Enquête sur Jonas

Jonas 1 , Jonas 2

Culte du 7 février 2006
Prédication de pasteur Florence Taubmann

Culte à l'Oratoire du Louvre,
par la pasteure Florence Taubmann

Chers amis,

Je voudrais, en ces deux dimanches de l’été, vous proposer tout simplement une lecture biblique. Une lecture de ce livre de Jonas qu’en général nous connaissons bien depuis l’enfance, à cause du célèbre gros poisson qu’on assimile faussement à une baleine.

Le cheminement de ce jour se fera autour de deux questions, et je poursuivrai dimanche prochain avec d’autres questions nées des deux derniers chapitres du livre.

Première partie les questions seront :

  • Comment comprendre la mission de Jonas et sa fuite ?
  • Qui est le Dieu des marins ?

Deuxième partie les questions seront :

  • Qui est le Dieu de Jonas ?
  • Qu’est-ce que le repentir ?

Jonas est un hébreu, comme il se présente lui-même. Il est fils d’Amittaï de Gat-Hépher, à 6 kilomètres au nord de Nazareth.

Son nom fait qu’on l’assimile à un prophète mentionné dans le Livre des Rois (2 Rois 14,25) . Ce prophète a vécu sous le règne de Jéroboam II (entre 783 et 743 avant JC), à une époque où le royaume d’Israël, c’est-à-dire le royaume du nord était menacé en tant qu’Etat et devait se battre contre son grand voisin assyrien, qui après lui avoir infligé des défaites devait prendre la ville de Samarie en 722 avant JC. Mais le déclin politique d’Israël correspondait également à un déclin religieux, et le peuple se livrait souvent à des cultes idolâtres.

Qu’on assimile l’auteur du Livre de Jonas à ce prophète qui lui est antérieur de 2 siècles est très significatif, car Ninive, la capitale de l’Assyrie où Jonas va être envoyé pour prophétiser est vraiment la ville d’un ennemi très ancien et très puissant.

Il faut encore préciser, sur le plan symbolique, qu’en hébreu le nom de Jonas, ou Yona, signifie la colombe. C’est l’oiseau de Noé. C’est aussi l’oiseau qui symbolise la loyauté d’Israël vis à vis de son Dieu. Si à première vue cela semble contradictoire avec la fuite de Jonas, nous verrons que derrière l’apparence d’infidélité, il y a en fait chez Jonas une fidélité plus profonde. En même temps il est fils d’AmitaÏ, et ce nom signifie « Dieu est vérité. Dieu est fidélité ».

Donc nous voici avec ce Jonas « colombe », fils de « Dieu est vérité », un homme plongé dans l’histoire difficile de son temps, et que Dieu va appeler pour une mission particulière et très précise.

Première question : la mission de Jonas et sa fuite

Comme les autres prophètes bibliques Jonas reçoit un appel et une mission à accomplir de la part de Dieu. En effet, plus qu’un état la prophétie est une action Une action induite par la Parole et l’Esprit de Dieu.

Pour le dire autrement, c’est en prophétisant qu’on devient vraiment prophète, même si la vocation prophétique précède parfois la naissance, comme ce fut le cas pour le prophète Jérémie.

Jonas est donc envoyé chez l’ennemi héréditaire, devant lui, pour faire entendre à ses oreilles le cri de Dieu. « car sa méchanceté est montée jusqu’à moi. »

L’ordre est bref et concis, et la fuite immédiate de Jonas nous alerte sur l’importance et la gravité de cette décision divine.

S’il n’y avait pas cette fuite de Jonas peut-être que nous ne pourrions pas vraiment prendre conscience de cet enjeu.

Autrement dit la fuite de Jonas n’est pas une simple désobéissance, elle traduit un dilemne fondamental devant la Parole de Dieu.

Ce dilemme vient de ce que Jonas prend tout à fait au sérieux la Parole de Dieu . C’est-à-dire qu’il la reçoit dans son sens littéral, mais aussi dans son sens spirituel.

Alors que comprend-il ? Et pourquoi s’enfuit-il ?

Ce que Jonas comprend, en allant au-delà des mots, c’est que sa prophétie peut résonner aux oreilles des Ninivites comme un avertissement. Et donc la menace peut les conduire au repentir. Or Jonas connaît Dieu, et il croit en un Dieu de bienveillance et de miséricorde.

Ce que Dieu lui demande, c’est donc d’accepter que sa propre prophétie participe au salut de l’ennemi.

Mais pourquoi s’enfuit-il ? On a vu d’autres prophètes s’insurger contre Dieu, refuser une mission, s’en déclarer incapable. Abraham a plaidé contre Dieu pour sauver les habitants de Sodome, Moïse a défendu son propre peuple menacé de la colère de l’Eternel après l’épisode du veau d’or.

