Transformations de l'Oratoire du Louvre après 1789

Pasteurs Athanase Coquerel père et fils

Le premier pasteur de l’Oratoire, Paul-Henri Marron était assez libéral, de même que ses collègues lors de la recréation de l’Église réformée à Paris après l’édit de tolérance. Le protestantisme et les Lumières ont des affinités importantes, mais les protestants d’alors ne sont pas allés en général jusqu’à réduire la foi à un ensemble de préceptes moraux et d’opinions relatives, même si ce libéralisme extrême existait chez certains.

Après 1815, des missionnaires anglais sont venus en France prêcher un Réveil dans une église protestante dont ils jugeaient la foi endormie par les Lumières. Il est alors apparu un courant "évangélique" qui va s’opposer fortement aux "libéraux".

Le libéralisme sera d’abord opprimé par le courant évangélique qui était parvenu à être légèrement majoritaire dans le consistoire de Paris. Les pasteurs Coquerel père et fils sont des acteurs importants de ces débats au sein du protestantisme du XIXe siècle. Ils font partie de ces pasteurs qui prêchent l’Évangile et la liberté. De sorte que parmi les paroissiens de l’Oratoire, les libéraux étaient majoritaires et dès que les paroisses purent choisir enfin leurs pasteurs librement, l’Oratoire put devenir un pôle du christianisme libéral (et social).

Athanase Coquerel (1795-1868)

Né à Paris en 1795, Athanase Coquerel vient d’une famille janséniste originaire de Rouen, les du Fossé. Son père avait épousé la fille d’un officier anglais qui avait secouru les Coquerel pendant leur séjour outre-manche. ÀA la mort de sa mère Athanase Coquerel est élevé par une tante, miss Williams, une unitarienne cultivée, dont l’influence a été déterminante sur lui et sur son frère Charles.

Après des études de théologie à Montauban, il est nommé pasteur à Guernesey, mais il refuse le poste afin de ne pas avoir à signer les 39 articles de l’Église anglicane. Le 2 novembre 1817 il prêche à l’Oratoire pour le troisième centenaire de la Réformation. Son sermon, qui a été publié, annonce un grand orateur. Venu en Hollande pour donner quelques prédications dans les églises Wallonnes, il va y rester douze ans. En 1830 le baron Cuvier, directeur des cultes non catholiques, le décide à accepter la suffragance du pasteur Marron, il devient titulaire du poste à la mort de celui-ci, lors de l’épidémie de choléra de 1832.

Nouveau pasteur à Paris, il va déployer une activité intense. Pédézert, l’un de ses adversaires théologiques et qui était un pionnier du Réveil, engagé en même temps que lui au service de l’Église de Paris, a reconnu dans ses mémoires Cinquante ans de souvenirs religieux que Coquerel «a eu pendant de longues années le plus grand auditoire protestant de la capitale et - qu’il a apporté dans la chaire des convictions aussi sincères et aussi vives que Frédéric Monod ». Coquerel a effectivement rempli les temples de l’Oratoire et de Sainte-Marie et il a créé le troisième lieu de culte de la ville, le temple des Batignolles en 1835.

« Après l’avoir entendu, dit l’un de ses détracteurs, on est plus disposé à dire bravo qu’amen ». La notoriété exceptionnelle d’A. Coquerel soulève des jalousies. Il est élu à l’Assemblée constituante en 1848 et en 1849 à l’Assemblée législative. Ses dernières années sont attristées par les rivalités ecclésiastiques entre orthodoxes et libéraux. Le consistoire lui refuse l’assistance d’un suffragant de son choix. Il meurt après une attaque de paralysie en janvier 1868. Son enterrement se fait sans bruit, sans faste, dans le recueillement et l’amitié. Son dernier sermon, le 1160e, a été donné à l’Oratoire le Vendredi-saint 1867.

Même ses adversaires ont été unanimes à rendre hommage à ses qualités et à ses talents. Parmi ses nombreux écrits mentionnons : L’Orthodoxie moderne, Réponse à Strauss après sa Vie de Jésus, Le christianisme expérimental, Une christologie, Un traité sur la prédication. Il a fondé successivement trois journaux : Le Protestant, Le Libre Examen et Le Lien.

