Je vous salue Marie

Luc 1:39-45

Culte du 23 décembre 2018
Prédication de Elian Cuvillier

Vidéo de la partie centrale du culte

« Je te salue, Marie pleine de grâce ;
Le Seigneur est avec toi.
Tu es bénie entre toutes les femmes
Et Jésus, le fruit de tes entrailles, est béni.
Sainte Marie, Mère de Dieu, Prie pour nous pauvres pécheurs,
Maintenant et à l’heure de notre mort.
Amen »

C’est sans aucun doute la première fois que vous entendez réciter « je te salue Marie » au cours d’un culte protestant.
Le professeur Cuvillier aurait-il changé de théologie ? Je suspends la réponse pour l’instant.
Et j’analyse les faits aussi objectivement que possible, en posant une question très « protestante » : mais où nos frères catholiques sont-ils allés cherchés tout cela ? Sola scriptura que Diable… si j’ose dire !
« Je te salue, Marie pleine de grâce ; Le Seigneur est avec toi. » Lc 1,28 : « L’ange Gabriel entra chez Marie et lui dit : je te salue toi à qui une grâce a été faite. Le Seigneur est avec toi »
« Tu es bénie entre toutes les femmes Et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni ». Lc 1,42 : « Elisabeth s’écria d’une voix forte : Tu es bénie entre toutes les femmes et le fruit de tes entrailles est béni »
« Sainte Marie, Mère de Dieu », Lc 1,43 : « Comment m’est-il accordé que la mère de mon Seigneur vienne chez moi ? »
« Prie pour nous pauvres pécheurs,
Maintenant et à l’heure de notre mort ».
Ouf, pensons-nous enfin : là au moins, ils ne trouveront rien dans la Bible…

Je me permets ici de rappeler deux points importants :
Premièrement en théologie catholique, et quoi qu’il en soit de la piété populaire, on ne prie par Marie mais on lui demande d’intercéder, en faveur des croyants, auprès du Christ (« priez pour nous »).

Deuxièmement : où à-t-on vu qu’il n’était pas biblique d’intercéder pour un frère ou une sœur dans l’Église ? Où a-t-on vu que la foi des autres ne pouvait nous être d’un quelconque secours ? Quant au fait que Marie est décédée depuis longtemps, qu’il suffise de rappeler que la communion des saints que nous confessons dans le symbole des apôtres concerne les croyants de tous les temps. Et puis s’il fallait un verset biblique, un parmi d’autres, puisque nous avons besoin de cela nous protestants, alors pourquoi pas Ap 8,4 : « Et je vis dans le ciel la fumée des parfums montant, avec les prières de tous les saints sur l’autel d’or devant le trône de Dieu ».

Tout ceci pour nous inviter à plus de modestie. Les catholiques lisent aussi bien la Bible que nous. Simplement ils l’interprètent avec une clé de lecture différente de la notre : la Tradition, i.e. le magistère qui prolonge, déploie, déplie le texte biblique et en propose une interprétation qui ne correspond pas à ce que nous en comprenons. Mais, ne nous en déplaise, la totalité du « Je te salue Marie » a un fondement biblique !

Alors suis-je devenu catholique pour autant ? Non bien sur. Cette lecture, légitime en théologie catholique, n’est pas la mienne. « Je te salue Marie » n’appartient donc pas à ma spiritualité même si j’ai arrêté d’en sourire avec un sentiment de supériorité. Simplement, la tradition dans laquelle il m’a été donné de vivre ma foi m’a conduit à élaborer et à assumer une autre fidélité aux Écritures. Que je crois pertinente, peut-être même — j’ose le dire — plus fidèle à la lettre du texte qu’une autre… ce qui ne veut pas dire « seule vraie » ! Plus complexe, plus fragile aussi. Rappelons ce que Bossuet disait de nous dans ses satires : « Tout protestant est pape la Bible à la main ». C’est-à-dire que son petit moi court le risque de devenir le critère d’interprétation des Écritures. Il devient alors, j’ose ce jeu de mot facile, « soupape ». Mais sans sécurité, sans garde-fous autre que la confrontation avec ses sœurs et frères, confrontation qu’il évite souvent de peur d’être remis en question dans ses convictions personnelles.

Oui, la posture protestante est plus fragile parce que non assurée d’une vérité absolue et toujours exposé au risque de la dérive individualiste. Raison de plus pour soumettre nos lectures à la critique communautaire et aux Écritures. Je vous propose donc mon écoute de ce texte avec ma subjectivité, à partir de la tradition théologique dans laquelle je m’inscris et en essayant, je l’espère, de laisser au texte le dernier mot.

