L'orgue et le protestantisme

par Marie-Louise Girod, organiste titulaire à l'Oratoire du Louvre de 1941 à 2008


Ces pages ne prétendent pas être une étude complète de l'histoire de l'orgue au sein du protestantisme.

Une telle étude nécessiterait de longues et patientes recherches, et, bien qu'intéressante à plus d'un égard, dépasserait le cadre de notre travail. Nous nous proposons simplement d'exposer, dans leurs grandes lignes, quelques-uns des problèmes que soulève un sujet par ailleurs nettement délimité. Nous dirons ensuite quelques mots des compositeurs qui ont créé ou enrichi le répertoire de la musique d'orgue protestante et nous terminerons ces lignes en donnant quelques indications sur l'instrument lui-même.

L'orgue a t-il sa place dans nos Eglises ?
Quel est, quel doit être son rôle ?

Au risque de surprendre certains de nos lecteurs, il faut reconnaître que, si « durant vingt siècles l'orgue fut d'Eglise », il n'a pas toujours connu la faveur dont il semble de plus en plus être l'objet...

Pendant une longue période il n'était que « toléré ». Qu'on se souvienne que saint Thomas d'Aquin - bien avant Calvin en avait été l'un des adversaires les plus acharnés.

Il faut descendre jusqu'à la seconde moitié du XVIe siècle pour le voir prendre dans les cérémonies de l'Eglise catholique et des Eglises protestantes d'Allemagne une part plus active et plus substantielle* (1).

Cette tendance nouvelle connut chez nous des fortunes diverses ; elle dut se faire jour au travers bien des difficultés et vaincre parfois des préjugés tenaces. En revanche, elle se développa beaucoup plus rapidement dans les pays où la musique est pour ainsi dire, un art national et dans lesquels la Réforme put s'organiser sans rencontrer trop d'obstacles... Qu'on songe à l'ouvre d'un Scheidt, d'un Buxtehude ! Qu'on imagine les cultes célébrés dans la cathédrale luthérienne de Leipzig, vers 1730, cuites au cours desquels J.-S. Bach faisait exécuter ses Cantates.

Hélas ! les choses devaient prendre un autre aspect dans certains pays et particulièrement en France. Les guerres de religion, les haines qu'elles déchaînèrent, la vie des réformés au Désert, tout cela ne devait pas faciliter l'évolution et l'épanouissement de notre musique d'orgue...

De nos jours encore cette dernière doit défendre son existence. Il est en effet des protestants qui, pour rester fidèles à un passé glorieux certes, mais heureusement dépassé dans ce domaine, voudraient voir le rôle de l'instrument se réduire à couvrir les bruits de l'assemblée et à conduire ses chants.

Leurs raisons ne doivent pas être rejetées avec désinvolture: n'invoquent-ils pas l'exemple de Calvin pour contester à l'orgue la place, pourtant modeste, qu'il a conquise au cours d siècle dernier ?

Concédons que sur ce point le Réformateur fut catégorique : il rejeta l'orgue hors de l'Eglise.

Mais une telle idée ne serait jamais venue à l'esprit de Luther qui aimait la musique et saluait volontiers en elle le plus beau des dons de Dieu.

Comment tirer une conclusion motivée ? Voyons d'abord ce qui peut nous aider à comprendre leur position respective.

Si nous voyons juste, deux choses peuvent expliquer la réaction de Calvin :

La décadence de la musique d'orgue à cette époque. Le tempérament du Réformateur et le caractère dogmatique de sa pensée religieuse.

La première de ces causes n'était que trop réelle *  :

« On relève de tous côtés le caractère profane du jeu des organistes, écrit à ce propos Albert Schweitzer. Sans égard pour la sainteté du lieu, la plupart exécutaient sur l'orgue des mélodies profanes avec force variations et traits brillants. D'une façon générale, la première moitié du XVIe siècle avait été pour l'orgue une période de décadence.* »

Ce fait ne doit pas être négligé si l'on veut comprendre la position du Réformateur français peu enclin aux demi-mesures.

Mais faut-il l'ériger en principe ? Nous ne le croyons pas, car Calvin était un trop grand esprit pour ne pas comprendre ce que l'art peut apporter à la piété.

« Tous arts procèdent de Dieu, écrit-il, et doivent être tenus pour ses inventions...

« L'invention des arts et autres choses qui servent à l'usage commun et commodités de cette vie: un don de Dieu qui n'est pas à mépriser et une vertu digne de louange...

« Ce serait une chose éloignée de raison que saint Paul condamnât totalement les arts, lesquels il appert être excellens dons de Dieu... Il n'y a point de doute qu'ils ne soient procédés du Saint-Esprit.

« aussi donc, ce que dit ici saint Paul ne doit pas être pris comme étant dit pour blâmer ou diffamer les arts, comme s'ils étaient contraires à la piété... »

« La musique, écrit-il encore, est de telle sorte qu'elle peut être appliquée aux offices et profiter aux hommes, pourvu que les allèchements vicieux en soient ôtés, aussi la vaine délectation qui les retire de meilleurs exercices pour les occuper à vanité.* »

Certes, Calvin n'a en vue dans ces lignes que la musique vocale. Mais puisque e les arts ne sont pas contraires à la piété », ne peut-on l'entendre aussi de la musique instrumentale ? Il convient en tous cas de ne pas exagérer l'importance d'une position qui peut s'expliquer en partie du moins par les regrettables abus qu'il fallait alors combattre et dont il importait d'expurger l'Eglise.

D'autre part, Calvin n'avait pas le tempérament d'un artiste; juriste, penseur et théologien, il se souciait avant tout de donner une exposition claire et systématique de la foi réformée, car pour lui « il n'y a nulle édification sinon où il y a doctrine.*

S'il admet le chant des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels, c'est que les paroles permettent de proclamer et d'expliciter la foi... ce que la musique ne peut faire. Peut-être est-ce la raison profonde de son rejet.

Mais cette position qui répondait à une situation spéciale, voire à une nécessité au XVIe siècle -Calvin ne devait-il pas fonder la communauté nouvelle, lui forger une âme, lui donner une doctrine capable de s'opposer aux erreurs romaines et une foi qui puisse soutenir les fidèles dans les périls et sur les bûchers ? - est-elle encore de mise à nôtre époque?

Certainement pas. Et la position de Luther vient confirmer notre thèse.

