De la Chapelle de Hollande à l'Oratoire du Louvre
Au XVIIIème siècle, Paris est à la fois la ville la plus surveillée de France et celle où l'on se cache le mieux. C'est ce qui permet au protestantisme parisien de rester vivant en dépit des arrestations et des persécutions. Grâce aux ambassades des pays protestants qui ont toutes leur chapelle et leur pasteur attitré, le culte luthérien continue à l'ambassade de Suède, rue Jacob. ainsi qu'aux ambassades du Danemark et de Brandebourg, rue de Grenelle Saint-Germain. Un culte en français a lieu par intermittence à l'ambassade d'Angleterre.
Mais c'est surtout l'ambassade de Hollande, à l'angle de la rue des Saints-Pères et de l'actuel boulevard Saint-Germain, qui va devenir le centre ces Réformés parisiens, qui s'y rendront à leurs risques et périls. En 1700, le pasteur VILLAINES, chapelain de l'ambassade, est arrêté à la frontière pour avoir exercé d'une façon trop voyante son ministère auprès des gens de la Religion Prétendue Réformée. (RPR) Vers 1720, le culte a lieu deux ou trois fois par dimanche, avec des assemblées de 6 à 700 personnes, Le nombre des communiants s'élève à 1 500. On vient à ces cultes de Meaux, de Caen, de Saint-Quentin, d'Amiens, d'Orléans. 139 jeunes Sancerrois sont reçus à la Sainte- Cène, après instruction religieuse, entre 1753 et 1787. Un registre. qui porte sur une trentaine d'années, contient le nom de 2850 confirmands. A partir de 1762, l'ambassade possède deux aumôniers. L'un du VOISIN, épouse la fille de CALAS.
Le pasteur Paul-Henri MARRON, né à Leyde en 1754, consacré en 1774, pasteur à Dordrecht en 1775, est nommé à la Chapelle de Hollande en 1782. Il devient le premier pasteur de l'Eglise Réformée de Paris reconstituée en 1788. Il sera confirmé au moment des articles organiques et restera en fonction jusqu'à sa mort, victime de l'épidémie de choléra de IïÔ32. Sa vie se confond avec l'histoire de l'Eglise Réformée de Paris.
En juin 1789, une salle est louée à un marchand de vins, rue Mondétour, près du Forum des Halles. En février 1790, cette salle est abandonnée pour le Musée social de la rue Dauphine, une association littéraire créée par COURT de GEBELIN. Au mois de mai de la même année BAILLY, maire de Paris, et LAFAYETTE obtiennent que l'église Saint-Louis-du-Louvre, située à l'emplacement de la place du CARROUSEL, soit donnée à bail aux protestants de Paris.
La dédicace eut lieu le 22, P.-H. MARRON rappelle le mot de MIRABEAU " J'aperçois de cette fenêtre le balcon funestre d'où un roi égaré par de perfides conseils lançait le plomb meurtrier dans le sein de ses sujets ". Un bon nombre de protestants se trouvait parmi les Suisses et le régiment des Chasseurs des Cévennes, les seuls à défendre Louis XVI jusqu'au bout!
Le secrétariat de l'Oratoire détient un registre des baptêmes qui va de 1'789 à 1792. P.-H. MARRON porte le titre de " ministre du Saint Evangile et pasteur des protestants de Paris ". Les baptêmes sont célébrés le dimanche " dans l'oratoire des protestants de Paris, ci-devant l'église Saint-Louis-du-Louvre ". Entraîné par la tourmente révolutionnaire, P.-M. MARRON dépose le 23 Brumaire an 11, sur le bureau de la Commune, les quatre coupes d'argent qui servent à la communion. On lui a beaucoup reproché par la suite les quelques paroles qu'il a prononcées : " Tous les rangs confondus buvaient dans ces coupes d'égalité et la fraternité ; mon ministère a toujours eu pour objet d'en propager les principes. Honte à tous les échafaudages de mensonge et de puérilités que l'ignorance et la mauvaise foi ont décorés du nom fastueux de théologie".
Cette attitude n'empêche pas son arrestation à trois reprises. La chute de ROBESPIERRE lui permet d'échapper à la mort et de continuer à remplir ses devoirs pastoraux en gagnant sa vie comme traducteur au ministère des Affaires extérieures. Il reprend ostensiblement ses, fonctions le 20 mars 1795.
Avec les Articles organiques de 1802, le protestantisme obtient droit de cité. Dès le 3 décembre 1802, une Eglise consistoriale de Paris est créée avec trois postes pastoraux. Le Consistoire évalue à 20 000 le nombre des Réformés, chiffre accepté par la Préfecture. De fait, les circulaires sont tirées à 1 500 exemplaires. Beaucoup de protestants ne se font pas connaître. P.-H. MARRON écrit au préfet FROCHOT en 1802 quelles sont les principales professions exercées par les membres de l'Eglise : haut commerce, banque, horlogerie, bijouterie, commerce du vin avec Sancerre, manufacture des toiles peintes. Les quartiers les plus fréquentés sont le Faubourg Saint-Antoine, avec les ouvriers allemands, les environs du Palais-Royal, les quais des Orfèvres et de l'Horloge, [a Chaussée d'Antin avec la rue du Mont-Blanc (aujourd'hui de la Chaussée d'Antin) où se trouvent de nombreuses maisons protestantes.
