Sommaire du N° 824 (2021 T1)
" De la lettre à l'esprit "
« La lettre tue, mais l'esprit vivifie » (II Corinthiens 3:6)
Message du synode national de l'EPUdF
Éditorial par Aurore Saglio, Présidente de l'APEROL
Réflexions
De la lettre à l'esprit
- L'Oratoire du Louvre, paroisse libérale depuis 150 ans
- Le littéralisme, par André Gounelle, théologien
- Pourquoi le libéralisme fait encore peur, par la pasteure Béatrice Cléro-Mazire
- La foi par-delà les Ecritures, par le pasteur Gilles Castelnau
- Evangéliser : Salut et Liberté de penser pour tous, par le pasteur Vincens Hubac
- Evangeliser sur la corde raide de la prison, par la pasteure Agnès Adeline-Schaeffer
Le Libéralisme : Un courant trans-confessionnel
Onze ans de finances de l'Oratoire : Le prix de la liberté
L’Oratoire au gré de la Covid-19
- Le culte d'installation du Conseil presbytéral, p.22
- Les actions et les projets en cours, p.23
- Les Journées du Patrimoine, p.26
- La rentrée de l'Education Biblique, p.28
- Agenda et activités du 1er trimestre, p.29
- Carnet, p.33
- Un immense merci aux Rive, p.34
- Contacts, p.35
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Dossier du mois
De la lettre à l'esprit
Éditorial
L'Oratoire au temps du confinement
par Aurore Saglio Thébault, Présidente de l'APEROL
En 1553, pour condamner la mise à mort de Michel Servet pour hérésie, Sébastien Castellion écrivait : "Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme (…). Nul ne peut ou ne doit être contraint à la foi". En 1936, en pleine montée du fascisme, Stefan Zweig réitérait : "Une doctrine n’est pas plus vraie, une vérité plus exacte parce qu’elle se démène avec violence (…). Les convictions sont le résultat de l’expérience personnelle, et ne dépendent que de l’individu auquel elles appartiennent ; on ne les réglemente ni les commande. Qu’une vérité se réclame de Dieu et se prétende sacrée autant qu’elle le voudra : rien n’autorise la destruction en son nom d’une vie humaine".*
Pour les protestants libéraux que nous sommes, cela nous renvoie bien entendu à notre refus du cléricalisme, à l’importance du sacerdoce universel et à l’affirmation résolument personnaliste du Sola Fide de la Réforme. Rappelant que "hérétique" signifie en grec "choix" et que donc l’hérétique est un homme qui choisit ses propres croyances et opinions, le théologien André Gounelle se mettait à rêver, en 1992, dans un article sur la foi personnelle, "qu’il n’y ait dans le christianisme que des hérésies et des hérétiques".**
Pour choisir, il faut être libre (voire libéré), enseigné (et non ensaigné), débattre, dialoguer, s’ouvrir au monde, ... raisonner. Il faut aussi savoir faire "union" (et non "unité" comme le précise souvent le théologien Laurent Gagnebin) : vivre, penser, agir en concertation les uns avec les autres, établir des réseaux d'échanges et de collaboration en respectant les diversités.
Vaste et exigeant programme qu’offre la paroisse de l’Oratoire du Louvre depuis 140 ans à tous ceux qu’elle accueille. Alors que les attentats et la Covid-19 frappent à nouveau et pourraient inciter certains au repli, plus que jamais le message de confiance et de liberté qu’incarne l’Oratoire est indispensable. Tout en gardant distance et humilité, dont l’humour, forme d’esprit, est témoignage d’humanité.
