Sommaire du N° 800 (2014 T4)

Éditorial

  • 800 numéros … par James Woody

Dossier : L’Oratoire, une Eglise à géométrie variable

  • Rester souple et tenir bon par Marc Pernot
  • Petit conte philophique par Philippe G.
  • Pourquoi une Eglise libérale par Rapahël Picon
  • Bénévole à l’Oratoire par Nicole A.
  • La Clairière, porte ouverte par Pierre R.
  • MpC:Manager de Projet Chrétien par Alain G.
  • Chef d’entreprise par Gaspard D.
  • D’hier et d’aujourd’hui par Guillaume M.

Calendrier des cultes

Activités de l'Oratoire du Louvre

  • Education Biblique (Catéchèse )
  • Formation Biblique
  • FormationThéologique (Approfondissement, Initiation ou catéchisme d'adulte)
  • Langues Bibliques (grec biblique, hébreu biblique)
  • Jeunesse (lycéens, étudiants, scoutisme)
  • Garderie
  • Société en débat
  • Concerts Spirituels
  • Chœur de l'Oratoire
  • Groupe Protestant des artistes

Nouvelles de l'Oratoire

  • Restauration de l’Orgue de L’Oratoire
  • Journées du Patrimoine
  • Point Financier 
  • Internet
  • Lytta Basset

Aide et Entraide

  • Les routiers à Madagascar
  • Vente de l’Oratoire  
  • La Clairière

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Dossier du mois
L’Oratoire, une Eglise à géométrie variable

Rester souple et tenir bon

L’Église de l’Oratoire est une église géniale. Si l’on voulait, on pourrait y passer sa semaine, ses mois, ses années en passant du culte aux divers groupes théologiques, conférences & repas, donner un coup de main le matin au secrétariat, l’après midi à bricoler avant d’aller au centre social de La Clairière, puis d’inviter à dîner des amis de la paroisse… Pourquoi pas, mais ce n’est pas le but. Ce serait même trop, car la vie, notre vie, doit rester dans le monde. L’Église doit rester pour nous secondaire, elle doit rester modeste, juste ce qu’il convient pour nourrir notre foi, notre réflexion et notre prière personnelles. Que nos activités dans l’église nous aident ainsi à être en forme pour vivre notre vie, qu’elles nous préparent à aller dans le monde pour y découvrir des personnes et nouer de belles relations, s’y engager pour servir et pour militer, pour découvrir, des choses nouvelles et y porter notre grain de sel.

À chacun de choisir, d’adapter, de tâtonner pour trouver son rythme et son programme d’activités spirituelles, en équilibrant une recherche personnelle et une recherche collective. Les deux se complètent, se nourrissent et se corrigent mutuellement. Mais c’est la dimension la plus intime, celle qui se fait au plus profond de soi-même qui doit absolument primer, comme le signale Jésus (Matthieu 6:6) et comme il le pratique lui-même. Parce que c’est dans cette intimité que l’on peut être le plus sincèrement soi-même devant Dieu, sans interférences. Mais il y a aussi un risque à rester entièrement seul, celui de tourner en rond dans ce que l'on est, le risque d’être trop confortablement installé. Même si, dans notre prière, Dieu est un intervenant puissant pour nous ouvrir de nouvelles portes dans notre existence, nos résistances au changement sont souvent bien fortes.

Une certaine dose de stimulation extérieure est donc fort utile. Cela peut passer par de la lecture dans des livres et sur internet, des vidéos, des émissions radio. Quand c’est possible, les discussions bibliques & théologiques avec un ou deux proches peuvent être très fécondes. Mais il est

 vrai que bien des personnes trouvent favorable pour leur cheminement d'aller au culte, à leur rythme. Ce n’est pas seulement la prédication, c’est un ensemble de facteurs : le déplacement physique prépare un déplacement spirituel et existentiel. La beauté du lieu, les grandes orgues nous préparent et nous élèvent aussi. Mais surtout les personnes dans leur diversité, le rythme et la paix de la liturgie, de ces prières anciennes et de ce qui est proposé dans la prédication qui peut susciter une réflexion, une évolution, une réponse personnelle. C'est ainsi que des personnes comme Paul Ricœur et Théodore Monod, qui avaient déjà quelques moyens de penser par elles-mêmes, allaient au culte régulièrement. C'est le choix d’une démarche, et c'est aussi un service, un témoignage.

