2016-2017 N°7 - Le Mythe et Bultmann par Denis Guénoun
Le Mythe et Bultmann avec Denis Guénoun et Marc Pernot
Cycle Philosophie et Théologie 2016-2017
Conférence N°7 du 18 avril 2017
Texte de la conférence ici (sur denisguenoun.org)
Texte de la conférence ici (sur oratoiredulouvre.fr)
Vidéo de la conférence & débat
Sur la question du mythe
(Oratoire du Louvre, « Philosophie et théologie », 18 avril 2017)
Au printemps 1941, le théologien allemand Rudolf Bultmann prononçait à Francfort, puis dans la petite ville d’Alpirsbach une retentissante conférence, publiée quelques semaines plus tard, et intitulée « Nouveau Testament et mythologie » 1. Ce texte a exercé une influence considérable, aussi bien dans son contexte immédiat, que, peut-être plus profondément encore, dans les années d’après-guerre, où, avec d’autres écrits du même auteur sur la même question 2, il a donné lieu à des débats d’une extrême intensité, autour du thème de la « démythologisation » du christianisme. Puis les échanges se sont apaisés. Comme si le vif de l’analyse proposée par Bultmann avait été, pour certains, digéré – après s’être vu émondé de quelques aspérités inconvenantes – devenant ainsi une sorte d’acquis de la réflexion du siècle, et comme si, pour d’autres, il avait été pour l’essentiel écarté, et se trouvait traité désormais comme une de ces vieilleries des débats cinquante-, soixante- ou septante-huitards dont nous serions heureusement sortis. Or, lorsqu’on relit ce texte avec attention – il a été depuis peu publié dans une excellente édition 3 – on est saisi par la secousse qu’il ne peut manquer de provoquer chez un lecteur tout simplement sincère. Les premières pages en particulier sont très « violentes », mais l’adjectif dans ce contexte me paraît déplacé. Disons plutôt que le lecteur n’est pas ménagé, que sa surprise est marquante, et que des assertions fortes l’appellent impérieusement à prendre un parti.
Avant d’entrer dans cette lecture, il faut rappeler que c’est un théologien qui s’exprime, personnalité majeure de l’Église allemande dite dans ces années « confessante » – ce qui signifie : engagée dans la résistance active au nazisme, à sa mainmise sur la pratique religieuse, et à ce qui apparaît aux tenants de cette tendance comme une dénaturation radicale des dimensions essentielles de leur foi. Le trait remarquable est que de nombreux pasteurs, universitaires, chrétiens en général expriment clairement ce refus et agissent en conséquence – ceux qui participent à l’Eglise confessante, laquelle s’est formée en rupture avec le mouvement dit des « Chrétiens allemands », qui souhaitait au contraire l’intégration de l’Église dans l’appareil (et donc dans la doctrine, et les actions) du nazisme. Devant une assemblée réunie par une association liée à cette Église confessante, c’est-à-dire résistante au sens strict, Bultmann prend la parole sur le rapport entre le Nouveau Testament et la mythologie. La conférence débute par des déclarations abruptes. Permettez-moi de vous en lire les premières lignes.
L’image du monde du Nouveau Testament est une image mythique. Le monde est considéré comme une réalité divisée en trois étages. Au milieu se trouve la Terre, au-dessus d’elle le Ciel, en dessous d’elle le Monde inférieur. Le Ciel est le domicile de Dieu et des êtres célestes, les anges ; le Monde inférieur est l’Enfer, le lieu des tourments. Mais la Terre elle-même n’est pas seulement le lieu où se déroulent les événements naturels et quotidiens, le lieu de la prévoyance et du travail qui comptent sur l’existence d’un ordre et de règles ; elle est aussi le théâtre où agissent des puissances surnaturelles, Dieu et ses anges, Satan et ses démons. Les puissances surnaturelles interviennent dans le cours de la nature comme dans la pensée, la volonté et l’agir de l’homme ; les miracles ne sont rien d’exceptionnel. L’homme n’est pas maître de lui-même ; des démons peuvent prendre possession de lui ; Satan peut lui inspirer des pensées mauvaises ; mais Dieu peut également guider ses pensées et sa volonté, peut lui faire voir des visions célestes, lui faire entendre sa parole qui ordonne et qui console, peut lui offrir la force surnaturelle de son Esprit. L’Histoire ne suit pas son cours constant et régulier mais reçoit son mouvement et son orientation de ces puissances surnaturelles. Cet éon 4 se trouve sous le pouvoir de Satan, du péché et de la mort (qui sont justement considérés comme des « puissances ») ; il cours vers sa fin, et même sa fin prochaine qui prendra la forme d’une catastrophe cosmique ; les « douleurs » du temps de la fin sont imminentes, tout comme la venue du Juge céleste, la résurrection des morts, le jugement au salut ou à la perdition. 5
Le tableau impitoyable ainsi dressé de la présence, et de la saturation, du Nouveau Testament par l’image mythique du monde ne se limite pas à ce premier paragraphe. Il se poursuit par un exposé de la vision néotestamentaire de « l’événement du salut », complètement intégrée dans cette même image. Tout y passe : le temps de la Fin, Dieu envoyant son fils, ce dernier figuré en être divin préexistant qui apparaît sur Terre comme un humain, sa fin sur la croix, la résurrection qui enclenche la catastrophe cosmique, laquelle annihile la mort et marque la défaite des puissances démoniaques, le Ressuscité élevé au ciel à la droite de Dieu, qui reviendra sur les nuages du Ciel 6. « Alors auront lieu la résurrection des morts et le jugement, alors seront annihilés le péché, la mort et toute forme de souffrance. Et cela se produira bientôt ; Paul pense vivre encore cet événement. 7 » Le diagnostic est catégorique : « C’est dans une langue mythologique que s’exprime la prédication », « Tout cela est une manière de parler mythologique 8 ».