(*) "Conscience contre violence, ou Castellion contre Calvin", Stefan ZWEIG 1936
(**) Evangile & Liberté, numéro spécial, août 1992
L’Oratoire du Louvre, paroisse libérale depuis 140 ans
Sous l’impulsion de missionnaires venus d’Angleterre après la défaite de Napoléon, un « Réveil » protestant est prêché, critiquant une place jugée trop grande laissée à la raison. Les rapports entre deux tendances, conservatrices et libérales, créent des tensions à l’Oratoire où elles sont toutes deux représentées. L’organisation de l’Église mise en place par Napoléon est centralisée, gouvernée par un Consistoire qui se réunit à l’Oratoire mais qui gère l’ensemble des lieux de cultes protestants réformés de Paris. Les libéraux représentent environ 40% et les conservateurs 60%, les libéraux sont ainsi barrés. Lors du synode de 1872 au Temple du Saint-Esprit, la crise est à son comble : une union libérale va se créer face à l’impossibilité pour les libéraux d’être reconnus malgré l’importance de leur minorité. La situation s’améliorera pour les protestants libéraux en 1882 avec la décentralisation qu’apporte la création des huit paroisses, chacune dirigée par un Conseil presbytéral élu par les paroissiens. L’Oratoire est une des paroisses mais reste également le siège du Consistoire regroupant les paroisses (le Consistoire disparaîtra en 1905 avec la Loi concernant la séparation des Églises et de l’État). A l’Oratoire, la majorité des paroissiens est alors libérale, alors que dans les sept autres paroisses, ils restent seulement une forte minorité. Progressivement, les libéraux de tout Paris se rattacheront à l’Oratoire où des pasteurs libéraux pourront être nommés officiellement. L’Oratoire deviendra peu à peu une paroisse dite de « tendance » ou « d’adoption » (versus une paroisse dite de « quartier »). En s’affirmant libérale depuis 1882, la paroisse de l’Oratoire du Louvre n’aura de cesse de lutter contre l’obscurantisme religieux, le fondamentalisme et le sectarisme.
Littéralisme*
par André Gounelle, théologien
Au sens propre, on appelle « littéralisme » l’attitude qui attribue une importance décisive aux mots et aux phrases d’un texte ; le vocabulaire et la syntaxe en donneraient le sens.
La Réforme a été littéraliste dans sa lecture de la Bible. Elle a écarté les interprétations spiritualisantes, souvent fantaisistes, qui cherchaient partout des significations cachées ou cryptées (ainsi ce qui est dit de « Jérusalem » s’appliquerait en fait à l’Église). Pour la Réforme, ces interprétations, dont le Moyen Âge était friand, malmènent les Écritures et leur font dire n’importe quoi.
Aujourd’hui, le littéralisme conteste que le genre littéraire, les circonstances historiques et l’environnement culturel des livres bibliques en déterminent le sens. Les textes ont, pour lui, valeur et autorité en eux-mêmes, dans leur littéralité, indépendamment de leur contexte. Il voit, par exemple, dans le début de la Genèse le récit d’événements réellement arrivés et refuse de les expliquer par la conception qu’on avait de l’univers au moment de leur rédaction.
Le littéralisme a des vertus ; il empêche cette désinvolture qui joue avec les énoncés comme le faisaient beaucoup d’allégoristes du Moyen Âge. Une attention rigoureuse à la « lettre » est nécessaire. Pourtant, elle ne suffit pas pour comprendre un texte, parfois même elle fait obstacle à son intelligence. Parti d’un souci juste, le littéralisme s’égare ; en effet, ce qu’on veut dire ne se confond pas forcément avec ce qu’on dit ; il faut s’efforcer de distinguer le message (ce qu’on cherche à faire entendre) du langage (de la manière dont on le formule). L’esprit s’exprime toujours dans une lettre, mais la lettre n’enferme jamais l’esprit.
* Article publié dans Evangile et Liberté le 4 mars 2014
Pourquoi le libéralisme fait-il encore peur ?
par la pasteure Béatrice Cléro-Mazire
Il est paradoxal de constater que le libéralisme théologique soit encore minoritaire au sein des grands monothéismes, alors qu’il promeut la liberté de conscience, le recours à la raison pour l’interprétation des Écritures et une plus grande justice sociale pour tous les peuples. De Fausto Socin à Pierre Bayle en passant par Sébastien Castellion, le libéralisme prône une religion pour l’homme et une fraternité universelle qui auraient dû convaincre toute personne attirée par l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Alors, pourquoi le libéralisme inquiète-t-il au point qu’il est régulièrement taxé d’impiété, ou d’athéisme à peine voilé par les courants religieux littéralistes ?
