L'Oratoire en 1892
L'origine des 531 membres électeurs de l'Oratoire permet d'avoir une idée de la physionomie de la paroisse en 1892 : 226 étrangers dont 186 suisses, 305 français dont 122 parisiens, 141 provinciaux et 42 alsaciens. On relève sur ce registre 44 tailleurs, 110 garçons de magasin et de recettes, 20 dessinateurs industriels, 30 banquiers ou agents de change. Le pasteur Decoppet, grand spécialiste du protestantisme parisien, pense que l'Oratoire ne constitue pas une paroisse homogène comme celle des Batignolles, par exemple. "Ici on est dispersé, loin les uns des autres, on ne se connaît point. Maintenons-nous dans ce que nous pouvons faire. L'Oratoire est un local central qui, s'il n'a que peu de protestants dans les abords immédiats, peut en attirer du dehors au moyen de conférences faites par des hommes de valeur". On envisage un second culte le dimanche après-midi. Le pasteur Decoppet se souvient qu'on avait tenté d'établir un culte à 8 heures du matin pour les domestiques et un autre à 3 heures de l'après-midi, L'essai n'a pas été concluant parce qu'il n'y avait pas beaucoup de protestants dans les environs immédiats de l'Oratoire. Le conseil presbytéral décide de déposer 50 affiches -pour faire connaître l'heure du culte dans les hôtels.
Le pasteur Roberty craint que le culte du matin à l'Oratoire ne souffre d'un second culte dans l'après-midi. Partant du principe que la prédication n'atteint pas les gens qui ne mettent jamais les pieds dans un temple, il propose de chercher une salle où le culte aurait plutôt les allures d'une conférence". Pourquoi ne pas s'entendre avec la Mission Mac All, qui possède une salle boulevard Bonne-Nouvelle ? Cette salle est à l'origine de la Clairière. Le pasteur Decoppet s'y rend régulièrement, mais, il trouve que les auditoires sont clairsemés. Le conseil presbytéral décide de n'ouvrir un second culte à 16 heures que les jours de Noël, de Pâques et de la Pentecôte et d'organiser des conférences pour la saison d'hiver. Il ne renonce pas pour autant à un second culte hebdomadaire plus simple que celui du matin, mais il ne pense pas que la chose soit pour l'instant possible.
L'Oratoire passe pour une Église où la conciliation entre les diverses tendances théologiques a été une nécessité et une réussite. Nommé pasteur auxiliaire enn 1882, Ariste Viguié a joué un rôle déterminant sur ce plan. La forte personnalité et la vaste culture du prédicateur nîmois se sont imposées à tous. Nommé depuis un an à la suite du décès inattendu d'A. Viguié, Émile Roberty s'est acquis 'l'affection et la pleine approbation des fidèles des deux tendances par son zèle, sa modération et sa prédication essentiellement édifiante". L'année 1892 est marquée par le départ du pasteur Recolin. Juste avant de mourir, Recolin a eu le temps d'exhorter ses deux collègues. S'adressant au pasteur Decoppet, il lui dit : "Il faut continuer à marcher dans la voie de la concertation et de la paix ; non dans un but de politique, ecclésiastique quelconque, mais pour être fidèle au véritable esprit évangélique". Quant au pasteur Roberty, il s'adresse à lui en ces mots : "Dites à l’Église d'être fidèle, évangéliquement fidèle, non pas selon les traditions humaines, mais dans l'esprit de Jésus-Christ, dans la paix et dans la charité... dans la charité".
Ces nobles propos ne sont pas du goût de tous dans le protestantisme parisien. Un article invraisemblable du Christianisme au XIX, siècle va jusqu'à prétendre que la conciliation des tendances opposées au sein de l'Oratoire est à l'origine de l'insuffisance croissante du budget et de la diminution des grandes collectes pour les pauvres. La situation matérielle de l’Église est effectivement assez préoccupante, mais pour des raisons bien différentes : décès de gros cotisants, départ par déménagement de membres de l’Église, difficultés d'ordre économique et, il faut bien le dire, absence de générosité de la part de quelques paroissiens. On parle de banquiers qui donneraient moins de trois francs par an. La vie est donc dure pour beaucoup. L'Oratoire cherche à venir en aide aux nombreux chômeurs de la Paroisse en effectuant ce qu'on appelle aujourd'hui des petits travaux. Presque à chaque séance, le conseil presbytéral aborde des questions diaconales.
