La parole avant tout !

Actes 20:7-12

Culte du 24 juin 2018
Prédication de Richard Cadoux

Vidéo de la partie centrale du culte

Ce qui compte d’abord, c’est la parole, a déclaré un jour l’écrivain italien Erri de Luca, un homme assurément pétri de culture biblique. Oui c’est vrai : d’abord la parole ! Avant toutes choses. Sans elle rien n’est possible dans la vie ! C’est vrai de la Création. Dieu dit et le monde advient. C’est vrai du salut : l’Evangile commence avec la voix de celui qui crie dans le désert en annonçant que Dieu s’approche, qu’il est temps de changer de regard et de faire confiance à ce qui vient. C’est encore vrai de toutes les réalités terrestres ; à l’origine de toute relation, il y a cette évidence de la parole, comme le rappelle Jean-Jacques Rousseau dans son Essai sur l’origine des langues : « ce n'est ni la faim, ni la soif, mais l'amour, la haine, la pitié, la colère, qui ont arraché aux hommes les premières voix. » C’est encore la parole qui est au commencement de l’Eglise. On pourrait même avancer que l’Eglise se définit par l'annonce de la Parole de Dieu, à travers la prédication et les sacrements. L’Eglise surgit, elle prend naissance, chaque fois que des hommes et des femmes se réunissent physiquement pour se mettre à l’écoute de la parole de Dieu, en un lieu et en un temps donnés. C’est ce que nous faisons ce matin, comme tous les dimanches, en cet Oratoire du Louvre.

Nous en avons aussi un exemple éclatant dans le récit des Actes des apôtres que j’ai fait le choix de vous lire : cette nuit de Troas tellement riche en péripéties ! Car c’est bien de la célébration de la parole de Dieu qu’il est question dans ce récit. Nous avons là une description du culte chrétien en son surgissement originel. Quand ? La scène se situe à l’issue du sabbat, pendant le soir qui inaugure le premier jour de la semaine. Car pour cette communauté issue du judaïsme, le jour du seigneur commence la veille au soir, la nuit venue, dès qu’on peut distinguer trois étoiles dans le ciel. Il s’agit bien d’une veillée, d’une vigile, dans l’attente de celui qui est, qui était et qui vient. Les chrétiens, c’est le nom qu’on leur a donné à Antioche quelques années auparavant, répondent à une convocation et Paul leur adresse la parole dans le cadre d’un entretien. La fraction du pain vient accomplir cette réunion dans l’action de grâce, en commémorant le dernier repas de Jésus, ce geste étant compris comme le signe d’une alliance avec Dieu, nouvelle et éternelle. Où ça ? Dans une maison privée, dont le propriétaire a mis la chambre haute à disposition des fidèles du Christ. Est-il lui-même un frère, un sympathisant ou un simple bailleur ? Nous n’en savons rien. C’est là, dans cet espace banal et fonctionnel, que le message est délivré. C’est là que débute l’Eglise. C’est l’acte originel, fondateur qui s’actualise ce matin, selon un autre horaire, en un tout autre lieu, comme si nous devenions les contemporains de la scène relatée par l’auteur du livre des Actes. Je rappelle que le mot grec ecclesia qui a donné église, est un mot qui vient du vocabulaire profane. Ça veut dire réunion, meeting. D’ailleurs, chez les darbystes, on ne parle pas du culte. On parle de la réunion. Chaque fois que des chrétiens se réunissent à l’écoute de la parole de Dieu, l’Eglise commence. Oui l’Eglise est toujours d’abord un événement, un événement de grâce.