Le libéralisme théologique traverse toutes les religions car il est davantage une attitude spirituelle et intellectuelle que l’adhésion à une doctrine qui serait dictée par le magistère d’un clergé ou d’une institution religieuse. Il comprend les dogmes comme le témoignage de la foi de croyants qui vivaient dans un autre contexte historique et social et ne leur accorde pas l’immuabilité.
Cette attitude critique qui déconstruit les dogmes inquiète parce qu’elle apparaît comme une destruction d’un trésor commun et semble incapable d’affirmer un contenu de la foi auquel le croyant puisse se référer et tenter d’être fidèle. Souvent unitarien (antitrinitaire), considérant Jésus comme un homme et non comme un dieu, à quoi donc un chrétien libéral peut-il être fidèle s’il remet en question les convictions de ceux qui ont fondé sa religion ?
La fidélité libérale repose sur un questionnement sincère qui permet au croyant de chercher à comprendre ce qu’il croit, à l’aide de sa raison, des savoirs qui sont à sa disposition et des expériences qu’il fait du monde dont il est contemporain. Dans la dynamique de la Réforme qui préconise de se réformer sans cesse, le chrétien libéral remet sur le métier les doctrines qu’il construit, sans laisser un quelconque magistère les lui dicter de l’extérieur.
Devant cette attitude, plusieurs craintes se font jour : Que devient le religieux si l’on peut le remettre en question ? Et la transcendance de Dieu, si elle se laisse connaître par l’intelligence humaine ? Comment faire communauté avec une multiplicité de confessions de foi ? Quelle éthique de vie adopter, si les compréhensions de foi sont toujours en chantier ?
Circonscrire le religieux dans une clôture dogmatique infranchissable impliquerait que l’homme appartienne à une tradition religieuse sans jamais la modifier. C’est ce que tentent de faire croire les courants religieux traditionalistes en pratiquant la lecture prétendument littérale et l’application de préceptes rituels et moraux censés trouver leur origine en Dieu. L’attitude libérale ne prétend pas évacuer le transcendant, ni le nier, mais le comprendre du point de vue humain, dans un questionnement anthropologique, sans essayer de se camper en défenseur de la volonté divine. S’il existe un Dieu, et qu’il est Dieu, il est sûrement capable de défendre ses volontés lui-même ! (« Hommes de peu de foi ! »). Il n’y a donc plus les hérétiques d’un côté et les fidèles de l’autre, mais des humains qui cherchent à comprendre ce qui leur est transcendant et paradoxalement les habite. Ce n’est donc pas l’absolu de Dieu qui est questionné, mais la relation entre l’homme et ce qu’il appelle Dieu. Sans doute cette transcendance ne se laisse jamais saisir tout entière par notre raison, mais là où s’arrête notre raison, restent ouvertes diverses compréhensions possibles, d’ordre mystique, poétique, intuitif ; elles ne viennent jamais à bout d’un Dieu qui nous dépasse. Être dans une attitude libérale n’implique pas de vouloir prouver le bien-fondé rationnel de sa foi comme s’il s’agissait d’un savoir, mais au contraire, de sortir de la confusion entre foi et savoir afin de ne jamais tomber dans l’hypocrisie qui prétend savoir Dieu (« Personne n’a jamais vu Dieu ! »). Une communauté libérale est donc une communauté polyglotte qui prie et chante un Dieu qui parle à chacun dans sa langue de foi. Faire communauté revient alors à traduire, à chercher, et à écouter de quelle façon Dieu parle à chacun. Cette attitude de foi a l’humilité de reconnaître qu’elle ne peut affirmer aucune vérité absolue sur Dieu et peut ainsi faire place à l’autre, sans jamais avoir recours au concept d’hérésie. Ainsi, l’athée ou l’agnostique a sa place dans une telle communauté en tant que chercheur humaniste, dans la continuité de Pierre Bayle qui défend la notion d’athée vertueux. L’anthropologie proposée par la figure de Jésus, dans laquelle le libre arbitre de l’homme est central, implique de travailler à la libération de toute condition humaine, et les oeuvres sociales que le libéralisme protestant a créées le révèlent sans conteste. Ainsi, l’intellectualisme des protestants libéraux, tant décrié par les courants plus « sentimentalistes » du protestantisme, est en fait le symptôme d’une religion qui s’affranchit de tout esclavage par le recours à l’intelligence.
