Le deuxième sexe
Le deuxième sexe
Théophile, 15 mars 2022
LES FIGURES FÉMININES DE LA BIBLE À L’ÉPREUVE DU DEUXIÈME SEXE DE SIMONE DE BEAUVOIR
Conférence de Béatrice Cléro-Mazire, Pasteure à l'Oratoire du Louvre, et Jean-Pierre Cléro, Professeur de philosophie
PLAN
Introduction
I - Les figures de la femme dans l’Ancien et dans le Nouveau Testaments, et leur lecture par les femmes protestantes.
II - La critique beauvoirienne de l’attitude religieuse à l’égard de l’inégalité homme / femme
II.1 L'idéologie chrétienne
II.2 Signification de la vierge Marie
III - La temporalisation des valeurs
IV - Les thèses soutenues par Beauvoir censées converger entre elles
V - De Simone de Beauvoir à Gisèle Halimi
Annexe : Recueil des textes pour la séance de Théophile du 15 mars 2022 : Le deuxième sexe
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INTRODUCTION
Beauvoir a fait éditer chez Gallimard en 1949 un livre volumineux de plus de mille pages pour faire le point sur la situation de la femme au sortir de la Seconde guerre mondiale et pour proposer des solutions pour mettre fin à sa condition inférieure à l’homme (au mâle).
Le Deuxième Sexe a été reçu, à la charnière des années 40 et 50, sans doute par les « femmes » mais aussi par la société entière - et bien au-delà des lecteurs francophones, chez les anglophones, en Grande Bretagne et aux États Unis -, comme un choc et il l’est encore pour ceux qui le lisent aujourd'hui ; avant même qu’on en perçoive le sens. Avant d’être vrai ou faux, le livre a pris les caractères d’un séisme.
Le bilan qu’elle dresse de la condition féminine, en subissant les injures et les coups des adversaires que le livre a connus immédiatement, et en tentant de relever un niveau souvent très bas des attaques, est accablant, quand bien même il aurait évolué depuis l’antiquité et à travers l’histoire. Accablant pour l’homme qui continue d’abaisser la femme et ne la tient pas pour son égale et accablant pour la femme elle-même qui n’a pas su se libérer et qui aurait dû apprendre depuis longtemps qu’elle ne devait compter que sur elle-même pour cette libération.
En effet, Beauvoir n’est pas féministe comme on l’était dans ces années 40 et dans les décennies de l’entre-deux guerres. L’homme n’est pas un adversaire et l’inégalité des femmes par rapport aux hommes prend plutôt un caractère structurel ; mais, structurelle ou pas, l’inégalité reste un fait inadmissible qui impose des solutions ; cette situation doit changer ; c’est aux femmes de le faire ; si l’égalité est le propos, la femme ne doit pas compter sur l’homme pour la réaliser. C’est à elle de l’imposer et de la construire et elle ne doit compter que sur elle pour cela. Le livre prend, de ce point de vue, des accents churchilliens : il promet aux femmes du sang et des larmes. Sans toutefois jamais préconiser la violence contre les hommes ; G. Galimi en a fait la remarque dans La Cause de Femmes, Gallimard, Folio, Paris, 1992, p. XVII : a-t-elle jamais été utilisée dans les combats féministes ?
Ce point, que j’ai rapidement qualifié de churchillien, a souvent été mal compris par celles et ceux qui n’avaient aucune prévention d’entrée de jeu contre le combat de Beauvoir. Il faut comprendre que la philosophie de Beauvoir est une philosophie de la liberté ; non pas, en premier lieu, du bonheur ou du plaisir. Elle ne promet pas le bonheur aux femmes. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas chercher le bonheur ou le plaisir ; mais, si je le cherche, je dois alors savoir que c’est à moi de m’offrir mes plaisirs, que c’est sur moi, femme, qu’il faut compter pour être heureuse en assumant toutes les conséquences de mon projet. Ma liberté n’adviendra pas sans indépendance à l’égard d’un homme quel qu’il soit, mari ou amant ; mais par mes propres moyens, par mon propre travail. Aucun cadeau ne sera fait aux femmes : l’indépendance économique de la femme se gagne avec la même dureté, la même difficulté, que celles des mâles.
Les thèses défendues par Beauvoir peuvent se résumer en trois positions clés qu’E. Badinter a su déceler. et parfaitement regrouper en associant trois affirmations qui enthousiasmaient les uns et dérangeaient les autres : une femme peut avoir toute sa place dans la société et peut-être même y être plus utile en ne se mariant pas, en n’ayant pas d’enfant (pas par projet, du moins) et en construisant par elle-même et selon ses valeurs ce qu’elle veut y faire.
Le livre contient, à mon avis, comme nous le verrons, un peu plus de thèses qui s’entrelacent. Je ne saurais trop vous conseiller de lire - au moins de compulser - ce livre qui, sans être de lecture facile, est un ouvrage qui se lit bien. On tourne les pages à bon rythme.