En effet, l’Église n’est pas uniquement une chance pour nourrir et stimuler notre cheminement. Elle est aussi pour ceux qui le souhaitent une occasion de servir les autres et de militer pour une évolution de ce monde. Sans parler des douzaines de bénévoles qui sont à l’œuvre et des centaines de personnes finançant ce service qu’est l’église, la simple présence dans une activité ou le moindre petit bonjour à une autre personne est déjà un service rendu aux autres participants et donc à l’église.

Montre-moi ton agenda et je te dirai qui tu es, ou plutôt qui tu vas devenir ? Chacune et chacun, nous composons notre programme et notre rythme d’activités dans l’Eglise, en s’examinant soi-même pour voir ce qui est bon.

« Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat » (Marc 2:27), dit Jésus, et cela vaut pour les exercices religieux que nous nous donnons, cela vaut pour notre pensée théologique. Cela nous invite à rester souple et à tenir bon. Cela nous invite au service de l’autre et au respect des choix et des modes de fonctionnement de l’autre.

Marc Pernot

L’histoire de Monsieur Dupond
Petit conte philophique

M. Dupond n'a reçu aucune instruction religieuse. Comme tout le monde, il a fait de son mieux pour être heureux : réaliser le mieux possible ses désirs tout en tenant compte des contraintes matérielles et sociales. Arrivé à quarante ans il éprouve de la lassitude à courir derrière un bonheur fragile. Bref, M. Dupond se sent profondément remis en question dans sa propre vie.

C'est alors qu'il fait la rencontre de M. Durand qui est protestant. Ce monsieur semble être nourri par autre chose que la quête habituelle des biens de ce monde. Les deux hommes se parlent et M. Dupond découvre la Bible. Petit à petit il se sent touché par la grâce. Tout naturellement, M. Dupond, né nouveau, se dirige vers la paroisse que lui indique M. Durand.

Aller…

Des paroissiens le reçoivent chaleureusement, il est invité à dîner, il se sent des ailes et se dit prêt à aider le pasteur. Enfin une communauté vraiment humaine. Insidieusement pourtant, l'enthousiasme retombe et les relations se refroidissent. Les cultes ne communiquent pas toujours un souffle prodigieux, on bavarde ensuite de choses et d'autres en se cherchant des cousinages. Mais il y a pire : M. Dupond retrouve petit à petit les relations qu'il a connues, l'hypocrisie des bons sentiments en plus. Les pasteurs ont fait des études et ont le plus souvent des qualités humaines nettement supérieures à la moyenne, mais enfin... ils sont humains justement !

II se laisse alors gagner par un désespoir plus grand que celui que lui avait inspiré sa vie d'avant sa conversion. II décide de ne plus fréquenter l'Eglise.

...Retour

Retourné à la vie ordinaire, il observe cependant qu'une certaine distance s'est installée entre lui et sa vie. Il a compris qu'il n'y a pas les gens bien et les salauds, mais des êtres cherchant la délivrance tout en s'en éloignant, bref des pécheurs qui se débattent entre leur soif d'absolu et leurs contraintes.

Il se rend compte que les relations entre les citoyens ordinaires ne sont pas exemptes de dignité et de justice. II y a des conflits certes, mais il y a le droit pour les régler. II y a la misère et la maladie, mais il y a tout un système de solidarité sociale, le dévouement de nombreux bénévoles. Bref, M. Dupond voit soudain dans la société civile tout ce qu'il n'avait pas vu : une foule de bonnes lois et des gens ordinaires parfois capables d'un amour fou et d'actions merveilleuses.

La véritable espérance

M. Dupond comprend que l'Esprit souffle où il veut mais aussi que la liberté et la sécurité dont on jouit en France, n'ont pas fleuri spontanément. Ses lectures lui font découvrir à quel point le christianisme a profondément influencé notre culture, parfois pour le pire mais souvent pour le meilleur.

Si l’Eglise n'existait pas, le message chrétien aurait-il pu façonner tous les aspects positifs du monde ? Vous l'aurez compris, M. Dupond reprend sereinement le chemin de l'Eglise. Et à nouveau, parce qu'il a changé, son regard est changé. Ceux qui lui apparaissaient comme des chrétiens de comédie, installés, ataviques et hypocrites ont des profondeurs cachées qu'il ne voyait pas, parce qu'elles ne se manifestent justement pas forcément dans l'Eglise. Untel donne de son temps et de ses compétences professionnelles gratuitement, un autre apporte son soutien financier à ceux qui en ont besoin etc. Guéri de l'illusion et de l'orgueil de vouloir faire advenir sur la terre le Royaume dans toute sa splendeur, M. Dupond se mit à essayer d'en faire luire plus modestement les éclats, dans le monde et même dans... l'Eglise !

