Chiens vivants et lions morts

Ecclésiaste 3:19-22 , Ecclésiaste 7:15-17 , Ecclésiaste 9:4-6 , Marc 8:34-37

Culte du 3 novembre 1940
Prédication de Gustave Vidal

Prédication : Chiens vivants et lions morts

Un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort.
ECCLÉSIASTE, IX, 4.
Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera.
MARC, VIII, 34.


Si le lion a toujours représenté, aux yeux des hommes, le courage sous son aspect le plus noble, le chien qui, pour nous, symbolise la fidélité, a toujours été regardé, en Orient, comme un animal vil et méprisable. Mépris explicable, s'il faut en croire les voyageurs qui reviennent des contrées du Levant ! Leurs récits nous montrent ces animaux faméliques, rôdant par les rues, en hordes à demi sauvages qui se partagent les quartiers des villes et gardent jalousement leur fief, où l'arrivée d'un intrus donne lieu à de furieuses batailles. Vivant de larcins, se repaissant d'immondices et de cadavres, ces meutes errantes peuplent les nuits de leurs lugubres hurlements. Toujours fourbe et défiant à l'égard de l'homme, sournois et effronté dans l'attaque et la rapine, couard et veule devant la menace et le danger, le chien reste pour l'Oriental une bête impure et immonde, et son nom, jeté à la face d'un homme, constitue la plus mortelle injure. 


Quel prix attachait à la vie terrestre le sceptique écrivain biblique pour la préférer, même dans la honte et l'ignominie, à la mort glorieuse et féconde ! Pour ceux qui vivent - songeait-il y a encore de l'espérance, fussent-ils des chiens, mais, pour les morts, tout est fini, eussent-ils été, durant leur vie, des lions. « Les morts ne savent rien et il n'y a plus pour eux de salaire, puisque leur mémoire est oubliée. » Un chien vivant peut encore manger, boire, dormir, jouir, montrer les crocs, attaquer sa proie, et la défendre ; un lion mort « n'a plus aucune part à ce qui se fait sous le soleil » ; les pleutres eux-mêmes peuvent venir narguer sa dépouille et les enfants la frapper de leur bâton ; « mieux vaut un chien vivant qu'un lion mort ».

À cette affirmation de la sagesse désabusée, la folie du Christ a répondu : « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie, à cause de moi, la retrouvera. » Confrontons la sagesse humaine et la folie du Christ et plaçons-nous sous l'inspiration du Crucifié pour méditer la parole du penseur avisé et prudent !

S'il y a, dans l'histoire, des temps héroïques où les hommes savent lutter en lions, il y a aussi des siècles de veulerie où il semble qu'ils ne sachent plus vivre qu'en chiens. L'Ecclésiaste semble appartenir à l'un de ces époques. Écoutez les litanies de ce désenchanté : « J'ai vu le juste périr dans sa justice et le méchant prolonger ses jours dans son indignité... J'ai vu que tout travail, et toute habileté dans le travail, n'est que jalousie de l'homme à l'égard de son prochain... J'ai encore vu sous le soleil que la course n'est point aux agiles, ni la guerre aux vaillants, ni le pain aux sages, ni la faveur aux savants... Le juste et le méchant périssent également... À quoi sert à l'homme tout son travail, la recherche de la sagesse ou de la justice ?... Tout est vanité et poursuite du vent... J'ai reconnu qu'il n'y a de bonheur pour l'homme qu'à se réjouir et à se donner du bien-être pendant sa vie, car pour tous ceux qui vivent il y a de l'espérance et même un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort. »

Nous aussi nous avons vu tout cela, et pis encore. Nous avons vu la brutalité et l'injustice triompher, nous avons vu l'échelle des valeurs renversée : la vérité, l'amour, la paix bafoués et le mensonge, la haine, la violence exaltés ; nous avons vu le sage, l'homme de bien, le savant mourir dans l'indigence et dans l'oubli, la faveur aller aux histrions et les chiens vivants se disputer les dépouilles des lions morts. Nous avons vu le courage succomber sous la ruée de meutes affamées ; mais nous l'avons vu aussi, ce courage, s'écouler du cœur de notre peuple épuisé par de tragiques saignées et fissuré surtout par l'atmosphère desséchante de ces années où un vent de folie emportait les hommes et les égarait dans une fureur de jouissance sans frein. « L'égoïsme ça ne paye pas !... », pensait-on, « à moins qu'il ne s'agisse de celui des autres. » Chacun n'avait plus qu'un souci : se faire une place au soleil, s'assurer une existence confortable à l'abri du danger. C'était la sagesse ! En fait de sagesse, il paraît que le peuple de la logique et du bon sens n'a jamais mieux déraisonné. Aujourd'hui, l'humanité tout entière - semble-t-il - s'est fait une âme cynique. Elle se moque et du bien et du mal. Elle a pour le vice le sourire de l'indulgence ou de la complaisance, et pour la vertu celui de la pitié. Veule ou sauvage, elle ne cherche que la satisfaction de ses appétits : la niche et la pâtée, âprement défendues contre tous les intrus dépourvus et faméliques, et conquises par tous les moyens : ici par la ruse, la rapine et la force brutale, là par l'acceptation du collier et de la laisse.

