Sommaire du N° 773 (2008 T1)
Éditorial
- Je n'ai pas honte de l’Évangile (Romains 1:14-17), par Marc Pernot
Dossier sur "le temps"
- Prière pour notre communauté par Marion Unal
- Le temps d'un détour par Werner Burki
- Le juste instant et l'éternité par Marc Pernot
- Le Temps en philosophie par France Farago
Nouvelles de l'Oratoire
- La nouvelle Feuille rose
- Message du pasteur Werner Burki
- Le nouveau site Internet
- Jardin d'enfant-éveil biblique
- Les échanges avec Amparibé à Madagascar
- La pastorale provençale de Noël
Agenda
- Cultes
- Rencontres
Histoire
- Il y a 50 ans
Aide en Entraide
- La Bienvenue
- Remerciements pour la Vente
- La Clairière
- Louer solidaire
Carnet de famille
- Naissances, baptêmes, mariages, services funèbres
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Dossier du mois
Le Temps
Pour inaugurer cette année toute
nouvelle, nous avons souhaité, avec vous, réfléchir sur le temps.
Quatre plumes différentes approchent cette énigme sous l'angle biblique,
théologique, philosophique, mais aussi spirituel avec cette prière.
Prière pour notre communauté
Aux dix vierges sages et folles
que nous portons en nous
(Évangile selon Matthieu, chapitre 25)
Ce soir encore mon Dieu,je vais m'endormir en pensant, ou en ne
pensant pas à toi.
Vienne la nuit, sonne l'heure, les jours passeront, et nous demeurerons.
Peut-être oui, peut-être criera-t-on dans la nuit, ouvrez,
ouvrez, voilà l’Époux qui arrive
Et dans mon sommeil, de très loin, j'entendrai cette voix
que mon oreille écartera. Je me rendormirai.
Sous le regard des étoiles, quelque part entre le ciel et
la terre, un frais rameau germera.
Une âme sera réveillée.
Un autre cri jaillira: Seigneur Seigneur, ouvre-nous.
À l'aune de nos mains, si peu d'huile, et pourtant, un tel
désir de lumière.
En tâtonnant, nous nous lèverons pour aller voir, et
la porte sera fermée. Mais dans nos coeurs un frais rameau:
le désir de te voir, mon Dieu, dans cet enfant qui va naître.
Avec Joseph et Marie, nous veillerons cette nuit-là à
l'aune de leur cour débordant de l'onction du Seigneur.
Seigneur, seigneur, ouvre-nous
Ouvre la porte de nos cours.
Marion Unal - Noël 2007
Le temps d'un détour
Nous avons demandé au pasteur Werner Burki d'aborder la question du temps avec une approche plus littéraire.
Le temps m'a manqué pour en bien parler car le temps s'enfuit
comme l'onde qui s'écoule et ne revient plus...
La clepsydre est cet appareil servant à mesurer le temps
chez les grecs. L'étymologie la décrit comme "
mangeuse d'eau " (en effet, le niveau d'eau versé
dans l'appareil donne l'indication chronologique) est le temps
qui l'a fait "passer" ! Le temps chronos, c'est le temps
programmé, linéaire, répétitif qui
fait le jour, la nuit et les saisons. Il s'agit du temps prévisible
fixant nos rendez-vous de la semaine comme ceux du dimanche et
notamment les horaires des cultes et des fêtes... chronos
est le temps auquel on pense et que l'on investi d'avance avec
notre calendrier.
Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal - l'Horloge) dit : Souviens-toi
que le temps est un joueur avide qui gagne sans tricher à
tout coup. C'est la loi, le jour décroît, la nuit
augmente : la clepsydre se vide.
Quant à Paul Géraldy, il affirme que l'histoire
d'un amour, c'est le drame de la lutte contre le temps. Le temps
pendant lequel nous pensons est toujours très court, le
temps pendant lequel nous désirons est toujours interminable.
Le temps serait donc cette image mobile de l'immobile éternité
comme le suggère Jean-Jacques Rousseau?