Qu'est-ce que l'Eglise ? Elle est l'assemblée de ceux qui se sentent appelés. Elle est donc essentiellement un événement comme l’est un culte.

C'est parce que l'Eglise existe et redit inlassablement l’éternité de Dieu que chacun peut reconnaître et donc pleinement connaître qu'il est normal de désirer l'infini et de pouvoir s'y ressourcer. C'est parce que l'Eglise annonce l'amour des uns pour les autres comme signe de la foi que la mise en œuvre concrète de cet amour commence.

C'est donc bien l'Eglise invisible qui est essentielle et qui est loin d'avoir les contours de l'Eglise visible. Toutefois, si Dieu n'est pas prisonnier des Eglises, il n'est tout de même pas impossible qu'il s'y manifeste !

Philippe G.

Pourquoi une Eglise libérale

Lors de l’union des Églises réformées en 1938, certaines Églises ont souhaité maintenir visible leur identité théologique d’origine. C’est notamment le cas de l’Église libérale de l’Oratoire du Louvre. On peut s’interroger sur la légitimité d’un tel choix. La Déclaration de foi sur laquelle cette union d’Église s’est scellée donnait, grâce à son Préambule, suffisamment de gages aux libéraux pour qu’ils se sentent respectés dans leurs options théologiques. Ce préambule soulignait notamment que l’attachement au texte ne devait pas se porter sur sa lettre mais sur son esprit. Certaines Églises non libérales, méthodistes notamment, ont elles aussi souhaité entrer dans l’Union tout en gardant clairement affichée leur identité théologique. Celle-ci s’est largement estompée avec le temps ; à ce jour, plus aucune Église méthodiste ne se définit ainsi à l’intérieur de l’union. Tout en adhérant à celle-ci, d’autres Églises ont maintenu leur orientation théologique sans pour autant l’afficher explicitement, comptant sur le poids des traditions locales pour la maintenir. En continuant de s’identifier comme libérales, les paroisses de l’Oratoire du Louvre, du Foyer de l’Àme, ont fait un choix différent. Au moins trois motifs le justifient.

Ces Églises rappellent que l’identité réformée n’a jamais été homogène et monocorde. Les premières traditions réformées, celle de Zwingli notamment, sont bien différentes du calvinisme plus tardif. Les réformés s’accordent sur de nombreux points (la justification par la grâce, la souveraineté absolue de Dieu, par exemple) mais pas sur l’ensemble (la compréhension de la cène, l’importance des sacrements). Cette pluralité interne à la tradition réformée a conduit de nombreux protestants à préférer l’union à l’unité. La seconde met l’accent sur le consensus, sur ce qui nous est commun, la première maintient de la différence, elle autorise des désaccords, elle permet le débat. L’union signifie que l’on peut être ensemble tout en étant différent et tout en restant soi-même. C’est bien ce que l’Église réformée de France et aujourd’hui l’Église protestante Unie de France ont voulu signifier. Etre protestant, c’est confesser une foi en « je » avec les autres. C’est faire partie d’une histoire, d’un mouvement, d’Églises unies, qui permettent à chacun d’exister dans une communauté.

En continuant de se dire libérales, l’Oratoire, le Foyer de l’âme, soulignent aussi que la pensée libérale n’est pas entièrement soluble dans l’air du temps. L’étiquette sert de garde-fou : elle exerce une vigilance et rappelle une exigence. La pensée libérale est celle d’un refus de toute identification entre les pratiques religieuses (les confessions de foi, les catéchismes, les Églises, les cultes, etc.) et Dieu lui-même. Cette pensée préserve la distance entre Dieu et ce que nous en faisons, une distance salutaire qui évite l’idolâtrie comme le fanatisme. Le libéralisme résiste à l’intérieur même du religieux contre le risque qui toujours le menace : celui de se diviniser lui-même. Cette pensée est aussi un appel à la créativité. Le libéralisme est prospectif et inventif. Sa vocation est de faire entendre de nouvelles manières de penser Dieu et de croire en lui, d’interpréter la Bible, de pratiquer la foi. Christ est vivant ! La foi chrétienne n’est donc pas archéologique mais prophétique ! Elle ne peut rester tributaire de modes de penser et de formes de langage des temps passés.

