Sommaire du N° 812 (2017 T4)
Éditorial
Dossier : Transmettre aujourd’hui
- Protestant de naissance
- Mon chemin vers l’Oratoire
- De génération en génération
- Vivre sa foi par internet
- La promesse de l’éclaireur
- L’image du protestantisme dans la société.
- Les mots pour le dire
- La Réforme en Allemagne
Calendrier des cultes
Activités de l'Oratoire du Louvre
Nouvelles de l'Oratoire
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Dossier du mois
Transmettre aujourd’hui
« Transmettre. Comment transmettre aujourd’hui ? » : Le sujet est immense. Par quel biais l’aborder ? A cette question, la vie, comme souvent, s’est chargée de m’apporter un début de réponse, en m’invitant paradoxalement à déplacer mon questionnement. J’ai dû, au cœur de l’été, achever le règlement de la succession de ma mère décédée l’an dernier. J’ai ainsi été ramené à la notion d’héritage. Elle est au cœur du christianisme. Nous nous référons sans cesse à des écritures que nous recevons comme un Ancien et un Nouveau Testament. Sans doute est-il bon de se rappeler avant toutes choses que nous sommes au bénéfice d’un don, que nous sommes des héritiers. C’est ce que Paul écrit aux Galates: « Et si vous appartenez au Christ, c’est donc que vous êtes la descendance d’Abraham ; selon la promesse, vous êtes héritiers » (Ga 3, 29). Si nous sommes ainsi couchés sur un testament, il y a donc un testateur. Pour pouvoir hériter, encore faut-il que celui-ci disparaisse : « Là où il y a testament, il est nécessaire que soit constatée la mort du testateur », lisons-nous dans l’épitre aux Hébreux ( 9, 16). C’est ce que fait Dieu en s’effaçant. Dans Difficile Liberté, Emmanuel Levinas a écrit qu’un « dieu d’adulte se manifeste précisément par le vide du ciel enfantin ». Être adulte dans la foi, c’est accepter l’absence de Dieu en ce monde comme une modalité de sa présence. C’est reconnaître, comprendre et accepter qu’il se soit retiré et qu’on ne puisse le manipuler selon les fantasmes de son désir. Dans cette situation de vide, il devient possible d’ouvrir le testament pour en donner lecture. Les légataires prennent connaissance de son contenu et en découvrent les clauses. Christ est celui qui a pour mission d’ouvrir le testament et de nous en livrer le sens. Il remplit une fonction d’interprète et nous ouvre l’intelligence des écritures.
Devenir adulte dans la foi, c’est entrer dans cette pratique de lecture et de méditation de la Bible, d’intériorisation personnelle de la foi, d’écoute commune et d’appropriation du message de l’Evangile. Le destinataire du testament reste enfin libre de l’accepter ou de renoncer à la succession. Paul le fait remarquer : tant qu’il est enfant, l’héritier reste accompagné par des tuteurs et des régisseurs « jusqu’à la date fixée par le père » (Ga 4, 1-2). Pour être adulte dans la foi, il faut sans doute une certaine maturité spirituelle. Elle implique certainement d’avoir perdu quelques préjugés et illusions, affronté des questionnements et des doutes, enduré des épreuves. Paul, devenu homme, évoque le temps où il pensait, raisonnait et parlait comme un enfant (1 Co 13, 11). C’est dans cette perspective de maturation dans l’Esprit qu’il devient possible d’envisager une dynamique de la transmission, moins comme la tradition par voie d’autorité d’un savoir ou d’un savoirêtre que comme un partage d’expérience entre chrétiens tous engagés sur un même chemin de vérité et de vie.
