La joie du pécheur

Luc 7:1-7

Culte du 8 septembre 2019
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

    « Il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui change radicalement que pour quatre vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin d’un changement radical »

    Quand on parle du péché et des pécheurs, ce n’est généralement pas la notion de joie qui vient tout de suite à l’esprit. C’est tellement vrai, qu’un grand nombre d’Églises, sous prétexte que le péché agirait sur les fidèles comme un repoussoir, ne veulent plus parler de péché dans le culte qu’elles rendent à Dieu. On loue le Seigneur, on chante sa joie, on proclame la foi en un Dieu qui rend fort, on se réjouit ensemble de la Bonne Nouvelle du salut de Jésus Christ, mais on oublie de quoi on a bien pu être sauvé, et même, si on l’a jamais été. 

    Il est vrai qu’il y a de la joie pour les frères et les soeurs de se retrouver ensemble le dimanche et que l’on ne va pas au culte pour entendre une parole déprimante, ou culpabilisante, mais plutôt cette parole qui relève l’homme, cette bonne nouvelle que nous appelons dans notre tradition : Évangile.

    La joie est plus désirée encore quand on baptise de tout petits enfants dont on aurait bien de la peine à dire qu’ils sont pécheurs, tant ils sont innocents de toute faute.    

    Pourtant, le baptême, même quand il s’adresse à de petits enfants, est le signe d’une promesse de passage du péché au salut. Par le sacrement reçu, l’enfant reçoit cette promesse de salut inconditionnel de Dieu envers tout être qui pourrait se perdre. 

    Être chrétien a donc à voir, à la fois avec le péché et la joie. 

    Quand l’Évangile de Luc met en scène Jésus racontant la parabole du mouton perdu, il le place à la croisée de deux attitudes : d’une part, l’attitude des pharisiens et des scribes qui pensent combattre le péché en triant entre les hommes pécheurs et les hommes sauvés ; d’autre part, l’attitude des collecteurs d’impôt et des pécheurs qui cherchent une parole de salut pour être intégrer dans le peuple de Dieu et s’approchent alors de Jésus pour obtenir cette homologation. 

    Qui sont ces gens ? 

    La fonction de scribe est d’abord celle de comptable du royaume, puis de secrétaire du roi, puis elle devient une fonction religieuse de spécialiste des Écritures Saintes. Selon les Évangiles, les scribes ne sont pas toujours présentés avec autant de férocité. Quand, dans l’Évangile de Marc, les scribes sont des ennemis de Jésus, dans Matthieu, sans doute écrit par un scribe converti, les scribes sont capables de clairvoyance. Chez Luc, ils maugréent avec les pharisiens. Ces deux figures d’opposition à Jésus semblent s’allier contre ceux qu’is considèrent comme des pécheurs. Les pharisiens sont adeptes d’un parti religieux dont le nom vient d’un terme hébreu qui signifie les séparés. Ils veulent donc vivre comme des être purs, séparés des pécheurs. Cette attitude est une forme d’arrogance, car, qui peut dire de lui-même qu’il est pur de tout péché ? Ce qui les rapproche des scribes, c’est l’étude de l’Écriture qu’ils prennent comme critère de tout comportement humain. Le passage des Écritures à la pratique donne alors un rigorisme qui les amène à juger et à condamner facilement leur contemporains. 

    L’Évangile de Luc dit qu’ils maugréent en voyant les collecteurs des taxes et les pécheurs s’approcher de Jésus. 

    Dans la Torah, ceux qui maugréent sont les Israëlites, dans le livre de l’Exode, toute la communauté des Israélites maugrée contre Moïse parce qu’ils ne lui font pas confiance. Ils ont peur de manquer d’eau (Ex 15, 24), puis de manquer de nourriture (Ex 16, 2 ). Ils se rebellent contre le chef que Dieu leur a envoyé. Ce terme dans l’Évangile de Luc met donc Jésus dans la posture de l’envoyé de Dieu dont le peuple conteste l’autorité. Avant même qu’il ait accompli la promesse de Dieu, ils savent déjà qu’il a tort.

    Jésus raconte alors une parabole, une histoire qui fait appel au jugement de ses auditeurs en les plaçant dans une fiction qui prend la forme de la réalité. Il les invite à se positionner dans une expérience de pensée en commençant par « Lequel d’entre vous ? » 

    Grâce à cette question, tous ses auditeurs deviennent alors des bergers qui ont perdu un de leurs cent moutons. Ils sont invités à prendre le point de vue du berger. 