L'Église des héros et des martyrs semble, elle-même, avoir subi la contagion de cette veulerie. Certes elle a su, ici ou là, en certaines circonstances, opposer la loi de l'Évangile à la pression du monde et aux exigences des Césars qui la voulaient courber. Mais elle ne s'est pas dressée tout entière contre les ennemis du Christ. Il s'est créé un christianisme plat, servile et complaisant qui a subordonné les ordres de son Chef aux règles de l'intérêt, et qui a cherché à sauver sa vie, sans redouter de perdre son âme ; un christianisme peureux et timide, attentif à ne pas compromettre sa situation par ses incartades ou son intransigeance. Le souci de paraître large, tolérant - et intelligent ! - a même contribué à créer un certain protestantisme qui se flatte de tout comprendre, tire gloire de ses célébrités - fussent-elles détachées de lui - plus que de ses héros, raille lui-même son passé, l'austérité de ses mœurs et la rigidité des vieilles consciences huguenotes réputées ennuyeuses, ridicules, voire même hypocrites, parce qu'elles gênent et jugent. On a fait ainsi un christianisme sans grandeur et sans vertu qui, pour garder ses privilèges et se faire valoir aux yeux des hommes, se discrédite aux yeux de Dieu. Or, quand l'Église se laisse gagner par le monde, au lieu de pénétrer le monde de l'esprit du Christ, quand elle se tait, à l'heure où son Chef est attaqué, et s'incline devant ses adversaires, quand, au lieu d'inspirer et de diriger les grands mouvements de pensée et d'action qui tendent à libérer l'humanité de ses servitudes, elle se contente de les suivre de loin, lorsqu'elle ne les freine pas, de cette Église qui chante encore la gloire de ses martyrs, mais ne se sent plus le goût de les suivre, on peut bien dire - et c'est le moins qu'on puisse dire - que dans la lutte pour la paix, la justice, la vérité et dans la défense des valeurs chrétiennes, aujourd'hui si dangereusement Menacées, elle ne fait pas figure de lion.

Tout l'Évangile du Christ donne un démenti à la parole du sage dont notre temps a fait sa philosophie. Les chiens vivants meurent un jour, quand même ; mais ils meurent dans la peur et l'abjection et, de ce qu'ils furent, il ne reste que des cadavres. Les chiens, même vivants, sont déjà des morts. Les lions, même morts, sont encore vivants. « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera. »

Un peuple ne vit vraiment que par ses héros, humbles ou glorieux, vivants ou morts, par ceux de ses fils en qui, dans les temps de déchéance et d'abjection, refleurissent les vertus héroïques qui firent jadis sa grandeur. Ceux-là forment l'élite qui sauve les nations aux heures désespérées. Ils sont, dans notre monde, le sel qui le préserve encore de la totale corruption. Or, le trépas lui-même n'éteint pas leur action. Nous vivons tous, aujourd'hui, de forces et de richesses que de grands morts nous ont laissées, et leur esprit vivant nous parle et nous anime. Les héros tombés le long du chemin, penseurs et savants, inspirés et prophètes, nourrissent et protègent nos âmes. Le bénéfice de leur labeur et de leur sacrifice s'étend même à notre vie physique, préservée ou délivrée de terribles calamités par les travaux où se sont épuisés des chercheurs disparus. En sorte qu'aujourd'hui, de cyniques jouisseurs et de veules honnêtes gens peuvent se donner du bon temps et se féliciter d'être encore « chiens vivants », parce que des lions sont morts.

Ce n'est pas, en effet, dans l'au-delà seulement que vivent et agissent ces héros tombés, mais sur la terre, dans le visible. Leurs œuvres les suivent ; leur esprit, dans la mesure où il sut s'attacher à ce qui reste incorruptible, trouve toujours à s'incarner et à revivre. Des ruines d'Israël et de Juda ne subsiste aujourd'hui que l'esprit des prophètes, seul vivant et vivifiant, et les personnages les plus puissants et les plus glorieux de leur époque n'échappent à l'oubli que par le reflet dont cet esprit les éclaira.

