À l’Exposition coloniale

Matthieu 24

Culte du 21 juin 1931
Prédication de Wilfred Monod

Culte à l'Oratoire du Louvre

Affiche de la Société des missions évangéliques de Paris (SMEP), 1931

21 juin 1931
« À l’Exposition coloniale —
Çakya Mouni et Jésus »

Culte présidé par le pasteur Wilfred Monod

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« Cet Évangile du Royaume sera prêché par toute la terre et attesté à toutes les nations. »
Matthieu XXIV, 14

Prédication

Mes frères,

Pour qu'un tableau dévoile sa beauté, il faut un éclairage approprié. On fait la même expérience pour certaines paroles ; elles ne révèlent tout leur sens profond que dans une atmosphère spéciale. C'est pourquoi, voulant saisir à nouveau la signification de l'universalisme évangélique, tel qu'il s'affirme en notre texte, je suis allé me perdre dans les foules qui visitent l'Exposition coloniale. Là, sous un soleil éclatant, les pieds dans la poussière, les yeux éblouis de visions exotiques, parfois immobilisé dans le coude à coude frémissant des pèlerins qui, par myriades, se pressent autour des merveilles accumulées, j'ai perçu comme jamais la grande voix du chef prédestiné de l'espèce humaine : « L'Évangile du Royaume de Dieu sera proclamé jusqu'aux extrémités du monde, en témoignage à toutes les nations, et alors viendra la fin. »

« L'Exposition coloniale » ! Représentez-vous les sentiments divers qu'elle éveille en des êtres différents. Voici, d'abord, ceux que séduisent les attractions, les bars, les concerts ; ils oublient que le personnel des restaurants est souvent bousculé de travail, ou fatigué par le manque de sommeil. Certainement, bien des visiteurs franchissent le seuil de l'Exposition comme s'il s'agissait d'une kermesse ou de la Foire au pain d'épices.

D'autres, et c'est la majorité sans doute, excités par la curiosité, par le désir légitime de voir et de savoir, sentent grandir en eux, heure après heure, la surprise, l'admiration ; ils s'étonnent devant l'effort accompli, devant les résultats certains, devant les possibilités qui s'annoncent ; et s'ils appartiennent à la nation française, ils s'émerveillent des capacités de redressement, j'allais dire de rebondissement, qui caractérisent notre pays. En 1878, après l'Année terrible, au lendemain de la défaite et de la Commune, Paris conviait les peuples à une Exposition universelle. En 1931, après l'effroyable mêlée de la guerre mondiale qui mit au pilonnage, durant cinquante et un mois, nos plus riches départements, Paris convoque les anciens belligérants à une Exposition coloniale tout ensemble brillante et grandiose.

Cependant, le spectacle incomparable qui s'offre aux yeux, dans le Bois de Vincennes, parle encore davantage à la pensée qu'à la vue. Car il ne s'agit pas seulement d'une manifestation nationale, mais d'un problème philosophique et moral posé devant la conscience humaine. Ceux qui visitent l'Exposition ne peuvent y échapper, car il est formulé chaque jour, par la presse, la conférence, le livre, et remue l'opinion publique. Ce problème pourrait s'énoncer dans les termes suivants : la colonisation est-elle un simple fait, une réalité concrète, parfois brutale ; ou bien, est-elle un droit logiquement défendable ; ou même, est-elle un devoir imposé par quelque idéal supérieur ?

Les trois thèses ont leurs défenseurs. Les uns disent, crûment : « Il faut prendre » le caoutchouc, le coton, le diamant, « où ils se trouvent », sans négliger les épices, le pétrole et l'opium. En d'autres termes, tous les moyens de s'enrichir sont excellents. Vous le savez bien, dès que l'homme civilisé, le blanc, commença de rôder librement par le monde, et sans contrôle, il eut vite les poches remplies d'or et les mains pleines de sang. L'histoire de la colonisation fut, à certains égards, un long martyrologe ; le mot est d'ailleurs inexact, car un martyrologe suppose des noms, tandis que les innombrables victimes de la convoitise occidentale, dépouillées, tyrannisées, massacrées, demeurèrent anonymes. Notre imagination se refuse à évoquer les drames de la chasse aux nègres et de la traite des noirs.

