Sommaire du N° 768 (2006 T4)

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Dossier du mois
Madame de Sévigné à l’église de l’Oratoire + Scoutisme à l'Oratoire de 1934 à 1939

HISTOIRE - MADAME DE SEVIGNE à l’église de l’Oratoire

 
L’Église des Prêtres de l’Oratoire de la rue Saint Honoré fut construite en 1616. Devenue rapidement trop petite, le Cardinal de Bérulle, fondateur de l’ordre décida de la faire agrandir. Après des transformations et des embellissements dus aux architectes Jacques Lemercier et ensuite Clément Métezeau, elle devint selon le vœu de Louis XIII, chapelle royale en 1623. Le service funèbre de Richelieu s’y déroula en 1642, celui de Louis XIII l’année suivante et celui d’Anne d’Autriche en 1666.

Le 5 mai 1672, un service est organisé par l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture en mémoire de Pierre Séguier – Garde des sceaux en 1633, Chancelier de France en 1635 et Protecteur de l’Académie Française à partir de 1643 – mort le 28 janvier 1672 à l’âge de 84 ans. Madame de Sévigné y assistera au milieu de nombreux invités de marque. Dès le lendemain, elle prendra une de ses plus belles plumes pour «conter» cette cérémonie grandiose à sa «bonne» et chère fille. Madame de Grignan, par son mariage avec le comte de Grignan, nommé lieutenant général du roi, avait quitté Paris pour la Provence en 1669. (Voir lettre ci-contre)

L’extravagant mausolée, érigé à la mémoire de son protecteur par l’Académie royale de Peinture et de Sculpture, atteignait les voûtes de l’église de l’Oratoire. Le chancelier Pierre Séguier était un cousin du père de Bérulle, fondateur de la Congrégation de l’Oratoire.

Le gigantesque mausolée a suscité l’admiration de Madame de Sévigné. Par sa pointe et son burin de très grand talent, son génie de la perspective, les touches spirituelles des personnages, le graveur Sébastien Le Clerc fait revivre par son dessin, ce moment privilégié d’une véritable « théâtralité baroque du grand siècle classique ». La chapelle royale est parée d’une multitude de statues, de cascades d’anges et revêtue d’immenses tentures précieuses ; s’y côtoient des œuvres d’art des plus grands artistes. Au centre, le fameux mausolée, « chef d’œuvre » de Le Brun, qui s’élève jusqu’aux voûtes, encadré par des sculptures allégoriques des quatre Arts et des quatre vertus. Le décor de squelettes (ornements funéraires classiques) qui entoure les attributs glorieux du chancelier (son mortier, sa couronne de duc, le collier du Saint Esprit, ses masses) est impressionnant.
 
Le Brun, Président de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture, premier peintre du roi, fut le maître d’œuvre de ce monument avec la collaboration d’éminents sculpteurs et décorateurs. Il voulut honorer la mémoire de son protecteur dans la mort par cette pompe inouïe ; en effet, le Chancelier Séguier s’était intéressé aux Beaux-Arts et il avait envoyé Charles Le Brun à Rome en 1742 pour étudier les monuments antiques et connaître les grands artistes.

Durant cette cérémonie Madame de Sévigné occupe une des meilleures places près des hauts personnages de l’Etat, non loin de Colbert. Elle est à côté de son ami Monsieur de Tulle, Jules Mascaron, prêtre oratorien, devenu en 1671 évêque de Tulle. Il est très en vogue à la cour où il avait la faveur du roi. Madame de Sévigné, grande admiratrice du prélat, déclarait qu’il était à la fois « moraliste, orateur et écrivain », ce qu’exigeait le 17ème siècle de tous ses grands prédicateurs. C’est lui qui avait eu l’honneur de prononcer trois mois auparavant l’Oraison funèbre de « Messire Séguier, chancelier de France » chez les Carmélites de Pontoise où ce dernier avait sa sœur religieuse et où il avait choisi d’être inhumé. 