La charge d'être là cathédrale du protestantisme à Paris s'avère lourde. Il faut beaucoup insister pour obtenir l'aide des pouvoirs publics. La ville de Paris ne verse plus l'indemnité de logement du pasteur Decoppet, sous prétexte qu'il y a un second appartement pastoral à la maison presbytérale occupé par l’Église depuis sa construction en 1857. On a perdu les plans et tous les documents concernant cet immeuble lors de l'incendie de l'Hôtel de Ville sous la Commune. Le conseil presbytéral obtiendra gain de cause contre la ville de Paris, mais il ira jusqu'au Conseil d’État,
Le consistoire de Paris, qui mène un combat d'arrière garde refusera la titularisation du pasteur Émile Roberty à la place laissée vacante par le pasteur Recolin en dépit de la demande unanime du conseil presbytéral. Cette décision bien regrettable va souder plus que jamais les membres de l'Oratoire qui seront convaincus qu'il s'agit là d'une injustice flagrante. R. Roberty acceptera avec une sérénité imperturbable cette situation, qui empêchera la prise en charge de son traitement par l’État.
La vie au jour le jour de l'Oratoire il y a cent ans est ponctuée par quelques grands événements. Le 18 janvier, une grande réunion en l'honneur du pasteur Mac All, fondateur de la Mission populaire évangélique, remplit le temple à craquer. Mac AU a ouvert vingt quatre locaux d'évangélisation dans Paris en une vingtaine d'année. De passage à Paris juste après la Commune, ce pasteur congrégationaliste anglais, âgé de plus de cinquante ans, est interpellé par un habitant de Belleville qui lui affirme que seule la prédication d'une religion de liberté pourrait répondre à l'attente des ouvriers qui n'entrent jamais dans une église ou un temple. Mac All s'impose des règles très strictes : aucune allusion politique, aucune attaque contre l’Église catholique, ne pas prendre parti, dans les querelles théologiques, ne pas insister sur l'horreur du péché, mais sur la grandeur de Dieu. La largeur d'esprit de Mac All va dans le même sens que celle de ses collègues de l'Oratoire.
Le pasteur Decoppet demande l'ouverture d'un registre consacré à l'histoire de l'Oratoire, afin que l'on puisse se souvenir de tous les moments marquants depuis 1811. Les pasteurs sont invités à demander aux fidèles de ne pas partir immédiatement après la fin du sermon. On distribue aux enfants des livres, mais aussi des vêtements lors de la fête de l'Arbre de Noël. Les annonces sont faites avant la prédication. La lettre des pasteurs qui accompagne la liste des tours de prédication pour le début de 1892 décrit bien le climat qui règne alors à l'Oratoire : 'Nous prenons la liberté de recommander à tous les fidèles et amis de notre paroisse l'emploi de tous les moyens qui, avec la bénédiction de Dieu, pourront contribuer à développer au milieu de nous la vie religieuse : la fréquentation régulière et en famille du Culte public la pratique du Culte domestique et du Culte individuel, l'envoi des enfants à notre école du Dimanche et à celle du Jeudi, et, plus tard, à l'instruction religieuse préparatoire à la première communion, enfin le concours généreux et personnel à donner à toutes nos œuvres paroissiales destinées à soutenir notre culte et à secourir efficacement nos pauvres. Une ère nouvelle de concorde et de paix semble s'ouvrir pour notre chère paroisse de l'Oratoire. Notre vœu le plus ardent est qu'elle soit en même temps pour nous tous une ère de réveil moral et d'activité religieuse, le point de départ d'une nouvelle et puissante extension du règne de notre Dieu sauveur'.
Philippe VASSAUX