Enfin, son affiche libérale permet à l’Eglise de décliner clairement son identité. Le passant sait dès lors à quoi s’attendre. Le fidèle qui en est membre et les pasteurs qui y sont nommés aussi ! On ne pourra plus dès lors tromper le chaland : l’affichage oblige. Il ne saurait cependant transformer la foi de l’Église en un esprit de chapelle. S’afficher libéral ne doit pas signifier que l’Église est devenue celle du libéralisme. Elle est toujours l’Église de Dieu, prédication du Christ, assemblée des hommes et des femmes autour de l’Évangile. La pensée libérale donne un ton au christianisme. Il est celui d’un accord que nous croyons plus juste entre cet Évangile et nos sensibilités humaines et contemporaines.

Rapahël Picon

Bénévole à l’Oratoire

Rencontre avec Nicole Aymard, bénévole au secrétariat de l’Oratoire.

Qu’est ce qui vous a poussé à intégrer l’équipe du secrétariat ?

Je me suis d’abord engagée dans ma vie professionnelle dans le secteur de la kinésithérapie avant de commencer un parcours dans l’humanitaire : Restos du Cœur, Médecins du Monde, Visite aux malades hospitalisés, soutien scolaire à La Clairière et l’Entraide de l’Oratoire.

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de servir ainsi ?

C’est la recherche d’une activité à la fois épanouissante et socialement utile qui a été ma priorité, c’est aussi donner du sens à mes journées.

Pourquoi vous engagez précisément au secrétariat de la paroisse ?

Mettre ma foi au service des paroissiens, avoir une attitude bienveillante, c’est apporter ma contribution. Notre paroisse poursuit une finalité particulière de service et d’évangélisation qui fait écho à ma propre démarche spirituelle.

Vous continuez à parler ‘Travail’ tout en étant à la retraite. C’est important pour vous, pouvez-vous nous expliquer ?

Ma mission est d’être à l’écoute des différents appels, communiquer au mieux afin d’entretenir une bonne relation, c’est répondre aux demandes de renseignements concernant la vie de la paroisse, établir un premier contact, c’est guider vers les pasteurs et le président du Conseil presbytéral. C’est impressionnant de constater le nombre d’activités qui se sont accrues au fil du temps.

Donner son temps, est-ce suffisant ? Ne faut-il pas quelques qualités pour répondre à toutes les demandes ?

Sûrement. S’organiser pour être bien utile, ne pas se contenter de l’à-peu-près, avoir l’esprit de fraternité, savoir mettre ses compétences à disposition et au service de tous.

Le travail se fait en équipe, avec le temps, on acquiert une assurance, les dons que Dieu nous donne ne doivent pas être conservés mais doivent fructifier et être mis au service de l’Evangile. Quant au temps à donner, c’est à chacun de l’organiser.

J’ai lu une étude qui tend à prouver que les bénévoles vivent plus vieux, il y aurait un bénéfice à la santé physique et mentale, une meilleure capacité fonctionnelle.

TOUT EST DIT,DEVIENS CE QUE TU ES.

Nicole A.

La Clairière, porte ouverte

«... métèque vous m'avez accueilli, nu vous m'avez vêtu, infirme vous m'avez visité, en prison vous êtes venus à moi... ». Ces paroles que le Rabbi prononce à deux jours de Pessah, comme en écho à celles dites sur la montagne, ont toujours, pour moi, été le cœur de la Bonne Nouvelle. Depuis des mois j'en parlais avec Laurent Gagnebin et James Woody : comment se réclamer, dire, vivre l'Evangile si l'engagement dans la vie de la Cité ne se fait pas chair, là justement où la vie perd souvent son sens.

Hésitations, peur de ne pas savoir faire, inquiétude d'y trouver plus mon compte pour être en paix avec moi même que de trouver le chemin de la rencontre avec l'Autre... Et puis mon Pasteur qui me dit : la Clairière. Les ateliers socio - linguistiques, ça te correspond. Essaie.

