Vous avez dit... INUTILE ? Jubilons !

Lévitique 25:8-13 , Luc 17:5-11

Culte du 6 octobre 2019
Prédication de Agnès Adeline-Schaeffer

Vidéo de la partie centrale du culte

Amis, chers frères et sœurs, 

Nous sommes tous dans la joie aujourd’hui, pour ce culte au cours duquel nous rendons grâces à Dieu pour 50 ans de partenariat entre l’orphelinat Topaza, à Madagascar et l’entraide de l’Oratoire du Louvre. 

50 ans, un demi-siècle, c’est donc un Jubilé, comme cela vient d’être rappelé. Le Jubilé trouve ses racines dans la Bible, au livre du Lévitique, dont nous avons entendu un extrait, à l’instant. Le Jubilé est une institution du droit biblique. Cela se dit « Yobel » en hébreu, d’où le mot jubilé est dérivé. Mais à l’origine, le mot Yobel signifie d’abord bélier, puis corne de bélier. Et le début de l’année jubilaire était annoncé par la sonnerie de la corne de bélier, le « shofar » qui marquait le début de la fête. Et quelle était cette fête ? C’était celle de la libération des esclaves israélites, et la restauration de la propriété familiale qui avait lieu tous les 49 ans. Et ce jubilé durait une année, la cinquantième.  De telle sorte que chaque israélite pouvait recommencer une nouvelle vie, sur des bases égalitaires. Les esclaves affranchis recevaient une somme d’argent qui leur permettait de recommencer une autre vie. C’était aussi la même chose pour la terre, qui est laissée en friche pour un an, il ne fallait pas semer, ne pas moissonner ce que la terre produit d’elle-même, ne pas vendanger la vigne non taillée. L’idée était que personne ne pouvait amasser des richesses excessives, de même que personne n’était réduit à la pauvreté perpétuelle et à l’esclavage. Au fond cela correspond à une remise de dettes, qui permet un nouveau redémarrage, sur des bases plus saines.

Alors bien sûr, il ne serait ni décent, ni exact, de comparer le partenariat entre Topaza et l’entraide de l’Oratoire, à un rapport de forces entre esclaves retrouvant leur liberté, et donateurs retrouvant leur patrimoine, si j’ose dire. Ce serait faire offense au long travail de relations qui se sont mises en place, patiemment, à distance, puis sur place, afin de monter un projet qui tienne la route jusqu’à ce jour, et pour lequel nous rendons grâces aujourd’hui. 

Par contre, nous pouvons saluer la foi avec laquelle ce projet s’est concrétisé, la confiance mutuelle, réciproque, entre ceux qui attendaient des fonds afin que se réalisent des projets de constructions nécessitant un investissement, et ceux qui espéraient que les fonds allaient pouvoir être recueillis avant d’être envoyés. Nous pouvons aussi saluer, en plus de la foi, le sens du discernement, pour donner la priorité à certains projets plutôt qu’à d’autres, afin que ne soit pas gaspillé l’argent si patiemment collecté. Foi, patience, discernement, confiance, tels sont les ingrédients de la réussite d’un partenariat, qui a du sens, qui donne du sens à des quantités d’enfants, premiers bénéficiaires de cette collaboration et de ce soutien. To.Pa.Za. étant l’abréviation de la phrase malgache voulant dire : « lieu de salut pour les enfants ».  

Le Jubilé de ce partenariat ne serait-il pas en train de nous conduire, à une sorte de tentation de la valorisation de nous-mêmes, par un excès de remerciements, ou de congratulations, voire un désir à peine caché de reconnaissance personnelle ? Non je ne le pense pas. Notre seule et sincère reconnaissance monte à Dieu dans l’expression de nos chants et de nos prières, pour les connus et les anonymes qui se sont investis en temps et en heure pour l’aboutissement et la réussite de partenariat. Mais comme on ne sait jamais, c’est là que l’Evangile de Luc vient en quelque sorte nous provoquer : nous sommes des serviteurs inutiles.  Oups, le mot est lâché, tel un pavé dans la mare…. Inutile…Vous avez dit « inutile » ? Voilà bien un mot qu’on n’aime pas … surtout quand il s’agit de notre investissement personnel, que ce soit en temps ou en argent. Alors, si vous êtes venus ce matin, pour recevoir une parole gratifiante, c’est raté. Oui, qu’on le veuille ou non… Nous sommes des serviteurs inutiles ! 

