Temples faits de mains d’hommes : ineffable patrimoine

Actes 17:22-34

Culte du 16 septembre 2018
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

Dieu n’habite pas ici !

Dieu n’habite pas dans les temples faits de main d’homme. Alors que nous nous réunissons pour louer Dieu dans les temples chaque dimanche, Paul, exaspéré par la multiplicité des sanctuaires qu’il découvre à Athènes, soutient que ce n’est pas là qu’il faut le chercher, quitte à adopter les codes religieux des Athéniens. Paul explique aux Athéniens, quand il prononce son discours au milieu de l’aréopage, que le Dieu du ciel et de la terre n’est pas enfermé entre quatre murs. Extraordinaire communiquant, Paul se sert d’une chose qu’il a remarquée, en passant devant les multiples temples dédiés à des divinités du panthéon grec : il existe un temple au Dieu inconnu.

Cette découverte donne à Paul l’opportunité de parler de son Dieu et de le faire entrer dans cette place qui n’est encore attribuée à aucun Dieu connu. Puisque qu’il y a un vide, Paul va tenter de l’occuper avec le Dieu de Jésus Christ. La tentative est audacieuse. Paul ne doute pas que les Grecs puissent croire qu’enfin, le dieu inconnu a trouvé un nom : le Dieu d’Israël, d’Isaac et de Jacob, le Dieu du changement radical, apporté par un homme qu’il a relevé d’entre les morts. Dans son discours, Paul use du langage propre à le rapprocher des philosophes d’Athènes. Pour parler du Dieu créateur, il se garde bien de parler d’Adam, et parle plutôt d’un « être » qui serait à l’origine de toutes les nations humaines. Il parle, non pas de promesse, ni d’accomplissement, mais plutôt de « temps fixés » et de « limites »; reprenant ainsi les grandes catégories de la pensée : le temps et l’espace.

Si le dieu inconnu est maître de ces catégories et s’il est créateur du ciel et de la terre, alors, sans doute sera-t-il digne d’intérêt pour les sages qui siègent à l’aréopage. Paul ne parle pas non plus de foi ni de justification de l’homme pécheur, mais d’un Dieu qui crée l’homme pour qu’il le cherche. Tout en doutant qu’on parvienne, même en tâtonnant à le trouver. On est loin du Paul convaincu, exalté par la présence de Dieu en lui. Paul s’adapte. Peut-être même jusqu’à la démagogie. Mais l’idée qu’il veut faire passer ne passera pas. La résurrection ne séduit pas l’aréopage. Le ressuscité ne prendra pas la place du dieu inconnu.

Paul se retrouve seul; l’auditoire s’en va et le texte signale que, quand même, quelques-uns s’attachent à lui et notamment un certain Denys L’Aréopagite que le Moyen Âge a voulu confondre avec le philosophe mystique de l’ineffable, théologien qui ne nommait Dieu que par des formules négatives. Mis à part ces rencontres, dans l’ensemble, c’est un ratage. Les Athéniens garderont leur panthéon et continueront à garder une place pour le dieu inconnu, pour éviter d’offenser un dieu par ignorance de son existence. Pourtant, Paul est allé très loin sur le terrain des Grecs auxquels il s’adresse. Il cite l’oeuvre d’un poète originaire de la même région que lui, la Cilicie : Aratos de Soles, auteur du poème sur l’astronomie et la météorologie : les Phénomènes. Il cite particulièrement ce ver : Nous sommes aussi de sa lignée. Dans le poème, il s’agit de la lignée de Dieu. Et ce n’est pas un hasard si Paul choisit ce poème. En effet, une partie du poème est consacrée à la théorie de la catastérisation.