Certains moments sont déclarés parfois comme des
moments d'éternité, des moments qui bousculent,
bouleversent, remettent en question, convertissent à d'autres
itinéraires. Les grecs appellent cela kaïros.
Le temps kaïros bouleverse le temps chronos qui est l'imprévu
Par exemple, la première nuit de Noël retentit comme
un kaïros car elle réveille les bergers et fascine
les mages. Aujourd'hui, nous célébrons la fête
selon sa programmation chronologique, mais, qu'à cette
occasion surgisse un événement imprévu, fort,
une joie ou une détresse et alors kaïros intervient
dans chronos ! C'est l'inédit, l'irréversible. Tout
semblait bien organisé et, brusquement, tout bascule. L'élément
décisif qui nous manquait, ce désir indéfini
qui paraissait interminable, est résolu par kaïros
qui résout l'insoluble. Alors, nous vivons le temps vécu
vraiment, le temps agit dans des occasions qui ne peuvent être
répétées. Moment unique.
À l'origine, kaïros est le terme qui sert à
désigner, lors de la chasse, la distance précise
à laquelle il fallait se trouver pour tirer sur une bête
(cible). Kaïros est le temps qui atteint son but.
Le péché est souvent décrit comme le fait
de " manquer la cible ", c'est comme si nous avait manqué,
contre toute attente, une vision pour nous inspirer, une phrase
lue au moment opportun, une personne rencontrée... Temps
imprévu, kaïros éclaire alors notre passé
et conditionne notre futur. Cet imprévu surgissant invite
à improviser soi-même, son discours, sa vie, la communication
avec soi-même et avec autrui.
Pour parler du temps, il importe de considérer ses deux
composantes "kairos et chronos ". La poésie
et la littérature, comme toute écriture, instruisent
à ce bonheur d'agir, de devenir acteur du temps par l'accueil
de l'imprévu.
Werner Burki
Le juste instant et l'éternité
Le temps opportun
Pour souligner l'importance de cette notion de temps opportun, les théologiens ont souvent la coquetterie d'employer le mot grec kaïros.
Le temps est sans cesse nouveau, et les moments ne sont pas égaux. Une chose bonne à un moment donné peut être impossible à réaliser une autre fois, elle peut aussi être mauvaise à un autre moment. Tout est une question de circonstance, d'adéquation entre l'instant et l'action. C'est ce que développe l’Ecclésiaste avec sagesse: Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux... (Eccl. 3). Dans notre vie également, le temps ne tourne pas en rond comme les saisons dans la nature. Chaque année, chaque journée est particulière. Et quand nous prenons une décision, grande ou minuscule, nous changeons le cours de l'histoire. Il nous appartient de suivre le Christ, c'est-à-dire de comprendre le temps présent et de savoir ce qu'il est opportun de faire à cet instant, en ce kaïros particulier, pour que notre action soit bonne et pour que notre parole soit une parole décisive. Cela demande de l'attention pour ceux qui nous entourent et pour notre monde. Cela demande aussi une conscience éclairée pour voir les réalités de plus haut, comprendre leur histoire et espérer un futur. L'aide de Dieu est absolument irremplaçable pour donner ainsi une dimension prophétique à notre liberté.
Nous ne sommes plus dans un temps ordinaire mais dans la fin des temps
Le Kaïros par excellence, le juste moment entre tous, c'est celui où Dieu a donné son Fils comme sauveur du monde. À cet instant précis, Dieu ouvre une ère nouvelle, celle de la grâce et de la fidélité. Depuis ce moment-là nous ne sommes plus dans un temps ordinaire mais dans la fin des temps. C'est pourquoi les auteurs du Nouveau Testament parlent souvent au présent de la venue du Royaume de Dieu. Il est à la fois déjà là et encore en train d'advenir et nous l'habitons déjà. Tout ce qui est dit dans la Bible sur "la fin des temps" est donc à comprendre comme concernant l'instant présent, tout instant présent de notre existence. C'est maintenant le temps de vivre le jugement de Dieu qui nous purifie et son don de vie qui nous ressuscite.
Vous connaissez sans doute l'histoire de ce barbier astucieux qui avait mis à demeure dans sa vitrine cette annonce publicitaire : demain on rase gratis, toujours demain, et donc jamais.