Le trouble du prédicateur

Madame de Sévigné, suivant la tradition littéraire classique, ne donne aucun détail physique de ses personnages, mais en revanche, elle fait part de ses émotions, scrute gestes et attitudes, s’abandonne au plaisir de faire partager des scènes pleines de vie dont elle raffole. Est-ce la trop grande solennité de l’assistance, la pompe trop intense de la Chapelle royale pour que le « trouble » s’empare du jeune prédicateur oratorien, le Père Vincent Laisné, qui vient de monter en chaire ? (Celle-ci se trouvait au fond de la chapelle à droite). L’inquiétude pénètre aussi l’auditoire ; mais ce fâcheux instant sera vite oublié quand l’assemblée entière tombera sous le charme de son éloquence. Cet éloge funèbre sera un chef-d’œuvre tant par sa construction équilibrée et ses effets oratoires puissants que par l’habileté dans la louange. L’orateur rappelle la passion du chancelier pour les Belles-Lettres, son respect et son amour des « Écritures », son admirable clairvoyance, et il insistera sur la très grande probité du « Garde des Sceaux de la Couronne ». Il avait choisi pour conduire sa méditation sur la mort, le verset 6 du psaume 82 : « Je l’avoue, juges de la terre, vous êtes des dieux, mais que cette qualité ne vous enfle point ; car avec cela que vous êtes des hommes et vous mourrez infailliblement ».

La « Bethléem » du chancelier

Le chancelier possédait dans cette église (comme Richelieu) sa chapelle privée « de la divine enfance de Jésus. C’était la troisième à droite en entrant dans la nef après celle du Cardinal de Bérulle. Le père Vincent Laisné parla dans son éloge funèbre d’une chapelle magnifique décorée des peintures de Vouet. Le chancelier l’appelait « sa Bethléem » ; il venait y prier et il apportait « une dévotion très singulière envers le Mystère de la Sainte Enfance ».

Madame de Sévigné, qui adore les faits divers et la petite histoire, évoque Mr de Mammouth, fils naturel de Charles II d’Angleterre. On se souvient peut-être qu’il avait défrayé la chronique au Palais-Royal par ses frasques  avec Henriette d’Angleterre. Il participera, la même année, aux négociations de paix avec la Hollande. A la fin de la cérémonie, la solennité du lieu n’empêche pas que les conversations s’animent. Madame de Sévigné retrouve en particulier le comte de Guitaut, son ami et son voisin du Marais, ainsi qu’une très ancienne connaissance : Toussaint de Forbin-Janson, évêque de Marseille depuis 1668.

Lully le « Baptiste »

Quant à la musique, elle était présente avec un chœur et un orchestre, sous la baguette du grand musicien du roi Jean-Baptiste Lully, qui interpréta un émouvant « Miserere » (Psaume 51 : « Dieu ait pitié de moi ») et un « Libera » (prière de la liturgie catholique pour les morts). Madame de Sévigné, comme ses contemporains,  nomment Lully avec affection et admiration le « Baptiste ». En mars 1672, Lully venait d’acquérir le privilège de l’Académie royale de Musique ; si son œuvre religieuse est peu abondante au regard de son œuvre lyrique, il suit la tradition de la musique baroque. Il traite, ainsi que Marc-Antoine Charpentier, Delalande et les maîtres de l’école versaillaise, les textes liturgiques latins comme les psaumes en forme de motet à grand chœur avec orchestre. Madame de Sévigné a été le témoin spirituel et amusé de son temps. Ses « radoteries » comme elle aimait à le dire, nous remplissent toujours d’émotion. Qui mieux qu’elle pouvait nous faire revivre ce moment d’histoire de l’Oratoire.

Claudine Roess

« Une si grande narration »

 C’est dans une lettre datée du vendredi 5 mai 1672 que Madame de Sévigné raconte à sa fille, Madame de Grignan, les obsèques à l’Oratoire du chancelier Pierre Séguier :

La lettre datée du 5 mai 1672 relatant la cérémonie en hommage à Pierre Séguier, est l’une des 1155 missives officiellement recensées et publiées écrites par la marquise de Sévigné, née Marie de Rabutin Chantal. Mais il y en aurait eu beaucoup d’autres.

Ma bonne, il faut que je vous conte une radoterie que je ne puis éviter. Je fus hier à un service de Monsieur le Chancelier à l’Oratoire (1). Ce sont les peintres, les sculpteurs, les musiciens et les orateurs qui ont fait la dépense : en un mot les quatre arts libéraux. C’était la plus belle décoration qu’on puisse imaginer. Le Brun avait fait le dessin. Le mausolée touchait à la voûte, orné de mille lumières et de plusieurs figures convenables à celui qu’on voulait louer. Quatre squelettes en bas étaient chargés des marques de sa dignité, comme lui ôtant les honneurs avec la vie. L’un portait son mortier (bonnet rond de velours noir que portaient les membres des Parlements), l’autre sa couronne de Duc, l’autre son ordre (le collier de l’ordre du Saint Esprit), l’autre ses masses (bâton à tête d’or ou d’argent portés dans les cérémonies devant certains magistrats) de chancelier.

