l’homélie, étymologiquement en grec, homilia, veut dire « conversation ». Une homélie est une instruction familière sur la religion, et principalement sur l’Évangile. Cela sera une prédication sur l’Évangile, dite au cours de la messe. C’est aussi une lecture du bréviaire, extraite des homélies des Pères de l’Église, et qui se dit à l’office des lectures.
On trouve encore le mot « prône » qui est une instruction qu’un prêtre fait le dimanche à la messe paroissiale.
Enfin, on trouve le mot de « prédication » que l’on pourrait définir ainsi comme une annonce de l’Évangile, dans le sens de « bonne nouvelle », aux non-croyants, et un enseignement de la foi aux fidèles. La prédication, c’est la mise en œuvre de cette tâche au moyen de la parole, autrement dit, c’est l’acte même de prêcher. C’est une exhortation qui ressemble à un sermon et qui enseigne des devoirs.
Il existe un autre verbe que prêcher, c’est « prédiquer ». Mais finalement, on ne l’emploie pas si souvent.
Il y a certainement mille et une façons de prêcher. Il y a aussi autant de théologies que de prédicateurs.
Mais il y a des éléments communs qui organisent cette pluralité de styles et de contenus.

La prédication protestante s’inscrit dans un cadre théologique particulier, celui de la Réforme, qui a balisé la prédication par une série de principes fondamentaux. Ce ne sont pas des dogmes mais des points de repère qui marquent la spécificité du protestantisme.

Premier principe : l’écriture seule (sola scriptura)
Ce principe affirme la prééminence des Écritures sur toute institution ecclésiale et sur toute expression dogmatique.
C’est à l’Église de se soumettre à la Bible, d’être sans cesse ressourcée et réformée par elle et non l’inverse. A noter que l’Écriture seule n’identifie pas le texte biblique avec la parole de Dieu ; comme le précise Jean Calvin, le texte devient parole de Dieu par « le témoignage intérieur du Saint-Esprit » à l’œuvre chez le lecteur.
Deuxième principe : la grâce seule (sola gratia). C’est un principe d’ordre théologique. Cette affirmation rappelle que le salut dépend de Dieu seul et non de nos œuvres, de nos savoirs, ou de nos sentiments religieux. Ce principe a pour effet immédiat de briser toute prétention à codifier la bonne et nécessaire relation à Dieu. Celle-ci ne se mérite pas et ne se limite à rien. La grâce seule rencontre un principe similaire que la Réforme va nommer la foi seule (sola fide). Sans faire de la foi une œuvre, (la foi sauve), la foi ne sauve pas, mais témoigne que nous sommes sauvés.
Troisième principe : le sacerdoce universel
C’est un principe d’ordre ecclésiologique qui concerne l’identité et l’organisation des églises.
Le sacerdoce universel rappelle que nous sommes tous des prêtres. Il ouvre à chacun l’accès à la Bible et à sa compréhension, sans passer par l’intermédiaire d’un clergé et de son interprétation normative. La prédication devient donc l’affaire de tous. Chacun est autonome et responsable devant la Bible. C’est cette autonomie et cette responsabilité individuelle accordées à tous qui ouvre à chacun l’accès à la chaire. Ce principe a pour autre effet de promouvoir une véritable pluralité d’interprétations bibliques et théologiques. Une prédication est toujours une prédication parmi d’autres. Elle ne peut d’elle-même contenir l’intégralité de l’Évangile. Une prédication ne peut en interdire une autre. Le sacerdoce universel inscrit cette pluralité au cœur de l’Église, en plaçant toutes les interprétations à égale distance devant la parole.
Quatrième principe : à Dieu seul la gloire : « soli deo gloria »
Si le premier principe, l’Écriture seule, affirme la primauté de l’Évangile sur toute institution et tout dogme,
Si le deuxième principe affirme que le salut par la grâce brise toute prétention humaine à gagner son salut et à dicter à d’autres le comportement juste devant Dieu,
Si le troisième principe, le sacerdoce universel, empêche la formation de spécialistes qui canaliseraient l’Évangile pour se l’approprier,
Alors ces trois principes se placent, disons-le comme ça, sous le quatrième : à Dieu seul la gloire. Dieu a la primauté sur toute institution, tout individu, toute œuvre.
En fait la prédication ne fait rien d’autre que d’annoncer ce Dieu qui échappe à toute maîtrise, qui excède toutes nos dimensions intellectuelles et spirituelles.
Le prédicateur est dépassé par l’Évangile.
Être prédicateur c’est être le premier auditeur de la prédication.
L’évolution de la compréhension de la prédication ne s’est pas faite tout de suite. Il y a toute une progression qui se fait petit à petit, pour passer du sermon à la prédication, de la prédication « classique » « orthodoxe », à la prédication « libérale ».