Le livre, toujours intéressant, est certes un peu touffu ; quelque peu byzantin, hirsute. Je retiens pour ma part ce soir deux moments fondamentaux : le chapitre qu’elle appelle un peu bizarrement Histoire - sans préciser histoire de quoi ? au cours de quelle période ? - et Mythes - sans délimiter davantage l’imaginaire, la mythique, qui se sont construits autour de la femme.
Nous allons mettre l’accent sur un fil conducteur du livre qui, d’une part, n’en contient pas qu’un et qui, d’autre part, ne donne pas lieu à un chapitre particulier mais plutôt à des retours et à des recoupements constants : est-ce que le christianisme a été un appui pour que la femme se libère ? A-t-il été un allié dans la quête de la femme pour son égalité avec l’homme ou a-t-il été au contraire un un facteur accablant, de ce point de vue ? La difficulté est que Beauvoir appelle christianisme en réalité plutôt et sans s’en expliquer davantage le catholicisme. Le protestantisme ne donne lieu qu’à des allusions très sporadiques (sur Luther ; et sur l’austérité ou l’ascétisme protestants). Le Nouveau Testament est réduit aux Épîtres de Paul, apôtre toujours considéré à charge ; l’attitude du Christ envers les femmes de l’Évangile ne fait pas l’objet d’une étude spécifique.
Le problème étant posé ainsi, sa conclusion est évidemment que le christianisme n’a pas été cet allié, quand bien même il a paru l’être à ses débuts ; dans un anachronisme assez déconcertant, Beauvoir établit que, étant une affaire plutôt d’hommes que de femmes, il n’a pas aidé les femmes dans leur combat pour la liberté et l’égalité dont il a largement ignoré les notions, et qu’il a servi - en le voulant et, plus souvent encore, sans le vouloir - la cause des antiféministes. Les chrétiens n’ont d’ailleurs, dans cette perspective, certes pas à rougir davantage de leur histoire que les Juifs ou que les Musulmans. Beauvoir cite, de toutes parts, des propos terrifiants dont il est impossible de nier l’existence mais aussi qu’aucun libéral de ces religions ne peut considérer comme recevables de quelque façon que ce soit. Ils sont tous à rejeter sans concession.
Les religions ne sont conviées, dans cette encyclopédie qu’est Le Deuxième Sexe, comme le sont la biologie, la sociologie, la psychanalyse, le matérialisme historique, que pour expliquer par des causes et des raisons l’inégalité des hommes et des femmes. Ces causes et ces raisons se révéleront introuvables ; ou, quand on les trouve, elles se révéleront mal fondées. Ni la biologie, ni les sciences humaines n’apportent de solution à un problème qui paraît logiquement pourtant bien posé dans ces termes :
« Lorsque deux catégories humaines se trouvent en présence, chacune veut imposer à l’autre sa souveraineté ; si toutes deux sont à même de soutenir cette revendication, il se crée entre elles, soit dans l’hostilité, soit dans l’amitié, toujours dans la tension, une relation de réciprocité ; si l’une des deux est privilégiée, elle l’emporte sur l’autre et s’emploie à la maintenir dans l’oppression. On comprend donc que l’homme ait eu la volonté de dominer la femme : mais quel privilège lui a permis d’accomplir cette volonté ? » (DDS, p. 111).
Beauvoir va inspecter toutes sortes de privilèges qui expliqueraient de facto la domination des hommes sur les femmes ; montrer qu’il n’y en a pas de valides et surtout que, quand ces privilèges apparaissent valides, ils ne sont ni légitimes ni bien fondés.
Il faudra nous demander, quant à nous, si le problème est aussi bien posé qu’il le paraît ; si sa position même par Beauvoir ne contient pas beaucoup de défauts qui rendent sa solution impossible ; s’il ne pourrait pas être mieux posé et, si possible, sans compromettre d’entrée de jeu sa solution. Car si le livre comporte un dernier chapitre intitulé « Vers la libération », il est souvent noir comme de la sépia et ne laisse pas beaucoup de place à l’espoir.
La difficulté méthodique qui rend d’entrée de jeu la solution du problème impossible tient à ce que Beauvoir, quoiqu’elle s’en défende, et que sa philosophie ne le lui permette guère, substantialise les notions d’« homme » et de « femme ».
Loin d’être aussi désespérés qu’elle, nous nous demanderons si, en utilisant la philosophie de Sartre et même en l’instrumentalisant, elle s’est bien dotée des outils qui convenaient pour résoudre son problème ; car il y a un singulier décalage entre sa philosophie et celle de Sartre -. Nous pensons que, plutôt que d’opposer homme et femme comme deux entités constituées, il convient de considérer que chacun, homme ou femme, a en puissance une grande multiplicité de personnages ; que c’est par cette puissance d’entrelacement qu’une solution de ces conflits est possible.
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