Il ne s’agit donc pas d’enfermer Dieu dans la raison, mais de se servir de sa raison pour être libres avec lui !
Alors, pourquoi le libéralisme fait-il encore peur alors qu’il a contribué à établir ce que notre société place au sommet de ses valeurs : la liberté, l’égalité et la fraternité ? Sans doute parce qu’il implique, pour le religieux, de renoncer à des pouvoirs très convoités : ceux qu’on prête à Dieu pour mieux les imposer aux hommes.
La foi par-delà les écritures
par le pasteur Gilles Castelnau
Jésus a-t-il vraiment changé l’eau en vin ? Moïse a-t-il vraiment fait sortir les Hébreux d’Égypte à travers la mer Rouge ? Les prêtres ont-ils vraiment autrefois fait lapider les homosexuels et les femmes adultères ?
Pour répondre à ces questions les historiens veulent disposer de deux documents de l’époque qui soient concordants et ils précisent bien qu’il ne faut pas mêler une foi religieuse aux recherches scientifiques : Ce n'est pas la foi en Dieu qui peut décider d’une vérité historique. Mais nous sommes sur le terrain de la foi. C’est notre spiritualité, notre espérance qui sont animées par les récits bibliques et ce ne sont pas les archéologues qui soutiennent notre foi !
Les esclaves des plantations de coton des Etats-Unis puisaient leur réconfort dans les gospels qui chantaient la libération de l’esclavage d’Égypte. Ils ne se préoccupaient aucunement de savoir si des historiens en fournissaient les preuves archéologiques, non plus que les malheureux Israélites déportés à Babylone qui se plaisaient à en développer les détails : ce n’est pas la vérité historique des récits qui nous aide, c’est leur vérité humaine.
L’Esprit anima les auteurs bibliques et leur fit écrire les magnifiques récits qu’il nous plaît d’entendre, et rédiger les textes de lois qui nous surprennent tellement aujourd’hui. Il souffle à nouveau dans nos cœurs, dans le monde qui est désormais le nôtre, il nous suggère les paroles de vie que Dieu nous donne et qui nous conviennent. Il nous anime à notre tour comme aux temps anciens.
Que sortent donc de nos bouches et de nos plumes, comme ce fut le cas pour les auteurs bibliques, des paroles de foi, d’amour et d’espérance qui nous apaiseront, nous tonifieront et nous encourageront aujourd’hui comme hier.
Évangéliser : Salut et Liberté de penser pour tous
par le pasteur Vincens Hubac
Le libéralisme théologique plonge ses racines au XVIe siècle chez Sébastien Castellion, apôtre – avant la lettre – de la tolérance, et Moïse Amyraut qui ouvre la Réforme à l’idée du salut universel. Evangéliser, pour les libéraux, c’est donc annoncer la Bonne Nouvelle en s’appuyant sur la Bible, en particulier le Nouveau Testament. C’est aussi affirmer que chaque personne, quelle que soit son appartenance religieuse, politique ou philosophique, est appelée au Salut. Pour le libéralisme, chaque personne a de la valeur et porte en elle une part de vérité. La différence dans le dialogue et le respect enrichit toujours.
