La racine d'un nouveau monde

Ésaïe 7:13-15 , Ésaïe 11:1-6

Culte du 3 décembre 2018
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

En ce premier dimanche de l’avent, nous avons entendu les paroles du prophète Esaïe. C’est sur fond de guerre que se développe l’annonce de la venue du Messie chez Esaïe. Jérusalem est aux prises avec les Assyriens. C’est de ce champ de bataille dévasté que sortira un rameau nouveau, un rejeton de la racine de Jessé.

Jessé le bethléhémite, le père du petit David, est un homme dont on ne sait rien, mais il va devenir celui qui porte la descendance qui sauvera Israël. Son nom est repris par le prophète Esaïe comme l’ancêtre du roi donné par Dieu pour sauver son peuple. Il faut dire que David est le roi choisi par Dieu pour remplacer le roi que le peuple avait voulu : Saül. En effet, aux temps des juges, les tribus jalouses des grandes nations voisines exigèrent un roi aussi prestigieux que ceux de leurs voisins, les Philistins, par exemple. Alors, ils demandèrent un roi pour régner sur toutes les tribus d’Israël. Auparavant, c’est Samuel, le grand prophète, qui faisait autorité en Israël ; c’était donc le pouvoir spirituel et la foi qui unissaient le peuple de Dieu, malgré les différentes tribus qui le composaient. Chaque tribu avait un juge et la justice était vue comme plus importante que la force militaire. La Bible raconte l’accession au pouvoir du premier roi d’Israël : Saül, comme une leçon de Dieu donnée à son peuple.

Dieu semble dire : « Le peuple veut un Roi fort ? Il va en avoir un ».

Et quel roi ! Saül est choisi contre toute attente. Et même si sa haute stature évoque l’orgueil du peuple qui veut avoir un roi qui en impose, cela ne suffira jamais à faire de lui un roi acceptable. Il va décevoir le peuple, il deviendra fou de jalousie, lui qui était arrivé au pouvoir par la jalousie du peuple envers les pays voisins. Et sa folie mettra au jour la folie du peuple qui voulut se faire aussi fort que Dieu, par manque de foi en ce Dieu qui leur donnait la justice. C’est là que Jessé entre en scène. Il est la racine de la royauté voulue par Dieu pour Israël, c’est parmi ses fils que le roi réellement voulu par Dieu pour son peuple sera choisi. Et cela, alors même que le Saul est encore roi ! Comme si Dieu rejouait l’usurpation dont il avait été victime. Dieu va lui-même usurper le pouvoir royal qu’il avait donné à Saül. Ainsi, de la racine de Jessé, va sortir un rameau qui va prendre le pouvoir sur le roi légitime.

La royauté toute humaine de Saül, figure des désirs de grandeur d’un peuple, va se trouver disqualifiée par le même Dieu qui l’avait installée au pouvoir. Et c’est le même prophète qui va, clandestinement, oindre le petit berger David chez son père : Jessé. La généalogie des rois d’Israël n’a rien à voir avec la dynastie qu’on aurait pu attendre. Pas de fils pour prendre la suite de Saül, mais un usurpateur qui va se faire aimer de Saül tout en lui prenant son trône. Ce n’est donc pas par l’engendrement que Dieu passe pour faire advenir son salut, mais par des choix inattendus. Des évènements inattendus et des vocations improbables. Le règne de Dieu s’incarne en un nouveau David, dit Esaïe.

La prophétie d’Esaïe est une pensée de l’attente. Attente d’un enfant, attente d’une nouvelle vie, attente de salut, attente d’un monde plus juste. C’est par un enfant providentiel que passe le salut promis. Et en lisant ces lignes, l’on pense à nos attentes qui semblent toujours les mêmes, d’âge en âge. Les revendications pour plus d’égalité, plus de bonheur, plus de paix, n’en finissent pas de résonner encore aujourd’hui. Et l’on attend à chaque élection, à chaque révolution, à chaque coup d’état, un humain qui incarnerait les aspirations de tous les humains.

Esaïe attendait un nouveau David, qui, comme David lui-même, aurait sur lui le souffle de Dieu, ce qui revient à dire l’âme de Dieu en hébreu et donc son onction sacrée. Quand en hébreu on parle d’âme, ce n’est pas de spiritualité dont on parle, d’idée ou de sentiment, mais de souffle vital, la respiration même de l’homme.

Le Sauveur attendu par le prophète Esaïe respire ce souffle de sagesse et d’intelligence, de conseil et de vaillance, de connaissance et de crainte de Dieu. Il est l’incarnation de Dieu sur Terre. C’est un Sauveur qui ne se laisse pas abuser par les apparences et qui juge avec justice sans s’occuper des rumeurs. Et c’est avec sa bouche ̶ comprenez : sa parole ̶ , qu’il règne. Ce n’est pas un roi fort, mais un roi sage. Il n’est pas vulnérable comme Goliath, mais audacieux et intelligent comme David. Un homme intègre, qui fait advenir un monde où les bêtes les plus féroces peuvent séjourner avec les êtres les plus fragiles. Voilà la vision du Sauveur que nous livre Esaïe.

