Apportez vite la plus belle robe et mettez-la-lui ; mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds

Luc 15:11-32

Culte du 29 juillet 2018
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Quand le fils revient chez son père après avoir dilapidé son héritage, il confesse son péché : « Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. » On pourrait attendre du père des paroles de réconfort, des paroles pour atténuer la honte de son fils. Un pardon donné. Mais le père ne parle pas à ce fils qu’il avait perdu et qu’il croyait peut-être mort. Comme si la confession du péché du Fils n’était pas entendue, comme si aucun commentaire sur l’attitude du Fils ne devait venir gâcher ces retrouvailles: le Père ne dira rien à ce Fils qu’il vient de retrouver . Il le prend dans ses bras sans lui adresser la parole. Quand il parle, c’est à ses esclaves : il leur donne des ordres pour revêtir cet homme qui revient dans un piteux état. Tant que l’apparence du Fils sera celle du pécheur qui confesse son indignité, le Père se démènera pour lui redonner une dignité. Cela ne souffre aucune discussion. C’est son fils qui rentre. Et pour le moment, son apparence n’est pas conforme à sa qualité de fils. Le Père doit remettre de l’ordre dans ce chaos que le fils semble porter sur lui. C’est cet acte de revêtir le fils qui devient parole de pardon, absolution, réintégration. Le père transforme le fils en lui donnant de nouveaux vêtements.

Le vêtement de l’alliance

Que lui donne-t-on comme nouvelle parure ? D’abord, la plus belle robe. Il s’agit sans doute de la robe qui descend jusqu’aux pieds, celle qu’on revêt pour les fêtes. Celle qui est trop longue pour qu’on travaille avec elle. Dans l’antiquité, les riches maîtres avaient une garde-robe pour revêtir leurs invités d’habit de fête. Donner une telle tunique à son fils, c’est lui dire son amour filial. Dans la Génèse, Jacob donne aussi une tunique à Joseph. Voici ce que dit la Génèse :

3 Israël aimait Joseph plus que tous ses autres fils, parce que c'était un fils de sa vieillesse. Il lui avait fait une tunique multicolore.
4 Ses frères virent que leur père l'aimait plus qu'eux tous, et ils se mirent à le détester. Ils ne pouvaient lui parler sans hostilité. Génèse 37, 1-4

Pour montrer sa préférence et son attachement à Joseph, Jacob n’hésite pas à lui donner une tunique multicolore, un vêtement hors du commun et très précieux parce que fait de plusieurs étoffes de couleurs différentes, ce qui nécessitait un long travail de confection et de teinture et donc un prix élevé. Évidemment, ce signe extérieur de richesse va susciter la jalousie des autres frères qui finiront par le laisser pour mort dans un puits. Dans le livre de Samuel, Jonathan va donner à David son vêtement, il va s’en dévêtir pour lui donner en signe d’attachement et d’amitié. Traditionnellement, lors des noces, l’époux devait donner une robe à l’épouse, en signe d’alliance.

L’alliance comme un vêtement

Le père du fils perdu s’attache de nouveau à son fils par ce geste de donner une tunique. Il fait de nouveau alliance avec lui. Il dit, par cet acte, de revêtir, l’importance que son fils revêt à ses yeux: il l’investit du rôle de Fils bien aimé qu’il n’aurait jamais dû perdre. Le texte dit de cette tunique qu’elle est προτη ce qui peut vouloir dire qu’elle est la plus belle de la garde robe du père, mais peut-être aussi qu’elle est la première de toutes. En tout cas, ce terme tend à exprimer une hiérarchie : le fils devient le fils préféré ; ou bien ce terme exprime une chronologie : le fils revêt la tunique primordiale : ce qui pourrait vouloir rapprocher cet acte de revêtir le fils d’un acte originel, qui marque un nouveau début, une nouvelle vie, une nouvelle naissance.