Si le Protestantisme a tenu ferme dans la tourmente, s'il reste encore debout, c'est que nos Réformateurs et nos martyrs, « en vrais lions », surent lutter, souffrir et mourir. Et combien d'entre nous, en des jours de défaitisme et de lâche abandon, se trouvent ranimés et ramenés au combat par l'esprit d'un aïeul, d'un ami, d'une mère, de cette invisible armée de fidèles témoins, que l'élan de leur mort a portés devant nous pour être, désormais, nos guides et nos entraîneurs !

Si l'Évangile est sorti vainqueur de toutes les tempêtes, c'est que des disciples, des apôtres, en chaque génération, se sont levés, ont combattu et sont tombés afin que le Christ règne. Et depuis vingt siècles bientôt, au-dessus des ruines mortes de civilisations englouties, de trônes et de régimes écroulés, de doctrines et de philosophies en poussière qui avaient cru pouvoir le mépriser ou l'écraser, le Crucifié, méconnu et bafoué, règne toujours et « demeure le même hier, aujourd'hui, éternellement ».

Ces lions morts restent les grands vivants, les vivants éternels. Leur pouvoir n'est pas éteint et leur voix fait encore trembler les méchants. S'ils ne savaient pas qu'ils sont vivants et, pour eux, redoutables, les méchants ne s'efforceraient pas d'étouffer leurs voix. Ils ne chercheraient pas à museler ou à domestiquer des lions qui ne seraient, à leurs yeux, que lions morts.

Hélas ! Ce n'est pas toujours dans l'âme et par le labeur de leurs descendants que se poursuit l'œuvre de grands ancêtres. Les lions morts ne se réincarnent pas en des chiens vivants. Ils cherchent d'autres héritiers. Il y a des peuples dont le nom n'évoque qu'un grand passé, et dont le passé seul est vivant aujourd'hui et, seul, digne de vivre. Voudrions-nous, en tant que peuple, en tant qu'Église, être de ceux qui ne sont encore vivants que par leurs morts ?

La Vérité, la Justice, l'Amour se feront jour nécessairement, fatalement, avec nous ou malgré nous, ou contre nous parce qu'ils sont éternels, parce qu'ils sont de Dieu. Mais ils pourraient, pendant longtemps, subir une éclipse qui laisserait notre terre plongée dans d'affreuses ténèbres. Si nous voulons, pour notre génération et pour celles qui montent dans notre peuple et dans le monde, sauver la justice aujourd'hui foulée aux pieds, la Vérité étouffée, la Liberté menacée par l'anarchie ou écrasée par l'oppression, l'Amour bafoué par les doctrines de violence et de haine qu'on veut nous imposer, si nous voulons retrouver ces saintes réalités qui font les âmes fortes et vivantes et, par leur vertu, arracher notre peuple à cette veulerie de chien couchant où on s'efforce de le conduire et de le maintenir pour le mieux asservir, il nous faut, dès maintenant, chercher en Christ - « le seul nom qui ait été donné aux hommes, par lequel ils puissent être sauvés » - la source de l'héroïsme. Pour s'approprier le courage du lion, il y a des peuplades sauvages qui mangent son cœur. Le temps est venu pour nous de « manger du lion ». Celui que l'Écriture appelle « le lion de Juda » n'a pas dédaigné de se servir de ce symbole. Il nous invite toujours à nous nourrir de son Esprit qui régénère les cœurs, comme par la transfusion d'un sang nouveau, et leur communique l'héroïsme de la foi, avec ses saintes audaces, et celui de l'amour qui supporte tout, mais ne capitule jamais.

L'héroïsme chrétien ne s'impose guère à l'admiration des hommes par des prouesses et des actions d'éclat qui frappent les regards. Il se manifeste dans une ardeur résolue et constante, hardie sans témérité, audacieuse sans provocation. Il a horreur des bravades et de la forfanterie. Il répugne à toute ostentation et se revêt toujours d'humilité. Il s'exprime dans une attitude de fidélité inébranlable à l'égard de Christ. Il consiste à être simplement nous-mêmes, en tant que ses disciples, devant Dieu et devant les hommes, quoiqu'il arrive et quoiqu'il puisse nous en coûter. Encore faut-il agir en conséquence et, dans ce but, dénoncer le mal partout où il se trouve, travailler à l'extirper de toutes nos forces. Cela ne nous est pas toujours possible dans les circonstances actuelles, du moins pouvons-nous dresser contre lui cette résistance de l'esprit qui crie sa protestation indignée devant les crimes de la violence, oppose aux menées de l'ennemi et à ses tentatives de corruption son refus obstiné et têtu, et constitue une réprobation pour lui et pour ceux qu'il entraîne. Il se peut bien que cet héroïsme attire sur nous la colère des hommes et que nous ayons à souffrir, mais c'est le propre de l'héroïsme chrétien de se manifester dans la douleur, dans la défaite, à travers les humiliations, sous les insultes et sous les coups, et c'est alors qu'il est vainqueur, comme il le fut devant le Sanhédrin et le Prétoire où le condamné apparaît comme le juge, et sur le Calvaire où le Crucifié demeure l'éternel Vivant.