Or, poursuit Bultmann, ces motifs mythiques, empruntés au monde où vivent les rédacteurs du Nouveau Testament, et qui « peuvent sans difficulté être reconduits à la mythologie de la même époque » 9, sont incapables de constituer des objets de foi pour les hommes d’aujourd’hui, parce qu’« il s’agit d’une manière de parler mythologique », et que l’image mythique du monde qui l’imprègne « n’est pas crédible pour l’homme d’aujourd’hui. » 10 Quelle est la cause de cet écart ? Il tient à ce qu’« il est impossible de revenir à l’image mythique du monde après que toute notre pensée a été formée de façon irrévocable par la science 11. » Sur ce point, l’argumentation de Bultmann est plus profonde et fine qu’une première lecture pourrait le laisser croire. Il ne s’agit pas seulement de dire que la science moderne a transformé notre vision du monde parce qu’on nous en enseigne les résultats, dans les écoles et les universités, et qu’on nous a donc appris à reconnaître des vérités d’un type nouveau, étrangères aux démons, aux esprits, aux miracles et aux résurrections. Non, la pénétration irréversible de notre manière de penser par la vision du monde qu’informent les sciences ne découle pas, en tout cas pas seulement, et peut-être même pas principalement, de cette diffusion didactique. Elle résulte de notre mode de vie : dans notre vie pratique la plus courante, les opérations auxquelles nous nous livrons, dit Bultmann, sont modelées par le principe de causalité, de raison suffisante. Que nous allumions un interrupteur, que nous confiions notre corps à une opération chirurgicale ou que nous utilisions un moyen de transport rapide, nos modes de vies pratiques sont pénétrés du mode de pensée que construisent les sciences appliquées. Pour le dire autrement, notre vision du monde est le résultat de la structuration de nos vies par la technique. « Accepter aveuglément la mythologie néotestamentaire », écrit Bultmann, « serait un « sacrificium intellectus contraint ; et qui y consentirait serait étrangement divisé avec lui-même, et manquerait de probité 12. » Retenons, pour y revenir plus tard, les deux thèmes décisifs de la division (de soi) et de la probité qui s’y oppose. « Car il [celui qui consentirait à ce sacrifice de l’intellect] approuverait pour sa foi, sa religion, une image du monde qu’il nie par ailleurs dans sa vie 13. » Telle est, brièvement résumée, la thématique que Bultmann développe de façon bien plus détaillée, et convaincante, au début de sa conférence. Devant ces propositions, et celles qui les accompagnent, plusieurs attitudes distinctes se font jour aujourd’hui.
L’une d’entre elles consiste à souligner le contexte exceptionnel dans lequel ces pages ont été écrites, et cette conférence prononcée. C’est au cœur de la catastrophe nazie, au moment où le régime hitlérien paraît au somment de sa puissance, quand rien ne semble pouvoir lui résister, ni au dedans ni au dehors. On remarque alors la force du geste de Bultmann, et aussi sa complexité, puisque l’Église confessante, où se réunissent des énergies remarquablement courageuses, est néanmoins traversée par des courants théologiques très différents, que portent des héritiers du libéralisme aussi bien que des tenants d’une orthodoxie rigoureuse. Les milieux protestants favorables au nazisme pratiquaient une interprétation très relâchée du message évangélique, considérant que la révélation pouvait se frayer sa voie à travers la mission historique attribuée au peuple allemand par l’idéologie hitlérienne. Face à ces distorsions, une part des résistants les plus résolus en revenait à une interprétation orthodoxe, littéraliste, des textes évangéliques, au nom de la préservation du message chrétien dans son authenticité. Pour refuser le dévoiement de ce message, ils défendaient l’approche littérale des Écritures, sans place pour l’interprétation ouverte, écartant toute critique qui veuille se confronter au monde moderne, dans sa nouveauté. En ce sens, la résistance au nazisme pouvait sembler, pour eux, aller de pair avec un conservatisme théologique marqué. Dans cette situation, c’est une singularité de Bultmann que d’affirmer, même dans ce contexte, la nécessité de ne pas se cramponner à l’image mythique du monde que porte le Nouveau Testament, de ne pas justifier par la résistance au nazisme un abandon de la méthode historique, critique, mais de prôner au contraire son usage maintenu, voire sa radicalisation.
Cette lecture historienne de la conférence de 1941 est extrêmement utile, souvent passionnante, et elle s’exprime par exemple dans l’introduction, la notice et les notes de l’édition française récente, avec une rigueur savante, et une information sans faille me semble-t-il. Il n’y a rien à y objecter, surtout de la part du non-spécialiste de Bultmann que je le suis.