Cette conception de l’Eglise comprise d’abord comme événement d’une parole proclamée et reçue, elle nous conduit à en relativiser d’autres. L’Eglise n’est pas d’abord une communauté, un groupe, un peuple. Si l’on pense l’Eglise de la sorte, on risque alors d’être obsédé par la question de l’appartenance. Qui fait partie du groupe et qui n’en fait pas partie ? Quels sont les critères d’appartenance à la communauté ? Paradoxalement les groupes qui n’arrêtent pas de parler de fraternité, de communion, de solidarité sont des machines à exclure. Forcément, parce que tout groupe a des frontières, des limites. L’Eglise conçue d’abord comme une communauté, elle fonctionne, au mieux, comme un club, sous le signe de l’entre soi. Et on sait bien qu’un club, il a son ticket d’entrée (il faut souvent montrer patte blanche). Il faut des parrainages. Un club, il a ses rituels d’intégration et d’initiation. Il a ses coutumes, un droit non écrit. Il faut en connaître les codes. Au pire, on aura un panier de crabes, où les gens sont souvent dans le conflit, comme dans ces familles, ces tribus aurait-on envie de dire, où l’on s’entre-déchire délicieusement, faute de pouvoir jamais se séparer. Eh bien, penser et vivre l’Eglise comme un événement peut nous libérer de cette obsession de la communauté. Parce qu’en cet instant précis, notre assemblée, notre ecclesia, elle est sans aucun doute extraordinairement variée, et c’est tant mieux : j’imagine que parmi vous il y a des mécréants et des mystiques, des gens prêts à confesser leur foi et d’autres qui doutent et qui s’interrogent, des gens rongés par l’inquiétude et certains qui sont dans une paix qui dépasse toute pensée et toute intelligence.

Oui notre assemblée, elle est composite. On y trouve certainement du bon grain et de l’ivraie, des professants et des inconvertis. Ce qui nous fait notre communion, c’est que nous sommes réunis à l’écoute d’une parole. Ce n’est pas à nous qu’il incombe de faire le tri. A Dieu seul de s’y retrouver puisque c’est Lui qui vient à nous pour nous parler (peut-être) à travers la prédication et les sacrements. Ceci étant, cela ne signifie pas non plus que la communauté n’a aucune importance. Si l’Eglise n’est pas d’abord une communauté, il ne s’ensuit pas qu’il faille tenir pour négligeable ce qui est communautaire dans l’Eglise. Car bien évidemment la réunion chrétienne, elle est appelée à se prolonger. Il est normal et souhaitable que ceux qui se retrouvent à l’occasion du culte tissent des liens entre eux. L’Eglise a vocation à durer. Elle n’est pas faite pour l’éminente dignité du provisoire. On sait bien qu’on n’est pas chrétien tout seul. Ceux qui croient en Christ forment « un seul corps », et dans la foi, ils sont appelés à devenir frères et sœurs. Ils sont appelés à se regrouper, à se connaître et à s'aimer, à vivre autant que possible ensemble dans le partage des peines, des joies, parfois même des biens. Il y a un verbe utilisé par le livre des Actes. On nous dit que Paul s’est entretenu avec les disciples (omilesas). Cela a donné homélie, ce qui veut dire conversation familière. L’Eglise n’est pas que proclamation. Elle est bien sûr enseignement (et Dieu sait que Paul y consacre du temps avec sa compétence de scribe), elle est aussi « homélie », elle est conversation, mise en commun d’une parole humaine. L’Eglise, c’est une communauté de parole, c’est une communauté de langage. « Communauté langagière » comme l’écrivait Paul Ricoeur. Le risque, c’est que ce langage, il risque toujours de sombrer dans le conformisme, le convenu, le convenable. De n’être plus que de la communication, dans la complaisance, dans le verbiage, ce qui est autre chose que le verbe. Il faut alors « donner un sens plus pur aux mots de la tribu ». Telle est a fonction de la proclamation de l’Evangile qui a pour but de rompre ce qu’il y peut y avoir de ronronnant dans la conversation ecclésiale.

Si L’Eglise n’est pas d’abord une communauté, elle n’est pas non plus d’abord une institution. Puisqu’elle est avant toutes choses un événement, elle ne se définit pas non plus par ses structures et ses ministères. Bien sûr l’Eglise en a besoin pour vivre, pour s’organiser. Mais tout cela répond à des besoins pratiques, non à des nécessités théologiques. Le Nouveau Testament n'impose nullement une forme précise de vie d'Église à maintenir, à reproduire ou à restaurer. Paul est un évangéliste. Il va d’Eglise en Eglise. Il est de passage à Troas, avant de repartir pour Milet, où il a donné rendez-vous aux anciens de l’Eglise d’Ephèse. En organisant les premières communautés, ceux qu’on appelle les apôtres ont tenu compte des circonstances et du milieu. Ils n'ont pas voulu établir des structures valables partout et toujours. L'organisation ecclésiale dépend en partie du contexte et dans le Nouveau Testament même on voit apparaître une pluralité de modèles possibles : le système presbytérien, le régime d’assemblée générale, l’épiscopat monarchique. Selon les lieux et les temps, on peut adopter des formules différentes. Il ne jamais absolutiser les institutions. Elles ne relèvent pas du droit divin. Mais si l’Eglise n’est pas d’abord une institution, il ne s’ensuit pas pour autant qu’il faille tenir pour rien ce qui est de l’ordre de l’institution. L’oubli, le mépris, voire la violation des règles institutionnelles est toujours source de problèmes et de crises dans l’Eglise, comme dans toute organisation sociale.