Mais la situation de Jonas est différente.

Elle est indéfendable. Et intenable. S’il ne peut vouloir être l’instrument de salut des habitants de Ninive, comment pourrait-il plaider devant Dieu pour leur anéantissement ? C’est impossible.

Donc la seule solution est de s’enfuir.

La tradition juive donne deux explications importantes pour expliquer cette fuite.

La première concerne le peuple d’Israël.

Jonas sait que les gens de Ninive vont se repentir ; il ne peut s’empêcher de penser à son propre peuple, au peuple d’Israël qui, malgré les admonestations des prophètes, refuse souvent d’écouter Dieu. Aller à Ninive signifierait pour lui devenir l’instrument d’une accusation terrible contre Israël.

Comment ! Que des païens écoutent Dieu et se repentent alors que le peuple même de Dieu s’obstine dans ses erreurs !

Le choix de Jonas est cornélien : obéir à Dieu ou sauvegarder l’honneur d’Israël.

A tel point que lorsque Jonas demandera aux marins de le jeter par-dessus bord, les Sages diront qu’il voulait signifier par là qu’il préférait mourir plutôt que de causer du tort à Israël.

Cette attitude de Jonas peut nous faire penser à celle de Jésus dans l’histoire de la syro-phénicienne. Dans un premier temps, Jésus lui refuse la guérison de sa fille en se justifiant par ces mots : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ; il n’est pas bon de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. » Mais on s’en souvient, Jésus accèdera finalement à la demande de cette femme.

La seconde explication de la fuite de Jonas concerne Jonas lui-même et sa mission prophétique.

Sa mission prophétique est de crier contre Ninive, de lui annoncer une catastrophe. Or Jonas sait que quand les hommes se repentent, Dieu n’exécute pas sa sentence. Il pardonne.

De ce fait le prophète se trouve dans une situation très inconfortable. Ce qu’il a annoncé ne se réalise pas. Il devient un faux-prophète. Ou du moins on lui donne cette réputation . Et il risque donc de ne plus être écouté à l’avenir.

Dans la conscience de Jonas cela signifie encore que la Parole de Dieu peut se trouver discréditée.

Car il est évident que là où certains verront dans la non réalisation de la menace un signe de la miséricorde divine, le plus grand nombre verra un signe de faiblesse ou d’impuissance. On va rire d’un Dieu qui ne fait pas ce qu’il dit.

Cette double interprétation est très intéressante car elle présente un Jonas très humain et plein de finesse psychologique. Un Jonas à la fois attaché à son peuple et à son Dieu, et qui souffre de ce double attachement. Car remplir la mission que Dieu lui confie risque de nuire et à l’un et à l’autre.

- Le repentir des habitants de Ninive risque de disqualifier Israël

- L’inaccomplissement de la prophétie risque de disqualifier Dieu, sa Parole et son prophète.

Donc on peut lire la fuite de Jonas, non plus comme une désobéissance de petit garçon boudeur, mais à la fois comme un signe de désespoir et un signe de fidélité. Ce que fuit Jonas, ce n’est pas Dieu. Jonas n’a pas peur de Dieu. Jonas n’a pas peur de mourir.

Ce que fuit Jonas, c’est lui-même. C’est sa vocation prophétique. C’est sa mission. Jonas rend son tablier en quelque sorte. Il renonce à sa qualité de prophète.

On pourrait presque parler d’une dépression prophétique, dans le sens où on a déjà rencontré ce phénomène chez d’autres prophètes, Elie par exemple, ou encore Jérémie.

Cela conduit Jonas à s’embarquer sur ce fameux bateau qui de Jaffa doit le conduire à Tarse. Il devait aller vers l’est ; il part vers l’ouest.

Et non content de s’éloigner du bord il s’enfouit et s’endort dans la cale du bateau au moment de la tempête. Puis nous connaissons la suite. Se dénonçant comme responsable auprès des marins, il leur demande de le jeter à la mer, ce qu’ils finissent par faire à contre-cœur.

2) Quel est le Dieu des marins ?

Je voudrais maintenant parler de ces marins. Qui sont-ils ?

Ils n’ont pas de noms, ni d’identité précise. Mais on peut penser qu’ils symbolisent les nations, c’est-à-dire l’univers non juif dans sa pluralité, auquel la tradition attribue le nombre de 70.

De ces marins on apprend quand même certaines choses.

D’abord ils sont pieux. Au moment de la tempête il est dit que chacun crie vers son dieu.

Ce qui est suggéré au niveau de cette piété, c’est qu’elle se situe dans un entre-deux. D’un côté, elle semble se situer déjà au-delà de la superstition idolâtre. Les marins sont dans la parole, et non dans une ritualité magique. « Chacun crie vers son dieu. » Et le capitaine invite Jonas à en faire autant avec le sien.