La vie éternelle est pour tout de suite
Les promesses contenues dans l'Évangile ne sont pas de cet ordre. La vie éternelle n'est pas seulement une question de vie future, dans l'au-delà, après la mort de notre corps. La vie éternelle est pour tout de suite, c'est notre temps ordinaire qui reçoit une dimension d'éternité par la bénédiction de Dieu. Par exemple dans ce passage où jésus dit "celui qui écoute ma parole et qui croit à celui qui m'a envoyé, celui-là a la vie éternelle (au présent, c'est-à-dire dès maintenant), il ne va pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie (déjà passé de la mort à la vie, déjà ressuscité)." De même, Paul dit l'amour ne meurt jamais, et jean dit que celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui (éternellement, donc). Jean 5:24 1 Corinthiens. 13, 1 Jean 4:16
Cette idée d'éternité dans notre temps n'est pas une idée théologique abstraite pour se rassurer à bon compte face à la brièveté de notre temps sur terre. Le temps est une notion très relative pour nous. Il y a des gens qui n'ont jamais le temps de rien faire et des gens occupés qui trouvent toujours du temps. Il y a des minutes qui durent des siècles et des dizaines d'années qui s'envolent en un souffle. Il y a aussi le temps qui passe et il y a l'éternité qui est une dimension bien réelle de notre temps.
Il y a donc une urgence, l'urgence de vivre le temps avec cette dimension-là, celle de l'éternité. Le jour du repos proposé par le Décalogue est un exercice qui nous est donné pour faire place à cette éternité. On peut avoir l'impression de perdre son temps en cessant, un jour par semaine, de produire sans pour autant chercher à "se distraire". Mais c'est tout l'inverse. Cela nous permet de sanctifier le temps, nous dit la Bible, c'est-à-dire de prendre la mesure de la qualité du temps qui nous est donné quand il est transformé par la bénédiction de Dieu, éternisé par Dieu.
Cela peut vraiment changer notre regard sur le temps, et donc sur notre vie. Je connais des personnes qui ont frôlé la mort et qui ont maintenant un autre rapport avec la vie, avec le temps et avec les autres. Il n'est heureusement pas indispensable d'avoir été gravement malade pour vivre le temps en sachant y recevoir l'éternité dès maintenant, l'éternité de la bonté toute simple, de l'espérance et de la foi.
Marc Pernot
Le Temps en philosophie
France Farago aborde ici l'énigme du temps en philosophe, mais la théologie n'est pas bien loin.
Dans ses Confessions, perplexe, saint Augustin pose la question de l'être du temps " Qu'est-ce donc que le temps ? Quand personne ne me le demande, je le sais ; dès qu'il s'agit de l'expliquer, je ne le sais plus . " (XI, 14,17) Augustin entreprend donc de sonder ce qu'est le temps dans sa nature quelle est l'essence du temps ? Quel est l'être de son être ?
Être ou non-être du temps ? Unité ou pluralité ?
Il semble tout d'abord que cette question de l'être du temps ne constitue pas un si grand mystère le temps, nous savons tous ce que ce mot désigne, nous en avons une connaissance quasi immédiate nous savons en tout cas qu'il "passe' qu'il est donc lié au changement. Mais, quand nous voulons comprendre l'être du temps, c'est-à-dire le saisir, notre main se referme sur un vide. Ainsi, s'apercevoir que notre savoir du temps ne sait rien, c'est savoir que le temps est insaisissable, qu'il est non-être puisque le passé n'est plus, que l'avenir n'est pas encore et que le présent ne serait plus temps s'il demeurait présent il serait alors l'éternité. L'être du temps est donc, paradoxalement, de tendre au non-être.