Conférence de la Pasteure Béatrice Cléro-Mazire :
Qu’est-ce qu’une prédication libérale


Postulat de l’oralité du christianisme :

Nous sommes d’une religion, non pas du Livre mais de la Parole. C’est ce principe que je poserais en premier pour parler de ce que pourrait être une compréhension libérale de la prédication.
Je partage l’avis du théologien Bernard Reymond sur ce point. Dans son livre : sur les traces des théologies libérales, il écrit : « Pour la Bible, en particulier pour l’Évangile de Jean, c’est le Christ, et non un livre, qui est Parole de Dieu - le Christ venu en la personne de Jésus qui a parlé, que l’on a écouté et non point lu. Aussi, je proteste chaque fois que l’on me présente le christianisme comme une religion du Livre ; je le vois bien plutôt comme une religion de la Parole vive - Parole qu’est le Christ lui-même, qui s’est d’ailleurs exprimé en paroles dites et entendues bien avant qu’elles ne soient écrites, voire imprimées. » [B. Reymond, Sur la trace des théologies libérales, Van Dieren éditeur, « débats ». Paris 2002]. Cette affirmation a de nombreuses conséquences en ce qui concerne l’art de la prédication.
 
Où commence et où finit une prédication ?

Je pourrais distinguer les différentes phases d’élaboration d’une prédication, mais je n’arriverais jamais à circonscrire où elle commence et où elle finit. Dans un livre destiné à former les futurs prédicateurs, Laurent Gagnebin, lui aussi professeur de théologie pratique, écrit : « Prêcher c’est ainsi : écouter, enseigner, proclamer, interpeler. » évidemment je serais d’accord avec cette définition. Mais si le verbe écouter vient en premier, il ne faudrait pas croire que cette écoute commence dans la méditation de la présence de Dieu qui fait naître les mots d’une prédication. Laurent Gagnebin l’écrit d’ailleurs très bien : « La préparation d’une prédication s’inscrit dans notre vie de croyant, dans l’ensemble de notre existence vécue en Dieu et avec lui. Notre prédication fait ainsi partie de ce dialogue qui donne à notre vie tout entière la dimension d’une prière. À cet égard, le sermon est un acte pré-médité. Avant d’être un orateur, le prédicateur est un adorateur. » Mais, en préalable à cette remarque, il écrit : « Cette écoute est, bien entendu, celle de Dieu ».
Une prédication trouve pourtant parfois ses racines dans l’écoute de quelqu’un d’autre que Dieu. Et c’est souvent dans le constat ou la découverte d’un problème ou d’une contradiction entre ce que nous vivons et ce que dit la Bible, ou entre ce que ma foi, jusque-là assez tranquille, me disait et ce que le monde qui m’entoure me renvoie, que germe le thème d’une prédication et le problème qu’il soulève. Dans une langue sans doute moins belle que celle de mon professeur de théologie pratique, je dirais volontiers que c’est dans l’écoute des situations ou des affirmations où la foi est mise en échec que naît la prédication.
C’est quand il y a un problème entre l’existence de Dieu et mon existence que je commence à me poser un problème théologique. C’est sans doute pour cela que le travail pastoral qui accompagne la vie quotidienne du pasteur et qui teinte sa pratique de toutes les nuances humaines qui l’entourent est très souvent le terreau propice pour que germe une idée de prédication.
Écouter les autres, son prochain, son frère, sa sœur en humanité, permet souvent de soulever une difficulté et de s’atteler à chercher à la comprendre, d’abord parce qu’on veut soi-même sortir de l’impensable de notre action ou de notre relation. Ainsi, le prédicateur se prêche avant tout à lui-même. Les prédications sont souvent lourdes de tout le métier pastoral qui les nourrit mais aussi de toutes les contradictions qui construisent notre vie personnelle.
Ainsi, la prédication est-elle enracinée davantage dans le scepticisme sincère d’un croyant qui se voit bousculé dans ses convictions par le réel, que dans le lien d’une foi complète en Dieu.
C’est pour cela, sans doute, qu’il existe des prédications libérales et des prédications qui ne le sont pas.
Celles qui le sont prennent en compte l’inadéquation entre l’assurance de notre salut, que la foi nous fait vivre intimement et l’absence criante de salut autour de nous pour la plupart des situations de vies. Celles qui ne le sont pas affirmer la primauté des dogmes de la religion sur l’expérience humaine et font comme s’il était possible de faire rentrer nos existences dans les critères des dogmes.
La prédication libérale ne cherche pas à défendre la Bible contre les objections humaines, elle défend les humains contre une utilisation fallacieuse de la Bible pour les soumettre à d’autres humains.
On ne connaît donc jamais la portée des mots d’une prédication. C’est un événement qui peut avoir des retentissements dans la vie de personnes singulières, mais aussi parfois dans des communautés toute entières. Souvenons-nous de la prédication de Jésus lui-même qui n’en finit pas de nourrir le chemin des croyants chrétiens et de nombre de non-croyants aussi.
 