Derrière ce mot compliqué se cache en fait une idée très poétique selon laquelle les choses, les personnes ou les êtres mythologiques peuvent se métamorphoser en constellations ou en étoiles, atteignant ainsi l’immortalité. Ce n’était pas une idée isolée et originale chez Aratos de Soles : les Pythagoriciens, par exemple croyaient, à l’immortalité astrale. Par bien des côtés, Paul rencontre les problèmes de tout prédicateur, de tout croyant parlant de son Dieu. Comment dire l’ineffable? Comment décrire et faire connaître ce Dieu, que personne n’a jamais vu, qui ne parle qu’à travers les mots humains, qui s’est voulu caché, et dont pourtant tant d’hommes ont le sentiment de la présence. Les Athéniens ont une façon trop anthropomorphique de comprendre leurs dieux pour entendre ce que Paul leur dit. La création par le souffle divin, l’immortalité par la résurrection, la prédiction d’une fin du monde, toutes ces notions vont à l’encontre d’une conception trop humaine de la divinité.

Dès que Paul parle de la résurrection d’un homme envoyé par Dieu, les Athéniens s’en retournent à leurs affaires. Qu’est-ce que cette histoire aurait d’intéressant si ce Jésus n’est pas un héros ? Et si le monde des morts et celui des vivants s’entremêlent, que reste-t-il de la notion de divin ? Paul représente, par son discours, la confusion des genres. Il mêle l’infini de Dieu à la limite de l’espace où vivent les hommes, il parle d’un temps fixé où s’accomplirait l’oeuvre d’un Dieu éternel. Il parle d’un Dieu inconnu et qu’il faut chercher tout en disant de lui qu’il est révélé aux hommes. Bien sûr, les dieux grecs descendent de temps en temps dans le monde des humains pour se jouer d’eux, ou profiter de leur charme, mais croire en un dieu qui se fait homme pour revenir à une deuxième vie parmi les hommes, c’est un peu difficile. Décidément, Paul avait raison, Dieu n’habite pas dans les temples. Et même les temples grecs sont trop étroits pour contenir le divin. Comment se laisserait-il contenir dans des murs de pierres ?

Pourtant, les Grecs comme les Chrétiens ont construit des temples pour rendre un culte à leurs dieux. Dans quel but ? Comment parler de l’infini dans un lieu limité par des murs ? Comment imaginer rencontrer Dieu plutôt dans un temple ou une église qu’au contact du ciel, du vent ou de la mer ? Peut-être les murs et leur architecture ne nous apprennent-ils pas grand chose sur ce qu’est Dieu ni sur ce qu’il est vraiment. Peut-être même, est-ce dans les temps troublés où les croyants persécutés n’ont plus de temple pour prier leur Dieu, qu’ils se rapprochent le plus sûrement de ce qu’il est vraiment pour eux; comme ces « parpaillots », papillons de nuit enveloppés dans leur capes noires, allant à la nuit tombée prier dans des cultes clandestins au creux des montagnes cévenoles, bravant l’interdiction de culte et risquant leur liberté ou leur vie pour quelques psaumes et quelques paroles édificatrices.

Là, dans le vent, sous les châtaigniers, ils avaient sans doute le sentiment d’être infiniment proches de ce Jésus désarmé, sans nulle part où reposer sa tête, n’ayant pour armure que sa parole de foi. Pourtant, toujours les Huguenots, en France, comme dans les pays de refuge, se sont battus pour obtenir qu’on leur donnât un lieu de culte et qu’on les laissât prier, chanter, et méditer la Bible dignement, entre quatre murs. Pourquoi, alors que ce qu’ils professent c’est que chacun a une relation intime et directe avec Dieu, ont-ils cherché à gagner ces murs autour d’eux pour le prier ? Pourquoi cet entêtement de la part de ceux qui savent si bien célébrer les mariages dans les champs de blé, rendre grâce à Dieu pour la résurrection de leur défunts directement dans les cimetières, et organiser leur culte quotidien dans leur salon avec leur voisins ?

C’est peut-être que les murs ne sont pas de simples cloisons pour les protéger du monde. Sans doute les murs de nos temples ont ils une fonction plus forte que la seule protection des intempéries et des bruits du monde qui nous entoure. Le lieu dans lequel nous nous trouvons dit, par sa particularité même, le parcours de foi de tout un peuple de croyants qui ont été tour à tour accueillis, déménagés, frappés d’interdit, puis installés, là où les autorités civiles ou religieuses voulaient bien qu’ils soient. Ballotés au gré de la grande histoire. Venir prier ici, dans l’Oratoire du Louvre, c’est venir entre des murs qui ont entendu prêcher le Cardinal de Bérulle, sur le néant de l’homme capable de Dieu. C’est s’asseoir dans des stalles qui étaient déjà là-bas, dans l’église Saint Louis du Louvre pour les obsèques d’Anne d’Autriche. C’est penser à ces protestants patients, acceptant de récupérer les églises que les autres n’utilisaient plus, à condition qu’on les laisse enfin exister librement et légalement.