Évangéliser, ce n’est pas mettre sur pied une quelconque stratégie pour approcher et convertir à partir d’idées intégristes et en maniant à la fois la peur et la flatterie : « Si vous êtes et pensez comme nous, vous êtes sauvés, sinon c’est l’enfer ». Message souvent distillé à grand renfort de textes bibliques et d’exemples pris dans l’actualité et présentés sans le moindre esprit critique. C’est nier l’humain appelé à la liberté et à la dignité. Évangéliser, pour nous, c’est surtout accueillir, écouter, critiquer (même les textes de l’Écriture !), aller vers le monde et s’y engager en respectant ceux qui ont besoin de nous. Les libéraux se sont toujours engagés dans le Christianisme social, à la Clairière fondée par Wilfred Monod en 1911, à la Croix Bleue, au CASP, etc …
Évangéliser, c’est une manière d’être, c’est le fruit de la joie de l’Evangile et de la culture qu’on a envie de partager.
Évangéliser sur la corde raide de la prison
par Agnès Adeline-Schaeffer, pasteur et aumônier des prisons
Durant ces vingt années de mon ministère d’aumônier, je me suis remise en question, j’ai élargi et approfondi ma compréhension biblique et théologique, grâce aux personnes détenues que j’ai rencontrées, qui ont façonné mon ministère pastoral en développant mon humanité.
Si, pour un court instant, j’ai pu me croire appelée pour « convertir » ces personnes, ou en tout cas, les remettre sur le droit chemin et leur faire connaître le Christ, je me suis trouvée devant une réalité humaine et spirituelle bien plus complexe, et j’ai vite découvert que le Christ m’avait précédée en prison, bien avant que je n’y entre !
Je ne vais pas en prison de ma propre initiative, mais sur le discernement d’un appel, puis envoyée par mon Église, l’Église Protestante Unie de France. J’ai la double casquette de pasteur et d’aumônier. Mais tous les pasteurs ne sont pas aumôniers de prison, et tous les aumôniers de prison ne sont pas pasteurs. Par contre, tous les aumôniers de la palette multicolore du protestantisme sont accompagnés par la Fédération Protestante de France, puisque l’aumônerie des Prisons est un service de la F.P.F., au même titre que l’aumônerie des Hôpitaux et celle aux Armées. C’est à la fois une richesse et un défi. Malgré nos approches spécifiques de la Bible, malgré nos interprétations, parfois opposées, de l’Écriture, notre ministère reste le même : écouter et accompagner la personne, vivre la Bonne Nouvelle et servir le Christ. Ce n’est pas facile. Nous sommes les funambules de la Parole.
Les personnes détenues demandent elles-mêmes la visite de l’aumônier de leur choix, en fonction de leur origine religieuse. Je rencontre prioritairement les personnes d’origine protestante, mais aussi toute personne chrétienne quelle que soit sa confession d’origine, sans oublier les personnes sans religion. Rarement les personnes juives ou musulmanes, car elles ont leur propre aumônier, en vertu de la loi de 1905, tout comme les Témoins de Jéhovah et les Bouddhistes.
Les raisons pour lesquelles les personnes détenues viennent dans les groupes bibliques, ou les cultes, restent énigmatiques. Les parcours religieux sont extrêmement variés. Pour certaines, leur catéchisme s’est arrêté à l’adolescence. Certaines connaissent la Bible, d’autres non. Quelques-unes ont la foi du charbonnier, d’autres, une foi plus philosophique. La question du mal est abordée, comme celle du péché, de la faute, de la culpabilité, du jugement, du pardon. Il nous faut redéfinir constamment tous ces mots qui ont une signification différente d’une personne à l’autre, d’une éducation à une autre, d’une culture à une autre, et les discussions peuvent aller bon train, avec un esprit critique très aiguisé de la part de tout le groupe. Parfois dans les entretiens individuels, la question de Dieu n’est jamais abordée, pas même celle de la foi. On parle de la pluie et du beau temps, du quotidien répétitif. Par la seule présence de l’aumônier, Dieu est là, incognito. A chaque entrevue, nous sommes les funambules de la relation humaine.