Richard Cadoux
Mon chemin vers l’Oratoire
De confession catholique, il m’est néanmoins permis de m’interroger sur mes ancêtres, les La Motte du Beauvaisis, anoblis par le roi Henri II en 1555. Etaient-ils huguenots ? Le démantèlement que Richelieu infligea vers 1630 à leurs donjons et leurs manoirs de Cuise La Motte comme de Saint Pierre et de Trosly peut le laisser croire... Les archives, détruites lors des guerres n'existent plus pour en attester. Quoi qu'il en soit les La Motte fuirent en Poitou, avant de s’aventurer en Espagne, où ils devinrent ipso facto catholiques…
Bref, ma propre relation au protestantisme date de ma quinzième année, alors que j'avais pour correspondants les parents luthériens d’une amie de classe, Edith Godin, chez laquelle je passais les weekends. Cette famille de pasteurs ne chercha jamais à m’influencer, et encore moins à me convertir. Au contraire, tous les dimanches, ils me descendaient à la cathédrale de Rouen, avant d’aller eux-mêmes suivre leur culte au temple de Rouen. Ce respect de ma foi m'a beaucoup impressionnée. J’ai également eu de grandes amies protestantes, Christiane, au Vaudreuil, Anne-Marie à Cuverville... Toutes encourageaient mes études aux beaux-arts, toutes avaient une largeur de vue, conjuguant l'indulgence à l'exigence. J’allais à Rome pour suivre les cours du Restauro, l’office italien de restauration de tableaux. Mais la venue de ma fille Isabelle interrompit ce cursus. Mais je n’abandonnais pas mes pinceaux : j’allais apprendre à peindre à la manière des primitifs italiens chez Greschny, peintre d'icônes depuis dix générations. Quel rapport avec le protestantisme ? Greschny était uniate, orthodoxie proche de Rome, mais de rituelle orientale. C'est ce qui me conduisit à chercher à apprendre le grec biblique, et sur les conseils du pasteur Oberkampf à me trouver à l'école de théologie protestante du boulevard Arago...
La vie a de ces retours ... C'est avec le père Legoedec, curé de Sainte-Marie des Batignolles que j'échangeais sur la traduction des textes sacrés cérémoniels... Mon curé s'en alla dans le sein d'Abraham. Et c'est à l'Oratoire que je trouvais un abri, un recueillement, puis un accueil. L'Oratoire m'ouvrit ses portes, j’y trouvais la paix du cœur, la joie de l'esprit, le bonheur des oreilles, et selon le dire du pasteur Pernot «un abri où Dieu nous veut libres et intelligents». Je n'avais jamais rien entendu d'aussi ouvert et tolérant quant au regard de Dieu sur moi ... Ainsi disparaissait toute forme de culpabilité née d'une théologie mal comprise.
A l'Oratoire me voici libre de chanter, heureuse d'entendre la voix souveraine des orgues, et de méditer, dimanche après dimanche sur ce que j'ai l'habitude d'appeler l'homélie et que vous nommez la prédication. (j'ai encore un grand chemin théologique à parcourir...) Je ne veux pas manquer de dire que j'ai rencontré des amitiés à l’Oratoire, des amitiés, de l’affection ainsi que de la gaîté. J’ai été recrutée pour faire partie des brigades qui cuisinent le premier dimanche du mois ; je commencerai en septembre. Et n'oublions pas les cours de grec, que je compte reprendre, pour retrouver cette lecture de la parole de Dieu. Que de projets, quelles perspectives, quelles ouvertures ! Pour tout ceci je rends grâce à la communauté de l'Oratoire qui a su m’accueillir.
Barbara de La Motte Saint Pierre
De génération en génération
Pour le dossier central sur la « transmission » j’ai interrogé une amie sur les origines protestantes de sa famille, la transmission de leur protestantisme libéral, l’avenir du protestantisme. Voici les réponses qu’elle m’a faites.
- Quelles sont les origines protestantes de votre famille ?
- Nos deux familles, celle de mon mari et la mienne, sont protestantes depuis la Réforme. Nous sommes originaires du pays de Montbéliard et de la Suisse donc luthériens et calvinistes.
- Quelles sont les origines sociales de vos familles ?
- Très diverses : il y avait des paysans, des artisans, des industriels, des professions libérales, quelques pasteurs. Dans nos ancêtres nous avons Mélanchton et Reuchlin. Tous étaient engagés dans la cité. Ils eurent des charges municipales, universitaires, industrielles et humanitaires avec l’idée bien ancrée d’être au service des autres.
- Que vous ont transmis vos ancêtres ?
- Tous, attachés à leur foi, nous ont transmis des valeurs de rigueur, de travail, d’honnêteté, d’économie, peu d’ostentation, d’éducation des enfants, de dignité. Du pays de Montbéliard, pays pauvre et ayant subi tous les malheurs des guerres, nous avons hérité d’un caractère fort, parfois dur, persévérant, sobre, attaché au progrès, au travail opiniâtre et à foi solide. Notre héritage suisse est tout à fait identique. Cependant il nous a apporté, en plus, l’aspect calviniste du protestantisme qui a prévalu sur notre branche luthérienne.