En même temps ils pratiquent le tirage au sort pour désigner le coupable, ce qui relève quand même de la superstition.

Par ailleurs ces marins font preuve d’esprit pratique, n’hésitant pas à sacrifier la cargaison pour sauver leur vie.

Enfin l’épisode de l’interrogatoire de Jonas révèle une autre caractéristique des marins : c’est le niveau de leur conscience morale.

Malgré l’auto-accusation de Jonas et la solution qu’il leur apporte, ils répugnent à y recourir et font des tentatives désespérées pour retourner à terre.

On peut comprendre cette réticence de plusieurs manières : ils peuvent désirer épargner Jonas par un simple sentiment d’humanité, ou parce qu’ils sont soumis à l’interdit du meurtre. Ils peuvent aussi craindre que leur participation à la mort de Jonas les place sous le coup de la colère de Dieu. Car alors la mission à Ninive serait définitivement à l’eau.

Autrement dit les marins vivent un dilemme qui peut apparaître en miroir du dilemme de Jonas au début du récit.

Leur salut immédiat passa par la mort d’un homme. Mais ils ont conscience qu’ils ne pourront échapper à la culpabilité de la mort de cet homme.

Et ce qu’il y a d’extraordinaire dans cette histoire, c’est qu’à ce moment-là de dilemme, ils vont s’ouvrir au Dieu de Jonas. C’est dans une crise de conscience qu’ils vont orienter leur prière, leurs questions vers ce Dieu qui poursuit Jonas dans la tempête.

Le dilemme de Jonas le rendait muet devant Dieu, le portait à la fuite, le conduit même à choisir la mort plutôt qu’à assumer sa mission prophétique.

Le dilemme des marins les conduit à la parole et à la prière, et comme ils choisissent la vie et non la mort ils jettent finalement Jonas à la mer.

On ne va pas se demander ici s’ils ont bien ou mal fait. C’est un autre débat.

En tout cas ils l’ont fait et la scène se termine sur une offrande à l’Eternel, et sur des vœux, souvent interprétés comme un engagement à la conversion.

Ce n’est qu’en désespoir de cause, et en s’adressant au Dieu de Jonas pour obtenir son absolution, qu’ils jettent finalement Jonas à la mer.

Dans la tradition juive, on dit que les marins hésitèrent jusqu’au dernier moment à jeter Jonas à la mer. Ils ne firent pas d’un seul coup mais en plusieurs étapes :

D’abord ils le prirent et le plongèrent dans la mer jusqu’aux genoux, et la tempête se clama. Mais lorsqu’ils le soulevèrent hors de l’eau pour le sortir, la mer redevint houleuse. La fois d’après ils le firent entrer dans l’eau jusqu’au nombril, et la tempête s’apaisa, mais de nouveau, lorsqu’ils le tirèrent de l’eau pour le ramener sur le pont, la mer recommença à se déchaîner. La troisième fois ils le plongèrent jusqqu’au cou et ce fut le même scénario. Alors ils estimèrent que ces trois expériences constituaient une confirmation de la responsabilité de Jonas et ils le jetèrent à la mer.

EPILOGUE

A travers cette aventure les marins ont donc découvert le Dieu de Jonas, c’est-à-dire à la fois un Dieu personnel et un Dieu créateur. Un Dieu personnel puisque c’est à travers la relation conflictuelle de ce Dieu avec son prophète qu’ils l’ont connu. C’est parce qu’ils ont été mouillés dans une histoire qui n’était pas la leur qu’ils sont entrés en relation avec ce Dieu. Mais ils ont également découvert un Dieu créateur car il est l’Eternel qui commande au ciel , à la terre, et à la mer. Jonas l’a dit aux marins et ils l’ont vu par eux-mêmes.

Il faut ajouter quelque chose de très important. C’est que finalement Jonas sauvé par son Dieu dans le ventre du gros poisson retrouve la voix et les mots de la prière. Il parvient enfin à s’adresser à Dieu, à exprimer son désespoir et son espérance, sa souffrance et sa consolation. Au fond du gouffre la rencontre à lieu. Le prophète a droit lui aussi aux mots du psalmiste, c’est-à-dire à la plainte, à la demande d’aide, à la louange, au miserere.

Ce parcours de la première partie du livre de Jonas nous propose donc un cheminement spirituel extrêmement riche. D’une mission refusée –pour de bonnes ou de mauvaises raisons- Dieu fait de l’or.

Des compagnons d’un voyage hasardeux Dieu fait des signes pour son prophète.

De cette dépression prophétique de son serviteur, Dieu fait un temps de recueillement et de prière.

