Du bon usage de l’iconoclasme

Ésaïe 44:9-20

Culte du 1 mars 2015
Prédication de pasteur James Woody

(Ésaïe 44:9-20)

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Culte du dimanche 1er mars 2015 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

L’iconoclasme protestant

Chers frères et sœurs, l’épopée protestante a commencé par de grands élans iconoclastes et, de nos jours encore, le protestantisme est foncièrement iconoclaste. Est iconoclaste celui qui brise les images. La preuve n’est plus à faire que les premiers temps de la Réforme ont été marqués par des actes iconoclastes à savoir des églises catholiques saccagées de manière à détruire statues et peintures qui allaient contre l’idée que les protestants francophones se faisaient d’un lieu de culte parfait (la réforme luthérienne a, quant à elle, fait un usage pédagogique de l’image). Prenant à la lettre l’interdiction de la représentation contenue dans le décalogue, bien des protestants mirent en pièce l’art religieux catholique, mais aussi ce qui avait l’allure du catholicisme, parfois les prêtres. Outre ces exactions, le protestantisme a fait œuvre d’iconoclasme en brandissant le principe « A Dieu seul la gloire », pour briser les fausses images que les croyants se faisaient de Dieu, de l’Eglise, du pouvoir - images non matérielles, mais peuplant copieusement l’imaginaire des chrétiens de l’époque. C’est ainsi que Zwingli, en plein carême où la pratique catholique consiste à manger maigre, faisait rôtir des saucisses dans les rues de Zurich, manière de bien montrer que le jeûne auquel Dieu prend plaisir n’est pas une affaire alimentaire. De son côté, Calvin ira loin dans un iconoclasme théologique qui n’avait rien de commun avec la destruction de tableaux ou de sculptures en rédigeant une Institution de la Religion Chrétienne qui faisait table rase de tout ce qui avait pu être pensé jusque là puis en évitant que sa sépulture soit connue et risque de donner cours à une dévotion ultérieure.

De nos jours encore, le protestantisme est iconoclaste au nom même de ce principe constitutif « A Dieu seul la gloire » qui refuse que soient divinisées ces œuvres humaines qui ne servent que des intérêts particuliers et qui ne portent pas le projet de l’Evangile. Le protestantisme se méfie de tout ce qui veut s’absolutiser, de tout ce qui prétend régenter la totalité de notre vie. L’iconoclasme ne concerne donc pas seulement les images au sens de représentations artistiques, mais avant tout les représentations mentales que nous nous faisons des différents éléments qui font notre quotidien et qui, bien souvent, prétendent régler notre vie. A vrai dire, cet iconoclasme n’est pas une lubie soudaine du XVIème siècle. II trouve ses racines par delà la crise iconoclaste du VIIème siècle, dans les textes bibliques qui ne sont pas tendres avec l’idolâtrie, par exemple chez le prophète Esaïe qui a des accents savoureux pour aborder avec sarcasme la pratique idolâtre.

L’idolâtrie

Ce que le prophète reproche à l’idolâtrie, c’est d’être vulgaire. Que fait l’idolâtre ? Il assimile le divin à ce qui n’est que vulgaire. L’idolâtre est cette personne capable de prendre une bûche, de la fendre en deux, d’en jeter un bout dans la cheminée pour se chauffer et de sculpter une statuette avec l’autre moitié devant laquelle elle se prosternera très religieusement. L’idolâtre est celui qui est capable de prendre un morceau de pain et de dire que ce pain est matériellement Dieu, l’adorant comme il se doit. L’idolâtre est celui qui prend le mot pour la chose qu’il désigne, celui qui dit qu’il n’y a pas de différence entre notre discours et ce que le discours décrit. Par exemple, il est possible d’idolâtrer la science comme Kieslowski l’avait montré dans son film de la série du décalogue consacré à « un seul Dieu tu adoreras ». Ce film met en scène un homme qui a fait de la science une divinité qui doit avoir réponse à tout, qui doit pouvoir tout résoudre. Nous sommes en plein hiver, cet homme et son fils sont près d’un lac qui a gelé. Le père s’emploie à calculer la résistance de la glace pour savoir s’il est possible de patiner dessus. Après la série de calculs nécessaires le fils est autorisé à s’élancer sur le lac. La glace rompt, le fils meurt.