Un monde sans prédation. Sans agression, sans désir de posséder ce que l’autre possède. Une utopie ? Sans doute. Mais la force de cette utopie est de montrer un autre chemin qui ne s’enracine pas dans la violence et la contrainte, ni dans le droit du sang, mais dans le symbole et le signe, dans l’esprit de sagesse. Dans la capacité à changer de paradigme. Quand Esaïe parle de ce « Dieu avec nous », de cet « Emmanuel » ; il le présente comme un « homme-signe » comme une parole vivante. Et ce signe s’incarne dans un enfant, dans un petit d’homme, un être en devenir, un être fait d’espérance et de fragilité, de puissance et de faiblesse, de croissance et d’inattendu. Un être dans le temps mais qui porte en lui l’éternité. Et la caractéristique de cet enfant, c’est qu’il naît d’une jeune fille.

Rien d’étonnant, me direz-vous, si ce n’est que la jeune fille dont parle Esaïe dans le chapitre 7 est bien une jeune fille considérée avant son premier enfant, c’est à dire qu’elle n’a connu aucun homme. Dans l’Evangile de Matthieu, on parle de cette même jeune fille, cette vierge, et ce n’est pas tant le caractère extraordinaire qui vient contrecarrer les règles de la gynécologie, qui ressort de cette précision sur la mère du Sauveur, que le caractère de nouveauté absolue qui en résulte. La jeune fille qui enfante le Sauveur n’a jamais enfanté. Le Sauveur vient comme un rejeton sur une terre vierge. Il est la nouveauté de Dieu.

Il n’y a pas d’histoire, de tradition, qui puisse rendre compte de cet événement : Dieu fait du nouveau. Ainsi, Jessé apparaît-il comme un nouveau personnage d’où naît une nouvelle royauté. La dynastie n’a pas de sens dans ce contexte. David n’est pas le descendant de Saül. C’est une royauté nouvelle, un changement radical, un règne d’un nouveau type. Dieu veut pour son peuple une conversion. Ainsi, le tronc de Jessé, le rameau dont nous parlent les Écritures est-il un rameau qui n’a rien à voir avec la preuve par le sang.

Ce n’est pas une dynastie qui donne le salut, c’est un rejeton, une nouvelle pousse inattendue, petite et fragile, mais c’est de la racine du tronc de Jessé, de son enracinement dans la foi en Dieu que se fait le nouveau monde promis et que s’invente un nouveau règne là où Dieu prend la liberté d’inventer. Notre sauveur Jésus-Christ naît comme cette nouveauté, sans se réclamer des liens du sang, mais uniquement de ceux de la justice de Dieu voulue pour l’homme. Sa généalogie s’invente dans le récit du salut voulu par Dieu pour l’homme.

Dans la généalogie de Jésus, on trouve des femmes et des hommes sauvés par leur justice : Ruth, la moabite qui veut aider sa belle-mère dans une solidarité à laquelle rien ne l’oblige, Rahab, la prostituée des murailles de Jéricho, qui fait un acte de bravoure en cachant des espions, au risque de sa vie, et d’autres encore, comme Booz, choisis pour signifier que la lignée du sauveur c’est la lignée dans laquelle on entre par un choix de vie, un engagement de foi ou une vocation à servir Dieu. Être de la famille des justes, voilà ce que nous demande Dieu en nous envoyant celui qu’il adopte dans sa lignée des justes : Jésus le Sauveur. L’Emmanuel annoncé par les prophètes. Partout nous sentons que des changements doivent arriver dans notre monde et que de nouvelles manières de vivre et de faire advenir la justice sont en germe. Sur les terres brûlées des guerres, sur les violences faites au nom d’une soi-disant légitimité divine, Dieu fait du nouveau.

Il couvre les hommes de son souffle pour une vie pacifiée entre les hommes, entre les hommes et les animaux, entre les hommes et toute la création. Voilà son salut : par les prophètes, il nous fait connaître ce qui peut nous sauver. Dans notre société, ces idées de paix, de non-violence, de justice sociale émergent. On voit fleurir des économies solidaires, des projets collaboratifs, des combats pour le respect des espèces animales, pour une nouvelle façon d’habiter la Terre. Nous parlons beaucoup du climat, du gaspillage des ressources naturelles, de la Terre qu’on surexploite, faisant beaucoup de mal à nos contemporains.

On parle aussi beaucoup du nombre d’humains qui s’accroît toujours sur la Terre et de ses ressources qui diminuent de plus en plus vite. Et devant cette réalité, les traditionnels discours sur la croissance, les rêves jaloux de conquête, qui ont eu leur grandeur en leur temps, ne semblent plus adéquats. Pourtant, à 25 jours de la naissance du salut, des femmes, des hommes et des enfants dorment sur les trottoirs de la plus belle ville du monde. Sous les vitrines de Noël, des familles installent leur matelas de fortune et se font une survie comme ils peuvent, dehors, dans le froid et la pluie. Pourtant, beaucoup de progrès nous font penser que nous sommes forts : les hommes sont mieux soignés, les techniques sont souvent maîtrisées, les savoirs sont extraordinairement développés, les gens vont au bout du monde et se rencontrent.