Alors, me direz-vous, à quoi sert l’institution, au-delà des questions de logistique et d’intendance et de règlement intérieur d’une association ? Dans certaines Eglises, l’institution a pour vocation de gérer l’économie du sacré. Elle a une fonction médiatrice. Elle rend présent le divin et le communique à tous. Elle fait le lien ou le pont avec Dieu ; elle établit le contact avec lui. C’est avec une telle conception que les réformateurs ont voulu rompre. Pour certains, l’institution a pour tâche de créer et de développer une communauté. L’Eglise aurait une fonction de rassemblement « en un seul corps », formé de frères et de sœurs appelés à se regrouper, à se connaître, à s’aimer, à vivre dans le partage. L’institution joue son rôle quand elle offre un cadre où le fidèle trouve sa place, participe à la vie commune et exerce une responsabilité. Il y a ainsi des chrétiens qui se consacrent littéralement à la vie de l’Eglise, portés par le rêve d’un Eglise experte en cocooning, une Eglise qui serait un phalanstère spirituel. Pour d’autres encore, l'institution doit favoriser l’émergence d’un instrument d'action, présent au monde, pour le convertir par exemple. L’Eglise se pense comme missionnaire, investie dans l’évangélisation, portée par un rêve de croissance : il faut gagner les âmes !

Ou alors l’Eglise doit être un instrument de transformation de la société et l’Eglise se donne alors comme projet de lutter contre les injustices, de dénoncer l'intolérable, et de participer à tous les combats pour un monde plus humain, comme dans une anticipation du royaume de Dieu. L’Eglise, c’est le levain dans la pâte. Mais si j’affirme que l’Eglise est d’abord un événement, celui de la parole de Dieu, alors la mission première de l’institution, c’est d’offrir à tous, quelle que soit leur appartenance ou leur non-appartenance un lieu, un temps et de bonnes conditions pour l'écoute et la réception de cette parole. L'institution atteint son but, remplit sa finalité quand elle se met au service de l'événement. A cet égard le rôle de l’Eglise est important. Mais l’Eglise en ce domaine est invitée aussi à la modestie. Elle ne doit pas s'accorder en tant qu'institution une valeur démesurée. Il est bien évident que l’Eglise ne peut pas provoquer l’événement de la parole. Seul le Saint Esprit fait que la prédication devient porteuse de la parole de Dieu. Karl Barth disait que la première chose que devrait faire un prédicateur en descendant de chaire, c’est de prononcer une prière de repentance. Et il faut bien reconnaître que la prédication n’a pas toujours l’effet escompté : il n’est pas rare qu’elle endorme le peuple de Dieu, ou l’incite à prier pour que le prédicateur en finisse ! L’ennui lié à la prédication a été un défi pour le peuple de Dieu depuis le début. Peut-être bien qu’Eutyche s’est endormi pendant le culte, terrassé par la fatigue et l’ennui. Et pourtant le prédicateur, c’était Paul. Paul qu’à Athènes on avait surnommé le radoteur, le perroquet. Lequel d’entre nous ne s’est pas morfondu à l’écoute de tel ou tel prêcheur ? Il n’est pas exclu que Paul lui-même ait parlé d’un ton si monotone ou débité de telles banalités qu’en l’écoutant on ait pu mourir d’ennui. De plus Dieu peut parfaitement faire entendre sa parole en dehors de l’Eglise. L’institution n’est pas propriétaire de l'événement qui la fait vivre. Elle n'en a pas l'exclusivité. L’événement peut se produire ailleurs qu’entre ces murs. Comme le ressuscité, la parole de Dieu est passe-murailles. Elle ne se laisse pas estampiller ou labéliser. L’Eglise correspond au moment où se produit l'événement de la rencontre avec la Parole de Dieu. Si cet instant, ce kaïros, fonde et nourrit la vie chrétienne, il ne l'englobe pas ni ne la résume. Il s'accompagne d'autres moments, ceux de la militance, de l'engagement, du témoignage et du service qui se situent souvent ailleurs que dans l'Église et en dehors d'elle. Et je pense en disant cela à ce qu’écrivait ce cher Raphael Picon (vous trouverez cela dans "Des Eglises pour l'essentiel" : Les Eglises sont nécessaires, mais pour enseigner ce qui les rend d'emblée relatives et secondes : l'Evangile qui les fonde et les anime… Des Eglises, il faut s'en affranchir dès qu'elles se prennent pour l'Evangile et prennent notre place! Bref, l’Eglise n'a pas son sens et son but en elle-même. Elle doit prêcher l'évangile, elle n'a pas à se prêcher elle-même. L'institution ecclésiastique ne constitue pas un magistère (elle ne commande rien), mais un ministère (c'est-à-dire un service). En tant qu’institution, elle est au service de la parole, cette parole dont Paul Ricoeur disait qu’elle est l’institution qui fonde les institutions.