- Quelle force les a aidés à traverser l’Histoire ?
- Je pense que c’est la Bible. La Bible a été leur colonne vertébrale, la force qui leur a permis de vivre et traverser les siècles depuis la Réforme. La Bible qui a été aussi, pour mon mari et moi, notre force et qui devrait l’être pour toutes les familles protestantes. Les Réformateurs, qui donnaient la primauté à la Bible, ne se sont pas trompés.
- Et vous, comment avez-vous transmis à vos enfants votre foi et votre héritage protestants ?
- Par la Bible. La connaissance biblique que l’on acquiert, la pratique courante et continue, réfléchie, analytique de la Bible sont essentielles. Il faut vous dire aussi que, mon mari et moi, avons eu le bonheur, la chance de recevoir l’enseignement du pasteur André Numa Bertrand à l’Oratoire. Cette rencontre a profondément marqué et influencé notre vie. N’oublions pas non plus l’influence primordiale du protestantisme libéral de l’Oratoire. Eloigné de tout dogme et de toute rigidité, le protestantisme libéral nous incite davantage à la réflexion personnelle.
Il n’y avait pas, chez nous, de culte familial, de prières communes, de bénédicité… Simplement nous avons VECU notre foi au jour le jour, ouvertement devant nos enfants leur expliquant au fur et à mesure le pourquoi de nos actions fondées sur la Bible. La Bible a toujours était présente dans notre famille mais sans rigorisme ni moralisme. Donc nos enfants en ont été concrètement nourris. Ce n’est pas dire que nous étions parfaits ni des chrétiens admirables mais nous avons toujours assumé nos erreurs, nos manquements, nos faiblesses. Nous leur avons toujours montré l’importance dans notre vie de la foi et le respect de la religion. Nous avons consacré du temps et des efforts pour le service de l’Eglise, le service du prochain, l’instruction biblique. Si certains de nos enfants sont très impliqués dans l’église, d’autres le sont moins. Cependant, tous sont profondément attachés au protestantisme libéral dans leur vie familiale et professionnelle. Ils élèvent leurs enfants en leur donnant leurs pensées, leurs traditions et l’instruction biblique qui est essentielle. Et puis l’Esprit Saint fera le reste !
- Selon vous quel est l’avenir du protestantisme ?
- Quand je vois l’affluence dans les églises libérales, le nombre très important des enfants pour l’éducation biblique, l’accroissement spontané des venues dans les temples je ne suis pas très inquiète. La mentalité protestante est bien connue mais malheureusement pas toujours respectée dans les milieux protestants. A nous, anciens, à eux, jeunes, de la faire vivre.
Merci à mon amie pour sa disponibilité, la profondeur de sa foi, l’absolue sincérité de ses réponses. Merci à elle d’être une Femme Debout.
Rose-Marie Boulanger
Vivre sa foi par internet ?
L’imprimerie a rendu possible l’éclosion de la Réforme protestante mais qui a surtout permis une véritable appropriation du texte de la Bible par le plus grand nombre. L’internet accentue encore cette démocratisation de l’information, presque gratuitement et librement. Ce n’est pas sans rappeler ce principe fondamental que Dieu offre tout par grâce.
Sur internet, c’est à chacun de mener sa propre recherche, de choisir ses sources et de faire sa propre synthèse sans qu’il y ait une autorité pour dire qui a raison. L’internet va même plus loin encore en permettant à quiconque le désir de dire son avis, ce qui rappelle cet autre principe essentiel de la Réforme qu’est le « sacerdoce universel » : chacun est tout aussi prêtre et prophète que les autres, même si tout le monde n’est pas pasteur, professeur de théologie ou conseiller presbytéral.
Le protestantisme a cherché dès l’origine à intimement mêler la foi et la vie quotidienne, relativisant le caractère sacré des lieux, des rites, des temps et des institutions, valorisant la pratique personnelle des Écritures et de la prière. Quand le culte, la prédication ou l’étude biblique sont en ligne sur internet, ils peuvent être au moins un petit peu vécus à domicile par quiconque le désire, dans son lit ou en faisant le ménage, dans le train ou sur son lieu de travail pendant la pause du déjeuner.
