Temple de Dieu

I Corinthiens 13:16-17

Culte du 21 octobre 1945
Prédication de André-Numa Bertrand

Prédication donnée à Lausanne en septembre 1945 et à l'Oratoire le 21 octobre 1945

 
Le temple de Dieu... Cette parole nous étonne au premier abord.  Il ne semble pas en effet que Dieu soit le premier objet que l'homme rencontre en lui-même et que, lorsqu'il prend connaissance de lui-même, son être intérieur lui apparaisse sous l'aspect d'un sanctuaire. Le jeune homme, ou la jeune fille, qui arrive à l'âge de raison, ou l'homme qui s'arrête un instant dans le tumulte de l'activité et qui se regarde lui-même et réfléchit à ce qu'il est, s'apparaît plutôt à lui-même sous l'aspect d'un champ de bataille où des forces, des désirs, des passions peut-être s'agitent et se pénètrent. Son âme est un chaos dans lequel ce que nous appelons l'éducation, consiste à mettre un peu d'ordre, à hiérarchiser, à subordonner les forces les unes aux autres. Quel est celui qui ne pourrait dire comme le démon chassé par Jésus : « Je m'appelle Légion », je suis une foule de tendances, d'esprits divers qui se heurtent et se combattent, et je me cherche moi-même -à travers cette jungle où mon âme se débat.

Et l'Apôtre dit paisiblement, tranquillement comme la chose la plus simple, la plus évidente du monde Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu ? Mais cela, il ne le dit pas à celui qu'il appelle « l'homme naturel », il le dit au chrétien, à l'homme qui a mis de l'ordre dans sa vie et qui l'a construite, édifiée, comme nous disons, à celui qui porte en lui l'Esprit de Jésus-Christ. Cette parole n'exprime pas un privilège que nous possédions par droit de naissance, mais une vocation qui nous est adressée et à laquelle il faut répondre.

Une présence surnaturelle, adorable, est offerte à tout homme ; mais le chrétien a sur les autres ce privilège qu'il le sait, car la vie et la mort de son Sauveur lui ont révélé la grâce prévenante de cet amour qui le cherche, et qu'il ne peut rencontrer ailleurs que dans les profondeurs de sa personnalité. Le Temple, ce lieu sacré où Dieu l'attend, c'est lui-même ; qu'il édifie donc dans son cour ce sanctuaire intime. Vous êtes le temple de Dieu; ce n'est pas l'expression d'un état de nature dans lequel nous n'avons qu'à nous installer de plein droit, c'est l'expression d'un devoir ou plus exactement d'une vocation, car ce temple il faut le construire, sur le seul fondement qui puisse être posé : Jésus-Christ.

Tel est l'esprit dans lequel nous voudrions aujourd'hui accueillir la parole qui nous est adressée non comme l'annonce d'une dignité dont il faudrait s'enorgueillir, niais comme l'appel à un labeur de l'âme sans lequel nous savons bien que nous ne réalisons ni notre vocation de chrétiens, ni même notre devoir d'hommes.

La première chose qui s'affirme ainsi, c'est le caractère incurablement personnel, intérieur, direct, de toute action de Dieu s'exerçant sur nous. « Vous êtes le temple de Dieu ». Ainsi le lieu où s'accomplit la rencontre avec Dieu, il est là, au plus intime de nous-mêmes. On nous dit bien que Dieu a d'autres temples, que les splendeurs de la nature, la majesté du ciel étoilé, comme dit le philosophe, nous incitent aussi à l'adoration, en sorte que le monde extérieur peut aussi devenir un temple où nous rencontrons Dieu. Et certes le chrétien ne méconnaît pas la valeur religieuse de ces impressions, il sait que la prière jaillit spontanément devant certains spectacles, il sait surtout qu'il est bon pour lui d'être ramené au sentiment de sa petitesse, de sa médiocrité devant la majesté de la création et la puissance infinie du Créateur; mais il. sait aussi que toute la beauté du monde n'est que l'image et le symbole de l'invisible beauté du monde des âmes, que pour le conduire vers Dieu il faut d'abord qu'elle le prépare ainsi à accueillir Celui qui est plus grand que le monde. Car la prière, la communication avec Dieu, ont besoin d'un sanctuaire plus intime; la beauté du monde nous conduit à Dieu parce qu'elle nous ramène d'abord à nous-mêmes, à notre misère actuelle et à notre vocation éternelle.