Aujourd'hui, le cynisme féroce des criminels ne pourrait plus s'étaler avec la même impudeur. Un certain degré de cruauté répugne à la sensibilité moderne, et surtout à la conscience publique. Dès lors, on n'accepte plus la colonisation comme un simple fait, qu'il faudrait tolérer tel quel ; on en raisonne les principes, on la justifie. L'axiome fondamental est celui-ci : la planète est un capital qui doit fructifier. Ne pas extraire du sol tout ce qu'il pourrait fournir, c'est une absurdité. Si des êtres arriérés occupent une portion du globe sans en tirer tout le rendement possible, on a le droit de les exproprier pour cause d'utilité publique. Il faut équiper systématiquement la boule terrestre au service de l'agriculture, du commerce et de l'industrie. N'est-ce point l'idéal proposé par le Créateur au premier couple : « Remplissez la terre et l'assujettissez ! » [Genèse 1:28]

Tel est le raisonnement. On l'a formulé en ces termes lapidaires : « Les civilisés peuvent se réclamer du droit du plus fort à aider le plus faible »1. — Mais s'il refuse d'être secouru ? — On lui imposera le bienfait qu'il repousse. D'ailleurs, l'intérêt collectif doit primer l'intérêt particulier.

Cette argumentation, malgré la part de vérité qu'elle renferme, est assez inquiétante, si elle est maniée par des gens à poigne et dépourvus de scrupules ; car c'est la théorie même que les peuples conquérants ont exaltée, d'âge en âge, pour excuser leurs invasions armées ; c'est la théorie qui justifierait les habitants d'une autre planète plus évoluée, s'ils organisaient une descente agressive sur notre globe sans défense.

Enfin, mes frères, la colonisation est préconisée, non plus comme un droit, mais comme un devoir, un devoir d'aînesse », une tâche d'initiation désintéressée, une mission pédagogique. Il s'agirait d'élever, sur un plan supérieur, des races encore mineures, ou déchues. Cette généreuse idée a pris corps dans le traité de paix qui suivit la guerre mondiale. C'est la notion des « territoires sous mandat ». Les peuples civilisés accepteraient, dorénavant, une tâche de protection, de tutelle, à l'égard des peuples moins développés. Voilà un noble idéal la colonisation, sous sa forme la plus générale. Le grand organisateur, auquel on doit le succès de l'Exposition présente, écrivait récemment : « Coloniser, ce n'est pas uniquement construire des quais, des usines, ou des voies ferrées, c'est aussi gagner à la douceur humaine les cœurs farouches de la savane ou du désert »2. Et ce ne sont point là des propos pour la galerie. Combien de fonctionnaires dans nos colonies, isolés au fond de la brousse, travaillent réellement pour les indigènes avec intelligence et bonté !

Mais ici encore, vous le sentez bien, une terrible tentation menace nos contemporains : masquer, sous un beau langage, des visées politiques ou d'âpres calculs matériels. Un observateur a pu écrire : « La vapeur a fait aux Européens des bras assez longs pour prendre un bœuf, à l'autre bout du monde, plus facilement qu'ils ne prenaient un œuf sur leur frontière3.» Dans ces conditions, songez à la carrière qui s'ouvre devant l'hypocrisie ! Hier, le tartufe était « dévot » ; demain, le tartufe sera « humanitaire ».

Voilà pourquoi, mes frères, il me reste à vous indiquer une dernière catégorie de visiteurs à l'Exposition ; je veux parler des chrétiens sincères, des disciples fervents du Messie, ceux qui essayent de contempler toutes choses avec les yeux de Jésus.

Rien ne les distingue des autres, extérieurement ; ils restent cachés parmi la multitude. Mais ils portent, dans leur cœur, une ambition immense, une vision sublime : c'est plus que l'idéal « colonial » de la civilisation, c'est l'idéal « missionnaire » du Royaume de Dieu. Toutes les langues du monde retentissent à leurs oreilles, mais de leur âme s'élève la prière universaliste, la seule prière qui puisse unir tous les hommes, le Notre Père. Tous les costumes exotiques, toutes les architectures, profanes ou sacrées, frappent leur vue ; mais ils contemplent en esprit l'humble table de la Sainte Cène, la table commune de la Communion qui sera le centre mystique de l'humanité future.

Et pendant que les vrais chrétiens vont et viennent avec la foule, de pavillon en pavillon, de palais en palais, une étrange mélancolie les envahit ; car tous ces chatoiements, tous ces rayons répercutés, tous ces jeux de miroirs, tout cela danse au-dessus d'un abîme : la désolation païenne. Certes, l'âme humaine, en sa recherche pathétique de Dieu, prouve qu'elle est orientée vers quelque destination surnaturelle; et il n'existe point de religion où ne palpite ici et là, comme une aile frémissante, le pressentiment de quelque ineffable secret. Et cependant, à l'Exposition coloniale, si gaie, festive et trépidante, le disciple de Christ a l'impression de circuler dans une ombre froide, entre des falaises colossales qui ruissellent de ténèbres ; il étouffe sous l'écrasante masse du paganisme millénaire. Voici le fétichisme africain, avec ses idoles grotesques, ses masques peinturlurés, ses gris-gris, ses tambours de bois, nocturnes dissipateurs des esprits démoniaques ; voici les articles de la superstition alliée à la débauche, et les instruments du fanatisme lié à la cruauté.