Les quatre Arts étaient déplorés et désolés d’avoir perdu leur protecteur (2) : la Peinture, la Musique, l’Eloquence et la Sculpture. Quatre vertus soutenaient la première représentation : la Force, la Justice, la Tempérance et la Religion. Quatre anges ou quatre génies recevaient au-dessus cette belle âme. Le mausolée était encore orné de plusieurs anges qui soutenaient une chapelle ardente, qui tenait à la voûte. Jamais je n’ai rien vu de si magnifique ni de si bien imaginé, c’est le chef-d’œuvre de Le Brun. Toute l’église était parée de tableaux, de devises d’emblèmes qui avaient rapport à la vie ou aux armes du chancelier. Plusieurs actions principales y étaient peintes…

L’assemblée était grande et belle, mais sans confusion. J’étais auprès de Monsieur de Tulle (Mascaron, évêque de Tulle), de M. Colbert, de M. de Monmouth (Jacques), beau comme du temps du Palais-Royal, qui, par parenthèse, s’en va à l’armée trouver le Roi. Il est venu un jeune père de l’Oratoire pour faire l’Oraison funèbre. J’ai dit à M. de Tulle de le faire descendre, et de monter à sa place, et que rien ne pouvait soutenir la beauté du spectacle et la perfection de la musique que la force de son éloquence. Ma bonne, ce jeune homme a commencé en tremblant ; tout le monde tremblait aussi. Il a débuté par un accent provençal ; il est de Marseille ; il s’appelle Laisné ; mais en sortant de son trouble, il est entré dans un chemin lumineux. Il a si bien établi son discours ; il a  donné au défunt des louanges si mesurées, il a passé par tous les endroits délicats avec tant d’adresse ; il a si bien mis dans son jour tout ce qui pouvait être admiré ; il a fait des traits d’éloquence et des coups de maître si bien à propos et de si bonne grâce, que tout le monde, je dis tout le monde sans exception, s’en est écrié, et que chacun était charmé d’une action si parfaite et achevée.

Pour la musique, c’est une chose qu’on ne peut expliquer. Baptiste (Lulli) avait fait un dernier effort de toute la musique du Roi. Ce beau « MISERERE » était encore augmenté (Psaume 51) ; il y a un « LIBERA » plein de larmes. Je ne crois point qu’il y ait une autre musique dans le ciel. Il y avait beaucoup de prélats ; j’ai dit à Guitaut : « Cherchons un peu notre ami Marseille (l’évêque de Marseille) ; nous ne l’avons point vu. Je lui ai dit tout bas. Si c’était l’oraison funèbre de quelqu’un qui fût vivant, il n’y manquerait pas ». Cette folie l’a fait rire, sans aucun respect de la pompe funèbre.

Ma bonne, quelle espèce de lettre est-ce ici ? Je pense que je suis folle. A quoi peut servir une si grande narration ? Vraiment, j’ai bien contenté le désir que j’avais de conter.
 

Pierre Séguier dévoué aux puissants

 
Avec cette lettre de Madame de Sévigné, commentée par notre amie Claudine Roess, se termine le cycle de « l’Oratoire et la littérature ». Si nous avions respecté l’ordre chronologique, c’est par elle qu’il eût fallu commencer, mais nous n’en avions pas eu connaissance lorsque nous avons débuté cette chronique.

La cérémonie racontée par Madame de Sévigné n’a, bien sûr, aucun rapport avec la période protestante de notre église, qui débute en 1811, lorsque Napoléon redistribua aux protestants parisiens qui n’avaient plus aucun temple un certain nombre de lieux de cultes catholiques.

Le Chancelier Pierre Séguier (1558 – 1672), duc de Villemor, protecteur de l’Académie Française depuis 1643, président à mortier au Parlement de Paris, dont Madame de Sévigné raconte le service funèbre, était petit-fils et neveu de deux présidents à mortier du Parlement de Paris. C’est tout naturellement qu’il hérita de la charge familiale. Son efficacité et son dévouement aux puissants le firent choisir pour la garde des Sceaux en 1633 et la Chancellerie en 1635.