    Alors, qui est ce berger ? 

    La figure du berger dans la Bible est celle du roi, du chef qui conduit le peuple, en tout cas, celui qui est choisi par Dieu pour mener à bien l’accomplissement de sa promesse. 

    Jésus parle donc de lui-même et invite ceux qui connaissent les Écritures, à prendre le parti de Dieu. Comment les scribes et les pharisiens pourraient-ils contester son autorité, lui, le nouveau Moïse ? 

    Il s’agit d’une histoire banale pour l’époque, une histoire de mouton perdu. Mais derrière ce mouton, il y a la question qui tient tellement à coeur aux scribes et aux pharisiens : celle du péché. Car être pécheur, pour eux, c’est être perdu au yeux de Dieu, c’est même souvent être irrécupérable. 

    À qui ressemble-t-il ce mouton qui a quitté le troupeau, qui ne marche pas du même pas, qui prend la liberté de prendre une autre route ? 

    Il ressemble à ces collecteurs de taxe qui travaillent pour l’ennemi romain et s’enrichissent avec l’argent de l’occupation. Ils sont vus comme des traîtres par les autres Juifs de leur époque. Quant aux pécheurs, ce sont ceux qui ratent la vocation donnée par Dieu, qui font ce qui déplaît à Dieu, selon la Torah : les prostituées, les impurs, les malades ou les handicapés, pour lesquels il n’y a pas de remède, les adultères, les personnes stériles. Tous ceux qui sont exclus du temple et de ses rites parce qu’ils portent en eux la marque de l’indignité : « il faut bien qu’ils aient fait quelque chose de mal pour être ainsi punis par Dieu ».    

    La petite histoire de Jésus décrit à elle seule une société qui se vit comme un troupeau qui suit la norme et marginalise ceux qui osent s’écarter de la route. 

    Le berger de l’histoire de Jésus est un peu inconscient, il est prêt à mettre en danger quatre-vingt-dix-neuf moutons pour un seul qui manque à l’appel. N’est-ce pas sa faute, après tout s’il s’est perdu ? N’est-il pas trop faible pour suivre le rythme du troupeau ? Ne serait-il pas plus simple de s’en débarrasser en l’oubliant dans le désert ?    

    Pourtant, sans ce mouton, le troupeau n’est pas complet et le peuple de Dieu n’est plus entier. Jésus parle de cette perfection de l’unité visée par la promesse de Dieu. Si tous les enfants de Dieu ne sont pas sauvés, alors le salut ne sert à rien. N’est-ce pas pour les boiteux et les pécheurs que le salut est fait ? 

    Dans cette petite histoire, c’est notre regard sur notre prochain qui est questionné. C’est aussi notre projet de société qui est remis en cause. 

    La norme morale selon laquelle il est facile de juger l’autre, l’obligation de réussir à suivre le rythme que nos sociétés infligent à tous, le droit au ratage, à l’erreur, à la fatigue, à l’égarement, se retrouvent dans cette histoire de mouton qui n’a pas suivi le troupeau.    

    Là où l’échec rend indigne, là où la différence exaspère, là où la faiblesse est pitoyable, Jésus affirme la possibilité d’un changement radical et d’une joie. 

    Évidemment, ce n’est pas l’échec qui rend joyeux, ce n’est pas le péché, ce n’est pas l’errance ; la joie provient du mouvement entre le perdu et le retrouvé, entre l’indigne et le digne, entre le marginal et l’ami, entre le pécheur et le saint de Dieu. 

    Dans l’écart entre ces statuts antinomiques, Jésus déploie la joie du changement radical. La joie de voir la promesse de Dieu s’accomplir, de voir l’homme déchu se relever, de voir l’homme pécheur sauvé. 

    Le philosophe Spinoza définit la joie dans son Éthique en ces termes : « la joie est une exultation née de l’image d’une chose passée dont l’issue a été tenue par nous pour douteuse » (Éthique, Livre III, proposition XVIII, scolie II). Ce qui veut dire qu’en considérant le peu de probabilité pour que la chose se produise et le fait qu’elle se soit produite, le présent nous fait mesurer un écart qui rend joyeux. On est d’autant plus joyeux que cet écart est grand.    

    La parabole de Jésus nous dit à peu près la même chose : moins il y a d’espoir pour qu’un pécheur soit sauvé, plus il y a de la joie dans le ciel quand ce changement radical arrive enfin. 