En effet, là où les circonstances furent différentes, la Réforme fut avant tout une œuvre de dégagement et de restauration. Pourquoi aurait-elle rejeté ce que la parole de Dieu ne condamne nulle part ?

Né dans un pays où tout le monde chante, doué lui-même d'un beau talent musical, Luther exprime à l'égard de la musique d'une façon beaucoup plus positive : « C'est un des meilleurs, un de plus magnifiques dons de Dieu que la musique. Satan la déteste fort, car elle nous aide à chasser bien des tentations et de mauvaises pensées. « La musique est un splendide don de Dieu, tout proche de la théologie... »*

« Je ne suis pas d'avis que tous les arts doivent être repoussés par I'Évangile, comme quelque personnes faussement spirituelles le prétendent. Je verrais au contraire tous les arts, surtout la musique au service de celui qui les a donnés et créés.*

Les réticences de Calvin nous rappelleront donc que dans l'Eglise la première place revient toujours à la Parole. Que la musique n'étant servante, ne devra jamais être de nature à détourner I'attention des fidèles de la vraie fin du culte : la gloire et le service de Dieu.

Des affirmations de Luther, nous conclurons que la musique a sa place dans l'Eglise ; qu'il est susceptible de traduire les sentiment religieux et qu'à ce titre elle peut contribuer à l'édification des fidèles et convenir à la louange du créateur.

Loin de s'exclure, ces conclusions peuvent nous permettre de trouver une via media entre deux tendances - à rejeter selon nous - dont l'une consiste à réduire l'orgue au rôle d'accompagnateur, et l'autre, à faire du service divin un concert spirituel.

Quel doit donc être le rôle de l'orgue
dans les cérémonies du culte de nos églises ?

C'est une question délicate car elle est intimement liée à la question liturgique d'une part, à la conception qu'on se fait du culte, de l'autre.

Certes, si nous nous en tenons au service-type, tel qu'il se célèbre aujourd'hui dans la plupart des Eglises réformées, le rôle de l'orgue en dehors de l'accompagnement des chants se réduit aux traditionnels jeux dits d' « Entrée », d' « Elévation » et de « Sortie ». Il n'y a pas grand'chose à en dire, ou plus exactement, tout en a été dit. Nous ne saurions mieux faire que renvoyer nos lecteurs à l'excellent article d'Olga Monod, paru dans le second numéro de la Collection Protestantisme »*. Les conseils qui y sont donnés sont et seront toujours des plus judicieux et des plus utiles. Mais le culte restera t-il de ce type ? Si nous considérons l'évolution qui s'est produite dans l'ensemble des Eglises protestantes au cours du dernier demi-siècle, il semble difficile de l'admettre. Qu'on se souvienne de la tentative d'Eugène Bersier dans sa Liturgie. Qu'on se donne la peine d'étudier la collection « Eglise et Liturgie »* parue en Suisse ces dernières années. Qu'on compare la nouvelle liturgie des Eglises réformées de France avec les précédentes et l'on constatera que, bon gré mal gré, nous allons vers une restauration liturgique du service.

Il n'est, du reste, pas rare d'entendre reprocher à nos offices de faire du culte une instruction et de la piété une connaissance et d'entendre souhaiter que la liturgie - qui est directement et essentiellement acte de piété - ait plus de vie, plus de relief, plus de solennité.

Mais, dira t-on, voilà un programme qui ne semble pas avoir grand rapport avec le rôle de l'orgue,..

En effet. Il ne saurait être question de recherches esthétiques, du désir de faire beau, d'être édifiant. Encore une fois, le culte ne doit pas être « une occasion » de faire entendre de la musique, qu'elle soit vocale ou instrumentale. Ceci dit, nous croyons cependant que l'orgue aura un rôle à jouer dans cette restauration. Il y a là un problème qui ne semble pas avoir été soulevé ou qui, plus exactement, a été complètement perdu de vue.

N'oublions pas, en effet, que dans l'histoire de la liturgie protestante, le premier jeu d'orgue (en solo) fut destiné à appuyer la lecture de l'évangile et que cette lointaine tradition *  - Règlement ecclésiastique de Wittenberg de 1536 - exigeait aussi que l'orgue et le choeur alternent dans l'exécution de certains chants liturgiques; elle avait également placé des interludes entre les différentes lectures bibliques *.

N'y aurait-il pas quelques idées à reprendre dans ce vieux document ? Certes, il n'est pas de coutume dans nos Eglises de France de chanter toute la liturgie *. Est-ce regrettable ? Non, car cet usage exige que l'officiant ait, sinon une belle voix, tout au moins « une voix ». Il pose en outre un grave problème sur quelle musique chanterait-on la confession des péchés ou le symbole des Apôtres ? Le plain-chant ? Il ne s'adaptera jamais au français. Reste le choral. On comprendra facilement les difficultés auxquelles on se heurterait pour mettre sous forme de choral des textes de cette longueur. Est-ce à dire que notre façon de faire soit meilleure ? Nous ne le croyons pas, car eile engendre un déséquilibre : ou toute la liturgie doit être chantée, ou elle devrait être entièrement récitée. Cet ensemble de courts répons ne semble guère satisfaisant.

Il pose du reste une difficulté. Faut-il « donner la note » ? C'est d'un mauvais effet ; faut-il jouer les premières mesures ? Ce n'est plus du chant spontané.

Enfin, du point de vue musical, on doit reconnaître que ces courtes phrases écrites dans différentes tonalités et sans souci d'équilibre ne sont pas des plus heureuses. Ne parlons pas de la monotonie que peut engendrer leur fréquente répétition.

Ces deux conceptions écartées, que reste-t-il ? Et que viendra faire l'orgue dans tout cela?

S'il nous était permis de présenter une suggestion, nous proposerions de diviser les répons de Louanges et Prière en deux groupes. Les répons brefs (Amen, Seigneur sois au milieu de nous ; Et avec ton Esprit, etc.). Ceux-ci seraient récités par les fidèles.*

Les répons longs (O Dieu, ta Loi est sainte ; Seigneur du fond de ma misère , Seigneur aie pitié de nous ; Gloire soit à Dieu, au plus haut des cieux; Agneau de Dieu qui ôtes le péché du mondé, etc.). Seuls ces derniers seraient chantés après avoir été précédés d'une introduction d'orgue. Celle-ci annonçant la mélodie permettrait de la varier selon le différentes fêtes de l'année ecclésiastique, sans risquer de dérouter les fidèles. *

Les répons dont les paroles se répètent à trois reprises (Kyrie et Agnus Dei)* pourraient être coupés par le grand orgue, l'orgue de chœur se réservant l'accompagnement du chant *  et le fond sonore qui pourrait appuyer la récitation du Credo * et de l'oraison dominicale.