Mais il me semble que cette lecture historienne précise et salutaire ne doit pas conduire à enfermer la réception de cet écrit dans son contexte historique. Je veux dire : la connaissance de la situation où s’exprimait Bultmann en 1941 ne doit pas nous faire délaisser la force d’interpellation contenue dans ces pages, pour nous, lecteurs qui la découvrons dans notre situation d’aujourd’hui, et nous priver de recevoir le questionnement sans détour qu’elles nous adressent.
Prenons-en un exemple, qui ne concerne pas particulièrement cette édition ni ses éditeurs, mais la réception présente de Bultmann, de façon plus large. Il est fréquent de lire à ce propos (enfin, fréquent… pour autant que la lecture de Bultmann soit fréquente 14) que l’on doit se prémunir contre une interprétation simpliste de la « démythologisation ». En effet, Bultmann lui-même n’a cessé de mettre en garde contre une compréhension qui ferait de la démythologisation une opération « sélective », vouée à trier dans le Nouveau Testament ce qui serait mythique et ce qui ne le serait pas. L’auteur prévient contre cette façon de le lire, pour la raison essentielle que, de son point de vue, toute l’image du monde contenue dans le Nouveau testament est mythologique, et que si donc il s’agissait de trier l’ivraie mythologique du bon grain néotestamentaire, on aboutirait à tout enlever et à ne rien conserver du tout.
Contre cette approche erronée, Bultmann affirme que la démythologisation n’est pas sélective, mais interprétative, et que son but n’est pas de couper, mais de dégager le sens fondamental, qu’il appelle proclamation ou kérygme, sens qui se manifeste à travers cette vision du monde dépassée.
La mise en garde dont nous parlons est donc, en elle-même, irréprochable. Mais elle peut cependant aboutir à une sorte de stérilisation de la lecture de ces écrits, ou en tout cas à une atténuation de leur portée. En effet, dire que l’on ne peut pas extraire du Nouveau testament ses éléments mythiques ne doit pas nous conduire à émousser le tranchant de la critique et, pour ainsi dire, à nous retirer, à nous mettre à l’abri, devant son extraordinaire force de mise en question. Ou encore : nous porter à ne plus laisser agir l’interpellation bultmannienne concernant l’imprégnation mythique des textes, et à faire taire la question aiguë que cette dépendance nous adresse. On a quelque motif de considérer ce danger comme plus pressant aujourd’hui, dans notre présente actualité intellectuelle. Car on entend dire que la démythologisation, la mise au jour des contenus mythiques de la Bible, n’est pas une originalité de Bultmann, qu’elle était engagée depuis longtemps (depuis le développement de la critique historique des textes, en particulier protestante, au XIXème siècle), et qu’elle est donc un acquis déposé dans nos consciences, dont nous n’avons pas besoin de réactiver l’usage. En d’autres termes : plus personne ne croit que le « Ciel » dont parle la Bible est la stratosphère que percent nos satellites, ni même un espace cosmique plus éloigné, plus personne ne croit que les Enfers sont au fond de la Terre, et toute démythologisation qui voudrait se situer sur ce plan est à la fois inutile et périmée.
Il me semble que, malgré son évidence apparente, cette mise de côté de la valeur provocatrice de ces pages de Bultmann est trop rapide. Et pour les raisons que voici. En premier lieu, il est exact, en effet, que la lecture historique et critique des textes bibliques est un acquis de travaux innombrables depuis les Lumières (et déjà depuis Spinoza), qui se sont déployés de façon particulièrement forte, en particulier dans la critique protestante d’inspiration libérale, scientifique et critique, au XIXème siècle et au début du XXème. Mais s’en tenir là pour considérer que la tâche est accomplie suppose d’ignorer ce fait considérable de l’histoire intellectuelle et culturelle récente, qui est que nous assistons depuis au moins une quarantaine d’années à un très puissant mouvement de re-mythologisation, lequel ne se limite pas à la pensée chrétienne ni même aux traditions religieuses. Ce mouvement s’exprime, de façon manifeste, dans les progrès des différents littéralismes qui ont investi la lecture des textes fondamentaux dans plusieurs religions, portés par les multiples fondamentalismes, chrétiens (protestants, catholiques, orthodoxes) mais aussi par les « intégrismes » musulmans, juifs, et sans doute bouddhistes ou autres qui touchent tous les continents. Les intégrismes sont d’abord de prétendus littéralismes (prétendus, parce qu’en vérité, lorsque que cela leur est nécessaire, ils n’hésitent pas à faire violence à la lettre des textes), et donc la re-mythologisation, la revalidation de l’ancienne image mythique du monde, est dans leurs parages particulièrement active. Réentendre la valeur de dénonciation et de critique intraitable contenue dans la conférence de Bultmann me paraît alors une nécessité de salut intellectuel et théologique d’une grande actualité. Les pages que je citais au début, et celles qui les accompagnent, agissent exactement sur ce terrain : elles ne font que dire, de façon catégorique et sans ménagement, ce qui peut apparaître comme des évidences du bon sens ou de la perception ordinaire. Et cependant la formulation de ces constats est impérative, en particulier dans le contexte qui est le nôtre.