Tous les dimanches, au culte de ma paroisse, j’annonce la grâce et la paix de Dieu, offertes à chacun, chacune, ici et maintenant. J’annonce la même chose en prison. Qu’est-ce que la grâce de Dieu, sinon l’amour de Dieu premier, pour chacun de nous ? Notre pratique religieuse à chaque étape de notre vie, est une réponse, dans la foi, à cet amour, selon cette Parole : « Nous aimons Dieu parce qu’il nous a aimés le premier » (1 Jean 4:19). Pour moi, la personne incarcérée, tout comme le paroissien, est un frère ou une sœur dans la foi, qui n’est pas réduite à l’acte pour lequel elle est, ou sera jugée.
J’ai appris et je continue d’apprendre, qu’évangéliser, en prison, dans ce recoin rempli de gens mal considérés, c’est dire à chacun, et cela sans pour autant minimiser l’acte pour lequel il est enfermé et qui est du ressort de la justice : « Quoi que tu aies fait, tu restes un enfant de Dieu, quel que soit ce qui t’est reproché, tu restes aimé(e) de Dieu, et en Christ, tu as un frère ». Comme l’écrit Vincens Hubac : « Chaque personne a de la valeur, et porte en elle une part de vérité ». En prison aussi. Parfois, c’est là que les personnes détenues entendent ce message pour la première fois. Nous sommes les funambules du témoignage.
Le judaïsme libéral
par Jonas Jacquelin
Rabbin de la Synagogue de la rue Copernic - Paris
Le judaïsme libéral est un des grands courants du judaïsme contemporain.
Il apparaît en Allemagne au XIXe siècle dans un temps marqué par l'émancipation politique des Juifs, c'est-à-dire par la fin progressive des lois les tenant à l'écart du reste de la société. Cette époque, fille des lumières, est aussi celle du développement de la science historique et de l'approche critique de la vie religieuse. Désormais, les textes fondateurs font l'objet d'une contextualisation et les rituels religieux sont compris à la lumière de l'époque qui les a vus naître.
Les tenants d'une approche libérale du judaïsme vont alors s'attacher à distinguer ce qui tiendra à leurs yeux de l'essentiel et de l'accessoire. L'idée de révélation va être comprise plus comme un concept théologique qu'en tant qu'événement historique. Plus concrètement, l'étude de l'histoire montrant que la pratique religieuse a toujours évolué, l'idée d'apporter des modifications à certaines pratiques n'est pas mal reçue. Dans ce sens, des rituels et des fonctions pendant longtemps réservés aux hommes vont s'ouvrir aux femmes et ainsi illustrer la forme égalitaire du judaïsme libéral.
De façon générale, la modernité n'est pas perçue comme une menace dont il conviendrait de se préserver mais comme un mouvement dans lequel il faut être capable d'adopter ce qu'il y a de bon.
Refusant la logique selon laquelle la religion se doit d'être vécue de manière pleine et entière ou pas du tout, le judaïsme libéral prône la possibilité de trouver diverses formes d'adaptations aux évolutions de notre société.
Pour un catholicisme libéral
par Antoine Guggenheim,
Curé de la paroisse Notre-Dame de l’Espérance - Paris
et cofondateur de l’association UP for Humanness
47 rue de la Roquette 75011 Paris
Dès 1977, dans deux livres qui firent du bruit, Émile Poulat – sociologue, historien des religions et spécialiste de la laïcité, et, me semble-t-il, théologien (1920–2014) – proposait de comprendre l’être au monde du catholicisme contemporain en le situant dans un triple champ de force : intransigeantisme, libéralisme et socialisme. L’interaction constante de ces forces rendent compte de la diversité et des transformations du catholicisme (voir Catholicisme, démocratie et socialisme et Église contre bourgeoisie, Casterman). Ainsi, selon Poulat, le catholicisme social est-il nourri d’une réponse intransigeante au libéralisme économique. Il en conclut qu’il y aura toujours quelque chose d’intransigeant dans le catholicisme en régime de modernité. Ajoutons donc qu’il y aura toujours aussi une présence libérale dans le catholicisme – et c’est elle que je voudrais saluer en ces lignes.