Et, d'autre part, voici les rites asiatiques, plus raffinés, aux pieds des impassibles divinités qui incarnent le mystère insondable de la vie, les puissances obscènes ou féroces de la nature, l'obsession du néant. Voici les cierges, les chapelets, les encensoirs, tous les gestes futiles de la désespérance dans le gouffre d'une éternelle vanité, d'une éternelle vacuité : l'Univers !

Et la bruyante foule des visiteurs ne semble guère percevoir le sourd gémissement de l'âme humaine devant l'Énigme. Les curieux braquent leurs appareils photographiques, les artistes ouvrent leurs albums ; des centaines d'ascensionnistes gravissent l'escalier monumental du Temple d'Angkor ; ils escaladent, en bavardant, ces marches tragiques dont chaque degré fut rougi, siècle après siècle, sous les genoux ensanglantés des pénitents. Et, une fois parvenus aux étages supérieurs du gigantesque sanctuaire, tous ces chrétiens baptisés admirent, bouche bée, le plus formidable défi au christianisme lui-même. Regarder les amuse. Tout à l'heure, ils ont visité les animaux du jardin zoologique, maintenant, ils visitent les dieux du temple bouddhiste. Et bientôt, redescendus au niveau du sol, ils circuleront, ravis, parmi les Sénégalais, les Annamites, les Malgaches, les Arabes, les Marocains, comme s'il s'agissait d'un bal travesti, tandis que ces êtres humains de chair et de sang (leurs frères et leurs sœurs, pourtant !) silencieux, dépaysés, graves sous leurs costumes bariolés, baillent d'ennui au seuil des portes, ou suivent, d'un regard nostalgique, le nuage qui s'enfuit vers l'Océan lointain.


Ah ! pour quiconque se réclame de l'Évangile, le centre de l'Exposition coloniale, en vérité, est constitué par les deux humbles pavillons des Missions chrétiennes, bâtis côte à côte, et qui dressent des croix jumelles.

Au fronton du bâtiment protestant figurent les inscriptions suivantes : « Jésus-Christ a dit : "Je suis la lumière du monde." » Et : « Nous savons que c'est Lui qui est le Sauveur du monde. » Sur la tour du bâtiment catholique on lit : « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie, nul ne vient au Père que par moi. » Ces trois paroles sont comme les cailloux du torrent que le berger David choisit, dans l'eau claire, pour armer sa fronde et marcher contre le géant Goliath. Ces trois cris de triomphale certitude proclament l'Évangile éternel, celui-là même dont le Sauveur déclarait : « La bonne nouvelle du Royaume de Dieu sera prêchée par toute la terre. »

Sans doute, l'Église chrétienne se condamne elle-même et provoque hélas ! l'ironie du monde entier, quand elle étale ses propres divisions intimes pour annoncer le message unique. Heureusement, la puissance du Saint-Esprit aura le dernier mot ; Dieu ignore les patois du christianisme traditionnel ; Jésus, le Rédempteur, n'est ni catholique, ni protestant. Le jour luira où les missionnaires qui se réclament de lui, tous, jusqu'aux extrémités de la terre, ne connaîtront qu'une seule et légitime rivalité, celle de l'émulation dans la sainteté, l'amour et la foi.

D'abord, la sainteté. Disons, plus simplement, l'équité, la justice ; car l'œuvre missionnaire est, en premier lieu, une protestation de la conscience. La race blanche a quelque chose à se faire pardonner, ici-bas, quelque chose à expier. Chaque messager de l'Évangile, auprès des peuples païens, leur offre réparation, en quelque sorte, pour le passé ; il coupe le lien d'une solidarité odieuse avec d'effroyables forfaits.