Le mot qui pose problème, c’est le mot inutile, dans la version Segond. Et dans d’autres traductions, on trouvera « serviteurs quelconques » (TOB), simples serviteurs (Français Courant et Bible de Jérusalem) …. et même par « serviteurs imparfaits » ou « ordinaires ». Nous voyons tout de suite la difficulté de ce mot.  Choisir un terme plutôt qu’un autre, c’est donner une orientation au texte que nous lisons. Et c’est sans aucun doute le trahir. Le mot employé dans le texte grec se traduit littéralement par « non indispensable ». 

Souvent, dans les Evangiles, il nous est présenté les disciples de Jésus comme ayant l’art de poser les questions qui dérangent…Ici, ils lui demandent : « Augmente en nous la foi ». En faisant une telle demande, c’est sûr qu’ils s’exposent à une réponse qu’ils n’avaient pas envisagée. Et la réponse surprend, par l’histoire d’un homme qui a travaillé toute la journée dans les champs de son maître. Le soir venu, il reste encore chez son maître pour le servir à table. Ce serviteur est décrit comme étant « inutile », ou « ordinaire » ou encore « quelconque ». Ce que ce serviteur a fait n’a rien d’extraordinaire. Labourer les champs et sans doute s’occuper des animaux de son maître, c’est naturel et normal, tout comme préparer à manger et servir le maître à table, cela faisait partie du travail du serviteur, traduit d’ailleurs dans le texte grec par le mot « esclave », et personne n’aurait songé à se plaindre … Et quand Jésus pose la question : "Doit-il de la reconnaissance ... ?" La réponse va de soi. Un maître n'a pas l'habitude de remercier son esclave pour avoir fait ce qu'il avait à faire.  Et Jésus enchaîne en disant : Vous de même... dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire. Autrement dit, Jésus applique la parabole à ses disciples. Quand le disciple a fait tout ce que le Seigneur attend de lui - mais quel disciple peut prétendre cela ? -, il n'a fait que son devoir, et son Maître ne lui doit rien. C'est là le point de comparaison de la parabole. En lisant les évangiles par ailleurs, il y a d’autres textes ou d’autres paraboles qui nous apprennent que Jésus n’agira pas comme le maître de cette histoire, et qu’il récompensera ses serviteurs. (Cf. Matthieu 25 : 21.23; Luc 19 :17.19). 

Alors, le maître de notre histoire de ce matin représente non pas Dieu ou Jésus, mais chacun d’entre nous. « Qui de vous… » demande effectivement Jésus.  Jésus parle de l’attitude humaine, de faire. Cela sous-entend que Dieu, lui, peut agir autrement. Dieu peut récompenser ses serviteurs, y compris quand ceux-ci sont imparfaits, y compris quand ceux-ci sont embauchés à la dernière heure. Les humains font leur travail. Dieu les récompense, non comme quelque chose qu’il leur devrait, mais plutôt comme un cadeau. Ce cadeau, je l’appellerai la grâce. Ce cadeau gracieux est donné parce que Dieu aime en premier. La récompense gracieuse n’a rien à voir ni avec la quantité du travail fourni, ni même avec la qualité de ce même travail.  Alors, souvent, ce texte apparaît comme une épine dans notre pied ou dans notre main de travailleur bénévole. Et si je posais la question, à tous les organisateurs et les bénéficiaires de ce partenariat, de savoir si c’était inutile ce qui a été fait depuis 50 ans, il est évident que chacun répondrait que non, et il aurait bien raison.  

C’est vrai, ce texte est difficile à comprendre, à recevoir, car il nous chatouille dans notre ego. Il peut faire passer les serviteurs que nous sommes, en particulier en église, pour des inutiles, autrement dit pour des bons à rien. Alors qu’une certaine pub n’arrête pas de nous dire que nous le valons bien … ici on entend justement : « on ne vaut rien » ce qui donne le terme de vaurien. Et on entend de ce texte que le côté négatif. L’Eglise ne serait-elle qu’une bande de vauriens ? De bons à rien ? Mais dans ce cas, à quoi tient la valeur de notre engagement ? 