Frédéric MESTREZAT est nommé pasteur en 1803 à 43 ans. Il meurt en 1807 et est remplacé en 1808 par Jean MONOD qui vient de Copenhague et restera pasteur jusqu'à sa mort en 1836. Jacques-Antoîne RABAUT-POMIER, né en 1744, pasteur, puis conventionnel, quitte son poste de sous-préfet du Vigan pour reprendre son service dans l'église de Paris en 1803. Il sera exilé en 1816 pour raisons politiques.
MESTREZAT vient de Bâle. La capitale lui semble une nouvelle Babylone. Il est impressionné par les réceptions d'une centaine de personnes qu'organise à son domicile du 2, place Vendôme son collègue MARRON, qu'il redoute un peu. Il écrit cependant à son sujet : " Il a de l'esprit, beaucoup de connaissance des hommes et des affaires, des lumières comme savant et homme de lettres ; en ménageant sa suprématie, nous serons très bien ensemble ".
Quant à RABAUT " il est petit, sec, un peu jaune, son son de voix est agréable... et son ensemble plaisant... Il a quelque chose de doux et d'intéressant... Il est plaisant que les trois dames consistoriales de Paris (les femmes des trois pasteurs) soient courtes, grasses, brunes et plutôt jolies ". On peut se faire une idée de l'atmosphère de l'Eglise Réformée de Paris au début du XIXème siècle, en lisant les -Textes et Documents relatifs à l'Histoire des Eglises Réformées en France " (1800-1830) publiés par le professeur Daniel ROBERT (Droz, 1962).
A partir de 1803, l'Eglise Réformée de Paris dispose, en plus de l'Eglise Saint-Louis-du-Louvre, de l'Eglise Sainte-Marie qui est donc le plus ancien des lieux de culte protestant de la capitale en service aujourd'hui. Cette chapelle, consacrée en 1634, a été élevée par François MANSART pour les Visitandines, ordre créé par Mme de CHANTAL, grand-mère de Mme de SEVIGNE. L'Eglise de Pentemont construite en 1750 par Constant d'IVRY, ancienne chapelle des Bernardines de Panthémont, ne sera libérée par l'armée qui l'utilise comme magasin à fourrage, qu'après 1846.
L'église Saint-Louis-du-Louvre, reconstruire en 1744 à la place de la vieille église collégiale de Saint-Thomas-du-Louvre, dont le vieux clocher s'est écroulé en 1739 tuant six des quatorze chanoines, a été décorée par PIGALLE et LEMOINE et a abrité le corps du cardinal FLEURY. Elle est en mauvais état et est menacée destruction en raison des plans d'urbanisme de NAPOLEON. Elle sera démolie en partie en 1811, en totalité en 18102 seulement.
En 1838, BALZAC décrit dans " La Cousine Bette ", le quartier comme un coupe-gorge. En 1811, le préfet FROCHOT réussît à faire proposer aux protestants parisiens, l'église de l'Oratoire occupée par les décors de l'Opéra du Théâtre Vaudeville et du Théâtre Français.
Les deux premiers libèrent les lieux très vite. Le Théâtre Français fait la sourde oreille, mais quitte la place à la suite d'un quiproquo : le diacre, chargé de suivre l'affaire, M. de CHATILLON, parle avec une telle assurance, qu'il est pris pour un commissaire impérial ! Les réformés s'empressent d'occuper l'édifice avant que les autorités ne changent d'avis. Le culte est célébré à Pâques en 1811, après un aménagement qui endette le Consistoire de 8000 F. Les stalles du chœur et le tambour du temple de l'Oratoire proviennent de Sai nt-Lou i s-d u- Louvre. Le préfet FROCHOT lui-même aurait dit aux délégués du Consistoire : " Prêchez sur des gravats 1 " L'archevêque de Paris, le cardinal Maury, voit d'un mauvais œil une présence protestante aussi affirmée au cœur de - la ville. Il y a de nombreux catholiques parmi les 2000 personnes qui assistent parfois au culte du dimanche à l'Oratoire, qui ne sera concédé aux protestants qu'en 1844.
On a reproché à P.-H. MARRON sa profession à louer en vers latins ou grecs les gouvernements successifs qu'il a connus pendant son long ministère. C'est souvent pour lui l'occasion de dire certaines vérités. Ainsi, le 15 août 1806, dans un service d'action de grâce pour l'anniversaire de la naissance de l'empereur, il gratifie celui-ci de " héros législateur ", mais il rappelle que " tous sont frères aux gens de Dieu et égaux aux gens de la loi ", et il cite NAPOLEON lui-même : " L'Empire de la Loi finit où commence celui de la conscience ". Lorsque nous passons devant le buste de P.-H. MARRON dans la Grande Sacristie de l'Oratoire, nous pouvons avoir une pensée reconnaissante pour cet homme qui a sans doute été très marqué par le Siècle des Lumières, mais qui, parfois seul au gouvernail, a réussi à maintenir la barque de l'Eglise Réformée de Paris en des temps bien troublés.
Philippe VASSAUX