Rendre possible de vivre le culte par internet pose question. Estce que cela ne va pas à l’encontre de l’idée de communauté, favorisant un individualisme où chacun se mettrait à penser et à faire n’importe quoi dans son coin ?
Le risque était le même à l’origine de la réforme protestante, en considérant a priori que chaque personne, quelle qu’elle soit, est digne d’être directement en relation avec Dieu, d’interpréter la Bible et de se faire sa propre opinion. Les risques étaient pour les individus : tous seraient-ils capables de ce sacerdoce universel ? Cette liberté ne conduirait-elle pas outre mesure à un vaste n’importe quoi ? Et, en adossant cette liberté sur l’amour inconditionnel de Dieu, les individus ne seraient-ils pas déresponsabilisés ? Et bien non, grâce à la sincérité de la recherche de chacun, grâce aussi au fait que la pratique de la foi est alors intimement mêlée avec la vie quotidienne du fidèle.
Les risques étaient grands également pour la communauté chrétienne : si l’individu est ainsi rendu autonome ne va t-il pas déserter les saintes assemblées ? Mais pour un fidèle, ce serait comme si un fervent supporteur de son équipe de foot désertait les stades. L’assemblée est une expérience particulière, ce qui n’empêche pas de revenir ensuite sur le texte, l’enregistrement ou la vidéo de la prédication pour en prendre et en laisser.
Il existe des pratiquants moins réguliers, chacun ses possibilités et son rythme. La possibilité de pratiquer par internet est une façon de garder le contact, d’entretenir sa foi dans l’intervalle et de renouveler l’envie d’aller au culte.
Mais aujourd’hui, une large majorité de nos voisins ne va pas à l’église, et même n’a aucune éducation religieuse. Et pourtant, parmi eux, bien des personnes cherchent, sentent la présence de Dieu, croient en « quelque chose », s’intéressent à la Bible, à la théologie. Aujourd’hui c’est en grande partie sur internet. Ils cherchent du côté
du christianisme, du bouddhisme et de l’islam, de la francmaçonnerie ou du zen japonais. Après avoir cherché longtemps tout seul, il est fréquent de vouloir se rapprocher d’un groupe de personnes, sans perdre sa propre sincérité. Mais cela demande du courage et de l’énergie pour passer la porte d’une église. Et puis comment savoir si cette église que j’ai repérée n’est pas une secte qui va me manipuler sans que je puisse résister ?
En effet, aujourd’hui, le protestantisme a une image ambiguë. Il a encore la réputation d’être une voie chrétienne plus ouverte, intelligente et responsable. Mais il y a d’un autre côté une profusion d’églises plus ou moins fondamentalistes. Cette tension entre deux images du protestantisme fait souvent hésiter à entrer dans un temple. Ne serait-ce pas une secte ? Le site permet de voir d’un coup d’œil ce qui est vraiment vécu au quotidien, et la recherche qui est proposée.
Une certaine pratique du culte par internet est un sas d’entrée très précieux. Et parce que notre prédication est vraiment le cœur de ce qui nous rassemble, les personnes qui viennent dans l’église par internet se trompent rarement, elles se sentent vite chez elle dans la paroisse, et y sont bienvenues. Et du coup, bien des personnes reconnaissantes de ce que l’Oratoire leur a apporté font passer l’adresse du site à leurs proches, comme on passe avec gourmandise l’adresse d’un bon restau.
Marc Pernot
Eclaireurs
Les EEUdF auxquels nous sommes rattachés se définissent comme « un mouvement de scoutisme aux racines protestantes, ouvert à tous, sans condition de croyance ou d’appartenance religieuse » et encouragent un éveil à des valeurs et dimensions spirituelles chrétiennes, sans prosélytisme aucun. Ceci passe par le Cantique des Patrouilles que nous chantons tous les soirs avant d’aller nous coucher et les « moments spis » une fois par jour en camp. Ces derniers peuvent s’appuyer sur la Bible ou tout autre texte pouvant stimuler la réflexion des éclaireurs et abordent des thèmes variés : la solidarité, l’effort, le partage… Fidèle à sa Promesse l’éclaireur fait « tout son possible pour écouter la parole de Dieu », mais n’hésite pas à questionner celle-ci avec ses chefs et ses frères éclaireurs s’il en ressent le besoin.