Cet héroïsme n'a pas pour le soutenir la puissance des armes, celle de la ruse ou de l'habileté ; il prend force dans la faiblesse, dans la simplicité. Il n'explose pas en éclats soudains et isolés, suivis bientôt de tristes et humiliantes retombées. Il ne doit rien aux circonstances, aux événements dont le choc produit une exaltation éphémère, qui jette un homme hors de lui-même. Au contraire, il exige la possession, la maîtrise de soi. Pourtant, c'est dans le renoncement à soi-même qu'il trouve sa forme la plus austère, mais la plus haute et la plus pure. Il n'y a pas là de contradiction, car on ne renonce qu'à ce qu'on possède. Apprenons donc, pour renoncer à nous-mêmes, à nous posséder, pour nous donner, à nous recueillir, complètement, sans rien oublier ni dissimuler, sans mettre à part quelque richesse en vue d'une utilisation égoïste ou d'un bénéfice personnel. Si, à l'heure du « don de nous-mêmes nous retenons encore quelque chose, notre cœur s'attachera à ce capital en réserve sur lequel nous fonderons et nous organiserons notre vie. L'héroïsme chrétien, c'est de tout donner et de se donner tout entier. Il nous fait peur cet héroïsme obscur et dépouillé. Nous ne voulons pas comprendre que ce dépouillement nous comble, que ce don de nous-mêmes nous permet de nous retrouver dans une plénitude de forces et de richesses insoupçonnées. Nous préférons attendre des autres les renoncements nécessaires, escomptant qu'ils nous sauveront par surcroît. Peut-être, en effet, les sacrifices des autres suffisent-ils à nous sauver quand seule notre existence matérielle est en péril, mais quand notre vie morale et spirituelle est en danger, quand il s'agit du salut de notre âme ou de l'âme de notre peuple, il faut payer de notre personne. Il faut accepter de perdre pour gagner, de perdre ses biens afin de devenir riche pour Dieu, de perdre sa liberté pour la sauvegarder, de perdre sa vie pour la sauver.

L'héroïsme ne s'élève à cette hauteur qu'à la condition de tirer sa force de la foi et de l'amour. Notre foi, c'est la certitude que la vérité, la justice, la paix, la fraternité sont l'ordre, le régime normal d'une humanité normale - encore qu'elle n'ait jamais connu ce régime - et qu'en dépit de toutes les perturbations actuelles et malgré les abominations qui contredisent notre foi, cet ordre s'établira parce qu'il est voulu de Dieu. Notre foi, c'est la certitude qu'au-dessus de cet océan d'iniquités, de mensonges, de haines qui submergent le monde, Dieu est là quand même, qu'Il règne quand même et que son heure viendra. Notre foi, c'est la certitude, fondée sur des faits, que tout ce qui s'édifie, ici-bas, sans Dieu ou contre Dieu s'écroulera un jour, tandis que tout ce qui s'édifie avec lui, par lui et pour lui subsistera toujours. Si nous n'avons pas cette foi, alors nos Églises ne seront jamais que des instituts de morale utilitaire où se formeront des sages à la manière de l'Ecclésiaste, qui sauront tenir le milieu entre le vice et la vertu et tirer le meilleur parti possible des circonstances et des événements pour se donner du bon temps, dans le respect des convenances et de la légalité. Mais ces Églises ne seront plus chrétiennes ; elles ne pourront rien apporter aux hommes qu'ils ne connaissent et ne pratiquent déjà, pour leur malheur ; elles ne sauront qu'enfoncer davantage, dans une veulerie dont il meurt, un monde qu'elles n'auront pas su transformer et qui les aura perverties. Mais Dieu est là ! C'est notre foi, et dans cette foi nous retrouvons la source des vertus héroïques. La présence du Héros qui, dans le combat « pour nous lutte sans cesse », nous communique une assurance et une audace tranquilles, qui nous permettent d'affronter tous les périls. À travers les privations, les dépouillements, dans les chaînes, le fidèle, soutenu par cette présence, chante :

Ta grâce est la plus forte
Et ton royaume est pour les tiens.