Cette manière de faire permettrait d'abord de donner plus d'ampleur au service liturgique. N'oublions pas que celui-ci est essentiellement acte de piété. Il nous semble donc nécessaire que ses diverses ne se succèdent pas à une cadence trop rapide afin de permettre à chacun ou de descendre en lui-même ou de s'élever jusqu'à Dieu.

Remarquons bien qu'il ne s'agit pas dans ces suggestions de donner à l'orgue un rôle de soliste.

L'orgue doit, dans notre pensée, s'insérer dans la trame même du service, au point de faire corps avec lui, d'en être en quelque sorte inséparable. Son rôle sera d'autant meilleur qu'il restera dans le caractère, le style et la forme du chant qu'il prépare ou qu'il conclue. « La condition (du recueillement), c'est que la musique, quand elle est liée au culte, ne prétende jamais se faire un sort à part, s'émanciper de la pensée et des sentiments qu'elle est censée traduire, s'abandonner à la virtuosité pure ou aux vanités*. »

Son rôle ainsi compris, l'orgue peut apporter sa contribution à la solennité de notre Culte sans jamais nuire à son esprit ni à sa simplicité. D'instrumentiste qu'il est souvent, l'organiste deviendra un serviteur - un ministre - dont la foi et la piété personnelles seront engagées.

Une telle entreprise, dira-t-on, exigerait beaucoup de travail... Certes. Le service de Dieu serait-il la seule chose au monde qui n'en exigeât pas ?

Elle nécessiterait d'abord un retour à la vraie musique liturgique protestante qui a sa base dans le psaume et dans le choral*. « Ce fut une erreur de délaisser, dans les Eglises réformées, l’œuvre de J.-S. Bach et des grands thuringiens a, écrit à ce sujet notre collègue M. Schneider qui n'hésite du reste pas à ajouter: s Riche de tels serviteurs et d'une vaste production de musique liturgique, l'Allemagne luthérienne est, par conséquent, un modèle à suivre par toutes les Eglises qui songent à une restauration de leur musique cultuelle*. »

Que nos maîtres protestants - nous avons le privilège d'en compter quelques-uns de grande valeur -se mettent à l'ouvrage et qu'ils entreprennent ce travail de restauration * : ils n'auront pas peu contribué à rendre nos cuites plus solennels sans nuire à leur simplicité; ils assigneront du même coup à l' instrument sacré » le rôle auquel son titre et ses services lui donnent droit.

L’improvisation

Il nous semble nécessaire de consacrer à présent quelques lignes à un art dont les organistes ne doivent pas ignorer les secrets : l'improvisation.

Du latin ex improviso, ce mot signifie-t-il que tout instrumentiste soit capable d'improviser ?

Deux opinions s'opposent à ce sujet. Les uns recommandent le travail, seul nécessaire selon eux pour donner naissance à ce langage, d'autres assurent que l'inspiration supplée à toute étude...

La vérité nous semble plus complexe. S'il est évident qu'un don est nécessaire, encore faut-il qu'il ait à sa disposition les ressources techniques que donne le travail. L'improvisation est une science en même temps qu'un art. C'est dire que l'exécutant ne doit rien ignorer de l'harmonie, du contrepoint, de la fugue, de la composition et de l'orchestration et posséder à fond la technique de son instrument. Certes, la part de l'imagination et de l'inspiration est très grande dans ce domaine, mais pour en tirer le maximum, il lui faut des bases solides.

Les grands organistes-improvisateurs ont été les musiciens les plus avertis et cela depuis l'apparition même de l'orgue : on sait la place faite à l'improvisation par Hændel dans ses concertos et personne n'a oublié l'Offrande musicale, improvisée pour le roi de Prusse, Frédéric II, par J.-S. Bach. L'improvisation est inséparable de l'orgue, et cela se comprend facilement car cet instrument, serviteur de l'Eglise, doit s'adapter aux exigences des offices. On ne peut toujours prévoir la durée de certains jeux d'orgue : une œuvre écrite peut être trop longue ou trop courte et on n'allonge, on ne coupe pas une belle page sans un réel remords...

L'improvisation présente ici le grand avantage de s'adapter aux nécessités pratiques. Mais que dire de son adaptation au sens spirituel?

Après la prière du pasteur, la lecture de la Bible ou après la prédication, selon les différents cas, n'est-elle pas là pour traduire en musique la parole qui vient d'être lue, la prière présentée ou la prédication prononcée?

Là nous semble être son rôle. Ajoutons qu'elle est peut-être indispensable pour ménager le recueillement après le chant d'un cantique ou pendant la communion. À cet instant elle doit disparaître en fond sonore.

Les formes musicales improvisées qu'on peut mettre en œuvre dans le sanctuaire sont assez restreintes. Les meilleures nous paraissent être le Prélude (pour l' « entrée » par exemple) ; le Choral (au cours du Service) ; la Fugue ou la Toccata (pour la « sortie »). Ces différentes formes doivent être traitées autant que possible d'après le texte musical des chants. Le Prélude, sur le psaume initial, le Choral (en forme contrapuntique, fugué, orné, etc... ) sur le thème d'un cantique. Tout ceci évidemment à titre d'exemple, la liberté règne en ce domaine. Il incombe seulement à l'organiste de rester dans le style et dans la ligne du service. Qu'il laisse une impression de sobriété et de goût. Un organiste doit avoir le sens de la registration en évitant toutefois cet « échantillonnage » de timbres qui nuit à l'unité.

Ces quelques réflexions nous obligent à dire, enfin, que si l'improvisation est un grand privilège, elle peut devenir un danger. Il ne faut pas lui donner toute la place : il est tant de chefs-d’œuvre d'ailleurs écrits pour le culte - à faire entendre. Les chorals de J.-S. Bach sont souvent le seul commentaire à donner à un texte de nos livres saints.

L'improvisation nous offre donc de magnifiques ressources. Aux organistes de savoir s'en servir pour exprimer fidèlement la pensée religieuse sans oublier qu'elle aussi n'est qu'une humble servante* .