Augustin explore le paradoxe fondamental de l'être et du non-être du temps, de son unité dans une apparente pluralité : le présent, le passé, le futur. Il montre que le passé et le futur ne sont que la représentation présente de choses qui ne sont plus ou qui n'existent pas encore. Il y a donc " présence du passé, présence du présent et présence de l'avenir " (XI, 20)
L'éternel demeure identique
Le temps est lié au changement. Il n'y a temps que quand quelque chose se passe, c'est-à-dire forcément quand quelque chose passe. L'être du temps, c'est ce mouvement de passage. Ce qui ne change pas, l'éternel, demeure identique, c'est-à-dire un ; avec la succession, le temps introduit la métamorphose, donc le multiple, le nombre. Le calendrier est là pour témoigner de la succession des jours, des semaines, des mois, des années... Mais la conscience intime du temps conduit Augustin à l'associer à l'âme, Augustin soulignant que seul l'esprit est capable de mesurer, et que c'est donc dans l'esprit que le temps est mesuré.
L'homme peut faire l'expérience de l'éternité
Par sa conversion, Augustin s'est détourné de la pluralité du temps pour revenir à son vrai moi fait pour l'éternité. Mais l'éternité ne peut pas être réduite à la représentation que l'homme assujetti au temps peut s'en faire car il n'y a pour Dieu ni passé ni futur, mais simultanéité absolue puisqu'il est l’Être même.
Toutefois l'homme peut faire l'expérience de l'éternité dans le temps. Telle est l'expérience qu'Augustin raconte dans le livre VII (10) des Confessions lorsqu'il eut, en 386, le sentiment d'être rappelé à lui-même " j'entrai avec votre aide, ô Seigneur, dans le secret de mon cœur, et je vis, comme avec l'œil de mon âme, la lumière immuable ; et cette lumière n'était pas la lumière que voit le corps elle n'était pas seulement plus grande, elle était d'une autre sorte, comme ce dont je tiens mon être. Celui qui connaît la vérité connaît cette lumière ; et celui qui la connaît, connaît l'éternité. Et c'est la charité qui la fait connaître.
L'existence temporelle vécue dans l'alliance avec l'éternel la vie éternelle
Exister, pour l'homme, c'est avoir à devenir l'existence est temporalité. L'être, qu'il ne faut pas confondre avec la vie purement biologique, ne vient à l'homme que peu à peu. D'abord indéterminé, l'homme se détermine en faisant effort pour être, pour s'édifier, pour s'accomplit
Seules les choses et les animaux sont déterminés ils n'ont donc pas à devenir ce qu'il sont. L'homme, lui, reçoit sa vie comme une tâche à accomplit Le temps apparaît ainsi comme la modalité même de l'existence. Loin de ne voir en lui que l'instrument de notre usure et de notre mort qu'il annonce, on doit voir en lui ce par quoi l'être peut nous advenir.
Il s'agit pour chacun de remonter vers son origine, de coïncider avec elle, d'accueillir l'éternité dans le temps.
Il faut apprendre à vivre chaque instant
Spontanément, les hommes ne prennent pas le temps au sérieux, ils ne voient pas la valeur absolue que, paradoxalement, lui confère son évanescence. Kierkegaard aboutit à la même attitude qu'Augustin : il nous enseigne qu'il faut apprendre à vivre chaque instant qui ne reviendra plus comme l'avènement même de l'éternité. C'est ainsi qu'il pense l'existence à la lumière de l'éternité que l'homme porte en lui car l'existence est " cet enfant qui est engendré par le fini et l'infini, l'éternel et le temporel ". La passion de l'infini est " une anticipation de l'éternel qui se trouve dans l'existence " et, lorsque l'homme s'est rapporté une fois en vérité à l'Eternel, il est reconduit jour après jour à revivre cette étreinte le temps se vit alors sur le mode de l' " instant " qui est l'expérience de l'éternité dans le temps, laquelle confère ce qu'il appelle la " béatitude éternelle ", qui n'a rien à voir avec l'au-delà ni avec ce que les hommes ont coutume d'appeler le bonheur. La vie, guérie de son tourment, est alors reçue une seconde fois. Fondée sur le rapport à la transcendance qui la régénère, la vie dans l'immanence ne peut plus s'étioler, se scléroser. L'éternité est une modalité d l'expérience temporelle, elle n'est pas perpétuité mais plénitude de la présence, elle est l'être vécu dans le devenir par l'homme qui l'a cherché passionnément.
France Farago