Que diriez-vous d’un petit tour en Allemagne, un voyage dans le temps autant que dans l’espace, qui vous conduirait de Mulhausen à Weimar, de Coethen à Leipzig, sur les pas d’un géant, Jean-Sébastien Bach.
C’est un tel voyage musical que le Chœur de l’Oratoire nous a proposé à l’Oratoire du Louvre. Un périple qui pourrait se résumer en trois chiffres : 36, 61, 82. Il ne s’agit pas des résultats d’un nouveau jeu de hasard, ni du code secret de quelque mystérieux trésor !
Trois trésors de Bach
Et pourtant ce sont bien des trésors que Nicholas Burton-Page, chef du Chœur de l’Oratoire, a inscrits au programme de ces concerts. Ces chiffres sont en effet les numéros de classement des trois cantates de Bach qui réuniront notamment la soprano Laurence de la Morandière et le baryton Florian Westphal, ainsi que le Jeune Orchestre de Chambre de Rhénanie Nord Westphalie. Des cantates pour le temps de l’Avent.
Bach, le plus interrogatif des grands compositeurs, se montre particulièrement affirmatif – contre ses habitudes, pourrait-on dire – lorsqu’il s’agit d’exprimer l’attente et l’anticipation propres à la saison de l’avent. L’Eglise, elle, se prépare pour l’arrivée du Seigneur dans la pénitence : suis-je digne de te recevoir ? Réponse : non. Remède : un peu de sanctification sérieuse, prière, jeûne…et le ton s’assombrit. Jusqu’à ce que les veilleurs crient l’incroyable nouvelle de la Grâce imméritée, du Dieu qui s’approche.
Une foi tournée vers l’avenir
Bach nous montre (et nous enseigne!) une foi toujours tournée vers l’avenir, à tel point que la joie de Noël y est déjà, éclate au beau milieu des préparatifs, trop tôt.
Ainsi, dans la Cantate 61 (Nun kom, der Heiden Heiland),le choral austère et solennel Nun komm devient une ouverture à la française, festive et dansante ; le ténor solo ne peut plus se contenir, et son Komm, Jesu, zu deiner Kirche n’est rien d’autre qu’une gigue, et des plus déchaînées. Le Christ invoqué – coup de théâtre magistral – est déjà là, frappant anxieusement à notre porte.
Dans la Cantate 36 (Schwingt freudig euch empor), ce sont les voix qui se déchaînent – trop, dit le texte – on comprend leur joie – mais ce n’est pas la peine de crier, le Roi de Gloire s’approche de nous en personne. La pièce se transforme en chant d’amour. Il est si près de nous que même la louange la plus faible, la louange intérieure, chuchotée, de l’esprit (obbligato du violon solo avec sourdine !) lui parvient avec la force d’un cri.
Dans la célèbre Cantate 82 (Ich habe genug, solo pour basse avec hautbois obbligato), nous sommes toujours dans le thème de l’anticipation, même si les références bibliques nous renvoient à une autre saison : il s’agit du vieillard Siméon dans le temple, l’enfant Sauveur sur ses genoux. Dès lors, l’attente de sa vie étant comblée (nous chante-t-il), il peut partir ; et son passepied final (la plus énergique des danses baroques) nous exprime de manière mémorable sa joie devant la mort. Ainsi Bach le prédicateur nous dévoile le fond de sa propre foi. Et construit la nôtre !
Une force de la nature
En 65 ans d’existence, Bach (1685-1750) n’a pas seulement révolutionné et même refondé l’architecture et l’écriture musicales. Il a été extraordinairement prolifique.
Sur le plan familial, ses deux épouses successives lui ont donné vingt enfants, dont la plupart sont morts en bas âge. Sur le plan musical, pour ne retenir que les seules cantates, le Cantor de Leipzig en a écrit plus de 200, une pour chaque dimanche et jour de fête de l’année liturgique. Un vrai feuilletoniste de la composition qui écrivait avec une facilité confondante des pièces jouées quelques jours plus tard.
Bach était ainsi : une force de la nature. Prêt à parcourir 300 km à pied pour rejoindre un ami ou rencontrer une star de son temps, tel le grand Buxtehude. Capable de se mettre à dos, par ses exigences ou ses abandons, nombre de ses employeurs, princes ou édiles. Tour à tour jeune choriste à la voix d’or, violoniste, organiste, professeur, chef d’orchestre et…compositeur. Avant de disparaître pendant près d’un siècle, jusqu’à ce qu’un autre prodige, aussi précoce qu’éphémère, Félix Mendelssohn, ne le tire définitivement de l’oubli.