En concert

En dehors du culte, l'orgue a aussi un rôle à tenir dans les concerts spirituels où il n'est pas moindre que celui du choeur.

On s'appliquera à choisir les pièces qui lui sont réservées dans le style des œuvres que chante la maîtrise.

  • Avec des œuvres de Bach, l'orgue pourra exécuter des préludes et fugues, des fantaisies, des toccate et des chorals. Avec des œuvres de Hændel, ses concertos, ses fugues.
  • Avec des auteurs français, des œuvres de Titelouze, Clérambault, Couperin, Grigny, etc...
  • Avec des compositeurs espagnols : Cabezon, Caba nilles, etc...

Quand un organiste doit donner un récital, il aura avantage à choisir un thème qu'il associera à des textes. La lecture de psaumes avec !es chorals de Bach, le thème de la prière avec la lecture de différentes oraisons et des pièces d'orgue écrites par les maîtres des différents siècles (du XVIIe à nos jours, par exemple).

La nativité peut être évoquée par les œuvres qu'elle a inspirées au cours des âges, depuis les vieux Noëls français jusqu'aux Noëls romantiques et modernes, en passant par les chorals de Noël, d'Allemagne, et les chorals de Noël de J.-S. Bach.

Ajoutons que les récitals consacrés aux œuvres du grand Cantor sont toujours appréciés du public. Certes, le concert donné dans une église doit toujours garder un caractère religieux. Il permet néanmoins de faire entendre des œuvres qu'il n'est guère possible d'exécuter au cours d'un service, soit à cause de leur longueur, soit à cause de leur genre. Ce qui semble important c'est que le concert gravite en quelque sorte autour d'une idée centrale, d'un thème, ou encore qu'il permette de suivre l'évolution d'une forme musicale, soit à travers les siècles, soit dans les différents pays où elle a été cultivée.

Que ce soit donc à l'église ou au concert, l'orgue a un rôle important : celui d'un serviteur au service d'une grande cause.

Les compositeurs protestants

Abordons à présent la seconde partie de notre travail; les compositeurs protestants ayant écrit pour l'orgue.

Avant J.S. Bach

Quand ii est question de ceux-ci, on voit immédiatement se dresser la grande figure de J.-S. Bach. Mais avant d'aborder ce sommet, il est nécessaire de suivre le chemin qui nous y mène et de nous arrêter quelques instants en compagnie de ceux qui l'ont annoncé dans nos églises évangéliques, sans prétendre du reste les nommer tous.

C'est vers la Hollande que se porteront tout d'abord nos regards. Si l'on songe à l'importance qu'avait pris l'art vocal dans ce pays au XIIIC et XIVe siècles, on ne s'étonnera pas de trouver à Amsterdam un maître qui exerça sur l'art instrumental de toute l'Europe une influence profonde et durable. Organiste de la grande église, Jan Pieters Sweelinck (1562-1621) assimile dans son œuvre toutes les traditions. Elève de Gabrieli, en Italie, il possède les secrets de l'art vénitien. Mis au contact de l'Espagne par les organistes et les virginalistes anglais réfugiés elm Hollande, il s'inspire aussi de leur art et n'ignore rien de l'Ecole française. Professeur remarquable, ce « faiseur d'organistes a donne à ses élèves le goût du contrepoint de la fugue et de la variation. Il aime l'architecture et la diversité. Son œuvre témoigne de son éblouissante virtuosité. Son influence s'étendra jusqu'à Bach par l'intermédiaire de deux de ses disciples : Samuel Scheidt 1587-1654), organiste de la cathédrale de Halle, et Henrich Scheidmann (1595-1663), organiste de celle de Hambourg.

On peut considérer le premier comme le créateur de l'Ecole d'Allemagne Centrale, et le second de I'Ecole d'Allemagne du Nord. La personnalité de Scheidt apparaît dans sa Tabiciturci Nova, publiée en 1624. Celle-ci contient entre autre des variations sur le choral luthérien et sur des psaumes. On retrouve chez lui l'architecte qu'était son maître. Son œuvre est riche ; une réelle poésie se dégage de ses chorals où Scheidt reste un maître de la vie intérieure. Il réagit contre certains coloristes et entend conserver à l'orgue un caractère de gravité et d'austérité. Si Scheidt emprunte à son maître noblesse et gravité, Scheidmann n'en garde que le caractère décoratif peu fait pour l'église. Auteur de toccate, de fantaisies rie chorals, ses œuvres visent surtout à l'effet.

C'est un de ses élèves, d'origine alsacienne, Jan Adam Reincken (1623-1722) qui lui succéda à sa tribune. Ses compositions sont celles d'un virtuose; elles n'ont • plus aucun caractère religieux.

L'organiste de Lunebourg est un de ses disciples

Georg Bôhm (1661-1733). Ce dernier a écrit des préludes et fugues, chorals et suites. Sa personnalité s'affirme surtout dans le choral. Il le cultive sous trois formes : le choral varié, orné et contrapuntique. Ces deux dernières destinées au Temple. Son œuvre révèle une synthèse des deux écoles dont nous avons parlé. Il annonce 3.-S. Bach - dont il sera le professeur - par la discipline qu'il introduit dans son langage.

Le choral orné et le choral varié sont également exploités par Franz Tunder (1614-1667), organiste de Lubeck. La richesse de son instrument se devine dans son œuvre qui ne manque ni d'aisance ni de solidité, mais plutôt de génie.

Au contraire, son gendre, Dietrich Buxtehude (1637-1707) va illuminer cette école de la richesse de son inspiration.

Suédois, né à Helsingborg, c'est le plus grand des organistes allemands qui ont précédé Bach. Nommé à Sainte-Marie de Lubeck (après avoir, selon la coutume, épousé la fille de Tunder, son prédécesseur), il trouve là un orgue considéré comme l'un des plus riches du nord de l'Allemagne. Son œuvre faite avant tout de fantaisie, d'élan et de spontanéité, est digne de l'instrument. Elle se compose de chorals, fugues, passacailles, chacones, préludes et fugues.

Tandis que dans le choral, se développe le thème avec simplicité et mesure, sans aucun artifice de langage, sa fantaisie, voire sa fougue, éclatent dans les autres formes. Si ses préludes sont toujours construits selon un plan, des épisodes fugués ounon, des traits, des roulades, les fragmentent sans en rompre l'équilibre. Il y a donc chez lui diversité de style et de langage. Chacune de ses pages offre un aspect différent.