Dans la Génèse, Joseph recevra une autre tunique importante pour une alliance tout aussi importante que celle qu’il vit déjà avec son père : c’est la tunique de lin fin qu’il va recevoir de Pharaon. Il est écrit dans la Génèse :

39 Le pharaon dit à Joseph : Puisque Dieu t'a fait connaître tout cela, il n'y a personne qui soit aussi intelligent et aussi sage que toi.
40 C'est toi qui seras intendant de ma maison, et tout mon peuple dépendra de tes ordres. C'est seulement par le trône que je serai plus grand que toi.
41 Le pharaon dit à Joseph : Regarde, je te nomme intendant de toute l'Egypte.
42 Le pharaon retira de son doigt la bague à cachet et la mit au doigt de Joseph ; il le fit revêtir d'habits de fin lin et lui mit un collier d'or au cou. Joseph est alors revêtu d’un vêtement royal.

Et il reçoit, comme il adviendra au fils perdu et retrouvé : un anneau. L’anneau que donne Pharaon est celui qui porte le sceau royal et qui permet de déposer le cachet royal sur les documents officiels. Dans le cas du fils prodigue, il s’agit d’une bague, mais on peut imaginer que c’est un bijou que le père détient dans son patrimoine et offre à son fils pour le replacer dans la filiation, dans son héritage, lui redonner un nom. Quant aux sandales, elles sont, elles aussi, signes d’alliance. La sandale est signe de possession. En effet, quand on rachète une terre ou une femme veuve pour acquérir son patrimoine et la protéger, comme le fait Booz dans le livre de Ruth, on place sa sandale sous la cuisse de celui avec lequel on contracte. D’autre part, arpenter un champ avec ses sandales, c’est montrer que ce terrain nous appartient. Ainsi, le fils qui revient et qui a pourtant déjà dilapidé son héritage, reçoit des sandales pour arpenter de nouveau les champs du père et profiter de nouveau de son patrimoine il n’est plus pieds nus il n’est plus pauvre, il possède une terre, il est enfin arrivé chez lui, c’est là son véritable héritage.

Revêtir et investir

Dans ce geste d’habiller le fils, on lit une volonté d’effacer la faute passée. Le père ne veut plus voir ce pauvre ère qui rentre chez lui comme un mendiant : mendiant de pain, mendiant de pardon, mendiant d’amour, mendiant de dignité. Il change l’apparence de son fils pour signifier qu’il veut changer de regard sur lui. Il crée l’image qu’il veut avoir de lui. Dans le livre du prophète Zacharie, dans une vision du prophète : Josué va être réhabilité comme grand prêtre, en présence à la fois de l’Adversaire (le diable), celui qui pousse à la faute, et du messager de Dieu. Et voilà ce qui est écrit:

3 Or Josué était habillé de vêtements sales, et il se tenait debout devant le messager.
4 Celui-ci dit à ceux qui étaient devant lui : Ôtez-lui les vêtements sales ! Puis il lui dit : Regarde, je t'enlève ta faute pour t'habiller de vêtements de fête.
5 Je dis : Qu'on mette sur sa tête un turban propre ! Ils mirent le turban propre sur sa tête et l'habillèrent avec les vêtements. Le messager du SEIGNEUR se tenait là. Zacharie 3, 3-5

Changer de vêtement pour changer de regard 

Pour changer de dignité, Josué a changé de vêtements. Son impureté s’en est allée avec ses vêtements sales. Il est lavé de sa faute. Ainsi, le pardon du fils, demandé explicitement, devient effectif par le regard du père posé sur lui. C’est le père qui choisit de faire grâce au fils, c’est lui qui choisit de le voir autrement. Bien sûr, il y a l’autre fils, le bon, celui qui n’a pas eu l’idée de partir avec son héritage, et qui est resté avec le père à le servir. Celui-là ne comprend pas la réaction du père. Il n’a pas entendu la confession du péché de son frère. Il ne le sait pas repenti et il ne voit que l’apparence nouvelle et avantageuse que lui a donnée son père. Il est resté dans l’idée que son frère est coupable. Pourtant, comment le père pouvait-il faire autrement ? Son fils était mort et il est revenu à la vie. Le fils aîné devrait se réjouir du salut de son frère. Car comme le dit le père : « il fallait bien se réjouir ». Comment ne pas se réjouir après une peur si grande, une perte si grande, une rupture si mortifère ? Comment ne pas être heureux de voir que son enfant est revenu à la vie?