Et il en est de même des temples que les hommes élèvent pour y chercher Dieu avec leurs frères. Ils sont les refuges que notre faiblesse construit pour échapper au tumulte du monde et à la pression des réalités matérielles ; les mots que nous employons pour dire ce que nous y cherchons : « se recueillir », « rentrer en soi-même », révèlent la nécessité pour l'âme qui cherche Dieu, d'un sanctuaire dont le temple de pierre n'est que l'image et où se réalise notre rencontre avec Dieu. Ce sont choses si évidentes que l'on se demande pourquoi nous avons tant de peine à comprendre que c'est là et non ailleurs que Dieu nous attend, que Dieu nous appelle ; n'est-ce pas simplement parce que notre être intérieur n'est pas ce qu'il doit être, puisque, nous le disions au début, en rentrant en nous-mêmes nous n'avons pas l'impression d'entrer dans un sanctuaire mais parfois dans une caverne ou dans un taudis ou plus souvent dans un espace vide où notre appel ne reçoit aucune réponse ; et nous ne savons pas que tout ce désordre au milieu duquel nous avons la prétention de trouver Dieu, tout ce tumulte, ce n'est pas nous, ce n'est pas notre véritable personnalité, notre être tel que Dieu le voit, tel que Dieu le veut, ce n'est que la surface de notre âme, les scories, les déchets de notre vie intérieure ; mais ce que Dieu a créé en nous, ce qu'il a lui-même appelé à l'être, c'est le temple où se réalise notre rencontre, notre contact avec Lui.

Et c'est pourquoi la seconde affirmation de notre texte, c'est le caractère sacré du temple intérieur. Si nous voulons que la parole de l'Apôtre devienne pour nous une réalité, il fait veiller au respect qui est dû au temple intérieur ; il faut se rappeler que toute âme d'homme est un lieu sacré sur lequel nous avons le devoir de veiller. On a beaucoup parlé, ces dernières années, du respect dû à l'âme humaine, et certes avec raison, car jamais nous n'avions assisté à une violation à ce point cynique des valeurs spirituelles, à un pareil mépris pour la personne humaine ; mais la dignité de ma personne, le respect dû à mon âme, a un ennemi plus terrible que les régimes totalitaires ou les maîtres qui veulent la violenter ; et cet ennemi, c'est moi. C'est moi qui permets au péché de m'enlever ma couronne, comme dit l'Écriture, de retirer à mon âme son caractère sacré. Est-ce que l'homme traite son cœur, et par conséquent la vie dont il est la source, comme une chose sacrée, est-ce qu'il se respecte lui-même ? Vous savez bien que non. La vocation religieuse de l'homme est universelle et si j'ose dire invincible, son âme est toujours un temple, mais dans ce sanctuaire où il devrait adorer le Dieu invisible et vrai, il installe des idoles, il adore les faux dieux : l'argent, la force, et peut-être même les idoles immondes de la luxure ; parfois aussi des dieux plus nobles et plus purs, l'intelligence, la beauté, l'art, des réalités admirables en elles-mêmes mais humaines encore et qui doivent rester à leur rang, et n'usurper pas la place qui appartient à Dieu seul. Voilà ce qui encombre notre vie et qui domine notre cour, voilà ce que nous installons au centre de cet être intérieur que Dieu a créé pour être son Temple.

Et l'idole la plus redoutable que l'homme puisse dresser dans le temple de Dieu, c'est lui-même. Parce que l'Esprit de Dieu demeure en lui, il confond sa propre voix avec la voix de l'Esprit ; parce que Dieu l'a honoré de sa salutaire présence, il se croit l'auteur de son propre salut; de même que beaucoup d'hommes aiment mieux le temple que le Dieu qu'on y adore, qu'ils ont plus d'amour pour leur Église ou pour leur secte que pour Jésus-Christ, pour les pierres de leur temple que pour l'Esprit de Dieu, ils pensent que leur âme est revêtue d'une valeur divine, alors qu'elle est seulement le vase d'argile dans lequel nous recevons le trésor éternel. L'homme se fait Dieu ; et je ne parle pas ici de quelques fous qui peuvent se croire appelés à gouverner le monde, je pense à tant de croyants sincères mais égarés par une folie d'orgueil, qui ne distinguent plus leur propre parole de la parole de Dieu, qui confondent l'ombre avec la réalité, l'enveloppe avec le trésor, et le respect dû à l'âme humaine comme temple du Dieu vivant avec l'adoration qui n'est due qu'à Lui seul. De là vient la passion sectaire, le fanatisme religieux qui est une déviation du respect dû au temple intérieur : le fanatisme est une idolâtrie, car l'homme peut faire des idoles avec tout, avec lui-même, avec ses doctrines, avec sa liberté intérieure, avec son Église, ce qu'il appelle Dieu et qui n'est qu'un faux dieu dépouillé de son amour et de sa sainteté.