Alors. Voilà. Des mois que je suis avec vous, jeunes migrants, sans papiers, arrivés ici. Inutile de dire vos itinérances, d'ailleurs, pudiquement ou par ce que ça fait encore trop mal, vous n'en parlez pas. Vous êtes là, dans mon pays qui a fait de la Trinité Républicaine et de ce si beau mot de Fraternité sa devise : mon pays qui vous faisait rêver. Comme Abram qui entendit un jour « va vers toi-même », vous avez quitté la terre des pères pour celle annoncée comme une promesse, bien vite fracassée sur le roc des réalités. Le rêve, la foi à ceux qui l'entendent ainsi, la fuite, souvent par ce qu'il n'est plus possible de vivre au risque de se perdre, soi et les siens, c'est pour tout cela que vous êtes venus. Ce que vous essayez de me dire -certains, dans ces éclats de mots venus d'une langue inventée mais ou nous trouvons nos sentiers de paroles - quand sur le trottoir, dans l'indifférence des promeneurs branchés du soir d'un quartier qui fut jadis le ventre de Paris, où fut ouverte « une Clairière » de lumière dans la misère sociale, où dans la cour une plaque rappelle que dans l'abjection collaborationniste, un pasteur et ses proches permirent à des enfants juifs et à des résistants d'échapper à la mort... Ce que nous essayons de nous dire est semaine après semaine une Grâce partagée. Vous n'exprimez pas de regrets. Nous avons pris l'habitude d'arriver avant 19h pour échanger sur le trottoir, parfois sous la pluie, ce que pendant les 2h « d'alphabétisation » nous ne faisons pas. Vous me parlez de votre solitude, je ne vous pose aucune question. Parfois quelques confidences « entre mecs » : un lit toujours vide, la violence dans certains foyers... Le manque de tendresse, celle du regard, des mots ou d'un sourire dans la rue. Vos maladies, souvent des dermatoses, parfois plus graves qu'Elisabeth Mazellier avec Médecins du Monde tente de résoudre. La fatigue, vos sourires maquillés de cernes dont je ne peux qu'imaginer le poids, celui du fardeau des jours que bien souvent, seul un portable ou un paquet de clopes allègent. Mais vos sourires, quel cadeau vous me faites !

Vos inquiétudes, toujours les mêmes : ces jours à attendre un travail éventuel, sans aucune protection. Vos absences par ce que quelque négrier moderne vous a fait bosser, vous promettant un salaire souvent non payé et que l'un d'entre vous, dans cet entre-deux de la pudeur, me dit quand je lui trouve mauvaise mine : « j'ai pas mangé depuis deux jours... » La peur, tapie, celle de l'arbitraire du contrôle qui risque de conduire en centre de rétention et à l'expulsion. Un de vous nous a ainsi quittés cette année.

Des mois que je partage avec vous ces lundis où je ne sais qui donne plus à l'autre. Mais dire l'un des moments les plus forts que j'ai vécu, cette année, qui fut celui de Pâques. Ce dimanche avec quelques uns, musulmans croyants, nous avons partagé un repas et « remercié Dieu » de notre rencontre. Inch Allah m'a dit l'un d'eux : que cela continue, l'amitié est un cadeau que notre Dieu nous fait !

La Clairière, pour moi, est aujourd'hui plus qu'un simple nom dont parfois le pasteur parle en chaire, c'est « mon lieu ». Je rencontre une communauté de vie qui se poursuit au fil des jours par des SMS avec le « professeur- ami » qui est devenu au cours du temps Pierre et non plus Monsieur, des projets de ballades et récemment, un de mes Egyptiens qui m'a offert une boite de Karkadé en souvenir du plaisir que j'avais eu à en découvrir la saveur dans son pays et comme il avait touché sa paye, il voulait me remercier. Ce partage, si simple, si grand par ce que moi qui ne sais plus très bien l'entendre, j'y reçois la Grâce en cet instant, sans question, évidente.

La Clairière est si proche de l'Oratoire - je ne parle pas de distance- mais de cette proximité des parpaillots marcheurs ouverts sur la cité quand elle est devant nous. Nous ne nous y diluons pas, je crois que nous pouvons y bâtir la « Maison du Père » et que c'est un chouette projet.

Pierre R.