Mais si sa nature ne lui permet pas d'atteindre à l'unité, quelle lumière dans son œuvre, quelle richesse! On comprend pourquoi J.-S. Bach aimait l'entendre.  -

Un autre maître, dont l'influence fut profonde sur le Cantor de Leipzig: Johann Pachelbel (1653-1706), natif de Nuremberg, il futorganiste à Vienne, Eisnech, Erfurt, Stuttgart, Gotha et dans sa ville natale. Son œuvre est importante. Elle se compose de toccates, préludes, fantaisies, chorals, fugues et d'une série de versets de Magni/icat, dans lesquels l'orgue et le choeur alternent. Elle est écrite dans un style austère - la Pastorale de Noël exceptée. ainsi que certains versets de Magnificat. - C'est l'ouvre d'un liturgiste qui ne recherche aucun effet et dont le langage, peut-être un peu rigide, reste dominé par l'émotion intérieure. Il développe au temple le choral figuré pour en imposer la mélodie aux fidèles. On ne trouve pas chez lui comme chez Buxtehude, fantaisie et imagination, mais style fugué, science du contrepoint et recherche des proportions. Son œuvre incite au recueillement et à la prière.

Buxtehude, Pachelbel, ces deux maîtres si différents l'un de l'autre, se retrouvent cependant pour servir en quelque sorte de tremplin à la grande figure qui, elle, domine: J.-S. Bach. Annoncé, attendu, c'est un peu l'arrivée d'un « messie de la musique ».

Ses prédécesseurs, tels des prophètes, avaient préparé sa venue. Ils constituent autant de points (le repère auxquels il a pu s'arrêter, autant de sources auxquelles il a pu puiser.

Jean-Sébastien Bach

Né à Eisenach, le 31 mars 1685, dans une province située au centre de l'Allemagne et, peuton ajouter, au centre de l'Europe, d'une famille de musiciens luthériens, il fut orphelin à dix ans et se vit confié à son frère aîné. Puis il voyage et s'arrête successivement à Lunebourg où les leçons de Bôhm lui révèlent l'art du Nord, à Celle, où il est mis en présence de l'art français, à Hambourg où l'influence de Scheidmann est toujours vivante, à Arnstadt où il devient organiste de la nouvelle église. C'est dans cette ville qu'il commence à se faire entendre et qu'il écrit ses premières œuvres.

Après quelques semaines passées auprès de Buxtehude, nous le retrouvons à Muihausen, où il épouse sa cousine, Maria Barbara (1707).

En juin 1708, il devient organiste de la Cour et musicien de la Chambre du Duc W. Ernst, à Weimar. Là, il doit quelques années plus tard (i7i4) s'occuper de la musique du Duc : c'est pour lui l'occasion d'apprendre à connaître l'art italien : il recopie l'œuvre de Frescobaldi, transcrit les concertos de Vivaldi. Nommé Cantor à Saint-Thomas de Leipzig, il doit y diriger une école et se voit chargé de la musique de trois églises. C'est là qu'il passera le reste de sa vie. Il y fournit un travail considérable, tant comme organiste que comme compositeur, tant comme serviteur de l'Eglise que comme professeur. Epoux et père affectueux, il trouve sa joie dans sa famille - c'était son second foyer, sa première femme étant morte en 1720 - famille nombreuse, puisqu'elle compta plus de vingt enfants, dont plusieurs suivront ses traces. Maître profondément attaché à ses élèves, vrai chrétien et grand travailleur, Bach s'éteindra le 28 juillet 1750 dictant sur son lit de mort comme un suprême message le choral Devant ton trône je vais comparaître, choral qu'il confie une fois encore à l'instrument tant aimé.

L'œuvre d'orgue de J.-S. Bach est des plus importantes. On peut la diviser en trois groupes :

  • 1° Préludes et fugues, Toccate et fugues, Passacaille et fugue. Ajoutons quelques fugues et préludes séparés et quelques autres pièces (Canzone, Fantaisies).
  • 2° Transcriptions de concertos, six sonates, une pastorale.
  • 3° Cent cinquante chorals.

Comme on peut le constater, Bach ne fut pas un créateur de formes. Il se contente de porter à la perfection celles que ses prédécesseurs avaient déjà si brillamment illustrées. Dans sa magnifique production, les œuvres les mieux adaptées au culte sont les préludes et fugues, toccate et fantaisies, et le choral, qui en est en quelque sorte l'âme musicale.

Le prélude et la fugue se réservent la partie brillante de l'ouvre : c'est elle qui ouvre ou conclut l'office. Les nuances multiples et la diversité qu'on y relève permettent à ses pièces de s'adapter aux différentes fêtes de l'année chrétienne. La fugue présente du reste autant de diversité que le prélude, certaines rappellent l'art vocal (le motet). Ce sont des œuvres de jeunesse. Celles qui suivent sont plus travaillées. Suivant les « sujets », elles sont lyriques ou seulement décoratives. Chacune en son genre est une œuvre parfaite qui se développe avec vigueur et logique sans que jamais la science musicale vienne en gâter l'harmonie.

Mais si les toccate sont des morceaux de bravoure, si ses fantaisies sont des pièces brillantes ou dramatiques, le choral est la forme religieuse par excellence. Qu'il soit harmonisé, contrapuntique, en canon, en trio, fugué, figuré ou orné, Bach s'y révèle un maître de la vie intérieure et mystique. Il y commente les textes saints avec une ferveur et une sincérité si grandes qu'aucune autre partie de son œuvre est mieux adaptée au culte. Si nous en croyons les historiens, le choral prend place à l'office entre l'épître et l'évangile, après le sermon, et pendant la communion. Bach cherche à y traduire les sentiments les plus profonds : en les écoutant, le texte s'anime, prend vie, traduit qu'il est par la mélodie je rythme et l'harmonie. Aucune forme ne pourra jamais mieux exprimer la joie, la douleur ou l'espérance du chrétien. A ce titre, elle ne pourra jamais disparaître de nos offices.