Devenu puissant à son tour, ce personnage qui ne s’embarrassait pas de scrupules, devint l’homme des situations difficiles : affaire de la correspondance d’Espagne en 1633, répression de la révolte des va-nu-pieds de Normandie en 1639, procès de Cinq Mars et de Thou expédiés à l’échafaud en 1642. Puis procès de Fouquet en 1661, où il se montra d’une grande partialité envers le surintendant condamné à l’exil.

Comme souvent, chez les ministres du roi, l’exercice de leur charge, pour prestigieuse qu’elle fût ne pouvait les satisfaire. Il leur fallait contribuer à la gloire du monarque en s’intéressant aux arts et lettres. Les libéralités que le Chancelier Séguier distribua en sa qualité de protecteur de l’Académie Française, comblèrent de nombreux artistes, dont Le Brun, premier peintre du roi qui ne pouvait manquer de contribuer à son tour à la gloire posthume du chancelier.

François LERCH

[Au Musée du Louvre, se trouve un portrait du chancelier Pierre Séguier à cheval au cortège de l’entrée de la Reine Marie-Thérèse à Paris le 26 août 1660, tableau peint par Charles Le Brun]



SCOUTISME - Avant et pendant la tourmente : Les souvenirs de Jacques POUJOL entré chez les scouts en 1934


Au début de l’année, nous avions lancé un « Appel aux souvenirs du scoutisme à l’Oratoire » pour essayer de retracer l’histoire d’une des grandes unités du scoutisme parisien. A la suite de cet appel, quatre témoignages nous sont parvenus : celui de notre ami Jacques Poujol et ceux de Mesdames Geneviève Marguerite, Christiane Polex (née Dubost) et de Monsieur Peschoud. Ces trois derniers étant plus partiels, nous publions celui de Jacques Poujol, qui retrace l’histoire d’Oratoire II pendant la guerre. Nous restons ouverts à vos témoignages. Nous aurions aimé avoir des récits du Jamboree de Moissons en 1947, où se déroula le plus grand rassemblement mondial de scouts de l’après-guerre.

F.L.

C’est en Octobre 1934 que je suis entré dans la troupe d’Eclaireurs Unionistes d’Oratoire II. J’étais accompagné de quatre autres garçons habitant tous le même immeuble 18 Bd Arago dans le 13ème et tous rattachés à la petite Eglise réformée de Port-Royal. Voici les noms et les totems de ces cinq garçons qu’unirent toute leur vie de très forts liens d’amitié et dont je suis aujourd’hui, à 84 ans, le seul survivant : Jacques POUJOL, « Mouflon lunatique » ; Robert POUJOL, frère de Jacques, « Gai Renard » ; François BONIFAS, « Pingouin vorace » ; Michel BONIFAS, frère de François, « Ourson casse-cou » et Jean- François BRETON, « Apre Furet », dont la soeur Martine épousera Robert POUJOL, mon frère.

Un chef de troupe nommé Pierre Kast

A ce groupe très soudé, s’associera Paul MILZAC qui épousera plus tard une autre fille de la tribu du 18 Bd Arago. Mais je préfère pour le moment laisser les filles de côté car, comme éclaireuses, elles sont plutôt allées vers Roquépine. J’ai simplement voulu montrer que scoutisme et sociologie protestante, avant même l’avènement de la mixité, étaient déjà des notions à la fois fécondes et étroitement liées. Qui étaient nos chefs, nos C.T., comme on disait alors ? Je sais peu de choses sur le premier sinon qu’il était étudiant suisse originaire du Canton des Grisons où l’on parlait la langue romanche, et qu’il s’appelait Bizas. Il était secondé par un garçon à peine plus âgé que nous, qui devait se faire un nom comme cinéaste, Pierre Kast. Il fut aussi mon condisciple au lycée Henri-IV et surtout, en 1941, il me fit entrer dans un mouvement de résistance appelé Front National des Étudiants. Peu avant la Libération, son petit frère devait être fusillé par les Allemands.

Dès 1935, un autre chef de troupe vint relayer Bizas, un étudiant en théologie nommé Albert Nicolas, remarquable par sa chevelure rousse ondulée. Il réorganisa la troupe de façon plus stricte et la divisa en trois patrouilles : Castors, Léopards et Dauphins. Les examens de 2ème et de 1ère classes furent plus étroitement contrôlés, ce qui m’empêcha longtemps de franchir ces étapes car j’avais de grosses difficultés avec les nœuds. Adepte de Barth, comme presque tous les théologiens de cette époque, il présidait le culte à chaque sortie. Il voulut même instaurer le culte de patrouille, ce qui me mit dans le plus grand embarras lorsque j’accédai au titre de C.P. des Dauphins.