MpC:Manager de Projet Chrétien

J’ai la conviction que notre seule inscription au nom de Jésus Christ fait de nous tous des MpC, c’est-à-dire des porteurs de projets, avec l’éclairage de la nuée des témoins et en premier lieu Jésus. Ma spécificité bien modeste réside dans ma qualité d’entrepreneur, de patron de PME, de repreneur de structure, d’aventurier de l’économie de marché, en fait un membre qualifié du capitalisme, c’est-à-dire un individu qui a fait un jour le choix de développer un capital humain et financier pour produire des profits, qui reproduiront des profits jusqu’à la chute pour mieux renaître en d’autre temps, d’autre termes, d’autre volumes. En reprenant la parabole des talents, voici ce qui, dans ma vie professionnelle, fait de moi un MpC, avec le ressourcement de ma pratique religieuse et de ma fidélité à l’Église Protestante Unie de l’Oratoire du Louvre.

D’abord les talents ! Toutes les prédications que j’ai pu écouter à l’Oratoire ayant pour sujet la parabole des talents se sont toutes révélées de véritables stimuli dans ma pratique professionnelle. En effet j’ai plaisir à reprendre les mots d’un de mes professeurs de l’école Supérieure de Commerce de Paris qui recherche les « pépites » lorsqu’il fait un diagnostic d’entreprise. Pour moi les pépites résident dans les talents des hommes et des femmes qui sont les ressources humaines de toutes structures. Et la parabole des talents m’a permis de rechercher, de valoriser et récompenser les talents de mes collaborateurs. Cette posture entrepreneuriale constitue un véritable exercice de management personnel qui consiste à reconnaître ses propres limites avec réalisme et humilité au profit des talents visibles ou cachés qui ne demandent qu’à s’exprimer pour constituer une véritable réponse aux challenges de l’entreprise. Pour ma part, je dois constater que lorsque j’ai su faire pleinement exprimer les multiples talents des autres, j’ai systématiquement pu dégager des profits à court ou long termes. Cet exercice de réalisme managérial est beaucoup plus difficile qu’il n’y parait car il plonge le MpC au fond d’une dualité terrible entre le pouvoir de décision et le pouvoir d’observation. Les cultes de l’Oratoire nous exercent à cet exercice périlleux et nous permettent de développer notre sens de l’écoute et de l’observation tout en restant des acteurs vivants et vigilants.

Et puis il y a la confiance, cette confiance qui est un des piliers du management ; confiance qui vacille avec ces doutes qui surgissent, cette audace qui s’ébranle. L’Oratoire est un rendez-vous régulier avec la confiance car il ne me semble pas qu’il puisse y avoir une prédication, une lecture biblique, une conférence sans confiance. Cette confiance apparaît dans la relation que chacun d’entre nous exprime avec nos frères et sœurs présents à l’Oratoire, mais aussi avec nos Pasteurs et nos élus. La confiance dans notre liturgie qui nous invite et nous mobilise avec douceur, avec prévenance. La confiance dans le fond par le choix des textes, la confiance dans la forme par la volonté de l’orateur de nous inviter à aller un peu plus loin. Il n’y a pas d’entreprise sans confiance, il n’y a pas de résultat sans confiance. Je ne compterai pas le nombre de dimanches où, durant le chemin du retour, je sus prendre des décisions stratégiques pour mon entreprise. Merci à tous les amis de l’Oratoire qui par un sourire, ou un « bon dimanche », ont su me rappeler qu’au-dessus des nuages le soleil brille toujours.

Et enfin la prière! Un MpC n’est que le chef d’un orchestre constitué d’hommes et de femmes qu’il dirige. Ils sont une partie du peuple et le MpC a, pour un moment seulement, la mission de les regrouper en une équipe et d’assumer la responsabilité de choisir des directions pour atteindre des objectifs. L’Oratoire est certainement un des meilleurs endroits où le magistral succède au sacré pour recouvrir le profane. Ce sont ces destinations pour lesquelles je me porte dans la prière. Pour ce Christophe que j’ai dû licencier et pour qui je demande la force de réagir, pour cette Catherine avec ses deux enfants, qui, seule, va devoir relever plusieurs défis au même instant, et pour tous ceux qui durant un court chemin ont accepté de communier leurs existences avec la mienne pour atteindre des objectifs. Merci à notre sacristain de mettre en œuvre chaque dimanche au moment de la prière universelle, la cloche de l’Oratoire pour créer une onde discrète à l’extérieur comme un relais vers ceux que je désigne comme mes collaborateurs.

