Hérésie et tolérance

Actes 5:17-42

Culte du 26 août 2018
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

Comment se comporter face à une hérésie ?

La question semble obsolète et pourtant, notre époque est secouée par des débats religieux qui ne sont pas si loin de ceux qui secouaient l’époque des premiers chrétiens. Qui promeut la « vraie religion » ? Qui a le pouvoir de déterminer le vrai dans les questions religieuses ?

Ces dernières années,

- les actions terroristes contre la presse,
- les persécutions au nom de la foi,
- les revendications religieuses au nom d’un nationalisme que l’on croyait à jamais disqualifié par la modernité d’un monde ouvert,
- les confusions les plus obscures entre morale, politique et religion,
- ou encore le débat sur les fake news, nous ont montré qu’il ne fallait pas croire que le problème de la liberté de conscience était réglé, et même qu’il le sera un jour.
Nous voyons même que son règlement par la violence est toujours à redouter.

Le problème posé dans le chapitre 5 du livre des Actes des Apôtres est bien celui de la réponse que le pouvoir politique est censé apporter à l’hérésie. Dans le même livre, deux personnages, Pierre et Étienne, sont considérés comme hérétiques par rapport à une religion d’État : le judaïsme du premier siècle. Notons que cette religion du petit royaume d’Israël est elle-même considérée comme une hérésie par l‘occupant romain.

L’hérésie est évidemment une notion relative : on est toujours l’hérétique d’un autre.

Et l’on se souvient comment Jésus lui-même s’est trouvé le jouet de ces deux forces, en étant hérétique tant du point de vue des Juifs que de celui des Romains.

Pierre et Étienne, disciples du même Jésus, ne vont pourtant pas être traités de la même façon par les autorités de leur temps. Pierre aura la vie sauve, alors qu’Étienne sera lapidé, victime d’un complot.
L’on voit ici combien le comportement des pouvoirs politiques face à une hérésie peut être variable. Alors, quels sont les critères ?
Le récit de la libération miraculeuse de Pierre de son cachot pourrait être lu comme un énième récit de miracle pour étayer l’apologie du christianisme naissant. Mais derrière l’intervention merveilleuse de l’ange du Seigneur, se profile un débat qui suscite notre intérêt en ce jour de commémoration d’un crime d’État: le massacre de la St Barthélémy.
Jusqu’où peut-on tolérer les convictions de l’autre?
Où s’arrête la liberté de conscience? Regardons ensemble les différentes forces en présence dans ce chapitre du livre des Actes des Apôtres.


D'abord, il y a le peuple, auquel le message chrétien apporte le réconfort dont il a besoin. L’annonce du salut, les guérisons, les enseignements libérateurs ont de quoi encourager une population souvent désarmée devant la maladie et culpabilisée par une religion sacrificielle qui les rend responsables de leur malheur.

Ensuite, il y a le grand prêtre. Il est en charge d’une religion d’État et doit défendre les droits particuliers que les Israélites ont obtenus de l’empereur. En effet, les citoyens des royaumes occupés par les Romains devaient accepter de se plier aux rites du culte impérial qui garantissait, au yeux de Rome, la stabilité de l’empire. Les Juifs bénéficiaient de l’exemption du culte officiel. C’était un avantage important pour maintenir le peuple dans une acceptation de l’occupation romaine, et en même temps dans la fidélité à la loi de Moïse. Une tolérance qui garantissait la paix. La foi chrétienne, elle, excluait la reconnaissance d’autres divinités, et apparaissait comme séditieuse à l’empire, et l’appartenance de nombreux non-juifs à cette nouvelle religion, l’excluait de l’exemption dont bénéficiait le judaïsme. La radicalité chrétienne apparaissait comme inassimilable par l’empire.

Autour du grand prêtre, il y a les différents partis juifs ; quand on parle de « parti », il est bon de noter que le parti, c’est en grec l’hérésie, c’est-à-dire le choix de l’autre. Les Sadducéens et les Pharisiens siègent au Sanhédrin ensemble, mais ils ne partagent pas la même doctrine. Pour les Pharisiens, l’important n’est pas l’adaptation politique de la religion, mais c’est d’abord l’observance de la loi de Moïse. Gamaliel est de ce parti, de cette hérésie.

Et bien sûr, il y a Pierre. Disciple d’un homme crucifié pour sédition. Le livre des Actes, dans son projet apologétique, présente Pierre comme un nouveau Jésus, capable d’enseigner et de guérir les malades. Mais, aux yeux des différentes forces en présence, la mission de Pierre n’est pas tolérable. Même s’il ne fait aucun acte de sédition, s’il n’appelle pas au meurtre ni à la désobéissance civile ; il enseigne au peuple une liberté qui a toutes les caractéristiques pour inquiéter les institutions.