Beaucoup plus tard, je devais retrouver Albert Nicolas rue de Clichy où, après avoir été aumônier militaire en Indochine et en Algérie, il exerçait, entre autres fonctions ecclésiastiques, celles de secrétaire général de la F.P.F. Aux côtés d’Albert Nicolas (dont j’ai oublié le totem), il y avait comme C.T.A. un polytechnicien très sympathique, grand de taille, qui s’appelait Hardy (j’ai oublié son prénom).

Un C.T. mort en héros

En 1937, on nous donne encore un nouveau chef venu de la troupe de Roquépine élève de l’École Coloniale (dite « Colo »). Il s’appelait Jacques-Henri Schloesing et était fils du Directeur de la Maison des Missions boulevard Arago, ce qui n’était pas pour déplaire à la bande du 18 ! Il n’eut pas de peine à conquérir l’affection de ses Éclaireurs, à l’écoute de ceux qui, comme moi, en devenant plus mûrs, commençaient à se poser des questions sur leur engagement dans un monde déchiré prêt à basculer dans la guerre.

Nous apprîmes, après 1940, qu’il avait rejoint De Gaulle, qu’il s’était engagé dans les F.A.F.L., qu’il avait été mis à la tête de l’escadrille Île-de-France, qu’il avait été abattu une première fois en 1943 au-dessus

de la France occupée (quoique terriblement brûlé, il était parvenu à rejoindre l’Angleterre par l’Espagne) et qu’il avait finalement trouvé la mort en combat aérien dans la région de Rouen le lendemain de la libération de Paris…Aujourd’hui, près du Trocadéro, une rue parisienne porte le nom de « rue du Commandant Schloesing »

Oratoire II ou Cassiopée

Durant la période 1934-1939, les activités de l’Oratoire II (qui avait adopté le surnom mythique de Cassiopée ainsi que le sigle « W » désignant cette constellation) ne se distinguaient guère de celles des autres troupes d’Eclaireurs Unionistes : sortie du dimanche (journée entière ou demi-journée) avec rendez-vous devant le Monument aux morts de la gare Saint-Lazare ; parfois réunions de patrouille le jeudi après-midi dans les locaux mis à notre disposition, rue des Jeûneurs, par Monsieur Roy, conseiller presbytéral à l’Oratoire ; réunions des C.P. et S.P. (conseils de chefs) de temps en temps le soir en semaine. Les sorties étaient animées par des jeux divers, surtout le « ballon prisonnier » ou le foot. Il y avait à l’Oratoire la Fête de la Jeunesse qui faisait salle comble avec tous les louveteaux, P.A., Éclaireurs et Éclaireuses E.U. de Paris. On y chantait avec enthousiasme des cantiques pour jeunes protestants dont le patriotisme ringard me fait frémir aujourd’hui :
« Jeunesse ardente et valeureuse
Que rien n’effraie et rien n’abat
Comme une élite valeureuse
Lève-toi pour le combat ! »…


N’empêche que c’était très exaltant de se sentir si nombreux, du parterre aux plus hauts gradins des tribunes, avec nos foulards bariolés, à chanter d’un même cœur des hymnes composés par la génération précédente, celle de la « Grande Guerre » de 1914-18. Il y avait aussi le grand rassemblement annuel de Trivaux centré surtout sur le scoutisme international et son fondateur Baden-Powell. C’est l’une des rares occasions où nous rencontrions nos frères éclaireurs d’Oratoire I car le reste du temps nous faisions plutôt bande à part, sans doute rançon de l’esprit de tribalisme mis au centre du scoutisme par ses fondateurs.

La nostalgie des camps d’été

Et puis naturellement il y avait les camps, camps de Pâques dans la région parisienne, camp de ski inauguré à la Noël 1938 par J.H. Schloesing à la Chalp d’Arvieux , station lancée par la Fédération. Surtout camps d’été qui ont laissé dans ma mémoire des souvenirs impérissables : celui de Malbuisson dans le Jura, le plus improvisé de tous, auquel les inspecteurs d’aujourd’hui n’auraient certainement pas accordé leur agrément, pas plus qu’au camp volant en Suisse qui le suivit et où ma patrouille faillit mourir d’insolation sur la route menant à Lausanne.