Est-ce qu’il tient à ce que nous faisons pour Dieu ? Pourtant les protestants l’ont bien compris depuis la Réforme, la valeur de notre engagement, ni même de notre vie ne tient pas à ce que nous faisons pour Dieu, ce ne sont pas nos actions pour Dieu qui nous sauvent, mais la valeur de notre vie tient à ce que Dieu a fait pour nous. Et pour reprendre une citation de Martin Luther : « Ce n’est pas parce que nous avons de la valeur que Dieu nous aime, c’est parce que Dieu nous aime que nous avons de la valeur ».

Et ça change tout. Nous prenons souvent ce texte comme un point d’arrivée, alors que c’est un point de départ. Nous prenons ce texte pour une sorte de condamnation alors que c’est une constatation. La parole de Jésus n’est pas là pour nous abattre mais pour nous relever. Nous sommes invités à l’entendre comme une bénédiction.  La grâce de Dieu, c’est de ne pas être réduit à ce que nous faisons, si horrible, ou si remarquable, que ce soit. Notre identité personnelle, humaine, croyante, ne se trouve pas dans ce que nous faisons, mais dans l’amour que Dieu nous porte. Et en cela, nous sommes tous égaux devant cet amour donné. Parce qu’il n’est pas donné en fonction de ce que nous sommes des bons ou des mauvais serviteurs.  Si nous croyons que nous sommes des serviteurs « inutiles », et pour ma part, je préfèrerai traduire par des « serviteurs non indispensables » alors tout ce que nous aurons à faire, nous le ferons « bien », non pas comme un sentiment de jugement, qui serait l’opposé du mal, mais plutôt avec ce sentiment de bénédiction, celle qui nous porte, celle qui aide à porter les autres. Alors nous serons dans la jubilation, dans la libération de nos esclavages personnels, en se disant, que si je n’y arrive pas, quelqu’un d’autre prendra le relais. C’est cette confiance-là, cette foi-là qui doit être augmentée. 

La vraie question n’est l’utilité ou l’inutilité, la vraie question est celle que les disciples posent au début de notre récit : Seigneur augmente en nous la foi. 

D’accord, répond Jésus, mais dans quel but ? Pourquoi est-ce que je dois augmenter votre foi ? Vous avez déjà une foi grosse comme un grain de moutarde, et finalement c’est suffisant puisque vous pouvez faire de grandes choses avec si peu de foi. 

La question est donc autre.

La foi n’est rien si elle n’est pas reliée à celui en qui on la place. 

La foi c’est une relation de confiance, envers Dieu, et envers les autres. Et cela s’entretient, s’approfondit, s’élargit. 

La qualité de notre service n’en sera que meilleure. Notre jubilation, pour ce partenariat, comme pour toute autre forme d’engagement dans l’entraide, ou le bénévolat, ne sera plus que l’expression de notre sérénité.

Amen

Lecture de la Bible

Lévitique 25/8-13
8 Tu compteras sept sabbats d'années, sept fois sept années, et les jours de ces sept sabbats d'années feront quarante-neuf ans.
9 Le dixième jour du septième mois, tu feras retentir les sons éclatants de la trompette; le jour des expiations, vous sonnerez de la trompette dans tout votre pays.
10 Et vous sanctifierez la cinquantième année, vous publierez la liberté dans le pays pour tous ses habitants: ce sera pour vous le jubilé; chacun de vous retournera dans sa propriété, et chacun de vous retournera dans sa famille.
11 La cinquantième année sera pour vous le jubilé: vous ne sèmerez point, vous ne moissonnerez point ce que les champs produiront d'eux-mêmes, et vous ne vendangerez point la vigne non taillée.
12 Car c'est le jubilé: vous le regarderez comme une chose sainte. Vous mangerez le produit de vos champs.

Luc 17/5-11
5 Les apôtres dirent au Seigneur: Augmente-nous la foi.
6 Et le Seigneur dit: Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à ce sycomore: Déracine-toi, et plante-toi dans la mer; et il vous obéirait.
7 Qui de vous, ayant un serviteur qui laboure ou paît les troupeaux, lui dira, quand il revient des champs: Approche vite, et mets-toi à table?
8 Ne lui dira-t-il pas au contraire: Prépare-moi à souper, ceins-toi, et sers-moi, jusqu'à ce que j'aie mangé et bu; après cela, toi, tu mangeras et boiras?
9 Doit-il de la reconnaissance à ce serviteur parce qu'il a fait ce qui lui était ordonné?
10 Vous de même, quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites: Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire.
11 Jésus, se rendant à Jérusalem, passait entre la Samarie et la Galilée.

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