Le principal marqueur, pour moi, de la grâce libérale dans le catholicisme contemporain est de faire prévaloir le « et » sur le « ou » (lire à ce sujet, du Dr Bertrand Galichon, L’Esprit du soin). Le « et » relit les textes et les opinions dans leur complémentarité ; il relie les personnes et les institutions dans leur diversité, quand le « ou » les isole et les hiérarchise. Le « et » met l’unité au service de la diversité. Il traduit la proposition paradoxale de Jésus de vivre dans le monde sans être du monde. Le catholicisme libéral est peut-être le principal facteur d’unité dans le catholicisme contemporain, « et » entre lui et le monde.
Un second marqueur, qui me fait désirer un catholicisme libéral fort, c’est la manière dont il interprète la tension entre continuité et innovation qui traverse l’Église catholique contemporaine. La fidélité créatrice (l’expression est du philosophe Gabriel Marcel) est peut-être la manière catholique et libérale de vivre la tension protestante entre réforme et rupture. Les deux sont filles de la figure littéraire et spirituelle pharisienne du hidduch, devenu si essentiel au judaïsme : la capacité de se réinventer pour adapter son être au monde à un nouveau mode d’accomplissement de sa mission. Innover en vue de la fidélité, chercher les ressources profondes, sur bien des sujets le catholicisme en est là.
L’islam libéral de France
par Faker Korchane,
imam à La Mosquée Fatima
Nous traversons une période particulièrement difficile où se mêle, en plus de la crise sanitaire due à la Covid, une crise sécuritaire avec les attentats des terroristes islamistes en France et ailleurs. C’est dans ce climat qu’une nouvelle fois se pose la question de l’islam de France. Beaucoup se posent la question de savoir si l’islam est compatible avec les valeurs de la République, comme si l’islam était monolithique. Or l’islam est traversé par plusieurs courants, dont le courant libéral.
Le terme « libéral » est pris dans le sens philosophique, de la même façon que l’on a pu parler à partir du XIXe siècle de judaïsme libéral ou de christianisme libéral. L’élément clé ici étant la mise en exergue de l’autonomie de chaque croyant.e dans sa démarche de foi. Ce qui veut dire que nos contenus de foi peuvent varier. Mais ce qui compte, c’est l’importance de faire ensemble, travailler à construire un avenir en commun, avec cette même référence aux sources islamiques.
Illumination intérieure, satisfaction logique et autonomisation personnelle dans une démarche de foi ne sont pas toujours des états donnés, mais souvent, acquis. Ils nécessitent un travail sur soi constant, d’où le recours à une forme de semper reformanda islamica, et qui trouve une base coranique, en XIII, 11 : « Dieu ne modifie pas l’état d’un peuple, qu’ils ne l’aient modifié de leur propre chef. »
L’organisation libérale que je représente, La Mosquée Fatima, défend trois valeurs fondamentales qui sont : la spiritualité, que nous définissons comme une quête de sens et une ouverture sur une lecture symbolique, intérieure, et allégorique des textes (soufisme). Une théologie rationnelle, qui est une lecture logique et cohérente des textes scripturaires, et qui s’appuie sur l’idée de l’autonomie de la raison par rapport à la foi (mutazilisme). Et l’approche à proprement parler de libérale, qui consiste en un engagement personnel dans une démarche de foi (alliance des deux).
L’Oratoire du Louvre, une paroisse qui ne peut plus rester structurellement déficitaire
L’Oratoire du Louvre est une paroisse « libérale » dans sa théologie mais une paroisse « orthodoxe » dans sa gestion et son information financière (ses comptes sont certifiés par un commissaire aux comptes et publiés chaque année au Journal Officiel). Cette transparence en toutes choses est un élément clef du respect dû à nos donateurs et nos bienfaiteurs.