Agrippa Durrleman, chef de troupe
troupe@oratoiredulouvre.fr
L’image du protestantisme dans la société
Dans un pays séculier où le catholicisme garde une présence importante ancrée dans le paysage et l’histoire, les protestants sont une ultra-minorité (3% de la population) sans doute d’abord perçus comme des chrétiens qui ne sont pas catholiques. Ce christianisme non catholique présente une image plurielle.
Premièrement, on observe un protestantisme français dit « historique », luthéro-réformé, souvent perçu comme discret, en phase avec les avancées sociétales, la laïcité et la République.
Deuxièmement, le protestantisme évangélique est remarqué pour son prosélytisme et son éthique conservatrice.
Mais l’ancrage historique du protestantisme évangélique en France est aussi à souligner. Les baptistes y sont par exemple présents depuis le début du XIXe siècle. Et si ce protestantisme évangélique est souvent décrit comme conservateur, il faut rappeler que la première femme pasteur en France fut une baptiste fondamentaliste, Madeleine Blocher-Saillens.
Concernant le protestantisme luthéro-réformé, on ne peut le limiter à sa discrétion et à son encrage historique, comme s’il s’agissait uniquement d’un protestantisme mémoriel, d’un culte intime et familial des ancêtres partis aux galères, ou d’une croix huguenote portée plus ou moins discrètement autour du cou. Le protestantisme luthéro-réformé entend toujours attester de sa foi dans la société, comme en témoigne la dernière déclaration de foi de l’EPUdF adoptée en 2017. Et son intégration à la France fut parfois questionnée : les protestants furent dans le passé souvent perçus comme des agents de l’étranger, et récemment encore, Marine Le Pen remettait en cause la volonté d’intégration des protestants dans la France du XVIe siècle. Enfin, et alors que ce protestantisme issu de la Réforme magistériel est parfois jugé en perte de vitesse, remarquons qu’il ne s’agit pas seulement d’un protestantisme de transmission, mais aussi d’un protestantisme dynamique de conversion.
L’Oratoire du Louvre témoigne de ce protestantisme réformé historique mais aussi très dynamique, puisque cette paroisse présente un protestantisme inscrit dans l’histoire du protestantisme français mais aussi jeune, en croissance et de conversion, comme en témoignent des données statistiques pour une période allant de juin 2016 à juillet 2017 : 169 enfants inscrits à l’école biblique et au catéchisme, 13 lycéens inscrits au groupe des lycéens et 10 participants au groupe des étudiants ; 36 baptêmes d’enfants, dont 12 en faisant une profession de foi ; 42 adultes accueillis dont 30 baptêmes d’adultes. Chaque dimanche, ce sont en moyenne 300 personnes qui participent au culte à l’Oratoire du Louvre.
Alors que certaines paroisses luthéro-réformés sont tentées par la culture évangélique pour attirer plus de fidèles, le succès de l’Oratoire du Louvre, qui allie une liturgie réformée très traditionnelle et un libéralisme théologique ouvert au questionnement et au pluralisme, est aussi sûrement à prendre en compte dans le cadre d’une réflexion sur le dynamisme du protestantisme contemporain.
Chrystal Vanel
Les mots pour le dire
Pendant des siècles, la tâche d’une nouvelle génération a été de trouver sa place, bon gré mal gré, dans un monde connu. Elle pouvait s’appuyer sur la sagesse et les conseils des anciens. Il en était de même pour la foi. La forme choisie pour les catéchismes, depuis la Réforme, était celle du manuel de questions et de réponses à apprendre. Elle était adéquate tant qu’il en allait de structurer les esprits. On ne transmettait pas la foi : elle était présupposée. Il s’agissait de lui donner corps de manière à l’inscrire dans une tradition ecclésiale et dans un corps social.
J’aimerais, par contraste, souligner cinq aspects du temps présent.
Un premier aspect est que le monde qui vient n’est pas connu ; il reste à configurer, en partie du moins, dans de nouvelles contingences. Une multitude de prophètes et d’experts s’empare de cette incertitude et des craintes qu’elle génère. Transmettre l’Évangile, aujourd’hui, consiste à prendre la parole au milieu d’un concert, ou plutôt d’une cacophonie. C’est, de plus, faire le choix de la confiance, refusant les peurs et les injonctions.