C'est là ce que saint Paul appelle « détruire le temple de Dieu » ; car ces idoles qui ne peuvent répondre aux besoins éternels du cœur de l'homme, nous les abandonnons les unes après les autres, de jour en jour, nous en changeons, laissant celle-ci, prenant celle-là, en sorte que notre âme, souvent désaffectée, n'est plus qu'un espace vide où souffle le vent de la mort. Et c'est alors qu'éclate sur nous, comme un coup de tonnerre, la condamnation de l'apôtre « Si vous détruisez le temple de Dieu, Dieu vous détruira aussi » ; et cela est vrai à la lettre r exclure Dieu de notre cour et de notre vie, c'est nous en exclure nous-mêmes. L'homme n'est vraiment lui-même, il n'est vraiment homme, dans le sens que ce mot peut prendre dans les intentions de Dieu, que lorsqu'il est le temple de Dieu; c'est sa propre personnalité qui s'écroule si le temple s'écroule lui-même.

La piété, c'est-à-dire le sens de la présence de Dieu dans notre vie et la réponse à sa vocation, n'est pas seulement une chose à laquelle nous avons recours dans les grandes crises de notre vie, une force dans la douleur, une bénédiction sur nos joies ; elle est le fond même de notre vie, et de notre personnalité. C'est elle qui donne à notre personnalité sa charpente intérieure, si j'ose ainsi dire, et c'est elle qui donne à toute notre vie, à nos joies comme à nos souffrances, à nos tendresses comme à nos solitudes, une gravité, une profondeur qu'elles ne peuvent avoir lorsqu'elles n'apparaissent pas dans la lumière de l'Éternité. Notre être intérieur perd sa consistance lorsqu'il ne s'appuie plus sur rien, lorsque nous laissons se créer pour nous- une de ces vies décousues, où chaque jour tombe au néant sans rien laisser derrière lui où le souvenir puisse se prendre, parce qu'il n'est qu'une suite de vanités. Ainsi notre personnalité tombe en lambeaux parce qu'elle s'est éloignée du Dieu de Jésus-Christ, parce qu'elle n'a pas construit sur le seul fondement qui puisse être posé, à savoir Jésus-Christ.

« Dieu vous détruira » : l'Apôtre aurait aussi pu écrire, Dieu nous laissera nous détruire nous-mêmes : car lorsque l'homme est abandonné à lui-même, lorsque l'Esprit de Dieu n'habite plus en lui, comme dit notre texte, il ne peut que déchoir, décliner peu à peu, sa personnalité qui croit s'affirmer dans la prétention de son indépendance et de son autorité s'effrite au contraire et se détruit de jour en jour. Tandis que la personnalité chrétienne se renouvelle de jour en jour, la personnalité de l'homme qui a détruit le temple de Dieu ou chassé Dieu du sanctuaire intérieur, se détruit, et la destruction aboutit à une déshumanisation. Nous ne le voyons que trop dans un monde où les personnalités véritables deviennent rares dans la mesure même où les hommes détruisent en eux et dans leurs frères le sanctuaire intérieur. Terrible châtiment d'une humanité à qui l'histoire même de ces dernières années semble redire avec force la parole tranchante de l'apôtre : « Si vous détruisez le temple de Dieu, Dieu vous détruira ».

Levons-nous donc, Chrétiens, et bâtissons, dans un monde où tant de forces destructrices sont à l'œuvre ; relevons le temple de Dieu, d'abord en nous-mêmes ; ne nous laissons pas détacher de notre foi et de notre vie chrétienne. En la sauvegardant, c'est nous-mêmes, j'entends l'existence de notre être véritable, que nous sauvegardons. En nous demandant d'être le temple de Dieu, l'apôtre ne nous pousse pas à l'orgueil, au contraire, il nous pousse à être les humbles sanctuaires dans lesquels se réalise notre communion avec Dieu, c'est-à-dire notre humble acceptation de sa volonté souveraine et notre abdication devant Lui.

Efforçons-nous aussi de construire parmi les autres et pour les autres. Les hommes manquent à notre époque dans la mesure même où Dieu manque; rétablissons donc le seul fondement sur lequel un temple de Dieu puisse être bâti, Jésus-Christ, et comme dit l'Apôtre, édifions-nous dans le Sauveur, construisons une Église dont nous serons les pierres vivantes, et qui répondra à notre vocation éternelle, à ce que Dieu attend de nous.

Alors nous aurons donné toute sa signification vivante à la parole de l'apôtre. « Vous êtes le temple de Dieu », c'est l'expression de notre vocation éternelle ; « ce temple de Dieu est sacré », c'est l'expression de notre responsabilité vis-à-vis de nous-même et de notre maître ; « si vous détruisez ce temple, Dieu vous détruira aussi », c'est la vision du dilemme qui nous est proposé, construire ou renverser, mourir ou vivre.

Mon Frère, ma Sœur, Dieu a mis devant toi l'édification ou la ruine, la vie ou la mort : choisis la vie afin que tu vives

Ainsi soit-il.

Lecture de la Bible

Vous êtes le temple de Dieu.

I Corinthiens 13:16-17