Etrange histoire que ce récit de la rencontre de deux femmes enceintes. L’une très jeune (sans doute une quinzaine d’année), l’autre presque trop âgée pour mettre au monde un enfant et qui célèbre la plus jeune alors que ce devrait être l’inverse selon les règles de l’époque. Et puis comment ne pas penser à ce qui attend ces deux enfants à naître, et que le lecteur connaît dès le début de l’histoire : l’un mourra décapité et l’autre crucifié.

Ce récit nous parle ainsi, au-delà d’un « merveilleux » qu’il ne contient qu’en raison du fait qu’on le lit toujours pendant la période de Noël, ce récit nous parle de ce qui fait l’existence humaine : la joie de naissances à venir qui bouleversent les cadres habituels et ne savent rien encore de l’épreuve voire du tragique que croiseront ces existences en devenir. Et il nous dit même que la vie véritable, authentique, ouverte, ne peut se vivre qu’au cœur de l’épreuve de l’existence dont la première expérience pour le petit d’homme est la naissance. Ce court récit évangélique parle de choses fondamentales pour nos existences, et c’est là que réside la vérité de ce qu’il déploie. Ce récit me parle de mon existence dans le monde, de mon rapport à moi-même, à Dieu et aux autres. C’est en cela qu’il est vrai. Lorsqu’il met en scène ces personnages c’est de ma vie qu’il parle. C’est ce rapport au texte dans ce qu’il véhicule, non pas en surface mais en profondeur, que je vous propose d’entendre dans le motif du tressaillement de Jean-Baptiste dans le vendre de sa mère.

Ce détail est signifiant. Sinon il ne serait pas rapporté deux fois. Une fois par le narrateur, la seconde fois dans la bouche même d’Elisabeth. Mais signifiant de quoi ? L’enfant « tressaille » dans le ventre de sa mère à la salutation de Marie nous dit le texte. Le verbe grec exprime les sauts du jeune animal à peine sorti du ventre de sa mère. Vous savez, le poulain à peine né qui saute et gambade dans le pré. En latin exsultare : danser de joie. Notons qu’il ne s’agit pas de contractions, auquel cas c’est Elisabeth qui serait l’actrice principale. Il s’agit bien de ce mouvement que le bébé fait dans le ventre de sa mère. C’est donc bien lui qui en est l’acteur.

Les effets de la salutation de Marie, c’est de la joie. La joie de l’existence. La joie du Vivant. L’enfant encore à naître a reconnu ce qui s’annonce en Marie comme source de vie. La vie saluant la vie en quelque sorte ! Traduit en langage théologique, ce donc Jean-Baptiste se réjouit et qu’il salue c’est l’incarnation du principe vital qui va se réaliser en la personne du Christ. La parole bientôt faire chair en quelque sorte. On peut aussi dire qu’il salue le un commencement. A travers cette naissance, événement banal en somme, quelque chose de nouveau commence. Un peu comme quand on tombe amoureux : l’impression que cela arrive depuis la nuit des temps et qu’en même temps cela commence ! Qu’une vie nouvelle est possible.

L’incarnation de ce qui fait que chaque humain et le monde des humains est un commencement toujours neuf, à chaque naissance, sans cesse renouvelé. Nous ne cessons d’être un commencement : il y a en nous un creux, un négatif qui est la condition des possibles. Quand ce creux est plein ça sature, et il n’y a plus de vie possible… C’est le risque inhérent à la rencontre amoureuse dont je parlais à l’instant : le commencement est trop souvent vite saturé par l’illusion de la complétude que constitue, imaginairement, l’autre. Et alors ça ferme au lieu d’ouvrir.

Le Dieu biblique, c’est au contraire le principe qui fait que ça ne s’arrête pas de commencer à naître, parce que ce Dieu se révèle dans le retrait, le manque, l’absence, l’avenir ouvert, l’attente… Alors qu’Elisabeth est pleine, qu’elle pourrait se replier sur elle-même et son enfant à naître avec elle, voici celui-ci appartient à un nouveau commencement, qu’il salue l’ouverture à venir et qu’Elisabeth la salue avec lui, accepte cette ouverture. Jean-Baptiste pense ce que ne pense pas encore Elisabeth mais qu’elle va pouvoir penser grâce à lui. Elle va nommer ce qu’il vit, l’interpréter en somme. Ce faisant, Elisabeth donne en quelque sorte son enfant au monde. Elle le met au monde en saluant son salut. Ce qui est salué c’est qu’il ne faut cesser de naître.