    Il n’est donc pas permis au chrétien de désespérer du salut. Car aussi improbable que puisse paraître l’advenue du changement radical, de la conversion d’un être, le salut de Dieu s’adresse précisément à celui-là. Calvin, dans son Institution chrétienne, distingue deux sortes de péchés : celui que le diable nous inspire pour faire le mal, et celui qui consiste à céder au désespoir quand à notre capacité à traverser les épreuves avec Dieu. 

    Jésus n’est pas venu pour les bien-portants, mais pour les pécheurs. Les justes n’ont pas besoin du salut, mais ils doivent se réjouir avec Dieu chaque fois qu’un pécheur est sauvé par l’amour de Dieu. 

    Cette parabole est pleine d’ironie pour les scribes et les pharisiens qui se croient du côté des justes parce qu’ils connaissent par coeur la Torah et qu’ils l’utilisent comme critère dogmatique pour juger la vie des autres. Mais dans le livre des Proverbes on trouve cette interrogation : « Qui dira : ‘j’ai rendu mon coeur sans reproche, je suis pur de tout péché’? »  ( Pr 20, 9)  

    Ainsi, les scribes et les pharisiens sont invités, comme les pécheurs et les collecteurs de taxe à se placer au bénéfice du salut de Dieu, dans cet intervalle de changement radical toujours possible. Les uns sont appelés à se sentir dignes de l‘amour de Dieu malgré leur réputation, leur différence ou leur marginalité et les autres sont invités à croire qu’il leur est possible de changer de regard et d’abandonner tout jugement définitif sur les autres. 

    Le changement et l’espoir de changement sont donc plus conformes à l’idée du christianisme que tous les dogmes établis pour toujours par les hommes pour juger les autres hommes.    

    Nous avons donc de bonnes raison d’être joyeux, frères et soeurs, quand nous parlons du péché. Non pas parce que le péché serait bon, mais parce que le péché fait partie de nous, et qu’à cause de lui nous sommes appelés au changement. C’est cette conversion constante qui fait de nous des chrétiens. Quand bien même la grâce de Dieu serait promise, elle est à recevoir et à transformer en oeuvre constamment. 

    Sans doute aucun de nous ici ne peut jurer qu’il n’a jamais fait le mal. Seuls les deux tout-petits qui viennent d’être baptisés sont exempts de toute faute. 

    Sans doute aussi que beaucoup ici ont déjà désespéré de l’amour de Dieu pour eux dans les épreuves. Nous sommes tous pécheurs, parce que notre humanité nous sépare de Dieu. Mais la bonne nouvelle est que cette situation est appelée au changement et que la promesse de Dieu c’est que cette condition humaine est sauvée par son amour inconditionnel pour nous. Confesser notre péché, est aussi important que confesser notre foi. À vrai dire, c’est la même chose, puisque nous croyons en un Dieu qui nous sauve de toute indignité. 

    Cette Église est celle des boiteux de la foi, des rejetés, des non-conformes, des incapables et des perdus ; parce que cette Église est celle où résonne la joie du ciel chaque fois qu’un de ceux qui étaient perdus entend une parole de salut, d’accueil, d’amour, de pardon, de réhabilitation. Chaque fois qu’un mouton égaré est repris sur les épaules du berger et ramené dans le peuple que Dieu aime et conduit : un peuple de pécheurs pardonnés, un peuple d’hommes et de femmes relevés par une parole de grâce.    

    Bienvenue aux enfants qui entrent aujourd’hui dans la joie du ciel, et bienvenue à tous ceux qui se sentent perdus et attendent un berger.

Ici, les amis de Dieu se réjouissent du salut de chacun. 

Amen

Lecture de la Bible

Luc 15/1-7
1 Tous les collecteurs des taxes et les pécheurs s'approchaient de lui pour l'entendre.
2 Les pharisiens et les scribes maugréaient : Il accueille des pécheurs et il mange avec eux !

3 Mais il leur dit cette parabole :
4 Quel homme d'entre vous, s'il a cent moutons et qu'il en perde un, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller après celui qui est perdu, jusqu'à ce qu'il le retrouve ?
5 Lorsqu'il l'a retrouvé, il le met sur ses épaules, tout joyeux,
6 et, de retour chez lui, il appelle ses amis et ses voisins pour leur dire : « Réjouissez-vous avec moi, car j'ai retrouvé mon mouton, qui était perdu ! »
7 De même, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui change radicalement que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin d'un changement radical.

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