Il y a 40 ans, j’ai déposé mes bagages spirituels gare de l’Oratoire : j’y respire, j’y écoute, j’y observe, souffles de vie intemporels où aucune des chaises n’est jamais vide car témoins indéterminés de tous les amis venus pour aller un peu plus loin.

Alain G.

Chef d’entreprise

Je suis chef d’entreprise. Cette expression, je l’emploie rarement : elle enferme dans un rôle, détermine l’appartenance à une catégorie. Et bien sûr qu’est-ce qu’être chef ? Qu’est-ce qu’entreprendre ? La société que je dirige est un petit groupe composé d’ateliers intenses en travail de la main : le capital y est humain plus que financier. Conduire une telle société, c’est, comme pour toute société définir et faire adhérer à un projet collectif et le réaliser. Cela revient à guider vers des sommets élevés, par des chemins escarpés, sans carte d’état major, des équipes expérimentées mais confrontées à une météo changeante (les marchés). Le terrain peut être glissant, des cordées concurrentes mieux équipées, les vivres insuffisants, les journées compliquées par le respect de règles du jeu pas toujours claires. On comprend mieux alors le terme entreprendre : dans cet environnement hostile, la loi du talion s’applique fréquemment, sans vergogne.

Dans ces conditions, comment exercer sa mission ? Quelle que soit la qualité de ses collaborateurs, un dirigeant est seul pour trancher ce qui ne peut être délégué et qui par essence engage l’entreprise dans le temps long ; jour après jour, sans faillir, il doit incarner, c'est-à-dire promouvoir et défendre avec constance le projet qu’il conduit ; assumer les contraintes et en desserrer l’étau ; sortir « par le haut » des contradictions qui peuvent opposer ses équipes ou des paradoxes inhérents à son projet ; déterminer avec justesse le partage du résultat entre réinvestissement, capital et travail ; être en état de veille, mais surtout, si j’ose dire, de lendemain. La charge est conséquente, les épaules parfois frêles, la vision brouillée.. . Que faire ? Le pouvoir et l’autorité sont réels, mais aussi, dérisoires… Qu’en faire ?

Chacun aura ses réponses. Pour certains, dont je suis, une entreprise ne se justifie que si elle donne et restitue à son écosystème ce qu’elle reçoit ou acquiert de lui avec un supplément de sens et peut-être d’âme qui complète- et pour moi surpasse la croissance évidemment indispensable de sa valeur ajoutée économique. Pour les collaborateurs, la fierté de l’appartenance à un groupe humain solidaire, la conscience de réaliser ensemble un projet enthousiasmant sont des facteurs déterminants de leur engagement et des marqueurs de ce sens. C’est ici qu’intervient l’instrument absolu, si puissamment efficace, mais aussi si destructeur selon l’emploi qu’en fait le dirigeant : je veux parler de la parole, celle qui désigne le but, celle qui entraîne et galvanise, qui soutient et encourage, mais aussi celle qui manipule, la parole démagogique qui ne respecte pas l’intégrité des individus et ne vise qu’à asservir, ou celle qui ouvre la voie au paternalisme si appauvrissant. En la matière, chaque jour peut être une occasion de chute.

L’univers des possibles est immense. Comment choisir ? Face à l’incertitude, face au risque, il y a la Parole. Ecouter la prédication lors du culte est un moment où on sort de soi même et de son espace intérieur saturé, et qui devient un moment de centrage où ce qui est dispersé peut se réunifier selon un axe. Pas de réponse toute faite au problème de l’heure, mais une boussole. Retrouver le sens parfois perdu parmi mille préoccupations de l’instant. Apercevoir une lumière quand tout est sombre et prendre courage pour affronter les difficultés. Entendre une parole utile qui n’utilise pas, mais qui libère une énergie, redonne confiance et permet de poser un pied devant l’autre, dans la bonne direction. Participer au culte est un acte personnel à la dimension collective forte qui manifeste notre égalité face à Dieu au-delà de toutes nos différences, et une volonté d’être et d’agir ensemble. Cette égalité fondamentale que je perçois si nettement durant le culte m’appelle à mettre l’autre, c'est-à-dire chaque collaborateur au centre de mes préoccupations, à essayer de construire l’entreprise avec et pour lui en respectant sa personne et sa liberté. Celui la même qui ne me comprend pas, qui gêne, qui semble insuffisant, qu’on éloigne ou qui s’éloigne, il est mon prochain à qui je dois parler en intelligence et en vérité pour qu’il occupe toute la place qui est la sienne. C’est cette altérité reconnue et valorisée qui est la vraie richesse, fécondante, de l’entreprise. Elle trouve pour moi sa source dans le deuxième commandement, si difficile à appliquer et qui semble si incongru dans une économie de marché. Il met en perspective que pour atteindre ses objectifs, le chef d’entreprise doit faire preuve d’humilité et être animé par un esprit de service. Il faut que j’aille encore beaucoup au culte.