Et pourtant ces deux enfants à naître vont mourir l’un « guillotiné » et l’autre crucifié ! C’est l’extrême faiblesse, la déréliction et la mort qui se profilent à l’horizon. Comment illustrer ce paradoxe de vies qui sont signes d’espérance et qui, pourtant, vont être confrontées à l’absurde et au non sens ? C’est-à-dire à l’exécution sommaire de Jean-Baptiste et à la mort ignominieuse du Christ. Le message est me semble-t-il celui-ci : dans la mort tragique de Jean-Baptiste et de Jésus, c’est malgré tout la vie qui l’emporte ! Voilà ce qu’annonce l’Évangile à travers le salut d’Elisabeth au tressaillement de son enfant, voilà et ce que saluera juste après Marie à travers le Magnificat.

Dans le ventre plein de cette vieille femme stérile qui pourrait se satisfaire de ce qu’elle possède désormais pour elle — et l’on sait ce que cela signifie de mortifère pour un enfant à naître que d’être ainsi la « pleine » satisfaction d’une mère — dans le ventre plein d’Elisabeth se dessine un creux, un manque, une joie à venir qui passera par l’épreuve d’un désir sur lequel Jean-Baptiste ne cédera pas au point qu’il le conduira à la mort : le désir de saluer la vie, le commencement d’une vie nouvelle qui se dit dans l’épreuve et dans la résistance à la mort, à l’absurde et au non sens de l’existence. Cela Jean-Baptiste le salue de loin comme il le fera tout au long de son existence, je le répète sans jamais céder sur ce désir qui le porte.

Et Elisabeth y acquiesce au lieu de l’en détourner. Voilà la Bonne Nouvelle : saluer, exulter à la Vie et au commencement. Non pas contre, en évitant ou malgré l’épreuve, mais dans, par et au cœur de celle-ci.

Prisonnier du désir de l’autre, je peux être mort en croyant vivre. À l’inverse, si je ne cède pas sur la Parole qui m’appelle et me relève, je suis vivant même confronté à l’épreuve fut-elle celle de la mort : de cela Jean-Baptiste sera le témoin. Et Elisabeth ne s’y oppose pas. C’est cela Noël. Tout le contraire d’une jouissance du plein, d’une consommation d’objets inutiles sur fond d’une requête infantile d’avoir toujours plus, une jouissance stérile qui tue en nous toute forme de désir.

Noël c’est au contraire l’attente d’un à-venir ouvert sur l’inattendu et l’inouï. Un inattendu et un inouï dont la nécessité se font plus que jamais sentir dans notre monde clôturé sur lui-même et souffrant d’un étouffement du désir qui ne peut plus s’exprimer autrement qu’en « besoins » d’objets, multiples, changeants saturants et répétés à l’infini. Le salut d’Elisabeth au tressaillement de Jean-Baptiste à la visite de Marie, c’est en somme le message qu’il nous faut entendre aujourd’hui : ne cessons pas de naître, envers et contre tout.

Contre tout ce qui est désespérant. Et Dieu sait si notre monde est désespérant. Le salut d’Elisabeth au tressaillement de Jean-Baptiste, c’est l’affirmation que l’épreuve à venir pour ces deux enfants à naître n’est pas le signe que le désespoir et la mort vaincront mais, au contraire, que la Vie ne peut faire l’économie de la confrontation à ce qui veut détruire et tuer. Je le répète, de cela Jean-Baptiste est le témoin et Elisabeth le salue avec lui. Et nous sommes invités à l’entendre comme le message de Noël.

Je vous salue Elisabeth et Jean-Baptiste
Le Seigneur est avec vous
Vous êtes bénis parmi tous les croyants
Et Jésus, le fruit de votre attente, est bénédiction
Vous êtes les témoins qu’il ne faut cesser de naître
Envers et contre tout
Dès maintenant jusqu’à l’heure de notre mort.

Amen

Lecture de la Bible

Luc 1/39-45 39 En ces jours-là, Marie se leva et s'empressa d'aller vers les montagnes dans une ville de Juda. 40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. 41 Dès qu'Élisabeth entendit la salutation de Marie, son enfant tressaillit dans son sein. Élisabeth fut remplie d'Esprit Saint 42 et s'écria d'une voix forte : Tu es bénie entre les femmes, et le fruit de ton sein est béni. 43 Comment m'est-il accordé que la mère de mon Seigneur vienne chez moi ? 44 Car voici : aussitôt que la voix de ta salutation a frappé mes oreilles, l'enfant a tressailli d'allégresse dans mon sein. 45 Heureuse celle qui a cru à l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur.

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