Pierre est sur le même terrain que le Sanhédrin car il se réclame du même Abraham, du même Moïse, de la même foi et du même Dieu. Et, en même temps, il brouille le message d’un judaïsme déjà divisé en de multiples sectes. Si le Messie est déjà venu, que devient l’observance de la loi ? Si le Messie est là, à quoi servent encore les docteurs de la loi et les gardiens des sacrifices? L’hérésie la pire vient souvent des plus proches.

En ce dimanche de commémoration du « crime d’État » que représenta le massacre de la St Barthélémy, le sort de Pierre dans le livre des Actes a de quoi nous interpeller. Alors que d’autres hérétiques de la Bible sont passés par les armes, (on pense aux prêtres de Baal, mais aussi, bien sûr, à Jésus) ; Pierre doit son salut, certes temporaire, au calcul d’un Pharisien : Gamaliel.

L’argument de Gamaliel pour laisser tranquilles les apôtres est le suivant : quand on laisse une nouvelle école de pensée poursuivre son chemin sans son chef, elle s’éteint d’elle-même. Il prend deux exemples: d’abord celui de Theudas, qui, comme il le précise, « se disait quelqu’un » : en fait, ce faiseur de miracles se disait être le Messie. Le procurateur romain en charge du problème le fait exécuter et ramène sa tête à Jérusalem. Ses disciples furent tous dispersés. Le deuxième exemple est celui de Judas le Galiléen, un homme ouvertement révolté contre le pouvoir du roi et qui mena deux révoltes importantes. Lui aussi meurt, et son mouvement semble s’être affaibli après sa mort.

Gamaliel le pharisien soutient qu’il se passera la même chose pour les disciples de Jésus. Il a été crucifié, et ses disciples finiront bien par se lasser de leur adhésion à ce nouveau courant religieux. Ils se disperseront d’eux-mêmes.

Gamaliel a un autre calcul en tête :
Comment peut-on juger à la place de Dieu ce qui est orthodoxe et ce qui ne l’est pas ?
Pour le Pharisien observant qu’il est, pécher contre la volonté divine est pire que mettre à mal la tranquillité du Sanhédrin. La tolérance de Gamaliel n’est pas seulement un laisser-faire patient, mais plutôt une confession de foi en la justice divine. Si une doctrine est juste, Dieu la fera perdurer à la mort de ses chefs. Une façon bien cruelle de régler la pluralité des idées, car un tel principe n’empêche pas un homme de mourir sur la croix. On a l’impression de retrouver le même calcul que celui que firent les chefs catholiques en 1572 quand ils demandèrent au roi Charles IX de tuer les chefs du parti protestant. Décapiter un mouvement pour que s’éteignent leurs idées et celles de leurs partisans. Mais, malgré les guerres de religions, huit en 36 ans sur le seul territoire du royaume, le mouvement réformé français a survécu. De la même façon que le christianisme avait survécu à la mort de ses martyrs. Le test par la survie des idées à leurs témoins ne peut pourtant pas être la solution au problème de la tolérance dans un État de droit. Gamaliel - pour en revenir à lui - décide de laisser la vie sauve à Pierre ; il accepte de tolérer ses discours et ses idées, même si elles sont hérétiques à ses yeux.

N’est-ce pas la grandeur de cette notion de tolérance qui a souvent été qualifiée de négative en ce que celui qui la prône n’adhère pas aux idées de celui ou de ceux qu’il tolère en acceptant leur expression et surtout en renonçant de porter atteinte à la vie de ceux qui les défendent ? Nous aurions pu être spirituellement plus ambitieux ce matin et méditer, en souvenir des martyrs de la St Barthélémy, l’injonction christique : Aimez vos ennemis. Ou encore le commandement que nous avons reçu en partage avec nos frères juifs : Aimez Dieu et aimez-vous les uns les autres.

Mais le principe de tolérance dans un État ne peut reposer ni sur l’amour des ennemis, ni sur l’amour de Dieu, ni sur celui du prochain. Comment décréter l’amour ? Faudrait-il que l’État devienne chrétien pour que tous aiment comme le Christ ? Et que ferait-on des autres ? Comme l’écrit judicieusement le philosophe John Locke, chrétien lui-même, et auteur de plusieurs lettres sur la tolérance à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe : « il n’y a pas d’État chrétien ». La tolérance est une question pratique de paix civile, entre des citoyens aux idées différentes jusqu’à la contrariété, dans un même État censé protéger leur vie, leur bien-être, leur liberté, par des lois.