C’est imaginer les décors de de l'Opéra, du Vaudeville et du Théâtre Français, stockés entre ces murs avant que l’on décide que le lieu deviendrait le temple protestant de l’oratoire du Louvre. Les murs de pierre, malgré leur solidité et leur noblesse, signifient parfois la précarité de ceux qui les habitent. Toujours nomades, comme installés dans un camp provisoire, les protestants comme tous les croyants se savent de passage, dans ces lieux comme dans cette vie. Mais ils transportent avec eux un bagage symbolique qu’ils montrent à leurs enfants et transmettent d’âge en âge comme un patrimoine immatériel. Installer sa prière, son chant ou sa prédication entre les murs d’un temple pour louer Dieu, revient peut-être, par bien des côtés, à parler aux murs. Et c’est ce qui leur donne leur importance. « Car les murs, ma foi », comme le disait le psychanalyste Jacques Lacan dans son intervention à Sainte Anne : « c’est fait pour entourer un vide ». Oui les temples sont vides, comme le disait Paul aux adorateurs d’idoles, au sens où Dieu n’habite pas plus en eux qu’ailleurs, dans le monde.

Mais ce vide est comme le Dieu inconnu des Athéniens, plus signifiant que la profusion de toutes les statues de vénération des saints accumulées en d’autres lieux. Ériger quatre murs quelque part, et déclarer que là se tiendra un culte rendu à un Dieu invisible et inconnu, c’est faire de ce vide un espace de conversion possible. Un espace, justement. Un lieu où l’homme se confronte à ce qui est vide en lui. Paul, à la suite du prophète Jérémie, en reprenant une image stoïcienne, ne dit-il pas que nous sommes des vases d’argile dans la main d’un potier qui nous modèle autour de ce néant si constitutif de nos existences?

Pierre de Bérulle définit l’homme comme: « composé de pièces toutes différentes. Il est miracle d’une part, et de l’autre un néant. Il est céleste d’une part et corporel de l’autre. C’est un ange, c’est un animal, c’est un néant, c’est un miracle, c’est un centre, c’est un monde, c’est un Dieu, c’est un néant environné de Dieu, indigent de Dieu, capable de Dieu et rempli de Dieu s’il veut … » Tel Jésus au désert entre les anges et les bêtes sauvages, nous venons dans les temples éprouver notre capacité à résister au néant. Mêlant nos voix à l’unisson d’un cantique, d’une prière, ou écoutant le filet de voix d’un prédicateur appelé à annoncer une parole de grâce qui l’excède par son caractère infini, nous venons écouter l’écho que les murs nous renvoient de nous-mêmes, de notre condition humaine, de notre recherche de divin dans un monde qui le nie et, en même temps, cherche à toute force à lui ressembler. Ce vide est bénéfique pour qui veut entendre une parole divine, pour qui veut s’élever jusqu’à la colombe de l’Esprit Saint qui vole immuablement au-dessus de nous. Car enfin, la dérisoire tentative de représentation de Dieu se tait.

Les idoles se brisent en nous et nous voilà devant le Dieu inconnu, toujours à rencontrer, toujours à chercher. Non pas entre ces quatre murs, mais en nous-mêmes, fragiles vases d’argiles modelés par une parole de grâce qui résonne mais ne parvient jamais tout à fait à nous transformer : « tu es mon enfant bien aimé, en toi je me complais ». Croire que Dieu puisse se complaire en nous. Croire que nous avons en nous de la place pour Dieu, que le creux si constitutif de notre existence puisse être la condition bénie et nécessaire pour recevoir le divin, voilà le défi de toute prière dans le vide de nos temples. Réunis comme les amphores vides dans la cale d’un navire qui n’aurait rien à apporter au monde, nous venons sous les voûtes en berceau nous reconnaître pour ce que nous sommes : vides pour accueillir Dieu. Et même dans le geste d’un sacrement comme le baptême ou la sainte cène, que partageons-nous sinon ce manque de Dieu en nous ? Cet inaccessible divin. Entre ces quatre murs, les paroles résonnent et l’écho des voix humaines transporte un peu de la parole créatrice d’un Dieu qui tente de se faire connaître de nous.