On peut être idolâtre en réduisant Dieu à une chose, à une idée, à une personne, qui n’ont, en fait, qu’une valeur relative. Sont idolâtres, par exemple, ceux qui se sont acharnés ces derniers jours sur des statues, sur des livres et les ont détruits. Ces membres de l’Etat islamique sont idolâtres dans la mesure où ils ont considéré que les statues qu’ils cassaient étaient des divinités pour ceux qui les avaient mises dans le musée de Mossoul. Or, considérer qu’une statue peut être une divinité, c’est de l’idolâtrie, même lorsqu’on attribue à d’autres que nous cette idée-là. N’importe quel croyant doué d’intelligence ferait comme Esaïe en voyant quelqu’un vénérer une chose en lieu et place du Dieu vivant : il se moquerait. Mais accordant une telle valeur à ce qu’ils veulent détruire, ils montrent bien leur idolâtrie, idolâtrie qui coïncide avec leur rapport, lui aussi idolâtre, au texte fondateur. Quand on n’est pas fichu de distinguer une statue ayant un caractère patrimonial d’une statue qui serait un objet de culte, comment espérer discerner le divin qu’on ne voit pas à l’œil nu ? L’absence de distance entre le texte fondateur utilisé par ces individus et le réel met en évidence que le texte est pour eux une idole, figée à la lettre près, qui réduit toute la vie à la lettre au lieu d’ouvrir leur esprit à la variété des nuances qui font la vie. Une fois de plus, ils montrent qu’ils sont de véritables caricatures du croyant. Ils sont d’autant plus des caricatures qu’au nom de l’interdit de l’image ils cassent ces statues… en se filmant… 24 images par seconde… on ne saurait vraiment être pire caricature. Qu’ils détruisent aussi une mosquée du XIIème devient une sorte de cerise sur le gâteau de leur vulgarité.

Car ils sont vulgaires, ceux qui écrasent le divin à leur niveau, ceux qui effacent toute distance entre la chose et le mot, entre la vie et la matière. Ils sont vulgaires et doivent devenir encore plus fous lorsqu’ils voient le tableau de René Magritte qui a peint une pipe en écrivant en dessous « ceci n’est pas une pipe » - « la trahison des images ». Voilà bien ce qu’est la vulgarité : lorsque tout est montré, déballé, sans ombre, sans suggestion, sans rien d’autre à envisager, sans qu’il n’y ait plus rien à interpréter, sans qu’il n’y ait plus la moindre liberté. Car, bien évidemment, détruire le patrimoine culturel, détruire les recueils de discussion, de pensée, d’évocation poétique, c’est imposer qu’il n’y a qu’une seule réalité à laquelle il faut se soumettre – la sienne. C’est toute forme d’altérité qui est réduite en cendres ; c’est donc la possibilité même du Dieu véritable qui est niée en l’absence d’une quelconque altérité possible. Cette idéologie là ne vaut pas plus que le bout de bois, inerte, définitivement figé, que tient l’homme d’Esaïe. Et Esaïe, en nous racontant la destinée de l’autre partie du bout de bois nous donne à penser et à sourire, un peu jaune peut-être, mais le bois qui a été mis au feu aura été finalement plus utile, lui, et plus vrai, surtout : il aura permis de préparer un repas qui aura restauré le corps de l’homme, contrairement au bout de bois vénéré qui ne répondra jamais.

La nécessaire théologie

C’est ici que la théologie s’avère être une nécessité : éviter de sombrer dans l’idolâtrie, dans la vie qui se soumet à la non-vie, cela demande de s’interroger sérieusement sur ce qu’est Dieu et sur ce qu’il n’est pas. La théologie n’est pas une discipline de luxe pour celles et ceux qui n’auraient rien d’autre à faire, mais une activité majeure de l’homme qui souhaite que sa vie soit tendue vers ce qui le rendra plus humain. Penser la foi, s’interroger sur ce qu’est Dieu, c’est exprimer ce que l’on révère, ce que l’on place en point de mire lorsqu’on cherche à s’orienter. C’est ce que se sont efforcé de faire les auteurs bibliques qui nous ont précédés sur le chemin de la foi. Ces textes bibliques convergent vers cette affirmation « Dieu est amour », énoncé théologique minimaliste, mais qui est une aide précieuse.

Par exemple, dire que Dieu est amour plutôt que Dieu est justice, rend impossible une déclaration qui affirmerait que les auteurs des massacres perpétrés au nom de Dieu méritent la mort, la crucifixion ou l’amputation de leurs mains et de leurs pieds (grand Imam d’Al-Azhar, cheikh Ahmed al-Tayeb). Voilà ce qui arrive quand on place la justice dans sa version vengeance (un prêté pour un rendu) au-dessus de la miséricorde, au-dessus de l’amour agapè qui, lui, est dans la logique du don. Quand nous songeons à la vie selon l’Eternel, c’est par exemple aux paroles d’Esaïe que nous avons rappelées au moment de la volonté de Dieu que nous pensons… prendre soin de l’autre, alors que sa condition est modeste, précaire, peu avenante, qu’il est dépouillé de toute superbe, n’ayant peut-être que pour seul point commun avec nous d’être lui aussi un être de chair.