Mais la re-mythologisation n’est pas seulement à l’œuvre dans la régression vers un littéralisme théologique ou religieux. Plus largement, au sein d’un mouvement culturel bien plus vaste, elle se manifeste par ce qu’on pourrait appeler le retour en faveur de l’idée de mythe.
Traditionnellement, le mythos a été pensé dans une forme de rivalité avec le logos. Les deux termes grecs désignent, pour le dire grossièrement dans notre langue d’aujourd’hui, le mythe et la raison, ou plutôt évoquent deux formes de discours, de parole, de langage dont l’une – mythos – se construit de façon essentiellement narrative, et l’autre – logos – de façon argumentative, ou déductive. Dans cette confrontation, depuis la pensée grecque classique jusqu’aux Lumières, le mythe n’a pas été nécessairement dévalorisé : apprécié comme transposition d’une expérience, ou comme trace de croyances collectives, et donc exprimant des sensibilités, des affects, et aussi des pensées mais dans leur expression symbolique, le mythe était considéré comme un témoignage précieux portant sur les données les plus profondes des cultures humaines. Mais les mythes restaient, dans ce face-à-face, toujours soumis à la critique de la Raison logique, seule capable d’en extraire ou d’en analyser les contenus et les formes à l’aide d’une pensée à ambition scientifique, objective, et de ce fait partageable et critiquable par un sens commun informé au mieux. Ce n’est donc pas l’intérêt des mythes, leur valeur ou leur sens qui a été réévalué par le retour en faveur que j’évoquais à l’instant. C’est leur place et leur rôle dans le dialogue mythos-logos. Une certaine idéologie qu’on peut qualifier comme anti-moderne, opposée aux Lumières et au plein exercice de l’activité rationnelle a prétendu, et prétend encore, redonner au mythe, et à la mythologie, une place éminente dans la culture, hiérarchiquement supérieure à la faculté rationnelle, laquelle se voit désormais mise en cause du fait des débordements incontrôlés de la civilisation technicienne. Un irrationalisme, issu de la réaction romantique contre les Lumières, s’est fait le héraut de ce renversement de point de vue. Cette confrontation a sans doute connu une étape nécessaire, salutaire, et le tête-à-tête tendu entre les Lumières et le romantisme a fait une part de la richesse de la culture européenne tout au long du XIXème siècle. Mais depuis une longue séquence du XXème, la relation a rompu son équilibre. La revalorisation du mythe a valu comme cheval de Troie entré dans la culture en vue d’une défaite de la rationalité, et donc de l’universalisme dont elle est solidaire. Il n’est pas indifférent qu’un moment intense de cette bataille ait été la période nazie, où ce combat avait fait rage, sous les auspices du livre d’Alfred Rosenberg, idéologue de proue du 3ème Reich, intitulé précisément Le Mythe du XXème siècle. Ce livre a été la cible des représentants de la pensée démocratique, rationaliste et universaliste, précisément parce que la notion de mythe y servait de caution à la domination particulariste, raciste, et dictatoriale dont le livre faisait la promotion. Les meilleurs penseurs chrétiens ne s’y sont pas trompés, et Bultmann en particulier, qui ont bien vu cette idéologie comme profondément solidaire d’un néo-paganisme dont le christianisme universaliste, et la culture biblique en général, étaient les adversaires prioritaires 15. À ce propos, on pourra lire avec beaucoup de profit le petit ouvrage Le mythe nazi 16, de deux philosophes français contemporains, qui développe, loin de Bultmann et pourtant en résonance profonde avec ce que je tente d’évoquer, la signification de cette valorisation du mythe. Or, comme le notent les auteurs, si le phénomène fut patent sous le régime hitlérien, il ne faut pas sous-estimer sa rémanence.
Toute une thématique appelant à un « retour » aux mythes, à une remise en honneur de la pensée mythique au détriment de l’activité rationnelle accusée de tous les maux du monde moderne, toute cette idéologie si active autour de nous est un trait de la re-mythologisation dont je parlais, qui s’attaque à la recherche scientifique, à la pensée historique et critique, et, simultanément et sans distinction, aux théologies chrétiennes les plus universalistes et anti-dogmatiques.
Le bref volume dont je viens de parler, Le Mythe nazi, s’interroge sur la raison qui fait du mythe un élément privilégié dans le dispositif idéologique du nazisme – et de toute une tradition culturelle dont il est à la fois le produit et l’intensificateur, et dont c’est peu dire de nos jours qu’elle n’a pas disparu. Les auteurs proposent, dans des développements brefs mais brillants, une caractérisation que je vais ici énoncer de façon simplifiée. Si le mythe, et le thème d’un retour à (et de) la mythologie est aussi central dans la pensée nazie, c’est parce qu’il est conçu et manié comme opérateur d’identification. Les auteurs parlent de sa « fonction identificatoire », et le désignent comme « appareil d’identification » 17. Le mythe est un outil puissant (et peut-être l’outil indispensable) de tout investissement d’une identité, et donc de toutes les politiques, ou cultures collectives, qui privilégient une approche de la vie commune fondée sur la valeur de l’identité à soi – que celle-ci soit elle-même collective, ou exprimée par des individus censément héroïques, sélectionnés pour leur puissance identificatrice 18. Il y a une solidarité profonde entre le désir d’une re-mythologisation et le privilège central accordé au thème de l’identité.