Le témoignage du très orthodoxe Jean Pédézert n’est pas sans intérêt : « Frédéric Monod et Athanase Coquerel ont fait leurs débuts ensemble à l’Oratoire ; ils ont été collègues et adversaires dès les premiers jours. Ils ont été des hommes de lutte... Ils étaient deux causes et deux hommes. Le choix n’est pas difficile entre les deux causes ; on se décide bien vite pour l’une ou pour l’autre ; il n’est pas aussi aisé entre les deux hommes, car ils agissaient et parlaient selon qu’ils étaient persuadés, et ils l’étaient pleinement chacun à sa manière. Au lieu de se prononcer entre les deux consciences, mieux vaut les honorer l’une et l’autre ».

Athanase Coquerel n’a jamais varié sur le plan théologique. Il appartient au courant pré-libéral. Le pasteur A.-N. Bertrand place fort judicieusement A. Coquerel parmi les supranaturalistes-rationalistes « qui se distinguent de l’orthodoxie par la méthode plus que par leurs conclusions et par leur tempérament plus encore que par la méthode... Au lieu d’étudier l’histoire, ils la reconstruisent ». Coquerel conserve une bonne partie de la doctrine orthodoxe. Pour lui la réflexion théologique a pour but de reconstruire le plan de Dieu dans la création et la rédemption du monde. Cette démarche est supranaturaliste puisqu’il s’agit d’accorder la foi et la raison avec les faits. Cette pensée, assez difficile à cerner pour nous aujourd’hui, n’a subi ni l’influence de Kant, ni celle du Réveil. Coquerel a dit par exemple : « Je suis sûr de l’existence de mes semblables parce que je les aime. »

Les représentants de cette tendance ont une ouverture d’esprit et un souffle religieux qui annonce une autre forme du libéralisme : refus de l’argument d’autorité, piété dégagée de tout formalisme, distinction entre la croyance et le dogme, doctrine nécessaire mais non suffisante. Le tort de cette méthode a été sans doute de vouloir établir rationnellement et une fois pour toutes quels sont les besoins de l’esprit humain et les caractères du vrai christianisme.

Avec Athanase Coquerel fils, la pensée libérale sortira du cadre étroit du supranaturalisme rationaliste et trouvera un nouvel équilibre qui permettra de mieux rendre compte de l’Évangile. La pensée d’Athanase Coquerel père marque une étape importante, mais dépassée, dans le cheminement du libéralisme religieux. Mais n’oublions pas le mot d’A.-N. Bertrand : « Ce que l’on sait et ce que l’on croit dépend de ce que l’on vaut ». La dette, que l’église de l’Oratoire a auprès des Coquerel père et fils est, dans ce domaine aussi, immense.

Athanase Coquerel fils (1820-1875)

Athanase Josué Coquerel, né à Amsterdam le 16 juin 1820, est le fils aîné du pasteur Athanase Laurent Charles Coquerel. Après des études de théologie à Genève, il est consacré au ministère pastoral en 1843 par son père, en présence de 68 pasteurs, à Nîmes où le Consistoire vient de l’appeler. Il remplace son père comme aumônier au lycée Henri-IV en 1848 et devient en 1850 le suffragant du pasteur Martin-Paschoud qui a usé toutes ses forces à porter le flambeau du christianisme libéral à Paris.

Sa vaste culture littéraire et théologique ainsi que des dons oratoires exceptionnels font très vite d’Athanase Coquerel le prédicateur le plus suivi de Paris. En 1863, son sermon sur la solidarité chrétienne entraîne un tel enthousiasme que la collecte en faveur des ouvriers cotonniers de Seine-Maritime dépasse 15 000 francs. Ses prédications sur la tradition protestante, les minorités chrétiennes et l’unité de l’Église, abordent des questions fondamentales et plaident la cause d’une plus grande largeur de vues.

Mais l’activité incessante et le rayonnement d’Athanase Coquerel ne sont pas du goût de tout le monde. On lui reproche d’avoir dit : « Ma première objection contre les confessions de foi (obligatoires), c’est qu’elles m’éloignerait de Jésus-Christ... Il n’y a de sincère et suffisante que la confession de foi qu’on se fait à soi-même. Que chacun se fasse la sienne ». Le professeur de théologie Pedezert qui rapporte ce propos reconnaît qu’il s’agit « d’une parole loyale et sympathique », mais redoute qu’avec « ce généreux individualisme » il y ait des chrétiens, mais qu’il n’y ait plus d’Églises chrétiennes.