Un deuxième aspect, lié au premier, est que les réponses anciennes sont discréditées. La tradition n’est plus considérée comme porteuse de sagesse et de vie. Elle n’est pas d’une grande aide dans un contexte de changement et de nouveauté. Il n’en va pas d’assurer l’héritage d’un patrimoine intangible. Certes, en Église, nous nous appuyons sur des connaissances bibliques, des pratiques et des formules reçues. Mais ce n’est pas pour vivre dans un musée ! C’est parce que nous avons la conviction, d’une manière ou d’une autre, que Dieu parle aujourd’hui. Transmettre, c’est d’abord se mettre ensemble à l’écoute.
Troisième aspect : Dieu parle parce que des personnes prennent la parole. Cela ne signifie pas pour autant qu’il le fait par des prophètes pleins d’assurance et des experts drapés de leur autorité. Au contraire, la parole sensible, personnelle, hésitante peut-être, du nouveau venu est aussi précieuse que celle de la prédicatrice ou du prédicateur rompu à l’exercice de la parole publique. Transmettre ne se comprend pas comme un mouvement à sens unique, mais comme un échange, une écoute et une parole mutuelles. Chaque personne en a la charge : l’ancien comme le nouveau, le jeune comme le vieux.
Quatrième aspect : résistant aux postures d’autorité et d’emprise, nous sommes épris de liberté et d’épanouissement personnel. Cette réalité marque considérablement la vie des Églises : le conformisme social, la pression familiale ou l’intégration socio-économique n’imposent plus de passage obligé. Il n’y a pas d’âge pour entrer en Église. En être relève du choix personnel. Pour beaucoup, c’est le fruit d’un lent mûrissement, d’hésitations et d’essais. Transmettre aujourd’hui, ce n’est pas faire entrer dans un cadre fixé par l’habitude, mais être disponible et travailler constamment à l’accueil de celles et ceux qui franchissent le seuil à l’heure de leur choix.
Cinquième aspect, enfin : transmettre revient à oser une parole sur un domaine qui appartient à l’intime. C’est dire si la sensibilité est de mise. Il ne saurait être question d’exiger la transparence, au contraire. Les mots reçus de la tradition (locale et universelle) trouvent ici une de leurs forces. Ils permettent de prendre la parole sans s’exposer trop. Ils ne sont jamais vraiment adéquats pour exprimer ce qui nous habite au fond du cœur et reste intransmissible, mais ils nous relient à la communauté chrétienne ici et ailleurs.
Nicolas Cochand
La Réforme en Allemagne : reconnaissance et défis
Toute reconnaissance avait commencé par Martin Luther luimême. Ayant pris le risque de s’éjecter hors du salut de l’Eglise, le seul qui existait, il lui fut donné à découvrir la réponse de Dieu à sa tourmente : « Ma grâce suffit à ton angoisse ! » Et depuis, sa reconnaissance avait surabondé et l’avait incité à risquer sa vie en permanence. Jamais ne lui fut enlevé le verdict impérial d’être « vogelfrei » - un hors-la-loi, libre comme un oiseau, livré à la protection du Créateur.
En cette année de commémoration des cinq cents ans de la Réforme, le protestantisme allemand fait écho à la reconnaissance de Luther : à travers le pays par de grandes manifestations, mais dans chaque paroisse aussi par des études, des cultes et des fêtes. L’Eglise tout entière se souvient de son héritage et essaie de le mettre en relief en répondant à la question : En quoi la Réforme contient-elle encore aujourd’hui des réponses à nos propres questions et même des questions à nos propres réponses ?