Alors ce dont l’Eglise a besoin, c’est de serviteurs de la parole. Et peu importe qu’ils soient reconnus, institués ou ordonnés. Serviteurs de la parole, cette expression apparaît dès l’ouverture de l’évangile lucanien. Dieu n’a pas d’autres paroles que les nôtres. Accompli par Jésus, attesté par les apôtres, le ministère de la parole est désormais assumé par des êtres de chair et de sang. Par la voix d’hommes et de femmes, c’est la parole de Dieu qui avance dans notre monde. Paul en est un exemple éclatant. Et c’est à la lumière de cette théologie de la parole que le récit du miracle prend tout son sens. Ce que Luc veut nous dire, c’est que rien ne peut verrouiller cette parole porteuse de vie. Minuit, c’est souvent l’heure de la puissance des ténèbres. Dans les Actes, c’est l’heure de la délivrance, l’heure à laquelle celui qui dans la foi n’est encore qu’un enfant, sort enfin de son sommeil et renaît à la vie, la vraie. C’est l’heure à laquelle Paul descend et le prend dans ses bras, comme une mère prend son petit, pour le ramener vers le haut, vers la lumière. C’est l’heure à laquelle le serviteur de Dieu le fait passer de la mort à la vie, des ténèbres à la clarté, de l’endormissement à la pleine conscience. Qu’il porte bien son nom, Eutyche, le chanceux, le « veinard ». Luc célèbre le pouvoir créateur et recréateur d’une parole qui, venue de l’éternité, prend aujourd’hui chair en des hommes et des femmes qui n’ont rien d’extraordinaire. Le christianisme n’est pas admirable parce que ses adeptes seraient des héros triomphants mais parce qu’ils sont porteurs d’une parole admirable, porteuse d’un sens et d’une puissance qui ont en Dieu leur source originelle. Dans cette belle veillée pascale de Troas, Paul partage avec ses frères une parole dont il n’est pas le maître, mais l’humble serviteur. Son absence prochaine n’est d’ailleurs pas escamotée : « Et alors il partit ». Au petit jour, est-il précisé.

Demain l’apôtre ne sera plus avec eux pour les exhorter et poursuivre l’entretien. Mais qu’importe après tout ! D’autres seront là pour prendre la relève. Lui, il ne fait que passer, à l’instar de son maître. Mais il est comme une force qui va. Heureux les serviteurs de la parole, sans attaches, sans feux ni lieux, mais qui, comme il est écrit dans la finale du livre des Actes, sont libres de proclamer le royaume et d’enseigner ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ sans entraves et avec toute assurance.

Amen

Lecture de la Bible

Actes 20/7-12

7 Le premier jour de la semaine, nous étions rassemblés pour rompre le pain. Paul, qui allait partir le lendemain, discutait avec les assistants, et il a prolongé son discours jusqu'au milieu de la nuit
8 — il y avait beaucoup de lampes dans la chambre à l'étage où nous étions rassemblés.
9 Mais un jeune homme nommé Eutyque, qui était assis sur le bord de la fenêtre, a été pris d'un profond sommeil pendant que Paul prolongeait la discussion ; entraîné par le sommeil, il est tombé du troisième étage. Quand on a voulu le relever, il était mort.
10 Alors Paul est descendu, s'est jeté sur lui et l'a pris dans ses bras ; puis il a dit : Ne vous agitez pas ! Il est vivant.
11 Quand il est remonté, il a rompu le pain pour manger, puis il a poursuivi l'entretien encore longtemps, jusqu'à l'aube. Après quoi il est parti.
12 On a ramené le jeune homme vivant : ce fut un immense encouragement.

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