En 11 ans, la paroisse de l’Oratoire du Louvre a enregistré une perte d’exploitation cumulée d’un million d’euros. Si elle est encore debout aujourd’hui, c’est qu’elle a puisé dans ses réserves. Pendant des années, ces réserves, constituées grâce aux legs, ont été salvatrices. Outre le fait qu’elles lui ont permis de vivre au-dessus de ses moyens, elles lui assuraient, en étant habilement placées, une rente de trésorerie (cinq cent mille euros en dix ans). Des travaux importants dans le temple et à la maison presbytérale (propriétés de la Ville de Paris) ont ainsi pu être engagés. Ces réserves (et les produits financiers qu’elles généraient) lui ont aussi permis de se montrer très généreuse : elle a ainsi fortement contribué au développement de l’Église Unie en région parisienne (plus de deux millions d’euros remontés en onze ans, soit largement plus que le coût de deux pasteurs) et au financement d’initiatives nationales emblématiques (l’Institut Paul Ricoeur, l’Institut Protestant de Théologie, la Fondation du Protestantisme, ...).
Ce faisant, elle a pu renvoyer l’image d’une paroisse sans besoin pressant de soutiens financiers, voire l’image d’une « paroisse riche » alors même qu’elle était structurellement déficitaire : sur les onze derniers exercices et sans exception (y compris en 2015 et 2016), l’Oratoire du Louvre n’a pu assurer l’équilibre entre ses ressources et les charges nécessaires à son propre fonctionnement (même hors travaux). Ce n’est pourtant pas faute d’avoir maîtrisé ses propres charges : elles n’ont augmenté sur la décennie que de 1% (versus 12% d’inflation).
En fait, le faible niveau de dons (comparativement aux paroisses de même taille et théologie) explique ce déséquilibre financier sur toute la période. Il ne permet pas le financement au jour le jour de notre paroisse, qui ne peut pas plus « se serrer la ceinture » : la seule charge significative qu’elle peut diminuer, tout en restant à un haut niveau de solidarité, est sa contribution à la région (un allègement temporaire de plus de 15% de l’effort a d’ores et déjà été discuté pour 2021, soit plus de trente mille euros).
Peut-on donc continuer à ne pas solliciter plus de soutiens financiers et espérer de nouveaux legs pour subvenir à nos besoins futurs ? La réponse est bien évidemment « non » et tous nos prédécesseurs en avaient bien entendu conscience. Ce « non » arrive juste plus rapidement que prévu : nous n’avons plus le choix.
La pandémie qui nous frappe vient mécaniquement aggraver notre déficit d’exploitation structurel. Le « manque à gagner » lié à la Covid-19 atteint d’ores et déjà (et uniquement pour cette année) 93 699 €*. C’est un niveau de pertes que nous ne pouvons plus nous permettre n’ayant plus suffisamment de réserves disponibles (et plus aucun revenu financier) pour envisager sereinement l’avenir **.
Il n’y a pas de mystère ou miracle : le salut, en matière de financement d’Église, ne tient qu’à ses généreux donateurs. Aux réguliers qui nous soutiennent depuis 11 ans, un immense merci pour vos contributions passées et à venir. Merci également d’avance à tous ceux qui prendront conscience, à la lecture de cette Feuille Rose, qu’il est temps de soutenir financièrement la paroisse de l’Oratoire du Louvre.
La liberté a un prix. Pour continuer notre lutte entamée il y a 140 ans contre tout dogmatisme, obscurantisme et fanatisme, il nous faudrait augmenter le nombre de nos bienfaiteurs occasionnels et obtenir, de nos donateurs réguliers, un doublement de leurs dons. L’idéal serait d’atteindre collectivement un don moyen annuel d’environ 1 000 € (soit l’équivalent de 340 € après déduction fiscale de 66% si vous êtes imposable à l’IR).