Établir l’unité de l’Église chrétienne sur une confession de foi obligatoire est l’obsession de l’orthodoxie protestante pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Progressivement le parti orthodoxe devient majoritaire dans le consistoire de Paris sous le Second-Empire. Coquerel, que ses adversaires saluent eux-mêmes comme un homme modéré, pacifique, bienveillant et chaleureux n’a guère prêté le flanc à la critique. En 1864 le consistoire lui interdit la chaire sous prétexte de rétablir l’unité doctrinale en refusant de renouveler sa suffragance. Il ne s’agit pas, comme on l’a dit à tort, d’une destitution puisqu’Athanase Coquerel n’est pas titulaire d’un poste. Refuser à une fraction très importante de l’Église de Paris un pasteur suffragant de son choix va conduire à une situation d’autant plus invraisemblable que tout le monde va s’en mêler, y compris les pouvoirs publics puisque nos Églises ne seront séparées de l’État qu’en 1905.

Pour les orthodoxes il s’agit de combattre « l'erreur » au nom de la vérité, pour les libéraux il s’agit d’assurer à chaque tendance une juste représentation. Les uns et les autres sont sincères. Comme on ne peut pas reprocher grand-chose à Athanase Coquerel, on critique surtout ses amitiés.

Son association d’anciens catéchumènes (il y en aura près de cinq cents) fait concurrence au diaconat. Il a écrit dans Le Lien un article qu’on trouve trop élogieux à propos de La Vie de Jésus de Renan. Coquerel ne répond pas aux observations du Consistoire qui, à son avis, empiète sur sa conscience de pasteur. Enfin il a cédé la chaire de l’Oratoire aux pasteurs Colani et Réville. Le consistoire qui a manifesté des tendances inquisitoriales ne s’attend probablement pas à déchaîner un tollé quasi-général. Une pétition en faveur d’A. Coquerel regroupe près de 5 000 signatures.

Il m’a été donné de la retrouver... au fond d’une cave ! N’hésitez pas à venir consulter ces listes vénérables à mon bureau. Vous trouverez quelques grands noms de l’époque : Eugène Pelletan, Broca, Ferdinand Buisson, Jules Simon, la marquise de La Rochefoucauld-Liancourt. Un formulaire est imprimé : « Nous, sous-signés, membres de l’Église réformée, au nom de la liberté de conscience, protestons contre l’exclusion de M. le Pasteur Athanase Coquerel fils. » Les signatures autographes sont déposées à l’agence de l’Union libérale, 5 rue des Beaux-Arts. En 1864 une liste des protestataires est publiée. On reprochera aux libéraux d’avoir accepté les signatures des femmes, de quelques luthériens, de membres de l’Église n’habitant pas Paris. Pédésert dans ses Cinquante ans de souvenirs religieux trouve regrettable que l’on accorde de l’importance à l’opinion « d’un savetier, d’un forgeron, d’un tailleur ou d’un cordonnier ». Ceux-ci avaient cependant autant de bon sens qu’un vieux théologien quelque peu pharisien, et ils avaient sans nul doute davantage que lui le sens de l’équité.

Athanase Coquerel va continuer à prêcher en dehors de l’Oratoire. Des salles sont louées rue de Grenelle, Saint-Germain, boulevard Richard-Lenoir, enfin à la Cité d’Antin où la Salle Saint-André accueillera de vastes assemblées. En 1868 il est secondé par les pasteurs Dide et Grawitz. Coquerel et les nombreux fidèles qui le suivent affirment toujours qu’ils ne veulent à aucun prix se séparer de l’Église réformée. La Sainte-Cène n’est jamais célébrée dans les salles qui vont s’ouvrir, aucun baptême ne sera pratiqué, aucun catéchumène ne sera reçu. On retourne pour ces cérémonies à l’Église officielle. Le pasteur Martin-Paschoud, privé de son suffragant, sera mis à la retraite pour raison de santé. Sur son refus, il est révoqué, puis maintenu en place par le ministre des cultes. Il deviendra même président du consistoire à la mort d’A. Coquerel père, en raison de son ancienneté. La situation devient de plus en plus confuse avec un consistoire orthodoxe présidé par un libéral. La salle Saint-André regroupe des auditoires de plus en plus nombreux. Trois Écoles du dimanche sont ouvertes. La rivalité entre orthodoxes et libéraux se poursuit pendant le siège de Paris : il y aura des ambulances libérales, au nombre de quatre, et des ambulances orthodoxes !