L’homme a réussi à progresser plus qu’il ne l’imaginait sans doute au temps des prophètes. Et cette situation semble aujourd’hui le dépasser. Comme si en courant à l’expansion de son règne, l’homme avait oublié qu’il est fragile et que le monde qu’il habite l’est aussi ; qu’il est un homme et non un Dieu. En effet, la réussite est parfois violente. Là où elle règne, sont rejetés ceux qui échouent, qui peinent, qui se brisent. Paradoxe de nos pays riches, les écarts entre pauvres et riches se creusent, et étrangement, contre la misère, l’homme peine à trouver son remède. « Des pauvres, vous en aurez toujours » dira Jésus à ses disciples, semblant sous-entendre, en voyant la femme au parfum qui répand sur lui l’onction royale d’un nouveau David, « prenez exemple sur elle, elle a compris où est le sacré ».

Comme le peuple de Dieu qui voulait un grand roi pour être aussi fort que les grandes nations voisines qu’il craignait et qu’il admirait, les hommes ont voulu être forts pour être plus heureux. Comme si cette force allait leur éviter la fragilité, la précarité, les risques de chute. Pourtant ils avaient un prophète qui les reliait au divin, qui donnait une sublime grandeur à leur fragilité. C’est l’humanité même que l’homme voudrait fuir en se prenant pour un Dieu et les signes de faiblesse lui apparaissent comme des épines dans leur fabuleuse réussite. Il est temps de repenser cette extraordinaire puissance de l’humanité. Il est temps de repenser au sacré de l’homme qui risque de se perdre sur nos chemins de puissance.

Comment faire du règne de la force de l’homme un règne de la paix de Dieu ? Le Messie est venu et ils l’ont crucifié. L’homme a prouvé qu’il pouvait être puissant, il faut maintenant qu’il essaie de devenir sage. S’appuyer sur la fragilité n’est pas spontané, pourtant, c’est quand la fragilité humaine est prise en compte que les lois sont plus justes. C’est un enfant, dans sa fragilité, qui nous est annoncé comme sauveur. Un monde juste est un monde dans lequel un enfant peut marcher sans craindre pour sa vie. Habiter le monde, sans se détruire et sans le détruire, sera sans doute plus difficile que d’être simplement fort, mais c’est l’appel des prophètes.

Nous sommes dans ce temps d’attente dans lequel nous pouvons penser notre vie en osant faire du nouveau. Notre attente n’est pas un fatalisme, mais une préparation à vivre une conversion radicale. Le salut que Dieu propose aux hommes avec la naissance de Jésus c’est une nouvelle racine : la foi en un monde où notre connaissance des autres nous aide à nous soucier d’eux, où nos connaissances des autres espèces nous aident à cohabiter avec elles, où notre intelligence nous aide à devenir sages.  Du tronc de Jésus, « un rameau sortira et un rejeton de ses racines sera fécond ».

Dieu nous le promet encore et encore, une vie nouvelle est possible, à nous de ceindre nos reins de justice pour construire cette vie promise d’âge en âge.

Amen

Lecture de la Bible

Esaïe 7/13-15
13 Esaïe dit alors : Ecoutez, je vous prie, maison de David ! Ne vous suffit-il pas de lasser la patience des hommes, que vous lassiez encore celle de mon Dieu ?
14 C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : la jeune fille est enceinte, elle mettra au monde un fils et l'appellera du nom d'Immanou-El (« Dieu est avec nous ») .
15 Il se nourrira de lait fermenté et de miel quand il saura rejeter ce qui est mauvais et choisir ce qui est bon.

Esaïe 11/1-6
1 Alors un rameau sortira du tronc de Jessé,
un rejeton de ses racines sera fécond.
2 Le souffle du SEIGNEUR reposera sur lui :
souffle de sagesse et d'intelligence,
souffle de conseil et de vaillance,
souffle de connaissance et de crainte du SEIGNEUR.
3 Il respirera la crainte du SEIGNEUR ;
il ne jugera pas sur l'apparence,
il n'arbitrera pas sur un ouï-dire.
4 Il jugera les pauvres avec justice,
il arbitrera avec droiture
en faveur des affligés du pays ;
il frappera la terre du sceptre de sa bouche,
et du souffle de ses lèvres il fera mourir le méchant.
5 La justice sera la ceinture de ses reins,
et la probité, la ceinture de ses hanches.
Le loup séjournera avec le mouton
6 Le loup séjournera avec le mouton,
la panthère se couchera avec le chevreau ;
le taurillon, le jeune lion et les bêtes grasses seront ensemble,
et un petit garçon les conduira.

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