Pour une biographie et une étude complète de la vie et de l'œuvre de J.-S. Bach, on peut se reporter à :

  • Norbert Dufourq : J.-S. Bach, le Maître de l'orgue. (Floury.) J.-S. Bach, génie allemand, génie latin. (La Colombe.) L'Orgue. (Presses Universitaires.)
  • André Pirro : L'Orgue de J.-S. Bach. (Fischbacher.) - J.-S. Bach. (Plon.)
  • Marcel Pfeder : J.-S. Bach, Chantre de Dieu. (Je Sers.)

Après J.S.Bach :

Si Bach a illustré tous les genres, G.-. Hændel (1685-1759) n'a guère écrit pour l'orgue que des concertos et des fugues. Elève de Zachow, il s'initia à l'art des Italiens, et des Allemands, travaille et joue de plusieurs instruments : clavecin, orgue, violon, hautbois, n'ont pas de secrets pour lui. Organiste en quête d'un poste, on raconte qu'il fit, en compagnie d'un de ses amis, organiste également, le voyage de Lubeck pour entendre Buxtehude qui, à cette époque, cherchait un successeur... L'instrument avait de quoi tenter nos deux hommes, mais devant l'obligation d'épouser la fille du titulaire, ils renoncèrent tous deux à leur ambition... Hændel passa une partie de sa vie en Italie et, surtout, en Angleterre. S'il n'a pratiqué qu'un seul genre, le concerto, l'orgue de concert trouve en lui son premier maître. Ecrits dans le style italien, ses concertos - ils sont au nombre de douze - sont des œuvres brillantes. Ils gardent le caractère de l'improvisation qui, du reste, se donne libre cours dans la cadence. Si leur adagio ne manque pas de recueillement, nous sommes loin du choral, loin de l'Eglise.

Y reviendrons-nous avec Félix Mendelssohn Bartholdy (1809-1847) ? Ce serait beaucoup dire. Certes, c'est à lui que revient l'honneur d'avoir fait connaître J.-S. Bach et son œuvre. On sait qu'il avait voué au Cantor une affection toute particulière. Celle-ci laissera du reste des traces dans sa composition : préludes et fugues, sonates dont quelques-unes utilisent pour thème un choral. Mais ses œuvres sont plutôt d'un pianiste que d'un organiste. Il y a de la grâce et de la fantaisie dans sa musique, nais pas grande profondeur.

Signalons enfin les œuvres de Robert Schumann (1810-1856) qui sont plutôt destinées au piano-pédalier. Elles comprennent des études et esquisses et six fugues sur le nom de B.A.C.H. Johann Brahms (1833-1897), organiste de Munich. On lui doit des sonates, petites fugues, concertos et des préludes de chorals dans lesquels on discerne le goût du contrepoint. Son style ne manque ni de noblesse ni de personnalité.

Après l'Allemagne, passons en Angleterre. Les compositeurs protestants furent peu nombreux au xvne siècle : la guerre civile en est la cause. De plus, on ne faisait pas grande différence entre les œuvres écrites pour l'orgue et celles destinées au virginal. L'orgue est encore rudimentaire et ne comporte pas de pédalier ; les organistes touchent du reste aussi bien de l'épinette qu'ils jouent leur instrument à tuyaux. Les virginalistes écrivent surtout des chorals qu'ils font suivre de variations, genre dans lequel ils sont passés maîtres. C'est en général dans les cantiques spirituels, dans les Noëls ou encore dans le grégorien qu'ils choisissent leurs thèmes. Parmi les principales formes qu'ils utilisent, signalons les « voluntaries »*, les fantaisies ou « ground » *.

Quelques noms doivent être retenus :

  • Orlando Gibbons (1583-1625), organiste de Westminster, est le plus brillant exécutant de son époque. Sa Fantasia of Four Parts, écrite pour l'orgue, fut publiée dans le Parthenia *. Sept courts thèmes sont introduits l'un après l'autre en imitation. Dans cette pièce remarquable on peut déceler une veine qui, par Sweelinck, passa jusqu'à J.-S. Bach lui-même. La « fugue » est une pièce relativement courte; elle n'atteint pas la perfection des fugues de Buxtehude et de J.-S. Bach.
  • Matthew Lock (1630-1677), organiste de la reine Catherine, il a laissé des voluntaries et des toccate.
  • John Blow (1648-1708), organiste de Westminster et prédécesseur de Purcell. Toccate, versets et fugues.
  • Henri Purcell (1658-1695). C'est le seul grand nom de l'époque. Elève de Blow, il a laissé des préludes et des voluntaries sur des psaumes.
  • Hændel, nommé au chapitre des compositeurs d'Allemagne.
  • Citons encore : Roseingrave, Greene, Boyce, Stanley, Keeble, Pelton, Battishili, Wesley, Attwood, Russel, Adams : tous auteurs du XVIIIe siècle. Leurs œuvres sont toujours des voluntaries, sonates, concertos, fugues, fantaisies.

Du XIXe et du XXe siècles, il faut nommer :

  • Samuel Sebastian Wesley (1810-1876) : influencé par l'œuvre de J.-S. Bach : chorals et fugues. Introduction et fugue. Larghetto avec variation.
  • Hubert H. Parry (1848-1918) : toccate et fugue l'Errant. Notons le caractère chromatique de la fugue.
  • Basil Harwood (né en 1859), auteur de deux préludes sur des psaumes, de sonates, toccate, concerto pour orgue et orchestre, ainsi que de sonates, préludes, larghetto et final.
  • W. G. Alcock (1861-1948), auteur de toccate, d'introduction et passacaille, d'une fantaisie im-, promptue et d'un postlude. Il emploie avec une grande liberté toutes les ressources de l'orgue moderne.
  • Edward C. Bairstow (1874-1946), auteur d'une sonate, d'un scherzo et de trois petits préludes. Son style est tour à tour contemplatif, gai et lyrique.
  • Percy Whitlock (1903-1946). On lui doit sept esquisses sur des versets de psaume ; deux fantaisies choral; cinq petites pièces, des œuvres pour orgue et orchestre.

Les contemporains

L'école contemporaine anglaise est très nombreuse. Il ne nous est pas possible de citer les noms de tous ceux qui l'ont enrichie.

En ce qui concerne la Hollande, les renseignements ne nous sont pas parvenus à temps. Nous espérons que l'occasion nous sera donnée de parler de ses compositeurs de musique d'orgue qui ne manquent ni de talent, ni d'originalité.