Sébastien Castellion, réformateur plus libéral sans doute que tout autre réformateur, écrit, après l’affaire Servet: « Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. Lorsque les Genevois tuaient Servet, ils ne défendaient pas une doctrine, ils tuaient un homme. C’est avec des raisons et des écrits que combattait Servet ; c’est avec des écrits et des raisons qu’il fallait lui répondre ».
De quoi avaient donc peur Calvin et avec lui les Genevois pour éliminer un homme au nom de l’orthodoxie d’une réforme ? Ne tombaient-ils pas dans les mêmes travers que l’Église qu’ils avaient voulu réformer ?
De quoi, un peu plus tard, à Paris, avaient eu peur les chefs du parti catholique qui demandèrent au roi Charles IX de tuer tous les chefs du parti protestant ?
Sans doute, dans leur folie, pensaient-ils que toute la France deviendrait une nation protestante, parce qu’une alliance avec les Protestants pendant la guerre des Flandres avait été imaginée par Gaspard de Coligny. Mais là encore, cela valait-il le déshonneur d’un crime d’État? Dans un contexte de guerre de religion, (la troisième venait de se terminer), il était inévitable que le massacre ne reste pas circonscrit à quelques chefs.
Toutefois, au milieu de ce bain de sang, le salut vint parfois de quelques courageux qui refusèrent de massacrer leurs concitoyens. Ce courage vint peut-être, comme pour Gamaliel, de la volonté de ne pas entrer en guerre contre Dieu, mais l’histoire ne le dit pas. Non, ceux qui refusèrent, invoquèrent que les Protestants qu’on leur demandait de massacrer étaient de « bons citoyens ». Pourquoi les massacrer, puisqu’ils respectaient le droit et remplissaient loyalement leur rôle de citoyens ? Ce n’est donc pas l’amour qui sauva quelques miraculés du désastre, mais une juste perception des droits et des devoirs de l’Etat.

À moins que le véritable amour du prochain ne soit celui qui préserve sa vie coûte que coûte dans une espérance obstinée dans la fraternité humaine et dans la paix ?
Comment partager le même espace de vie quand on n’a pas la même foi, les mêmes pratiques alimentaires, vestimentaires, hygiéniques, médicales, sexuelles ? Comment habiter ensemble la terre, quand nous sommes différents et pire, quand nous ne nous accordons pas sur ce qui paraît l’essentiel de nos vies ? Quelles sont les limites de la liberté de conscience de chacun?
Dans l’espace que nous partageons avec nos concitoyens, cette question est sans cesse posée. Et ni la loi de séparation des églises et de l’État, ni les lois éthiques, ni la République telle que nous la connaissons dans notre pays ne règlent définitivement cette question. La vie même implique que ce débat ne soit jamais terminé. On ne règle pas la laïcité une fois pour toutes, on la cultive. On ne promulgue pas des lois éthiques pour l’éternité, on les complète.
Ainsi, en va-t-il de même pour tout ce qui touche à la vie en société. Seules les tyrannies ne discutent plus du bien fondé des lois quand elles en édictent, et encore, même en l’absence de toute autorisation des contestations, celles-ci n’en sont pas pour autant absentes.

Baruch Spinoza - un contemporain de Locke - écrit, dans son traité théologico-politique : « Quant à la piété, la plus haute sorte en est celle qui s’exerce en vue de la paix et de la tranquillité de l’État ». Il n’y a donc pas d’infidélité à sa propre foi quand on laisse les autres tenir des propos que l’on juge hérétiques. Car en matière de foi, qui sait ce que Dieu est, ce qu’il veut, ce qu’il fait ? Chacun retient le témoignage qui lui parle le mieux, et chaque témoignage peut paraître hérétique à un autre. N’avons-nous pas quatre évangiles dans nos Bibles et bien d’autres encore déclarés peut-être à tort apocryphes par le pouvoir des églises ? Lequel est le vrai?

La chose la plus précieuse pour un homme, croyant ou non croyant, chrétien ou non, ce n’est pas d’avoir raison dans les questions théologiques et métaphysiques, c’est de vivre en paix et librement. Le christianisme est une tradition de la parole, du témoignage, de l’enseignement. Le Christ a montré la voie en enseignant, en accueillant ceux que Dieu mettait sur son chemin. L’entrée dans son ministère s’est faite par un détour au désert où il a refusé la force, le pouvoir, la toute puissance, au diable qui les lui offrait.

Nous sommes donc héritiers de cette foi désarmée et désarmante si conforme à l’esprit de tolérance. Le seul glaive dont le Christ ait usé, c’est celui de la parole et de la raison. Dans son sillage, notre religion libérale a un rôle à jouer, comme le lui ont fait jouer, en leur temps, un Sébastien Castellion, un Harnack ou un Auguste Sabatier, pour promouvoir une nouvelle liberté de pensée en religion.