Qui veut faire l’ange fait la bête :

Cette question de l’écoute est très importante parce qu’elle pose la prédication comme une activité d’ouverture aux cris du monde et remet le problème du salut au centre de la question théologique. La prédication est trop souvent faussement naïve pour ne pas déplaire et ne pas soulever les problèmes que posent les textes et, par voie de conséquence, les problèmes d’actualité.
Cette naïveté est coupable, parce qu’elle ne rend pas justice à l’utilité de la théologie et en fait une matière inerte, bloquée dans la matière minérale de ses dogmes, alors qu’elle est, du fait même qu’elle aborde le croire plus que le savoir, le doute plus que les certitudes, une matière vivante en mouvement.
Cette naïveté est aussi coupable parce qu’en n’abordant pas les problèmes du siècle dans lequel on prêche, on laisse entendre que Dieu ne sauve plus aujourd’hui dans ce monde, mais existerait dans le ciel, de façon très lointaine. 
Affirmer que notre religion est une religion de la parole vive implique aussi une autre conséquence : celle de l’incarnation. Comme on l’a vu à l’instant, le prédicateur est inséré dans un monde qui le transforme et le questionne. Assumer ce questionnement comme le travail majeur de la théologie, revient à ne jamais croire qu’une vérité toute nue est saisissable dans la Bible, mais que toujours ce sont des hommes et des femmes pris et prises dans leur monde qui ont parlé du salut de Dieu tel qu’ils ou elles le ressentaient à leur époque avec en eux les cris du monde qui résonnaient.
 
La lecture historico-critique :

En conséquence, cela implique une lecture historico-critique des témoignages anciens, pas pour obtenir une information ou une érudition sur l’histoire des hommes et des femmes qui ont fixé par écrit leur témoignage de foi et de scepticisme, mais comme un méthode qui permette de comprendre quels problèmes sont sensés être réglés avec la théologie qui se déploie dans les textes pour des hommes et des femmes de ces époques lointaines, et ne pas être dupes des buts recherchés par les auteurs de ces textes qui étaient souvent tour à tour des prédications, des plaidoyers, des apologies de Jésus, des discours politiques, des mémoriels pour les communautés, ou encore des actes de paroles identitaires. Cette méthode n’a d’intérêt pour le prédicateur que s’il ne s’y arrête pas mais qu’il poursuit son audace jusqu’à aller regarder ce que nos témoignages de foi contemporains comportent de problèmes, d’anachronismes, d’idéologies, si nous utilisons les témoignages anciens à des fins de preuves pour une théologie d’aujourd’hui.
La lecture historico-critique implique ce pas de côté qui permet de ne pas être servile à une autorité supposée de la Bible qui est toujours multiconfessionnelle et ne peut faire autorité dans nos paroles et nos actes que très indirectement.
Cette lecture historico-critique permet aussi, au passage, de revoir la canonicité des textes comme une notion relative et de ne pas prêcher exclusivement sur des textes autorisés par le canon protestant. Il est parfois très éclairant d’aller lire un peu plus large.
 