L'Alsace connût à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle deux organistes qui ne doivent pas être oubliés : Schmidt (père et fils). Du premier on possède encore un certain nombre de morceaux d'orgue, mais sans originalité particulière. Avec le second un goût nouveau s'introduit à Strasbourg au sein des Eglises protestantes : il adapte pour l'orgue un assez grand nombre de madrigaux et autres compositions italiennes. Au XIX° siècle, Théophile Stern, né à Strasbourg eu 1803 compose un recueil de chorals et de pièces pour orgue à l'usage du culte réformé.

L'Alsace nous conduit tout naturellement en Suisse où on détruisit les orgues pendant la Réformation. Aussi ne connaît-on que des organistes catholiques au XVIe, au XVIIe et au XVIIIe siècles. Seule, la ville de Bâle garda son orgue dans sa cathédrale. Son titulaire, Samuel Mareschall (1554-1641) est l'auteur de trente-huit pièces sur les psaumes huguenots. Son successeur, Daniel Hofer, écrivit également des pièces sur ce psautier.

Ce n'est qu'en 1726 que la Cathédrale de Berne reçut de nouvelles orgues. Peu à peu l'instrument reprit sa place dans presque toutes les églises.

De nos jours, de nombreux compositeurs écrivent pour l'orgue, mais il s'agit surtout de pièces de concert

  • Otto Barbian (1860-1943), organiste à Saint-Pierre (Genève) : toccata, variation et triple fugue sur B.A.C.H.
  • Willy Burkhard (1900) : variations sur les chorals De Profundis et In dulci jubilo ; fantaisie et choral C'est un rempart.
  • Henri Gagnebin (i886), organiste à Genève et directeur du Conservatoire de cette ville. On lui doit des pièces sur les psaumes huguenots. C'est l'un des maîtres de la musique d'orgue contemporaine en Suisse. Son style parfaitement adapté à l'orgue témoigne de beaucoup de facilité et d'une grande richesse de coloris.
  • Citons encore Alex Mottu (1883-1943), Rudolf Moser (1892), auteur de deux suites : Le jour si plein de joie et Veni Sancte spiritus et de pièces sur des psaumes.
  • Eric Schmidt, Bernard Reichel, Franck Martin, Roger Vuataz, Conrad Beck, Pierre Segond (organiste de la cathédrale Saint-Pierre, à Genève), Lili Wieruszowski (pièces sur chorals, psaumes), Pierre Pidoux, Werner Wehrli, René Matthes et H. Hailer.
  • Mentionnons enfin Bernard Schulé, maître de chapelle et organiste de l'ambassade britannique à Paris. Il a écrit avec une grande diversité de style un recueil de six pièces: Enluminures. Son écriture sobre est empreinte d'une réelle poésie.

En France, comme nous l'avons dit au début de cette étude, la musique d'orgue n'a pu se développer pendant le XVIe et le XVIIe siècles dans nos églises. Si elle prit son essor au siècle suivant, aucune œuvre écrite au cours de cette période ne nous est parvenue.

Seule l'époque contemporaine nous offre quelques compositeurs, peu nombreux certes, mais d'une réelle valeur.

  • Au premier rang de ceux-ci nous trouvons Alexandre Cellier, inspecteur des Beaux-Arts, organiste de l'église de l'Etoile. C'est un des maîtres les plus éminents de notre école d'orgue française. Ses œuvres comprennent une Suite, une Etude, pittoresque et gracieuse; dix pièces : Pèlerinages, qui évoquent le recueillement dans le calme de la nature. Trois chorals Paraphrases . le premier sur la mélodie du psaume 77 (la douleur) ; le second, sur celle du psaume 90 (l'espérance) ; le troisième sur celui du psaume 138 (la joie). Chacune de ces pages cornmente le texte du psalmiste. D'un style libre, clair, ces pièces témoignent d'une extrême sensibilité. L'esprit du texte est respecté fidèlement, tantôt douloureux, méditatif ou affirmé par un rythme brillant.
  • Il faut à présent faire une place spéciale à un de nos compositeurs qui marque par le caractère même de son talent : Georges Migot*. Traditionaliste et révolutionnaire, il se rattache essentiellement aux maîtres du moyen âge qu'il connaît à la perfection. Auteur religieux, sa foi protestante s'affirme dans toute son oeuvre. Il excelle dans sa « musique christique » qui est d'une rare profondeur.
  • De plus, Georges Migot est un contrapuntiste fidèle à l'écriture horizontale; il emploie les modes anciens, exploite la monodie et les rythmes les plus originaux. On a de lui six préludes : Le Tombeau de Nicolas de Grigny, Le Premier livre d'orgue, qui comprend douze pièces; celles-ci forment un ensemble coloré, vivant, qui s'inscrit dans la pure tradition française. Signalons enfin sa Sonate en six mouvements, écrite en style fugué, qui témoigne d'une grande maîtrise de cet art.
  • Il convient également de nommer Marthe Bracquemond, organiste de l'église de Passy. Son écriture est élégante, très bien adaptée à l'orgue. E11e a composé pour son instrument : une grande fresque : La Forêt , Ombres (une méditation au pied de la Croix) et des Variations sur un Noël. Ces oeuvres prouvent que la forme classique lui est familière.
  • Charles Koechlin a, malheureusement, peu écrit pour l'orgue. C'est un théoricien qui sait unir la science à la sensibilité. On lui doit un choral, une sonatine et trois chorals pour orgue et orchestre.
  • Signalons, enfin, Georges Schott, organiste et maître de chapelle de l'église de la Rédemption. Il a enrichi le répertoire protestant de Préludes sur les Psaumes et de Douze petites Puces. Harmoniste de talent, son écriture est pure et sa ligne mélodique souple.

Parvenu au terme de cette étude, comment faut-il conclure ? Par un souhait. Celui de voir les musiciens de nos églises qui connaissent tous les bienfaits de l'orgue dans le culte, continuer leurs efforts en faveur de l'avènement de cet instrument dans toutes les églises. Qu'ils poursuivent avec la collaboration si désirable des autorités ecclésiastiques l’œuvre nécessaire de restauration de la musique liturgique protestante.

Enfin, d'entente avec leurs collègues, maîtres de chapelle, qu'ils incitent les églises réformées à s'enrichir d'une production artistique dont elles sont encore loin de mesurer tous les bienfaits.

La composition-type d'un orgue adapté à nos églises

On trouvera ci-dessous cinq tableaux qui donnent, à titre d'exemple, la composition-type d'un orgue adapté à nos églises:

1° Orgue de 10 jeux

Go / Montre 8 - Flûte 8 - Salicet 4.

