Marie-Louise Girod, la dame d'en haut
Marie-Louise Girod, la dame d’en haut
Par Philippe Braunstein
Quand la « Dame d’en haut » parle de l’orgue, qui fut le sien pendant tant d’années, son visage s’éclaire, sa parole se fait chair : pianiste de talent pendant son enfance, elle décrit sa rencontre avec l’orgue comme on décrit un coup de foudre amoureux, qui fait oublier tout le reste.
D’abord parce qu’avec ses mains, qu’elle montre, on provoque la voix du son, l’harmonie de la mesure, le souffle de la rigueur, qui composent ensemble le thème de toute pièce ; ensuite et plus profondément, parce que sa découverte de l’orgue est l’aboutissement d’une crise spirituelle : à 16 ans affrontée à Dieu, luttant avec lui comme avec l‘Ange, Marie-Louise Girod est venue livrer à Wilfred Monod, qui les étudiants de l’Institut de Théologie venaient écouter en masse dans la Salle haute de l’Oratoire, son souhait profond : devenir pasteur. C’était statutairement impossible, sauf en Suisse. Alors, organiste ? Marie-Louise a entendu Wilfred Monod lui dire : »Mademoiselle, considérez que l’orgue est un ministère et voyez la vie qui s’ouvre devant vous ».
L’élan était donné. Marie-Louise Girod se mit à travailler avec ardeur, d’abord sous la direction bienveillante d’Henriette Puig-Roget, titulaire de l’orgue de l’Oratoire, puis dans la classe de Marcel Dupré au Conservatoire National, où, après dix ans d’études, elle obtint le premier prix.
Devenue à son tour titulaire de l’orgue de l’Oratoire en 1943, Marie-Louise Girod n’est plus redescendue de la tribune. Elle, qui avait connu l’orgue Merklin de 1898 au système pneumatique, dut s’habituer au nouvel orgue Gonzalez au système électrique, qui réutilisa les jeux anciens et leur adjoignit trente-deux jeux nouveaux répartis sur trois claviers. Le nouvel orgue, inauguré le 14 janvier 1262, ouvrait le champ à toute la littérature ancienne et moderne. Il permit aussi à l’organiste d’accompagner pendant des décennies la chorale de l’Oratoire et les chants de l’assemblée. Titulaire pendant près de soixante-dix ans, Marie-Louise Girod n’a cessé de donner des concerts en France et à l’étranger, de créer des stages de formation et de perfectionnement, d’animer en toute saison la vie musicale de l’Oratoire.
Le ministère qu’elle a exercé lui a permis de connaître plus d’une vingtaine de pasteurs de l’Oratoire, de traverser courageusement les épreuves de la guerre, de jouer en compagnie de solistes réputés et de participer d’en haut à l’évolution d’une des grandes paroisses de Paris.
Retirée à la Maison de la Muette, Marie-Louise Girod pense parfois aux cimes de la Meije qu’elle a admirées dans sa jeunesse : elle a accepté de faire chanter l’orgue à quatre jeux, dont les vibrations bouleversent des pensionnaires très âgées. Pour elle, le chemin était droit, car, dit-elle, « nous sommes déjà ressuscités ». Elle ajoute, avec un joyeux sourire : « j’ai vécu 4/3 de ma vie, maintenant ce sont les 5/4, ce que j’appelle le supplément. » Sa foi solide l’aide à attendre et espérer un centenaire de bénédictions.
[extrait du livre du bicentenaire, p.275]