Pourtant, si l'héroïsme naît de la foi, la foi exige un acte de courage préliminaire. Beaucoup se plaignent de ne pas l'avoir reçue, comme si elle n'était qu'un privilège réservé à quelques élus, alors qu'ils ont toujours reculé devant le renoncement qu'elle exige pour naître. Et demandent à Dieu : « Donne-nous la foi, alors nous trouverons le courage de vivre héroïquement. » Dieu leur répond : « Trouvez, d'abord, le courage d'accepter les exigences de l'Esprit, ayez l'audace du pas décisif, de l'élan qui brise les liens des esclavages terrestres, et la foi vous sera donnée. » Mais ils ne veulent pas entendre cette réponse de Dieu. Que de chrétiens - de nom - restent ainsi aux frontières de la foi et se complaisent dans l'imprécision de demi-certitudes qui leur permettent de faire figure de croyants, sans engager pleinement leur coeur et leur vie ! Nos Églises meurent de cette veulerie qui laisse le champ libre à la puissance du mal.
Retrouvons le courage de la foi, l'audace de croire ! Il le faut ! Alors, à ce courage, la foi donnera cette sérénité tranquille et cette grandeur qui font sa noblesse, cette résistance ferme et constante qui s'appuie sur des certitudes, cet héroïsme qui permet d'affronter les périls et les épreuves et de rester inébranlable dans la persécution, dans l'abandon, la solitude et jusque dans la défaite. Les chiens peuvent parfois trouver une sorte de courage dans le nombre ou dans la présence et l'appui de leur maître, mais l'héroïsme qui permet à un homme de faire face, seul, contre des meutes humaines déchaînées, c'est celui de la foi.

Et voici que l'amour fait cet héroïsme victorieux et conquérant. Celui qui triomphe par la force brutale ne peut qu'humilier et porter des blessures qui empoisonnent de rancune le cœur de l'adversaire. Mais celui qui lutte en esprit d'amour, à travers les doctrines détestables de l'ennemi et ses gestes barbares, cherche son âme, peut-être abusée ou avilie qui, dans sa déchéance, reste pourtant fille de Dieu. Il souffre lui-même des coups qu'il doit porter ; il frappe, mais pour libérer ; il « blesse et meurtrit, mais pour vivifier. Vainqueur, il n'écrase pas mais relève, et la chaleur de son amour, à travers les rigueurs de sa justice, apporte à l'adversaire humilié un espoir de régénération. Vaincu, il l'oblige à se juger lui-même, le conduit à douter de la justice de sa cause et parfois à reconnaître dans sa victoire apparente une défaite réelle. Seul l'amour désarme les mains et gagne les cœurs.

Cherchons en Christ la foi source de l'héroïsme et l'amour qui le rend vainqueur ! Il les donne en surabondance à tous ceux qui font de son Esprit leur nourriture, lui le Vainqueur du Calvaire qui a dressé, avec le bois de sa Croix, l'inébranlable barrière contre laquelle se brisent les plus formidables ruées de la puissance du mal. Là, sur la Croix, se manifeste glorieusement le pouvoir de la foi et de l'amour. Là éclate la sublime grandeur de l'héroïsme chrétien. Là, derrière la Croix, nous n'avons rien à redouter, ni la ruine, ni la persécution, ni la mort. Le Vainqueur est avec nous, Sa voix rassurante nous répète : « Ne crains point, crois seulement... je suis avec toi. » Non seulement nous n'aurons rien à craindre, mais nous pourrons tout oser avec lui, pourvu qu'il soit là. Alors les semeurs de haine et d'iniquité, les corrupteurs, les lâches, les chiens trouveront des lions vivants sur leur chemin et reconnaîtront en eux l'esprit du Chasseur de démons. Et si nous devons succomber dans la lutte, Dieu sera là pour relever ceux qui tombent et les emporter dans son ciel, où ils se joindront aux phalanges invisibles qui inspirent, animent et vivifient ceux qui poursuivent sur la terre le bon combat. Ainsi les hommes, les chiens eux-mêmes, connaîtront que les lions ne meurent pas.



Pour aller plus loin

  • A.-N. Bertrand, P. Vergara et G. Vidal, Voix chrétiennes dans la tourmente, 1940-1944, 1945, Paris, 192 pages, recueil de 15 prédications prononcées à l'Oratoire du Louvre durant l'Occupation (lire en ligne)


Lecture de la Bible

Un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort.

ECCLÉSIASTE, IX, 4.

Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera.
MARC, VIII, 34.