R / Gambe 8 - voix céleste (ou sesquialtera) Bourdon 8 - Flûte 4 - Nazard 2 2 /.

Ped / Soubasse 16 - Bourdon 8. 2 tirasses - Copula - Exp. Récit.

2° Orgue de 15 jeux

Go / Montre 8 - Flûte harmonique 8 - (ou flûte creuse) - Prestant 4 - T)oublette 2 - Cromorne - Plein-jeu (5 rangs).

R J Gambe 8 - Voix céleste - Cor de nuit 8 Flûte 4• - Nazard - Tierce.

Ped / Soubasse 16 - Bourdon 8 - Flûte 4. 2 tirasses - Copula - Exp. Co et R.

3° Orgue de 20 jeux

Go / Bourdon 16 - Montre 8 - Bourdon 8 - Prestant 4 - Flûte harmonique 8 (ou flûte creuse) - Doublette 2 - Plein-jeu (5 rangs).

R / Gambe 8 - Voix céleste - Flûte 8 - Cor de nuit 8 - Flûte 4 - Flûte 2 - Hautbois Sesquialtera - Trompette 8 - Clairon 4 -

Ped / Soubasse 16 - Bourdon 8 - Flûte 4. 2 tirasses - Copula - Exp. Go et R.

4° Orgue de 26 jeux

Go J Bourdon iô - Bourdon 8 - Montre 8 - Flûte harmonique 8 ou (flûte creuse) - Prestant 4 Doublette 2 - Plein-jeu ( rangs) - Cromorne.

R / Flûte 8 - Gambe 8 - Voix céleste - Cor de nuit 8 - Flûte 4 - Nazard - Tierce Flûte 2 Plein-jeu (4 rangs) - Hautbois Bombarde 16 - Trompette 8 - Clairon 4.

Ped / Soubasse16 - Flûte 8 - Bourdon 8 - Flûte 4 - Trompette 8 - (ou basson 8). 2 tirasses - Copula - Exp. Go et R.

5° Orgue de 35 jeux

Go I Bourdon 16 - Bourdon 8 - Montre 8 - Flûte harmonique 8 ou (flûte creuse) - Prestant 4 - Doublette 2 - Plein-jeu (4 rangs) Trompette 8 - Cymbale (3 rangs).

Pos / Flûte 8 - Flûte 4 - Principal 8 - Cromorne Voix humaine - Plein-jeu (3 rangs).

R / Gambe 8 - Voix céleste - Cor de nuit 8 - Dulciane 4 - Quarte de Nazard - Nazard Tierce - Piccolo - Hautbois - Bombarde 16 Trompette 8 - Clairon 4.

Ped J Flûte 16 - Soubasse 16 - Bourdon 8 - Flûte 8 - Flûte 4 - Bombarde 16 - Trompette S Clairon 4. 3 tirasses'- Copula I I II II III III Exp. Go. Pos. R.

Marie-Louise Girod,
organiste titulaire

Pour la facture et l'histoire des instruments, on peut consulter entre autres :

  • Alexandre Cellier et Henri Bachelin : L'orgue. (Delagrave.)
  • Félix Raugel, : Les Organistes.
  • Laurens : Les Grandes Orgues des Eglises de Paris. (Fischhacher.)

Notes :

* Cf. Albert Schweitzer : J.-S. Bach, le musicien poète. Breitkopf, 1905, p. 37.

* Cf. Ed. Kressmann : De la Musique religieuse. « Je Sers >>, p. 72 et 73.

* Albert Schweitzer, ouv. cité p. 37.

* Cité par E. Doumergue, in Calvin, Ii, pp. 485-482.

* Calvin. Préface du Psautier.

* Propos de table. Edition Montaigne, p. 470.

* Paroles de Luther citées par Schneider dans son volume : La Crise de la musique cultuelle dans les Eglises réformées. Delachaux et Niestlé 1932, p. 67.

* Le Culte. « Je Sers », p. 95.

* Cahiers d'Eglise et Liturgie. Edition « Je sers », 1943

* On consultera à ce sujet avec fruit l'ouvrage de M. Théodore Gerold : Les plus anciennes mélodies de l'Eglise protestante de Strasbourg et leurs auteurs. (Alcan.)

* Ceci se pratique quelquefois en Suisse. Ne pourrait-on pas en faire bénéficier nos cultes ?

* C'était le cas à Wittenberg et cela se pratique toujours dans les Eglises scandinaves.

* Il nous a été donné d'assister à un office où les fidèles nombreux récitaient ensemble le Credo et l'oraison dominicale.

* Est-il normal que les mélodies soient les mêmes pour le Vendredi Saint et le jour de Pâques ?

* Nous ajouterions volontiers, à l'instar du règlement de Wittemberg, le Grand Gloria qui est un chant de louanges, de gloire et d'adoration qui manque peut-être dans notre service.

* Saisissons l'occasion de dire combien il serait souhaitable pour l'acoustique que nos grandes Eglises aient un orgue de choeur pour accompagner cantiques et répons.

* Pas nécessairement le symbole des Apôtres.

* Prière et Musique : Sertillanges.

* « Par ces différents aspects - foi, pureté, simplicité - les psaumes et les chorals, outre qu'ils continuent très heureusement l'évolution de l'art sacré, restent le prototype de la musique liturgique de toutes les Eglises protestantes ». Schneider., ouvr. cité, p. 36.

* Idem, p. 112.

* Pourquoi n'écriraient-ils pas de la musique pour les répons liturgiques ? Ne serait-il pas heureux de faire également une place aux contemporains ?

* Signalons le traité d'improvisation de Marcel Dupré. (Alphonse Leduc, éditeur.)

* Pièce destinée à être exécutée, soit au début, soit au cours, soit encore à la fin de l'office.

* Le « ground » s'apparente à la chaconne et à la passacaille.

* Premier livre de musique pour virginal, édité en Angleterre. Il contenait des pièces de Bull Byrd et de Gibbons dont plusieurs étaient destinées à l'orgue.

* Nous ne parlons ici que de sa musique d'orgue. Mais chacun sait que Migot est l'un des grands musiciens de ce temps et que son oeuvre, considérable, est de celles qui ouvrent les voies nouvelles, tant pour le piano que pour l'orchestre à la -voix.