La parole assumée :

Cette exigence méthodique oblige bien sûr le prédicateur à une certaine rigueur. C’est sans doute pour cela qu’on taxe si facilement les prédicateurs libéraux d’intellectuels de la foi, comme si c’était une tare et que le cœur valait mieux que la raison.
Mais c’est justement à cause du cœur et de la conscience individuelle qui engage l’être entier, sa probité, sa liberté, son courage et sa foi, que les prédicateurs libéraux sont des chercheurs méthodiques. Si vous reconnaissez que la Bible a en elle-même une autorité telle que tout ce qu’elle contient est vrai pour nous aujourd’hui, alors vous n’avez pas besoin de méthode : vous lisez la Bible devant un auditoire qui, s’il conteste dans son cœur ce qu’il entend, est accusé d’être rebelle à la parole de Dieu toute puissante, et pour prêcher, vous affirmez une application directe de ce qui est dit dans le texte, sans chercher à le contester ou à le mettre en perspective.
De plus, vous pouvez crier très fort, et le tour est joué, l’autorité de la Bible se retrouve incarnée par vous et légitimé par votre ton assuré. Évidemment tout cela n’a rien de très libéral.
La prédication libérale est donc toujours un acte de courage, non pas parce qu’elle affirme, mais parce qu’elle remet en question la légitimité des autorités jusque-là incontestée.
On comprend ici que distinguer la forme et le fond d’une prédication n’a plus aucun sens en régime libéral. On peut écrire tout le texte avant de prêcher, dire les mots avec véhémence sans texte, ne rien écrire du tout et improviser une prédication en la chuchotant presque, on peut l’écrire pour la dire, en la lisant un peu ou en l’ayant apprise complètement par cœur, on peut la déclamer comme un poème ou la dire comme un exposé scientifique ; de quelque façon qu’elle soit dite, la prédication engage celui ou celle qui la prononce. Qu’il ou elle le veuille ou non, il faudra l’incarner. Et c’est dans la brèche qui apparaît entre l’existence de celui ou celle qui dit et la parole qu’il ou elle dit que le risque de dissonance est grand. L’inadéquation entre l’un et l’autre est terrible et s’explique souvent par la peur. Peur de choquer, et on n’ira pas assez loin dans son propos ; peur de se tromper, et on se justifiera trop ou on ne dira que ce dont on est certain ; peur de décevoir, et on dira ce que l’on suppose être attendu ; peur de ne pas séduire, et on mettra son moi au centre de l’acte de prêcher, quitte à prendre des coups narcissiques délétères ; peur de ne pas convaincre, et on sera trop explicatif en oubliant le pacte de confiance nécessaire à la prédication ; bref, toutes ces peurs qui accompagnent l’acte de parole vive et ses conséquences.
 
Ainsi, que cherche la prédication libérale ?

Peut-être justement pas à avoir raison au-dessus des autres, mais à rejoindre chaque personne de son auditoire dans son existence. La prédication est alors une recherche partagée, un chemin fait ensemble et non un enseignement de celui qui sait vers celui qui ne sait pas. Car il s’agit ici de chercher ce qui nous relirait chacun à ce que chacun appelle Dieu tout en se fabriquant une culture commune. Il ne s’agit pas tant d’une recherche de savoir commun comme le fait un discours pédagogique, qu’une recherche de relation possible entre chacun et Dieu ou le divin, et entre les uns et les autres au nom de ce divin. Si cette relation est incarnée par la personne de Jésus comme archétype de la relation croyante, la prédication libérale ne ramène pas tout à Jésus explicitement, même si son modèle préside à beaucoup d’éléments dans une prédication, notamment dans la portée éthique du discours.
La prédication libérale cherche donc à proposer une voie vers Dieu ou son salut, parmi d’autres, et sans jamais oublier qu’il y en a d’autres et qu’elles peuvent être aussi légitimes. Le prédicateur libéral ne doit pas négliger les autres religions qui sont d’autres voie vers Dieu à travers d’autres voix pour s’exprimer et, de plus, il n’oubliera pas qu’il y a beaucoup de façons de recevoir sa prédication et qu’elle n’est jamais univoque au sein d’une assemblée collective, ni chez une personne individuelle.
 
À qui s’adresse la prédication libérale ?