Héritage
La Réforme repose sur une libération et une liberté : sur cette existentielle honnêteté du moine qui voulant être obéissant à Dieu n’était pas prêt à se perdre dans les impasses de son Eglise mais s’est obstiné à faire passer toute obéissance par la vérité découverte. Liberté précédée et constamment nourrie par la libération du Dieu qui s’était révélé à lui dans l’Ecriture. « Sola scriptura » puisque c’est à travers elle qu’éclata cette vérité : seul est le Christ et seule est la grâce, donc seule aussi est la foi. De là les conséquences qui ont modelé les temps modernes : l’accès à la Bible pour tout le monde, donc école et éducation pour les garçons et même pour les filles ; l’élévation de la langue courante à la communication avec Dieu ; cantiques de la foi et de la joie pour fortifier les insurgés; tout chrétien a un contact immédiat avec Dieu et n’a à répondre qu’à lui seul, d’où la dignité du vécu, ainsi que la dignité du monde. Cet héritage pour jamais : l’homme libéré, la femme libérée – désormais uniques et responsables. L’être humain est appelé à vivre en témoin modeste, et à se mettre en route en grand voyageur avec le Christ. De cette foi émane « l’amour pour mener une vie libre, disponible et joyeuse au service gratuit du prochain. Car, de même que notre prochain en détresse est dépendant de notre abondance, de même nous avons aussi été en détresse face à Dieu, dépendants de sa miséricorde. »
Apprentissage
Contrairement à la Réforme en France, la Réforme en Allemagne s’est développée sous la protection de ceux qui tenaient le pouvoir et en les servant. C’est l’héritage de l’Eglise confessante qui fraya la route et maints exemples montrent l’apport du protestantisme à la vie publique à travers ses Eglises, ses organisations et ses fidèles - engagement pour la liberté, la justice, la paix et la sauvegarde de la création. Mais en même temps que le protestantisme a su faire preuve de cette force de conviction, sa force numérique a considérablement baissé : des 60% de protestants avant la Première Guerre mondiale on est arrivé à 37% en 1990 et à 27% en 2015.
Défis au ras du sol
En dernière instance, c’est sur le plan local que les hommes et les femmes vivent leur foi. Appelés à répondre à l’appel de l’évangile, ils mettent en pratique « l’amour » qui, selon Luther, n’est pas moins que le reflet de la miséricorde de Dieu. Deux missions particulières se présentent de nos jours aux paroisses : un accueil digne et une intégration respectueuse des réfugiés, et, deuxièmement une ouverture envers l’Islam. La première mission est globalement prise au sérieux et vécue ensemble avec bien d’autres acteurs civiques. Par contre, la main tendue vers les mosquées qui accepteraient de la prendre, ne se montre que trop timidement. Et pourtant, ce sera à ce prix que nous témoignerons de notre amour non seulement pour notre prochain mais encore pour nos prochaines générations. Sans cet amour, nous ne bâtirons pas la paix.
Devant la porte de notre temple à Berlin, la Kaiser-WilhelmGedächtniskirche, 12 personnes furent victimes le 19 décembre dernier d’un attentat provoqué au nom de l'Islam par un jeune fanatique. Dans les jours qui suivirent, des milliers de personnes de toute appartenance spirituelle et du monde entier, sont entrés dans l’église avec cette seule et même question : Où va notre monde ? Depuis, cette question est inscrite sur nos murs. Il nous est difficile de ne pas nous réfugier dans nos forteresses chrétiennes au lieu de devenir « les pierres vivantes », dont la patience de Dieu a besoin.
Défi de Dieu
Si, sous un tel défi historique, « l’éthos protestant » doit s’universaliser, alors ce n’est pas le moment pour lui de s’éteindre. C’est donc important de se souvenir de la Réforme, de ses bienfaits ainsi que de ses lacunes. Mais il faut aussi constater la grande différence de la situation d’aujourd’hui. En effet, la reconnaissance oh combien joyeuse de Luther et des masses populaires à sa suite pour la découverte du Dieu de la Grâce, n’est plus la nôtre. Ni l’angoisse face à Dieu, ni le besoin d’une justification de notre existence ne nous tourmentent aujourd’hui comme ils le firent pour nos ancêtres au seuil de la modernité. Ne serait-ce pas plutôt la question de la fidélité de Dieu et de l’efficacité de sa gouvernance qui nous guette ? Mais, en Allemagne comme en France, l’espérance qui fit jaillir l’audace de la Réforme, résonne toujours en nous.
Nous ne pouvons pas hâter Dieu. Mais nous pouvons le défier. Nous pouvons faire appel à sa grâce. La transmission de ce qui nous fera vivre ne se fera que par Lui.
