Sommaire du N° 748 (2002 T1)

Un d'article retranscrit

  1. La diversité dans le protestantisme selon Louis Schweitzer, par la pasteure Florence Taubmann

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Dossier du mois
La diversité dans le protestantisme

Venu animer notre première soirée du mardi, le pasteur Louis Schweitzer, ancien secrétaire général de la Fédération protestante [de France], nous a invités à accomplir un voyage en histoire protestante. Pour nourrir la réflexion à laquelle les synodes de cette année sont invités à propos de la demande d’adhésion de nouvelles Églises à la Fédération, il a réaffirmé que la diversité était consubstantielle au protestantisme, et ce, dès les commencements. Rappelant que si l’archétype catholique est l’obéissance, l’archétype protestant est la conscience personnelle, il a souligné avec humour que les protestants sont d’accord sur la Bible… tant qu’elle est fermée, et que même les principes fondamentaux du protestantisme (la Grâce seule, la foi seule, l’Écriture seule, le sacerdoce universel) donnent lieu à des interprétations différentes.

Déjà la Réforme du XVIe siècle est plurielle. Car la Réforme luthérienne, si elle est l’héritage commun des protestants du point de vue théologique et spirituel, a des aspects spécifiques liés à la personnalité de Luther, qui était moine. Elle sera notamment marquée par la théologie des deux Règnes. Zwingli, intellectuel humaniste, suivra Luther pour l’essentiel, mais il ira beaucoup plus loin dans sa remise en cause des dogmes. Mais c’est Calvin le juriste qui donnera sa forme à la Réforme réformée. 

Cependant, ces deux traditions ne touchent pas au principe de l’union de l’Église et de l’État. Et c’est une troisième tradition qui va le faire, du côté de ce que l’on appellera la Réforme radicale. Dès 1524, on trouve une communauté anabaptiste à Zurich, contestant le baptême des bébés, mais aussi présentant l’Église comme la communauté des disciples de Jésus et non comme la fonction religieuse de l’État. Loin d’affaiblir le mouvement, les persécutions le pousseront vers le sud de l’Allemagne, l’est de l’Europe, puis il trouvera refuge en Hollande et plus tard en Amérique. Une particularité essentielle de cet anabaptisme est le choix de la non-violence, que l’on retrouvera chez ses descendants Amishs et Mennonites. 

Dans l’Angleterre du XVIe et XVIIe siècle, au cœur même de l’anglicanisme, va naître un mouvement en faveur d’une Réforme au sens continental du terme, en vue de purifier l’Église dans sa théologie et sa pratique. Une partie de ces puritains désire transformer l’Église anglicane en Église presbytérienne, ce qui aboutira en Écosse, mais non en Angleterre. L’autre partie veut la séparation et fonde le congrégationalisme. Ces partisans du congrégationalisme, persécutés, fuiront pour certains d’entre eux en Hollande où ils seront accueillis par les mennonites, et deviendront baptistes avec John Smith. Essayant d’importer ce baptisme en Angleterre, ils seront à nouveau persécutés et iront aux États-Unis fonder l’État de Rhode Island, où le principe de la liberté de conscience est inscrit dans la constitution. À la même époque, on voit naître les Quakers, radicalement non-violents.

Quant à l’Allemagne des XVIIe puis XVIIIe siècles, elle connaîtra un mouvement spirituel très fécond sur le plan intellectuel et social avec le piétisme, qui se nourrira à la pensée de Luther et à la mystique rhénane. Des Églises naîtront de cet élan qui sera également missionnaire et œcuménique : par exemple les Églises moraves. 

Ce “Réveil”, qu’on trouve aussi en Angleterre au XVIIIe siècle avec Wesley et le méthodisme, va se répandre en Amérique et en Europe. Et c’est aussi à partir d’un “Réveil” que le protestantisme français va se reconstituer au XIXe siècle. 

Cependant, le réveil le plus important et qui est aussi le plus récent est le réveil pentecôtiste, qui représente aujourd’hui au moins 200 millions de personnes dans le monde. Les charismatiques en représentent 350 millions, la différence entre les deux mouvements étant que le pentecôtisme a créé de nouvelles Églises, tandis que le mouvement charismatique se développera, à partir des années 1950, à l’intérieur des Églises déjà existantes.

Le pentecôtisme est apparu aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, sous l’impulsion de gens en quête spirituelle qui cherchent à revivre l’expérience du Nouveau Testament, notamment celle des Actes des apôtres avec effusion de l’Esprit, prophéties, guérisons… En 1900, à San Francisco, se manifeste une première communauté composée de pauvres, blancs et noirs mélangés. Vingt ans plus tard, des missions ont essaimé partout dans le monde, donnant naissance aux Assemblées de Dieu et à des Églises autonomes. En France aujourd’hui, les Assemblées de Dieu sont aussi nombreuses que les Églises réformées, et elles manifestent un grand dynamisme. Et il existe des mouvements de rapprochement dans le monde évangélique en général à travers les facultés de théologie et l’Alliance évangélique. 

Pourquoi un certain nombre de ces Églises demandent-elles aujourd’hui leur adhésion à la Fédération Protestante de France ? Rappelons d’abord que les Églises libres et des Églises baptistes en sont membres depuis le début, et que certaines Églises pentecôtistes, notamment celle des Tziganes, ainsi que l’Église apostolique, y sont entrées depuis peu. 

Pour le pasteur Louis Schweitzer, il y a sans doute de bonnes et de mauvaises raisons à ces demandes d’adhésion. Parmi les bonnes, il nous invite à retenir celle-ci : au bout de quelques générations, les Églises ont tendance à s’ouvrir, à désirer rencontrer d’autres Églises, à entrer dans une démarche œcuménique afin d’approfondir leur travail théologique. Or les Églises pentecôtistes en sont à la quatrième génération. 

De plus, il nous rappelle qu’en règle quasi-générale, chaque Église repose sur un équilibre entre trois sensibilités :

  1. À partir d’un jaillissement premier, fécond et enthousiaste, 
  2. Il y a dans un second temps fixation d’une orthodoxie permettant l’assise doctrinale et la répétition ;
  3. Puis vient une réaction libérale, revendiquant la liberté de l’intelligence et de la foi par rapport au dogme, au risque de tomber dans le rationalisme ;
  4. Et c’est alors que naît un mouvement de réveil, qui cherche à retrouver l’intuition première. 

Tout mouvement de réveil comporte certains risques : illuminisme, contestation doctrinale, sociale… Ceci a fait que dans l’histoire, les mouvements de réveil ont souvent été rejetés par les Églises, et se sont épanouis en dehors d’elles, en général plutôt sous la houlette de chefs charismatiques que de théologiens. C’est le cas pour le pentecôtisme, à la différence du mouvement charismatique, qui a été intégré, notamment par l’Église catholique. 

On voit donc l’enjeu possible de cette réflexion et de cette rencontre entre les Églises dites historiques et ces Églises nées d’un réveil évangélique et pentecôtiste. Il ne s’agit pas pour l’instant de se prononcer sur l’adhésion, car la Fédération protestante et les Églises en demande d’adhésion se sont données trois années pour mûrir ce projet et prendre la mesure des questions théologiques et culturelles. Ce temps ne sera donc pas un temps de passivité, mais un temps où les diverses Églises seront invitées à se rencontrer et à dialoguer. Quelles que soient les décisions prises dans trois ans, le pasteur Louis Schweitzer nous invite à voir dans cette démarche un mouvement inversé par rapport à l’histoire du protestantisme dans son ensemble, puisqu’il s’agirait d’aller de la diversité à la complémentarité.

Florence Taubmann