Gaspard D.

D’hier et d’aujourd’hui

Lors de ma première année d’éclaireur, le camp d’été avait eu lieu dans le Jura. Nous étions partis, tous les sept de ma patrouille, pour quatre jours de randonnée dans une région qu’aucun d’entre nous n’avait jamais visitée. Pour ma dernière année de responsable de Route, nous avions monté un projet humanitaire dans un hôpital de brousse, à Meilen, au Gabon.

Dans une vallée perdue du Jura, un agriculteur nous avait prêté sa grange pour la nuit, nous avons joué au foot puis fait une veillée autour d’un feu de camp, avec ses fils; le lendemain, il nous demanda de revenir l’année suivante avec toute la troupe. Une infirmière du bloc opératoire vint nous serrer la main, et nous félicita de venir travailler avec son équipe, la meilleure façon de découvrir son pays ; elle nous quitta après nous avoir donné deux kilos de morue salée pour notre repas du soir.

Chaque camp, chaque route, a été initié par le désir de sortir de l’ordinaire, de vivre une aventure, de rencontrer des gens que je n’aurais jamais croisés dans mon quartier, rendre des services que je n’aurais jamais pu imaginer dans mon quotidien.

J’ai très vite appris que quand l’on prépare un projet pour soi et pour les autres, il est inutile de chercher à l’avance une connaissance que l’on retrouvera là-bas, car il y aura toujours un inconnu déjà sur place, qui nous accueillera pour faire vivre notre aventure. L’essentiel n’est pas d’avoir une idée précise du projet que l’on veut mener à bien, mais d’en avoir un désir insatiable.

Longtemps après, devenu pédopsychiatre, j’ai reçu l’appel d’une infirmière d’un collège mitoyen de mon hôpital. Elle avait dans son cabinet une adolescente suicidaire qui refusait – comme toujours - de venir consulter. Je lui répondis que dans ce cas, je ne pouvais rien faire, bafouillant une vague explication qui renvoyait la faute sur un vague règlement. « Faut-il attendre une catastrophe pour qu’il se passe quelque chose ? Pour que vous puissiez enfin la voir ? » répondit-elle sans cacher sa colère.

J’ai donc décidé de transgresser les dogmes qui m’avaient été inculqués par dix années de fac de médecine. Si elle ne venait pas à mon cabinet, ce serait moi qui en sortirais. Si elle ne voulait pas me voir en tête à tête, elle se ferait accompagner de qui elle voudra.

Quatre jours plus tard, je l’ai rencontrée dans le cabinet médical du collège, en présence d’Odile, l’infirmière, qu’elle avait choisie pour l’accompagner. Depuis, j’ai pu rencontrer des dizaines d’autres adolescent(e)s de cette manière, et aucun n’a jamais reculé devant cette première rencontre.

Sollicité par des éducateurs et travailleurs sociaux pour prendre en charge des enfants malades, difficiles, violents, incasables, j’ai souvent proposé de les accompagner sur leurs lieux de placements, aux quatre coins de la France, de reprendre la route, sans certitude de ce qui allait arriver. Je me souviens de Caroline et d’un déjeuner en Provence dans un restaurant associatif : des patients psychotiques et des ados repris de justice venaient faire le service, sans que l’on sache très bien qui gérait la salle. Brahim, accueilli en Vendée dans un lieu de vie tenu par un couple d’anciens scouts, à qui je n’ai pas eu besoin d’expliquer ma démarche. Dans le bocage normand, aidé par une enseignante post-soixante-huitarde, Kevin avait préparé une compote à la rhubarbe, nous l’avons dégustée, adossés à une maison inhabitée datée du 14ème siècle, pendant qu’un lama domestique broutait les plants sauvages qui bordaient la propriété.

Guillaume M.