Revêtir ou retourner sa veste ?

Quand nous lisons ces lignes, des histoires de famille nous viennent à l’esprit, des histoires de jalousie, de préférence, de réjouissances qui nous semblent indues. Des fautes passées que nous n’oublions pas et l’on a tôt fait de prendre le parti du frère sage. Quand l’Evangile nous parle de cette parabole de Jésus, c’est d’un changement religieux dont il parle. En effet, la série de paraboles « perdu et retrouvé » de l’Evangile de Luc est introduite par « tous les collecteurs des taxes et les pécheurs s’approchaient de lui pour l’entendre. Les pharisiens et les scribes maugréaient : il accueille les pécheurs et il mange avec eux ». Luc 15, 1-2

Les gardiens de la foi juive ne veulent pas voir les gens salis par le péché, partager le repas du salut. Ils ne comprennent pas que les collecteurs des taxes, ces collaborateurs de l’ennemi romain et les autres pécheurs,, se rapprochent de Jésus pour demander grâce et être sauvés. Les pharisiens et les scribes sont des fils aînés dans la foi, premiers héritiers de Dieu. Au lieu de partager la bonne nouvelle du salut, ils préfèrent maugréer et sont jaloux de ces pécheurs qui ressemblent tout à coup au Fils cadet du Père. Eux sont toujours dans l’observance, ils ne se sont pas égarés, ils ne sont pas perdus, ils ont a loi et les prophètes. Mais voilà, le messie vient précisément pour ceux qui se sont égarés, pour ramener les brebis perdues.

Tout se paye-t-il vraiment ?

N’est-ce pas la même chose dans toute famille ? N’y a-t-il pas toujours, le mouton noir, le vilain petit canard, celui dont il faut toujours payer les frasques ? N’est-ce pas normal de s’occuper d’avantage de celui qui risque le plus, qui s’est égaré et qui perd sa vie? Pour parler de la fortune du père, le texte de Luc utilise le mot βιον, ce qui signifie « les moyens de subsistance ».

Quand ces moyens de subsistance arrivent à manquer, n’est-ce pas normal d’aider et de sauver la vie d’un fils ? Un membre d’une famille qui perd ainsi sa vie à vouloir la vivre en excès est souvent la cause d’un déséquilibre profond pour tous les autres membres, mais c’est surtout le signe d’une fragilité plus grande de celui dont on dirait aujourd’hui qu’il « dysfonctionne ».

Dans le cas du fils prodigue, il reconnaît son tort, mais a-t-il changé profondément et durablement ? Personne ne le sait. Cette réhabilitation a de quoi scandaliser. C’est trop facile : il dilapide tout sans réfléchir, et revient quand il est arrivé au bout de sa logique. Comment lui faire confiance, qui paiera sa faute ?

Car c’est bien là qu’est le problème de la faute et du rachat. Il faut que quelqu’un paie. Et sortir de la logique de paiement nous semble injuste. Comment exonérer le Fils perdu de ce que lui a coûté sa façon de vivre ? Qui récupérera l’héritage dilapidé ? Comment réparer le préjudice ? Et maintenant qu’il est revenu, ce fils repenti, lui redonnera-t-on un nouvel héritage? Toutes ces questions sont légitimes dans une logique de paiement pour des biens que l’on pourrait posséder. Toutefois la logique qui régit la parabole que raconte Jésus n’est pas celle du paiement d’un bien, mais celle de la valeur de la vie.

Et ce n’est pas le Fils qui se donne cette valeur. La vie se reçoit toujours d’un autre de façon imméritée. Le véritable héritage qui ne peut être évalué en valeur financière c’est la vie même du Fils. Pas seulement le fait d’être vivant, mais le fait d’être vivant comme fils du Père.

Le vêtement des enfants de Dieu.