Dr Kurt Anschütz (à Berlin)
Protestant de naissance
Je suis protestant cévenol de père et de mère. Du côté de ma grand-mère paternelle Figuière, je le suis depuis au moins 1704, plus vieille date à laquelle remontent nos archives de famille dans notre maison des Cévennes. Je le suis sans doute depuis plus longtemps, mais c’était avant la guerre des Camisards et avant ce que les autorités royales ont appelé « le grand brulement des Cévennes ». Les Camisards, mythe fondateur de l'identité du protestantisme cévenol ! En Vallée Française, on ne peut y échapper et on grandit avec. Cam de l'Hospitalet avec ses barres rocheuses ruiniformes entre lesquelles se tenaient des assemblées au Désert et où se tient le quatrième dimanche de juillet de chaque année une assemblée plus locale mais plus ancienne (fin du XIXe siècle) que celle du Mas Soubeyran (1911). Col de l’Exil où passaient les hommes en route pour les galères. Gardon de Ste Croix, « fleuve sacré » des Cévennes, comme s’en est gentiment moqué en chaire le pasteur Maison à l’occasion de la confirmation d’une de nos filles, puisque, devenant en aval Gardon de Mialet, il arrose la maison natale d’Abraham Mazel, premier et dernier des chefs camisards, et la vallée du Musée du Désert au Mas Soubeyran. Et les traditions familiales. Tombes de famille dans les propriétés, tradition qui s’est perpétuée depuis l’époque où l’ensevelissement des défunts n'était pas possible dans les cimetières. Bible de famille, seul livre que ces paysans isolés possédaient et cachaient, dans lequel ils apprenaient la lecture et le français, recueil des évènements des bons et mauvais jours, registre privé d’état civil, et source inépuisable des prénoms : Elie et Sarah, Lydie et Marthe. Et continuer à vivre en cachant sa religion, en étant obligés, entre la Déclaration royale contre les huguenots de 1724 qui renouvela la Révocation de l’Edit de Nantes et l’Edit de Tolérance de 1787, de solliciter un certificat de bon catholique pour se marier et avoir une vie civile dans le mariage.
En Lozère cévenole, on se définit facilement par opposition au nord de la Lozère, à l’Aubrac à la Margeride, où l'administration de Mende envoyait les institutrices cévenoles débutantes et où ma tante a attrapé une tuberculose qui l’a emportée jeune. Lozère catholique et conservatrice, voire royaliste, au nord, protestante, républicaine et laïque au sud, et résistante au sens du « Résister » de Marie Durand à la Tour de Constance. Comme le « Rossignol », cet insoumis de la Vallée Française, insoumis mais soumis à la Bible, qu’on appellerait aujourd’hui objecteur de conscience et dont, tout en le transposant dans l’Aigoual, André Chamson s'est inspiré pour écrire Roux le Bandit.
Par opposition à cette religion héritée, et dont j’assume complètement l’héritage, j’admire ces adultes, jeunes ou moins jeunes, qui viennent recevoir leur baptême ou faire une profession de foi à l’Oratoire. Quel chemin, compliqué toujours, douloureux parfois, pour en arriver là où aucun effort particulier ne m’a été nécessaire. Naissance à l’hôpital des Diaconesses, baptême dans les Cévennes, avec une marraine diaconesse, éducation religieuse et confirmation à l’Oratoire. Mariage protestant dans les Cévennes avec une catholique que j’avais maintes fois accompagnée à la messe, alors que quelques années auparavant la question des mariages mixtes protestant-catholique était encore un vrai sujet. Plus jeune, j’avais assisté à une altercation entre mon parrain et son frère, qui refusait d’assister à son mariage avec une catholique.
Finalement, même convaincu, par réflexion personnelle et par l’effet du ministère des pasteurs et pasteures que j’ai connus à l’Oratoire depuis les années 1950, que le protestantisme libéral, auquel j’appartiens par tradition familiale, reste le meilleur des cadres possibles pour vivre ma foi, on relativise. Même irréconciliable, la question n’est plus l’opposition au catholicisme, ni à aucune autre religion d’ailleurs. Dieu, le Dieu créateur, est forcément le même pour tous. Ce sont juste les formes de louange qui varient. Les six principes de base du protestantisme me suffisent. Mais pourquoi n’y en aurait-il pas plus pour d’autres, s’il leur en faut plus pour soutenir leur foi. Pour autant que les religions et leurs fidèles ne nient pas l’évolution des connaissances, ne cherchent pas à imposer leurs croyances par la contrainte et la violence et qu’au delà de l’amour de Dieu, ils et elles proclament ce fondement de toute société vraiment humaine d’aimer son prochain comme soi-même. Rien n’a moins de sens que le « With God on our side » qui a fleuri, et qui continue à fleurir, dans nombre de conflits armés ou pas.
Et même si tout cela choquerait mes lointains ancêtres camisards, c’est le bénéfice personnel que je tire de leur combat pour leur survie et du combat des Réformateurs pour la liberté de conscience.
Jean-Luc Buisson