D’ailleurs ici, dans cet édifice, nous ne sommes pas entre quatre murs, mais au milieu de mille lignes qui dessinent un espace complexe, fait de d’une multitudes d’espaces. Les architectes du 17ème siècle étaient les géomètres de la gloire silencieuse de Dieu. Chaque pierre taillée, ici, a la rigueur d’une formule mathématique. C’est ce qui donne à ce lieu son autorité. Ineffable patrimoine. Quand nous nous battons pour nos lieux de culte, ce ne sont pas les temples en eux-mêmes que nous voulons garder, conserver ou posséder, ce sont les espaces infinis qu’ils créent et qui nous créent. Un lieu pour dire en creux ce que nos mots peinent à nommer. Un lieu où nous pouvons croire que tout ressuscite dans l’amour infini de Dieu.

Quand « un jour vaut mille ans », quand le ciel et la terre se rejoignent, quand les anges et les bêtes sauvages servent le même Seigneur, que « le jour l'annonce au jour et que la nuit l'explique à la nuit , ce n'est pas un langage, ce ne sont pas des paroles, on n'entend pas leur voix », dit le psalmiste. Et pourtant quelque chose se transforme en chacun, du petit enfant au vieillard. Non, Dieu n’habite pas les temples faits de mains humaines, mais, oui, il passe, tel le souffle dans les tuyaux du grand orgue, dans ces lieux vides, pour convertir en nous le néant en grâce.

Amen

Lecture de la Bible

Actes 17/22-34

22 Debout au milieu de l'Aréopage, Paul dit : Hommes d'Athènes, je vois que vous êtes à tous égards extrêmement religieux.
23 En passant, en effet, j'ai observé vos objets de culte, et j'ai même trouvé un autel avec cette inscription :

« A un dieu inconnu. »Ce que vous vénérez sans le connaître, c'est cela même que, moi, je vous annonce.
24 Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s'y trouve, lui qui est le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite pas dans des sanctuaires fabriqués par des mains humaines ;
25 il n'est pas servi par des mains humaines, comme s'il avait besoin de quoi que ce soit : c'est lui qui donne à tous la vie, le souffle et toutes choses.
26 D'un seul être il a fait toutes les nations des humains, pour que ceux-ci habitent sur toute la surface de la terre, dans les temps fixés et les limites qu'il a institués,
27 afin qu'ils cherchent Dieu, si tant est qu'on puisse le trouver en tâtonnant. Pourtant il n'est pas loin de chacun de nous,
28 car c'est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes. C'est ce qu'ont également dit quelques-uns de vos poètes :

« Nous sommes aussi sa lignée. »

29 Si donc nous sommes la lignée de Dieu, nous ne devons pas penser que la divinité soit semblable à de l'or, à de l'argent ou à de la pierre sculptés par l'art et l'imagination des humains.
30 Sans tenir compte des temps d'ignorance, Dieu enjoint maintenant à tous les humains, en tous lieux, de changer radicalement,
31 parce qu'il a fixé un jour où il va juger toute la terre habitée selon la justice par un homme qu'il a institué, et il en a donné à tous une preuve digne de foi en le relevant d'entre les morts.

32 Lorsqu'ils entendirent parler de résurrection des morts, certains se moquèrent et d'autres dirent : Nous t'entendrons là-dessus une autre fois.
33 Ainsi Paul sortit du milieu d'eux.
34 Quelques-uns néanmoins s'attachèrent à lui et devinrent croyants ; parmi eux Denys l'Aréopagite, une femme nommée Damaris, et d'autres encore.

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