Dans cette parabole, l’important n’est pas de savoir si l’on est moralement bon, ni si l’on mérite l’alliance passée avec Dieu. L’important c’est de préserver la vie donnée par Dieu et le Père qui est témoin de la déchéance du fils et du risque qu’il prend à perdre sa vie, est aussi celui qui doit le sauver. Comment sauver celui qui s’égare et à quel prix? C’est la question que pose la parabole. Et elle y répond par ce geste de revêtir l’autre d’un vêtement de fête pour changer de regard sur lui. Espérer en lui, c’est l’aimer envers et contre tout.

Tous les parents qui ont vu un jour leur enfant risquer sa vie par des comportements dangereux, (violences, addictions, errances), connaissent ce changement de logique parce qu’ils y sont contraints. Le problème n’est plus de savoir si ce que l’enfant fait est bien ou mal, le problème est de savoir, comment le sauver.

Il est impossible de dire de quel point de vue est écrite cette parabole. Comme si un spectateur impartial regardait et racontait la scène. Dans cette parabole de Jésus, nous pourrions bien être tour à tour le Père inquiet pour la vie de son fils bien-aimé, le fils perdu qui attend des autres un regard salutaire, ou le fils aîné qui juge selon la logique du mérite, sans mesurer l’enjeu vital du pardon.

Croire au salut, d’après cette parabole, c’est croire que ce point de vue est possible. En l’adoptant, on abandonne le jugement, et l’on entre dans l’ordre de la foi.
Croire que Dieu fait grâce, c’est bouleverser l’ordre de la morale, de la vertu et même de la justice des hommes, pour défendre la dignité de toute vie.

Saviez-vous que le carat des diamants se mesurait en graine de caroube ?

AMEN

Lecture de la Bible

Luc 15/11-32

11 Il dit encore : Un homme avait deux fils.
12 Le plus jeune dit à son père : « Père, donne-moi la part de fortune qui doit me revenir. » Le père partagea son bien entre eux.
13 Peu de jours après, le plus jeune fils convertit en argent tout ce qu'il avait et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en vivant dans la débauche.
14 Lorsqu'il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à manquer de tout.
15 Il se mit au service d'un des citoyens de ce pays, qui l'envoya dans ses champs pour y faire paître les cochons.
16 Il aurait bien désiré se rassasier des caroubes que mangeaient les cochons, mais personne ne lui en donnait.
17 Rentré en lui-même, il se dit : « Combien d'employés, chez mon père, ont du pain de reste, alors que moi, ici, je meurs de faim ?
18 Je vais partir, j'irai chez mon père et je lui dirai : “Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi ;
19 je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ; traite-moi comme l'un de tes employés.” »
20 Il partit pour rentrer chez son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému ; il courut se jeter à son cou et l'embrassa.
21 Le fils lui dit : « Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. »
22 Mais le père dit à ses esclaves : « Apportez vite la plus belle robe et mettez-la-lui ; mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds.
23 Amenez le veau engraissé et abattez-le. Mangeons, faisons la fête,
24 car mon fils que voici était mort, et il a repris vie ; il était perdu, et il a été retrouvé ! » Et ils commencèrent à faire la fête.

25 Or le fils aîné était aux champs. Lorsqu'il revint et s'approcha de la maison, il entendit de la musique et des danses.
26 Il appela un des serviteurs pour lui demander ce qui se passait.
27 Ce dernier lui dit : « Ton frère est de retour, et parce qu'il lui a été rendu en bonne santé, ton père a abattu le veau engraissé. »
28 Mais il se mit en colère ; il ne voulait pas entrer. Son père sortit le supplier.
29 Alors il répondit à son père : « Il y a tant d'années que je travaille pour toi comme un esclave, jamais je n'ai désobéi à tes commandements, et jamais tu ne m'as donné un chevreau pour que je fasse la fête avec mes amis !
30 Mais quand ton fils que voici est arrivé, lui qui a dévoré ton bien avec des prostituées, pour lui tu as abattu le veau engraissé ! »
31 Le père lui dit : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ;
32 mais il fallait bien faire la fête et se réjouir, car ton frère que voici était mort, et il a repris vie ; il était perdu, et il a été retrouvé ! »

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