La plus grande fidélité, sans doute, n’est pas d’affirmer sa doctrine comme la seule vérité tolérable, mais d’avoir la liberté de nous réformer nous-mêmes sans cesse.

Commémorer la St Barthélémy, c’est avoir au coeur la volonté de regarder les hommes qui vivent avec nous d’abord comme des frères, avec en tête cet hymne des anges résonnant au ciel de la naissance d’un petit d’homme : Gloire à Dieu et paix aux hommes qu’il aime.

AMEN.

Lecture de la Bible

Actes 5/17-42
17 Alors, remplis d'une passion jalouse, le grand prêtre et tous ceux qui étaient avec lui, c'est-à-dire le parti des sadducéens, intervinrent ;
18 ils mirent la main sur les apôtres et les jetèrent dans la prison publique.
19 Mais pendant la nuit l'ange du Seigneur ouvrit les portes de la prison ; il les fit sortir et leur dit :
20 Allez, tenez-vous dans le temple, et dites au peuple toutes les paroles de cette vie.
21 Ayant entendu cela, ils se rendirent au temple dès le matin et se mirent à enseigner. Le grand prêtre et ceux qui étaient avec lui arrivèrent ; ils convoquèrent le sanhédrin et toute l'assemblée des anciens des Israélites et envoyèrent chercher les apôtres à la prison.
22 Les gardes, à leur arrivée, ne les trouvèrent pas dans la prison. Ils s'en retournèrent et firent leur rapport en disant :
23 Nous avons trouvé la prison soigneusement fermée, et les gardiens à leur poste devant les portes ; mais quand nous avons ouvert, nous n'avons trouvé personne à l'intérieur.
24 Lorsqu'ils eurent entendu cela, le commandant du temple et les grands prêtres, perplexes à leur sujet, se demandaient ce qu'il adviendrait de cette affaire.
25 Quelqu'un vint leur annoncer : Les hommes que vous avez jetés en prison se tiennent dans le temple, et ils instruisent le peuple !
26 Alors le commandant et les gardes allèrent les chercher ; ils les amenèrent sans violence, car ils avaient peur d'être lapidés par le peuple.

27 Quand ils les eurent amenés, ils les firent comparaître devant le sanhédrin. Le grand prêtre les interrogea :
28 Ne vous avions-nous pas donné l'injonction formelle de ne plus enseigner en ce nom-là ? dit-il. Vous avez rempli Jérusalem de votre enseignement ! Vous êtes décidés à faire retomber sur nous le sang de cet homme !

29 Pierre répondit, ainsi que les apôtres : Il faut obéir à Dieu plutôt qu'à des humains.
30 Le Dieu de nos pères a réveillé Jésus, que vous, vous avez éliminé en le pendant au bois.
31 Dieu l'a élevé par sa droite comme pionnier et sauveur, pour donner à Israël un changement radical et le pardon des péchés.
32 Nous, nous sommes témoins de tout cela, avec l'Esprit saint que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent.
33 Exaspérés, ceux qui les écoutaient étaient décidés à les supprimer.
34 Mais un pharisien nommé Gamaliel, maître de la loi estimé de tout le peuple, se leva dans le sanhédrin et donna l'ordre de faire sortir ces gens un instant.
35 Puis il dit : Hommes d'Israël, prenez garde à ce que vous allez faire à l'égard de ces gens-là.
36 Avant ces jours-ci, en effet, s'est levé Theudas, qui se disait quelqu'un, et auquel se sont ralliés environ quatre cents hommes ; il a été supprimé, et tous ceux qui s'étaient laissé persuader par lui ont été mis en déroute ; il n'en est rien resté.
37 Après lui s'est levé Judas le Galiléen, à l'époque du recensement, et il a entraîné du monde à sa suite : lui aussi a disparu, et tous ceux qui s'étaient laissé persuader par lui ont été dispersés.
38 Maintenant, je vous le dis, ne vous occupez plus de ces gens, et laissez-les aller. S'il s'agit d'une décision ou d'une œuvre humaine, elle disparaîtra ;
39 mais si cela vient de Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître. Prenez garde de ne pas vous trouver en guerre contre Dieu ! Ils se laissèrent persuader par lui.
40 Ils appelèrent les apôtres, les firent battre, leur enjoignirent de ne plus parler au nom de Jésus et les relâchèrent.

41 Ceux-ci se retirèrent de devant le sanhédrin, tout joyeux d'avoir été jugés dignes d'être déshonorés pour le Nom.
42 Et chaque jour, au temple et dans les maisons, ils ne cessaient d'enseigner et d'annoncer la bonne nouvelle du Christ, Jésus.

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