Le Dieu que nous choisissons n’est donc pas sans conséquence et pour notre vie quotidienne et pour le monde que nous entendons bâtir. La théologie n’est donc nullement indifférente à notre vie personnelle et, par extension, à notre vie en société, puisqu’elle met à jour ce qui peut être fondamental pour nous. La théologie nous donne aussi les moyens de disqualifier ce qui se prend faussement pour Dieu - les idéologies, les pouvoirs, les institutions, les personnes, les gestes, les rituels qui prétendent être Dieu à la place de Dieu – ce qui nous permet d’être iconoclaste à bon escient. Etre iconoclaste, c’est refuser la vulgarisation du divin, c’est refuser se repaître de cendres, selon l’expression d’Esaïe ; c’est cette attitude irrévérencieuse envers tout ce qui fait obstacle à la foi au Dieu vivant, tout ce qui empêche cette relation intime avec ce qui concourt à ouvrir les yeux sur le monde, à sensibiliser notre cœur au moindre battement de vie, à exposer notre intelligence à la formidable complexité de l’humanité qui aspire à la vie selon l’Eternel, cette vie libérée de ce qui écrase, cette vie sublimée, transcendée, cette vie libérée du vulgaire. La foi chrétienne est iconoclaste de cette vulgarité ; la foi chrétienne se fait le chantre de l’Eternel, le Dieu miséricordieux qui nous attire à prendre soin de chacun, qui exacerbe notre conscience d’une vie resplendissante, joyeuse et fraternelle. La foi chrétienne chante une fraternité qui n’est pas quelque chose à vivre à l’étroit, avec ce qui est conforme à nos pensées premières, avec ce qui nous ressemble en tous points, avec ce qui ne diffère pas. Le Dieu miséricordieux, le Dieu amour-agapè est cet appel incessant à découvrir un frère, une sœur, chez tous ceux qui partagent notre condition charnelle, quelle que soit la forme, la couleur ou l’odeur que prend cette chair, quel que soit le chemin que cette chair emprunte, et à l’aimer, inconditionnellement.

Amen

Lecture de la Bible

Ésaïe 44:9-20

Ceux qui fabriquent des idoles ne sont tous que vanité, Et leurs plus belles oeuvres ne servent à rien; Elles le témoignent elles-mêmes: Elles n’ont ni la vue, ni l’intelligence, Afin qu’ils soient dans la confusion. 10 Qui est-ce qui fabrique un dieu, ou fond une idole, Pour n’en retirer aucune utilité? 11 Voici, tous ceux qui y travaillent seront confondus, Et les ouvriers ne sont que des hommes; Qu’ils se réunissent tous, qu’ils se présentent, Et tous ensemble ils seront tremblants et couverts de honte. 12 Le forgeron fait une hache, Il travaille avec le charbon, Et il la façonne à coups de marteau; Il la forge d’un bras vigoureux; Mais a-t-il faim, le voilà sans force; Ne boit-il pas d’eau, le voilà épuisé. 13 Le charpentier étend le cordeau, Fait un tracé au crayon, Façonne le bois avec un couteau, Et marque ses dimensions avec le compas; Et il produit une figure d’homme, Une belle forme humaine, Pour qu’elle habite dans une maison. 14 Il se coupe des cèdres, Il prend des rouvres et des chênes, Et fait un choix parmi les arbres de la forêt; Il plante des pins, Et la pluie les fait croître. 15 Ces arbres servent à l’homme pour brûler, Il en prend et il se chauffe. Il y met aussi le feu pour cuire du pain; Et il en fait également un dieu, qu’il adore, Il en fait une idole, devant laquelle il se prosterne. 16 Il brûle au feu la moitié de son bois, Avec cette moitié il cuit de la viande, Il apprête un rôti, et se rassasie; Il se chauffe aussi, et dit: Ha! Ha! Je me chauffe, je vois la flamme! 17 Et avec le reste il fait un dieu, son idole, Il se prosterne devant elle, il l’adore, il l’invoque, Et s’écrie: Sauve-moi! Car tu es mon dieu! 18 Ils n’ont ni intelligence, ni entendement, Car on leur a fermé les yeux pour qu’ils ne voient point, Et le coeur pour qu’ils ne comprennent point. 19 Il ne rentre pas en lui-même, Et il n’a ni l’intelligence, ni le bon sens de dire: J’en ai brûlé une moitié au feu, J’ai cuit du pain sur les charbons, J’ai rôti de la viande et je l’ai mangée; Et avec le reste je ferais une abomination! Je me prosternerais devant un morceau de bois! 20 Il se repaît de cendres, Son coeur abusé l’égare, Et il ne sauvera point son âme, et ne dira point: N’est-ce pas du mensonge que j’ai dans ma main?

Traduction NEG

Audio

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