C’est en quoi je vois une profonde cohérence, extrêmement significative quoiqu’un peu cachée au premier regard, dans l’attitude de Bultmann qui, en 1941, au cœur du cauchemar, promeut la problématique théologique de la démythologisation, et met en garde ses compagnons chrétiens confessants contre un littéralisme théologique qui prétendrait s’appuyer sur une image mythique du monde pour combattre les mythes du nazisme. Telle est la première raison qui me fait penser que, face aux puissants désirs de remythologisation de la pensée, si actifs autour de nous, (voire : en nous), le thème de la démythologisation, dans toute sa clairvoyance bultmannienne, est d’une profonde actualité.
Mais il en est une seconde, plus intrinsèquement théologique, à laquelle je voudrais en venir maintenant pour le dernier moment de cet exposé. C’est que le travail engagé par Bultmann pendant un demi-siècle (des années vingt aux années soixante-dix du siècle passé), bien que très systématique et d’une ampleur considérable, n’est tout de même pas fini.
La démythologisation n’a pas épuisé son objet. Elle est encore à poursuivre – et on pourrait dire que, comme la Réforme (après tout, la démythologisation est une réforme de la pensée) elle est, par essence, interminable, et doit être sans cesse continuée, semper reformanda. Je vais en proposer deux exemples qui, à ma connaissance, quoique très présents dans le Nouveau Testament, ne donnent pas matière à démythologisation sous la plume de Bultmann.
Le premier exemple est la désignation de la puissance divine, et salvatrice, comme « Le Seigneur ». On sait que, dans les textes grecs par lesquels nous est parvenu le Nouveau Testament, cette expression – le Seigneur – hérite du choix des traducteurs grecs qui, dans l’embarras d’avoir à traduire l’intraduisible – intraduisible parce qu’imprononçable et littéralement indicible – c’est-à-dire le tétragramme hébraïque, ont choisi l’expression kyrios, qu’à notre tour nous traduisons par « Le Seigneur ». Le mot grec désigne l’autorité, le pouvoir, la puissance, détenus par un maître, de l’empereur au propriétaire d’esclaves. Le mot Seigneur reçoit, lui aussi, le legs d’une signification très voisine, issue par dérivation d’un radical évoquant la vieillesse (qu’on retrouve dans nos « seniors ») mais qui désigne d’emblée toutes les personnes dépositaires d’un pouvoir, d’une autorité, depuis le maître d’esclaves, de serfs ou de maison jusqu’au détenteur du commandement guerrier ou politique. Bref, le mot Seigneur est indissociable du lexique de la domination. L’appellation de la puissance divine comme « Le Seigneur » est donc liée à la conception du divin sous la figure du maître, du pouvoir autoritaire et dominateur. Cette conception est mythologique : elle est liée à un certain état de l’image du monde, où on ne peut se représenter aucune transcendance qui ne prenne la forme d’une tutelle, et aucune dévotion qui ne soit une servitude. Une grande partie de l’opération néotestamentaire (qui montre le Christ non comme un roi en gloire, mais comme un pauvre, un vagabond, et le fait entrer à Jérusalem sur un ânon et pas un char triomphal) est précisément dirigée contre cette figuration de la transcendance en tant que lieu du pouvoir et de l’impérialité. Là encore, nous l’avons dit plus haut, il ne suffit pas d’enlever le terme « Seigneur » de notre lexique pour nous tenir quittes de la démythologisation. L’opération doit être plus profonde : elle doit conduire à comprendre ce que le mythe veut exprimer en empruntant cette forme mythologique – et ce que nous voulons conserver du sens et du message du texte à travers cette critique. C’est un aspect que je n’ai pas abordé aujourd’hui, très passionnant, et qui fait, je le répète, une part essentielle du travail de Bultmann – celle qu’il appelle herméneutique, et qui consiste à interpréter, non pas à sectionner. Il reste cependant qu’on ne peut s’y vouer qu’en reconnaissant avant tout que le terme « Seigneur » exprime une mythologie de la domination et de la servitude, aujourd’hui totalement caduque, et pourtant bien lourde à faire porter au message chrétien.
Ajoutons-y, c’est loin d’être un aspect mineur à mes yeux, que la nomination du divin comme « Le Seigneur » est étroitement liée à une détermination masculine de la divinité. Tant que nous ne penserons le divin que sous ce nom, nous n’en ferons qu’une des figures mythiques de la domination masculine. On pourrait en dire autant du nom du divin comme « le père », et de la sémantique de la paternité qui s’y connecte 19.
Ce n’est pourtant pas le point le plus nodal auquel je voudrais en venir, et qui constitue mon second exemple d’une démythologisation à poursuivre. Il me semble que, si nous voulons continuer le travail de Bultmann, il nous faut reconnaître que le mot Dieu lui-même participe pleinement de l’ancienne image mythique du monde, dont il est peut-être une des clés de voûte. Nous pouvons en effet, sans difficulté, parler d’un dieu, pour désigner l’objet d’une croyance mono- ou poly- théiste. Dans ce cas, le terme s’écrit généralement avec une initiale en minuscule, et se trouve précédé d’un article, défini ou indéfini. Le plus souvent, lorsque nous l’employons en ce sens, c’est pour évoquer une croyance que nous décrivons sans la partager, ou bien, à la rigueur, par référence ou comparaison avec elle : je crois en un dieu qui, etc. – ce qui sous-entend : à la différence des autres. L’emploi du mot dieu comme un nom commun (car c’est de cela qu’il s’agit) suppose donc une distance (le nom commun n’évoque pas directement une foi au sein de laquelle on se situe par une expérience subjective, il la désigne comme portant sur un objet, parmi d’autres, même pour le revendiquer) et une pluralisation, même potentielle ou discursive.