Mon professeur de théologie pratique, Laurent Gagnebin, disait aux étudiants : quand vous prêchez, pensez à celui qui est assis le plus au fond à gauche, parce qu’il est passé par là et qu’il a voulu voir ce qui se passait à l’intérieur. Il faut donc que le langage soit le plus clair possible et non un langage pour chrétiens initiés aux mystères de la foi.
J’ai retenu cette recommandation en ces termes : « pense à l’athée du fond à gauche ».
Le fait de présumer que ce nouveau-venu est peut-être athée, rajoute une autre dimension à l’exigence de clarté : celle d’être dans une attitude d’ouverture et d’hospitalité langagière.
En effet, la prédication libérale s’adresse aux athées et aux croyants et ne présume pas de la foi de chacun, ni dans un sens ni dans l’autre. Les « piliers du temple » peuvent être dans un grand doute quant à la présence de Dieu pour eux et les nouveau-venus, qui ont juste vu de la lumière et sont rentrés par hasard, peuvent être animés par une recherche très grande ce jour-là. Le prédicateur ne le sait pas et ne doit pas en préjuger. Il doit dire des choses qui sont audibles par le monde qui entoure le temple et ne pas se contenter d’un entre-soi.
Cette précision est importante parce que cela veut dire que la théologie elle-même se laisse influencer par l’évolution du monde et n’y est pas hermétique. La tradition dans laquelle prêche le prédicateur libéral existe, mais comme une tradition qui se réinvente continuellement.
 
Quelle prédication pour quelle transformation ?

Au-delà de cette ouverture, la prédication est un acte créateur de parole. Mais au sens de logos, c’est à dire de raison, de signification, de sens.
Pour ce faire, le libéralisme a la liberté de recourir à toutes les formes de langages propres à faire émerger ce logos. Les sciences humaines y sont des aides importantes parce qu’elles font entrer le texte en résonance avec les recherches que les sciences mènent pour, elles aussi, comprendre les relations humaines et les relations des humains avec le monde qui les entoure.
Le langage de la prédication changera donc selon la transformation qu’il vise.
Si nous sommes dans le contexte du dimanche matin avec une assemblée venue pour écouter un enseignement sur une théologie chrétienne dans un texte de la Bible, la prédication sera à la fois un enseignement et une proclamation de l’espérance de salut que véhicule la théologie chrétienne.
Sa forme sera celle d’un discours rationnellement construit pour que chacun comprenne intellectuellement le propos et puisse nourrir sa méditation spirituelle personnelle.
En revanche si nous sommes dans un contexte de deuil ou de grande joie, la prédication parlera davantage à l’affectivité qu’à la raison. Tout en restant rationnel, le propos pourra prendre des formes qui relèvent plus de l’évocation poétique que de l’exposé universitaire.
Ainsi, dans un culte d’action de grâce, le but recherché est d’avantage celui de consoler en suscitant à nouveau la vie du défunt plutôt que de faire un exposé théorique sur la résurrection. Dans un cas, nous sommes dans le temps de la compréhension, de la formation et du débat d’idées, dans un autre, nous sommes dans le temps du réconfort et de la consolation par des mots qui rejoignent l’affectivité et deviennent des moyens d’expression de la vie qui s’est arrêtée pour la rendre de nouveau présente.
Dans les prédications de mariage, il ne s’agit pas non plus de l’exposé théorique sur la théologie de l’alliance et de ses controverses, mais plutôt de faire sentir dans un contexte de joie et dans la solennité d’un engagement, la présence de Dieu auprès de celui et celle qu’il bénit.
Ainsi, la prédication libérale a tout loisir de s’adapter aux situations de vie des uns et des autres et n’est pas là pour affirmer la théologie d’une église, mais bien plutôt pour créer des mots pour dire des situations complexes dans lesquelles, sans la prédication, la présence de Dieu ne serait pas évidente.
La compréhension symbolique de la parole permet cette plasticité du discours et cette prise en compte de notre humanité dans son ensemble. La Bible nous offre des exemples très variés de prédications, des textes poétiques du Cantique des Cantiques à la forme de conte philosophique de Job, en passant par les sentences incisives des Proverbes ou les interpellations des prophètes. Toutes ces formes, sans oublier la forme particulière des Évangiles, ces récits mémoriels, ou les lettres de Paul, sont autant de formes littéraires qui prêchent la parole de Dieu dans des contextes variés et pour dire des vérités différentes.
 

La prédication est donc une parole habitée au sens où celui ou celle qui la prêche l’habite comme un lieu de vie où les destinataires de cette parole sont invités à le rejoindre. La prédication est une sorte de tente de la rencontre où le prédicateur, l’assemblée et Dieu viennent se rencontrer selon des modalités symboliques où à la fois rien n’est fixé éternellement, et, à la fois, des choses éternelles s’échangent, se révèlent. C’est donc une halte dans nos vies, l’espace d’un campement dans notre nomadisme, pour élever au symbolique la matière qui constitue nos vies. D’une certaine façon la prédication a à voir avec l’œuvre de l’artiste ou de l’artisan d’art.