De plus, l'œuvre missionnaire est, par excellence, l'œuvre de la charité. Elle pourrait adopter pour patron le bon Samaritain, ce précurseur des infirmiers de la Croix-Rouge, qui se pencha sur un blessé inconnu, étranger, sectateur d'une autre religion, et qui le sauva de la mort au péril de sa propre vie. Supposez que l'on découvrit, de nos jours, dans quelque solitude glacée de la Sibérie, une peuplade humaine qui serait demeurée au stade préhistorique, sans feu, sans outils, sans remèdes ; est-ce que des volontaires enthousiastes ne surgiraient point, de toutes parts, afin de secourir ces infortunés ? Telle est la genèse de chaque vocation missionnaire ; on vole au secours des corps et des âmes ; car il s'agit bien de nos « semblables »... terme banalisé par l'usage, mais qui resplendit sous le rayon de l'Évangile.

Enfin, la Mission est une œuvre de foi et d'obéissance. L'Église a reçu de son Maître un ordre de marche : « Cet Évangile du Royaume sera prêché jusqu'aux extrémités de la terre, et il aura des témoins dans toutes les nations. Alors viendra la fin. » J'admire la netteté du programme, elle n'est pas noyée dans son ampleur. C'est un véritable plan de campagne ; il exige une carte d'État-major qui embrasse les cinq continents. Je tressaille à la voix d'un tel généralissime. Voilà un chef, le Chef ! II sait ce qu'll veut et où Il va.

Tout cela est contenu dans cette conclusion inouïe : « Alors, viendra la fin ! » Autrement dit, l'histoire a un sens, l'histoire a un but. Quel apaisement du cœur et de l'esprit ! Chaque jour, on nous déclare le contraire ; orateurs publics, journalistes, savants, philosophes, affirment que la loi de l'humanité est un progrès sans terme. En avant ! toujours en avant, comme le Juif errant de la légende. Il faut marcher vers la Justice et la Vérité, qui semblent reculer à notre approche, vers un horizon de mirage. Point de borne à l'effort tâtonnant ; l'humanité ne sait pas si elle arrivera jamais ; elle est emportée par l'histoire, tapis roulant qui se replie sur lui-même. Elle ignore son point de départ, elle ignore son point d'arrivée ; après tout, elle décrit peut-être un cercle fatal, comme les chevaux de bois du carrousel.

Mais le Christ, soudain, jette le holà ! Celui qui arrêta les vents, les vagues, arrête aussi la débandade affolante et aveugle des siècles. Il annonce, péremptoire : « Alors, viendra la fin. » Il y aura donc une fin, dans les deux sens du mot : terme et but, le terme qui est une cessation, le but qui est un accomplissement. 

Voilà bien, n'est-il pas vrai ? l'antithèse de l'idéal prêché en Extrême-Orient. Le Bouddha enseigne que l'univers énorme pivote indéfiniment sur soi-même ; jamais de pause, jamais de relâche ou de relais ; un écoulement de formes évanouissantes, un flux de moments successifs ; les morts eux-mêmes reviennent sur la terre, happés bon gré mal gré par l'engrenage du « Retour éternel ». Cette rotation essoufflante est symbolisée par la corolle circulaire du lotus... Ah ! nous ne sommes pas les dupes de cet emblème floral ; il signifie que les êtres humains, par milliards et par milliards de milliards, seront toujours entraînés dans cette ronde infernale des naissances et des renaissances, à moins de rompre le sortilège, à moins de s'arracher au « supplice de la roue »; et cela, en apprenant du Bouddha le secret du salut, l'art précieux de disparaître enfin, une bonne foi, et de s'éteindre définitivement dans le nirvana, comme une flamme privée d'huile.

Dans le temple d'Angkor, j'ai médité devant plusieurs effigies du Bouddha... Les artistes commentent le sourire énigmatique de la Joconde, au musée du Louvre. Mais qui nous expliquera le sourire de Çakya Mouni ? Est-ce le calme d'une conscience purifiée par la souffrance volontaire ? Est-ce l'ironie du sage devant le monstrueux déchaînement des passions humaines ? Est-ce la sérénité qui éclaire parfois le visage d'un cadavre, une fois l'âme délivrée ? Est-ce une piperie ultime, une duperie raffinée de la nature, un dernier camouflage métaphysique, essayé par l'univers afin de mieux nous enjôler ?

J'observe ton sourire immobile, je l'interroge, ô noble frère ! Et plus ma contemplation se prolonge, plus une angoisse froide et noire coule dans mes veines, glace mes os. Alors, je me retourne, et, du haut de ton sanctuaire colossal, j'aperçois en bas, au-dessus des humbles pavillons missionnaires, la croix du Galiléen.

Le Christ est apparu parmi les hommes bien longtemps après le Bouddha, car Jésus est un nouveau venu dans l'histoire, annonciateur d'un nouveau Dieu. Mais déjà il dirige les destinées de l'humanité : preuve en soit l'Exposition coloniale elle-même, organisée par des peuples de civilisation dite chrétienne, et soutenus par l'élan décisif que l'Évangile donna, sans conteste, à l'âme humaine.