Tout autre est l’emploi du mot Dieu comme un nom propre. Il se traduit par deux marques : la majuscule initiale à l’écrit, et surtout l’absence d’article, défini ou indéfini. C’est ainsi que l’on peut dire : Dieu fait ceci ou veut cela, Dieu parle, Dieu écoute, et bien sûr, s’adresser à Dieu dans une interlocution, une prière par exemple. (Je note qu’un cas limite, presque intermédiaire entre les deux usages, est celui de la locution mon Dieu, en particulier dans l’interpellation. Mon Dieu, écoute-moi, exauce- moi. J’y reviens dans un instant, et m’en tiens d’abord à l’absence d’article ou de déterminant.) Si l’on emploie le mot Dieu de cette façon, comme un nom propre, c’est qu’on le considère comme désignant une personne. A partir de là, le problème se pose, me semble-t-il, à deux niveaux.
D’une part, et dans l’immense majorité des cas, Dieu est alors défini de façon analogique avec la désignation d’une personne humaine, Dieu est nommé « comme » une personne, comme un être humain, unique et irremplaçable, et appelé à ce titre par son nom, propre. La désignation de la transcendance, du principe transcendant de l’univers, comme une personne humaine est un des traits les plus courants et les plus typiques de certaines époques de la mythologie. Pourquoi ? Parce que, pour s’en tenir à la définition de Bultmann, un mythe est ce qui traite de l’au-delà ou du transcendant comme d’un objet de connaissance courante, accessible et descriptible dans l’immanence 20. La transcendance est ce qui traverse et excède l’expérience du monde : et le mythe est ce qui, pour rendre compte de cette relation où le monde est conduit à sa limite et confronté à ce qui l’outrepasse, désigne cette réalité extérieure ou excessive comme une réalité interne au monde, comme un objet. Le mythe est ce qui objective la transcendance, et Bultmann le répète à de nombreuses reprises : « En allemand, on dirait : Der Mythos objektiviert das Jenseitige zum Diesseitigen »21. Traiter du transcendant comme une personne humaine, en le désignant par un nom propre, c’est à ce titre le traiter comme un objet de la connaissance courante du monde, et donc ainsi en faire un élément mythique, un élément participant de l’image mythique de ce qui nous entoure. Il n’est pas besoin, pour cette sorte d’idolâtrie (car c’est bien de cela qu’il s’agit : l’idole est un référent concret du mythe, le mythe est le récit qui sert de validation, de légitimation à l’idole), il n’est nul besoin pour activer cette idolâtrie de représenter Dieu par une figure humaine, de façon plastique par exemple. C’est évidemment une possibilité, mais elle n’est pas ce dont je parle : dans ce cas, la mythologisation du divin est à l’œuvre dans le seul usage linguistique, dans la forme de discours (la pratique du nom comme nom propre) par lequel on désigne la transcendance. Pour le dire autrement, l’idolâtrie est ici grammaticale : il s’agit d’une idole syntaxique, à même la langue, et qui est donc à ce titre plus discrète, mais peut-être aussi plus prégnante que d’autres. (Ce qui éclaire d’ailleurs la question de l’adjectif possessif : mon Dieu est une forme qui s’apparente à l’usage amoureux, ou simplement attendri, comme on peut dire mon Paul, mon Pierre, mon Denis.)
Mais il faut en venir alors à l’aspect évidemment le plus délicat. Peut-on concevoir le divin comme une réalité personnelle – et donc le désigner par un nom propre – sans pour autant le considérer comme une personne humaine ? On reconnaît là une question théologique fondamentale, et pour la plupart des théologiens auxquels nous nous référons, cette détermination du divin comme personnel est un noyau dur, intangible. Je comprends cela de façon profonde, puisque cette position (de la transcendance comme une instance personnelle) semble conditionner la possibilité même de la prière, et plus généralement de l’adresse, ou, comme dirait Marc 22, du tutoiement, et donc une des caractéristiques les plus intimes et en apparence les plus essentielles du judéo-christianisme, et de la culture biblique.
Je comprends cela, profondément, et suis loin de penser que la question est simple, ou résolue. Mais je me sens tenu, néanmoins, de la poser. Car il me semble que, dans la plupart de ses emplois même le plus attentifs et critiques, la désignation du transcendant comme réalité personnelle reste tributaire de la figure humaine, de la conception anthropomorphique du divin. J’en cite pour finir deux traits, qui n’épuisent pas du tout le problème, si difficile bien sûr.