Paradoxalement A. Coquerel est plus que jamais pasteur de l’Église de Paris à partir du vote funeste du 14 février 1864 qui lui retire toute fonction officielle. Exclu des temples parisiens, il est appelé à occuper la chaire d’un grand nombre d’Églises et chargé de présider à des consécrations de pasteurs et à des dédicaces de lieux de culte : Nîmes, Le Havre, Montauban, Strasbourg, Dieppe, Nancy, Royan, Clairac, Tonneins, Poitiers. Il parcourt l’Europe et les États-Unis. Candidat républicain malheureux à la députation, il obtient cependant plus de 67 000 voix.

Tout le temps sur la brèche, Coquerel, travailleur acharné, n’arrive plus à se rétablir d’une phlébite. Il meurt d’une embolie, le 24 juillet 1875, alors qu’il séjourne chez sa sœur à Fismes, dans la Marne. Son testament précise : « J’interdis absolument pour mes funérailles un service religieux dans un temple quelconque, toute invitation à qui que ce soit et je demande instamment que le pasteur se borne à dire : "Dieu est Esprit et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité. Nos légères afflictions du temps présent produisent en nous le fruit éternel d’une gloire infiniment excellente." Amen. Après quoi il récitera l’oraison dominicale seule ».

Il est difficile de présenter l’ensemble des écrits d’A. Coquerel, dont la production littéraire est considérable. Indépendamment d’une contribution à divers journaux et de nombreux recueil de sermons, ses meilleurs volumes sont : Catholicisme et protestantisme, La Conscience et la Foi, L’Histoire du Credo. De ses nombreuses publications historiques, signalons Jean Calas, son Précis de l’histoire de l’Église réformée de Paris, les Forçats par la foi. Auteur d’un recueil de cantiques intitulé Solennités chrétiennes, il a écrit tout aussi bien sur la topographie de Jérusalem que sur l’affranchissement des esclaves aux États-Unis. Critique d’art, il a publié : Des Beaux-Arts en Italie, Rembrandt et l’Individualisme dans l’Art.

Voyageur, artiste, théologien, prédicateur, écrivain, polémiste, un homme de cette stature ne peut laisser indifférent ni ses contemporains, ni les hommes de notre temps. Ernest Renan a écrit à son sujet dans le journal des Débats : « Ce que M. Athanase Coquerel fils déploya dans son œuvre excellente de zèle, de bonne volonté, de loyauté, de talent, est au-dessus de tout éloge... Son instruction était extrêmement étendue, son goût littéraire fort exercé. L’histoire de l’art en particulier lui était familière; il connaissait l’Italie dans la perfection et il en a écrit dignement. Mais ce qu’il était éminemment, c’était pasteur. Il semblait né pour le soin des âmes ; il tenait cet art d’une longue tradition et le maniait avec dextérité et tact admirables. C’est là une aptitude toute spéciale, qui ne saurait s’acquérir. Le talent, la bonne volonté, le génie même n’y suppléent pas. Il faut en faire son œuvre, s’y dépenser tout entier, négliger le reste... Beaucoup le suivaient parce qu’ils voyaient bien qu’il avait raison; d’autres parce que la règle de sa vie et le don de séduction par la bonté qu’il possédait à un si haut degré les entraînaient... Son christianisme était le vrai, c’était celui du Sermon sur la Montagne, la doctrine de l’adoration en esprit et en vérité... Peut-être son attitude militante ne lui permettait-elle pas cette patience, à laquelle les spéculatifs se résignent facilement sans qu’il y ait à cela grand mérite de leur part. »

Philippe Vassaux

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