Et pourtant, le Crucifié, au Calvaire, ne souriait pas. Quel contraste extraordinaire — Le Bouddha prêche la désespérance, et il sourit. Le Messie prêche l'espoir, la paix, la joie, le pardon du Père céleste, et il pleure, il sue du sang à Gethsémané, il gémit à Golgotha : « Pourquoi m'as-tu abandonné ? » En vérité, si les logiciens pouvaient refaire l'histoire, ils placeraient sans hésiter le Bouddha sur la croix, et c'est Jésus qui souriait au monde4.

Mais nous sommes ici, mes frères, au cœur même du mystère fondamental de l'Évangile. Une immense, une divine pitié s'est penchée sur les hommes. Un Esprit anonyme et méconnu a trouvé le moyen d'apporter un message à notre race dévoyée ; révélation qui fut difficile et douloureuse, révélation qui fut, en quelque manière, une parturition. C'était l'enfantement d'une humanité régénérée.

Écoutez quelle fut ma suprême expérience à l'Exposition coloniale. Après avoir quitté le sanctuaire du bouddhisme, j'entrai dans le modeste pavillon des Missions évangéliques. Les visiteurs en faisaient le tour, très recueillis, observant les photographies, les cartes géographiques, les exemplaires des Saintes Écritures, et s'arrêtant devant cette pancarte émouvante : « La Bible a été traduite en tout ou en partie, en 886 langues ou dialectes, par les missionnaires protestants. » Un silence respectueux régnait dans toute la salle, malgré le murmure des conversations. Et soudain, grâce à un appareil phonographique, une voix forte et pure s'éleva au-dessus de la foule attentive. Émanée de l'invisible, elle chantait notre poignant cantique5 :

Sous ton voile d'ignominie,
Sous ta couronne de douleur,
N'attends pas que je te renie,
Chef auguste de mon Sauveur...
Mon œil, sous le sanglant nuage !
Qui me dérobe ta beauté,
A retrouvé de ton visage
L'ineffaçable majesté.

Comment exprimer la céleste grandeur d'un instant pareil ? La sérénité figée du Bouddha m'avait assombri ; mais je m'aperçus, à ce moment-là, que tout mon cœur s'épanouissait devant le Crucifié. Son agonie était, en réalité, le triomphe d'un ineffable amour. Son agonie sauvait le monde ! Son agonie rayonnait de joie ! Son agonie, transfigurée, enveloppait le Nazaréen d'une auréole inextinguible... Et, fasciné par Jésus-Christ, je découvris, sur la Sainte Face, le vrai sourire de Dieu.

Amen.


Notes

  1. Le Temps colonial : 19 juin 1931
  2. Maréchal Lyautey, L'Illustration (fascicule consacré à l'Exposition coloniale)
  3. Albert Thibaudet, Les Princes lorrains, 1924, p. 143
  4. Note de la retranscription 2025 : la brochure publiée par Fischbacher, p. 14 indique "souriait" au passé simple, mais il faut peut-être ajouter un r et corriger "sourirait" au conditionnel
  5. Texte d'Alexandre Vinet, 1834. Cf. plus bas la mélodie dans Louange et Prière n°120, 1938. Dans le recueil Psaumes et Cantiques de 1895, la mélodie est différente — et aujourd'hui, il est parfois chanté avec la mélodie de "Seigneur reçois, Seigneur pardonne".

Cantique 120. Sous ton voile d’ignominie, d’après Alexandre Vinet.

Pour aller plus loin

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Lecture de la Bible

Évangile selon Matthieu, ch. XXIV

Traduction Segond 1910

10 Alors aussi plusieurs succomberont, et ils se trahiront, se haïront les uns les autres. 11 Plusieurs faux prophètes s’élèveront, et ils séduiront beaucoup de gens. 12 Et, parce que l’iniquité se sera accrue, la charité du plus grand nombre se refroidira. 13 Mais celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. 14 Cette bonne nouvelle du royaume sera prêchée dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations. Alors viendra la fin.

15 C’est pourquoi, lorsque vous verrez l’abomination de la désolation, dont a parlé le prophète Daniel, établie en lieu saint, que celui qui lit fasse attention ! 16 alors, que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes ; 17 que celui qui sera sur le toit ne descende pas pour prendre ce qui est dans sa maison ; 18 et que celui qui sera dans les champs ne retourne pas en arrière pour prendre son manteau.