Tout d’abord, le nom propre conduit à faire du transcendant un sujet, au sens du sujet de l’action : Dieu agit, Dieu veut, Dieu souhaite, Dieu écoute, Dieu parle, Dieu entend, etc. L’ensemble de ce dispositif de figuration, qui porte à traiter le transcendant comme une figure agissante, comme une personnalisation subjective, me paraît, quoi qu’on fasse, porteuse d’une forte charge mythique 23. J’irai plus loin : c’est là un des ressorts principaux de l’athéisme contemporain, et de sa prégnance si forte – y compris chez un grand nombre de pratiquants de nos religions. Pour consentir à cet usage du mot Dieu comme un nom propre, il faut accepter de souscrire à une vision personnalisée de la transcendance, et c’est ce sur quoi bute l’annonce du message chrétien dans notre temps. J’en reviens au thème bultmannien de la division et de la probité, évoqué plus haut : il me semble que, dans une conscience qui s’affirme croyante aujourd’hui, la référence au Dieu personnel, et son incompatibilité avec l’expérience moderne telle que l’organise la pensée scientifique, est vécue, plus ou moins secrètement, sur le mode de la division intérieure. La probité que réclame Bultmann 24 serait alors de s’expliquer avec ce déchirement (ou cette inconséquence, voire ce mensonge) intime, par lequel le désir de foi, si puissant, se confronte à l’image mythique du Dieu personnel.
Le deuxième trait de la difficulté à assumer l’image personnelle du divin sans céder à la remythologisation est lié au fait que, j’y reviens, le nom propre de Dieu reste, quoi qu’on y fasse, masculin. Et que donc cet usage de la langue nous rend tributaire d’une vision masculiniste du monde, et par là de la domination masculine qu’elle exprime. Or, si l’on voulait s’émanciper de cette dimension, il faudrait pratiquer le nom de Dieu dans un tout autre rapport à la langue, et surtout pouvoir user d’une image de la personne qui ne soit pas sexuée. Nous ne disposons pas d’une telle image. « Dieu créa l’homme à son image », dit la Genèse, qui ajoute immédiatement : « homme et femme il les créa 25 ». Ce qui suppose que la réalité intime du transcendant soit pensée, non pas comme neutre ou asexuée, mais comme homme et femme, comme bisexuée, comme munie d’une dimension masculine et féminine à la fois. Assumée dans sa plénitude, une telle vision excède, outre et congédie pour l’instant notre idée de la personne. Même le Christ, dont le sexe ou la sexualité sont, on le sait, extrêmement complexes à penser, reste un individu masculin, et on n’est pas près de lire le récit évangélique en le concevant comme une personne féminine, ou masculine et féminine ensemble 26. Et même la trinité, pourtant une des inventions les plus prodigieuses de la théologie non figurale, une des machinations anti-idolâtriques les plus puissantes qu’on connaisse, traite les trois personnes comme masculines. On ne se débarrassera pas de cette question par un mouvement d’épaules. Elle est un signe, un symptôme de la dépendance mythologique dans laquelle se trouve l’emploi du nom propre de Dieu.
Pourtant je suis convaincu, comme plus d’un ou d’une ici je crois, qu’il ne suffit pas pour solder ce problème de se référer à une impersonnalité du divin, à une conception abstraite, logique, conceptuelle, mathématique ou spéculative du divin comme donnée absolue. La spiritualité dont nous sommes porteurs est liée à une dimension d’adresse, d’écoute, de réception, de parole, d’entente de la parole, qui ne s’accommode pas d’une impersonnalité sans corps, sans âme, et enfermée dans son immutabilité abstraite. Le transcendant qui nous agite, Bultmann ne cesse de le dire, est une relation vivante, un événement concret de nos existences 27. C’est assurément une valeur fondamentale, qui ne rend pas simple notre horizon. Mais je n’y vois pas une raison suffisante pour renoncer à notre tâche de dé-mythologisation, pour nous dissuader d’assumer la responsabilité que nous assigne l’œuvre immense, géniale, de Rudolf Bultmann, et pour nous dispenser de la laisser travailler, à travers nous, et en nous.
Notes
1 R. Bultmann, Nouveau testament et mythologie, suivi de P. Ricœur, « Démythologisation et herméneutique », trad. et éd. par Jean-Marc Tetaz, introd. par Andreas Dettwiler et Jean-Marc Tetaz, Labor et Fides, 2013, coll. « Logos ».
2 Par ex. Jésus-Christ et la mythologie (1951-1958), in R. Bultmann, Jésus, mythologie et démythologisation, préf. de P. Ricœur , Seuil, 1968. Voir aussi Foi et Compréhension 1 (1952), Seuil 1970, par ex. pp. 9 sq., 459 sq. et Foi et compréhension 2 (1960), Seuil 1969, par ex. pp. 362 sq., 368 sq., 384 sq.
3 Voir ci-dessus, note 1. Denis Guénoun – Sur la question du mythe
4 « Chez les gnostiques, Puissance éternelle émanée de l’Être suprême et par laquelle s’exerce son action sur le monde. » Le Petit Robert 2011, p. 899. Du grec aiôn, longue période de temps, ou éternité.
5 Bultmann, Nouveau testament…, op. cit., pp. 47-48. Les passages soulignés dans les citations de la conférence le sont par Bultmann.
6 Ibid., pp. 48-49.
7 Ibid., p. 49, avec les nombreuses références données par Bultmann, en notes, aux textes néotestamentaires. On sait que Bultmann, avant de produire ses thèses théologiques, est d’abord un exégète de tout premier plan, dont les travaux font, aujourd’hui encore, autorité.