Celui de Schisrothried en Alsace beaucoup mieux organisé par Albert Nicolas mais dont le camp volant, par le Hohneck et Gérardmer, m’a laissé le souvenir cuisant des attaques répétées de hordes de moustiques. Celui de Saint Front, en Haute-Loire, à proximité du lac du même nom dont le traditionnel camp volant conféra à la troupe de l’Oratoire II la touche d’héroïsme qui lui manquait. Un incendie ayant éclaté à l’improviste dans la maison d’un village que nous traversions, nous entrâmes immédiatement en action, sous la direction de J.H.Schloesing, d’abord pour vider de leurs meubles les pièces les plus menacées, ensuite pour former à partir de la fontaine publique une chaîne qui, à l’aide de seaux d’eau, permit de maîtriser le sinistre.

Emu jusqu’aux larmes, le maire du village demanda aux villageois de nous servir un festin improvisé en plein air qui nous fit oublier les traditionnelles nouilles trop cuites de nos repas habituels. En juillet 1939, le camp d’été se déroula à l’Espérou (Gard), dans le massif cévenol de l’Aigoual, où je devais, trois ans plus tard, trouver mon refuge dans le maquis. Les nuits étaient fraîches dans les tentes que nous avions plantées au bord d’une « draille » à 1200m d’altitude et nous ne savions pas que la guerre allait, deux mois plus tard, nous disperser, certains pour toujours.

Rencontre à l’Espérou

Le souvenir le plus émouvant que j’ai gardé de ce camp est la rencontre inopinée que je fis, à la tête de ma patrouille (car j’avais pris du galon !) au coin d’un bois au-dessus de l’Espérou, d’un grand vieillard (en réalité il avait vingt ans de moins que moi aujourd’hui) qui nous demanda qui nous étions et engagea avec nous une conversation (sur le scoutisme, sur le pays cévenol, sur les Protestants, sur Jésus-Christ…), une véritable conférence qui dura presque une heure sans que nous sentions le temps passer. J’appris plus tard que ce bon vieillard n’était autre que le pasteur Nick, l’évangélisateur bien connu de Fives-Lille, qui avait de nombreuses attaches dans le pays cévenol et qui, même pendant ses vacances, n’arrêtait pas d’évangéliser.

Affaires de rites

C’est au cours des camps d’été que se donnaient libre cours certains rites un peu barbares propres au scoutisme mais de nature proche du « bizutage » encore pratiqué dans certaines écoles. Il y avait d’abord ce que nous appelions le « cirage », sorte de sanction collective appliquée à tel d’entre nous qui avait démérité ou enfreint nos règles non écrites de comportement. Ce traitement ne me fut infligé qu’une fois au camp de Malbuisson pour refus d’effectuer la corvée de cuisine.

Un autre rite était celui de la « totémisation » précédée de ce que nous appelions à Oratoire II l’ « initiation ». Jugée trop barbare dans sa forme primitive, Albert Nicolas mit heureusement fin à cette pratique qui consistait à faire croire à l’initié qu’on allait lui appliquer dans le dos un fer rouge ! Un conseil de chefs décida de remplacer ce rituel par un autre un peu canularesque. Il s’agissait, avant de conférer à l’initié son totem définitif, de l’affubler au cours d’une cérémonie burlesque, d’un totem ridicule qu’il ne gardait que cinq minutes avant que la vraie totémisation ait lieu.

Des noms d’autrefois

A force de remuer ces souvenirs enfouis dans ma mémoire, je m’aperçois que beaucoup de noms d’anciens amis éclaireurs que je croyais avoir oubliés me reviennent à l’esprit à mesure que j’écris ces lignes. Je ne suis plus très sûr des prénoms parce qu’à cette époque on s’appelait par son nom de famille entre jeunes plutôt que par son prénom. Ce sont des noms portés par de grandes familles historiques de l’Oratoire : POSTEL, D’ALLENS, LANGLOIS, ROSER, CAMBASSEDES, PETER, peut-être d’autres vont-ils s’ajouter à cette liste sortie des tréfonds de ma mémoire, ou même, qui sait ? Se faire connaître parce qu’ils rôdent toujours autour de l’Oratoire.

J .P.