8 Ibid., pp. 48-49. Dans cet exposé, je ne considère pas la différence entre les adjectifs « mythique » et « mythologique », ni entre les mots « démythologisation » et « démythisation ». Ces distinctions sont évidemment pertinentes, et ont fait l’objet de nombreux commentaires, mais elles ne sont pas de première utilité dans la réflexion proposée ici.
9 Ibid., p. 49.
10 Ibid., id.
11 Ibid., p. 51.
12 Ibid., p. 51 – et sur ce point l’ensemble des pp. 51-58.
13 Ibid., p. 51. Ces analyses sont de celles qui montrent la grande proximité de la pensée de Bultmann avec celle de Heidegger, proximité qu’il faut se garder d’interpréter dans un seul sens (par une influence du philosophe), tant la contamination a été mutuelle, au cours de leur commun séjour à Marbourg, et aussi par la suite. Heidegger enseigne à Marbourg entre 1923 et 1928. A partir de 1921, Bultmann y est en poste sans discontinuer jusqu’à sa retraite en 1951.
14 Rappelons à ce sujet que la plupart des textes de Bultmann sont inaccessibles pour un lecteur francophone d’aujourd’hui. Si l’on excepte l’édition de la conférence de 1941, dont je redis la grande qualité (édition d’autant mieux venue que, paradoxalement, cette conférence particulièrement célèbre et influente était restée, à ma connaissance, inédite en français, même dans les années où d’autres écrits de Bultmann étaient publiés), à peu près toutes les traductions françaises de notre auteur sont à ce jour épuisées chez leurs éditeurs des années 1960 ou 1970 (voir ci-dessus note 2), sans même parler de ses ouvrages essentiels qui n’ont jamais été traduits en français – comme par exemple son commentaire réputé majeur de l’Evangile de Jean (1941).
15 D’un autre point de vue, cf. Goerges Politzer, « La philosophie et les mythes », in Ecrits 1, La philosophie et les mythes, Éditions sociales, 1969, pp. 128 sq. Voir aussi, dans ce même volume, les pp. 283-389, ces dernières rééditées dans Politzer contre le nazisme, Messidor-Editions sociales, 1984, passim.
16 Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy, Le Mythe nazi, 2ème édition, l’Aube-Poche 2016 (il s’agit de la réédition d’un petit livre, aujourd’hui largement répandu, dont j’ai plaisir à rappeler que j’avais provoqué et organisé la première publication en 1991 dans la série « Intervention philosophique » que je dirigeais alors aux Editions de l’Aube, et dont cet ouvrage fut le volume inaugural.)
17 Le Mythe nazi, op. cit., pp. 15, 17, 33.
18 Toute procédure d’identification est sans doute au point de croisement entre un mouvement individuel (de reconnaissance dans une identité) et un schème collectif (de position d’une identité commune). L’identité, c’est peut-être avant tout l’identité de ces deux éléments, individuel et collectif. Il y aurait ici lieu de tenter une mise en relation avec les puissantes analyses de René Girard, mais elle conduirait à un développement nécessairement long, qui excède les limites du présent exposé. Une référence éclairée, critique, mais néanmoins très attentive à la pensée de Girard me paraîtrait néanmoins indispensable pour approfondir les questions évoquées dans ces pages.
19 Bultmann ne partage pas cette mise en cause du schème de la paternité, qu’il considère au contraire comme démythologisant. Cf. Jésus-Christ et la mythologie, in Jésus…, op. cit., pp. 231-232.
20 Bultmann, Nouveau testament…, op. cit., pp. 60 sq. Dans le même volume, P. Ricœur, « Démythologisation et herméneutique », pp. 148-149. Cf. Christophe Chalamet, Théologies dialectiques, Aux origines d’une révolution intellectuelle, Labor et Fides 2015, pp. 56, 80, 281-282.
21 Le mythe objective l’au-delà en ici-bas. R. Bultmann, Jésus-Christ et la mythologie, in Jésus, mythologie et démythologisation, op. cit., p. 193. Cf. ci-dessus note 2.
22 Le pasteur Marc Pernot, pas l’évangéliste.
23 C’est un des points où je vois une limite de Bultmann. Dans le texte, passionnant et central pour ce dont il est question ici, « La signification de Dieu comme acte », cinquième chapitre de l’ouvrage Jésus-Christ et la mythologie (cf. ci-dessus note 2), il me semble qu’on peut lire une sorte de glissement, ou de confusion, entre l’hypothèse de Dieu comme acte (hypothèse de tout premier intérêt) et sa position comme sujet de l’acte. Cf. op. cit., pp. 230-232.
24 Redlichkeit. Bultmann, Nouveau testament…, op. cit. p. 51. Cf. l’Introduction (d’Andreas Dettwiler et Jean-Marc Tetaz), pp. 8, 13.
25 Genèse, 1, 27.
26 Même si, je ne l’ignore pas, certain(e)s artistes contemporain(e)s ont voulu le tenter.
27 Cette thématique (existence, eschatologie) est l’une des plus importantes et des plus profondes de la réflexion de Bultmann, que je n’ai pas abordée ici – en raison même de son extrême puissance. J’espère y revenir attentivement ailleurs.