Chers amis,

Je vous propose ce matin de continuer notre réflexion sur le Livre de Jonas. Dimanche dernier, à partir des chapitres 1 et 2 nous avons réfléchi d’abord à la mission de Jons et aux raisons possibles de son refus, puis à l’attitude religieuse des marins, qui finissent par s’ouvrir au Dieu de Jonas dans la prière.

Mais qui est le Dieu de Jonas ?

Aujourd’hui, à partir des chapitres 3 et 4 je vous propose de méditer cette question, puis celle du repentir.

1) Qui est le Dieu de Jonas ?

Sans conteste le Dieu de Jonas, comme il le dit lui-même est l’Eternel, le Créateur du ciel et de la terre.

Le Dieu de Jonas, c’est encore le Dieu de l’Alliance. C’est le Dieu des commandements, le Dieu de la Tora, le Dieu de Moïse, puisque Jonas se revendique comme hébreu.

Enfin le Dieu de Jonas, c’est aussi le Dieu des prophètes, c’est-à-dire le Dieu plongé dans les affres de l’histoire avec son peuple. Le Dieu qui rappelle ses exigences de justice, le Dieu dont Jérémie pouvait dire :

« Ainsi parle l’Eternel :
que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse.
Que le fort ne se glorifie pas de sa force.
Que le riche ne se glorifie pas de sa richesse.
Mais que celui qui veut se glorifier
se glorifie d’avoir de l’intelligence et de me connaître,
De savoir que je suis l’Eternel
Qui exerce la bonté, le droit et la justice sur la terre.
Car c’est à cela que je prends plaisir dit l’Eternel. »

Le Dieu de Jonas, c’est celui dont la connaissance lui a été transmise par ses pères et par ses pairs. C’est celui de la confession de foi d’Israël. Mais c’est aussi celui qui s’est adressé personnellement à lui, afin de lui confier une mission.

Une chose est d’hériter de Dieu, d’une histoire et d’une connaissance de Dieu Autre chose est de vivre une rencontre personnelle et cruciale avec lui. Autre chose est de recevoir une vocation particulière. Et Jonas fait partie de ces êtres qui ont reçu une vocation particulière.

Enfin Le Dieu de Jonas est également le Dieu qui sauve, le Dieu qui protège de la mort, le Dieu qui relève même de la mort. L’image de Jonas passant trois jours et trois nuits dans le ventre du gros poisson sera d’ailleurs réutilisée pour illustrer la mort et résurrection du Christ.

Matthieu 12:40 En effet, tout comme Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre du grand poisson, de même le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le cœur de la terre.

Par rapport à Jonas, ce Dieu qui sauve et ressuscite est également un Dieu qui fait miséricorde, un Dieu qui s’abstient de toute condamnation mortelle.

Car dans l’exercice de sa fonction prophétique, Jonas a commis une faute grave. Il a désobéi à Dieu et fui sa Parole. Il mériterait la mort.

Or Dieu le sauve et lui confie à nouveau sa mission.

Cela signifie deux choses supplémentaires :

D’abord que le Dieu de Jonas n’est pas un Dieu pour la mort, mais un Dieu pour la vie. C’est un Dieu qui se révèle positivement dans l’épreuve. Comme un Dieu qui a compassion.

Nous l’avons entendu, à Jonas le prophète il est donné, dans le ventre du gros poisson, c’est-à-dire au temps de l’épreuve, de prier avec la voix du psalmiste. Il est donné de trouver les mots de la prière vers Dieu.

Le Dieu de Jonas est un Dieu qu’on peut appeler à l’aide, du fond même du gouffre. Le Dieu de Jonas n’est pas un Dieu qui punit de mort, mais un Dieu qui éveille la conscience avant de rendre vie et force.

La deuxième chose c’est que le Dieu de Jonas est un Dieu de projet. Un Dieu qui a une volonté pour l’avenir. Et qui ne saurait y renoncer.

D’où cette scène que nous avons lue, et qui répète la première scène : « Debout ! Pars pour Ninive, la grande ville, et fais-y entendre le message dont je te charge. » Et il nous est dit que cette fois Jonas obéit à Dieu, va à Ninive, une ville si grande qu’il faut trois jours pour la traverser.

Mais dès le premier jour la prophétie de Jonas obtient des résultats.

Et Dieu, voyant le repentir des Ninivites, les exempte du malheur annoncé.

Alors nous apprenons encore que le Dieu de Jonas est un Dieu qui fait miséricorde à l’ennemi. Car c’est aussi le Dieu de l’ennemi. C’est le Dieu de toute la création et de toutes les créatures.

Et nous avons cette scène tragique, où finalement Jonas est pris dans un paradoxe insoluble.

Il sait, comme il le dit lui-même, que « Dieu est un Dieu bienveillant et compatissant, patient et d’une immense bonté, toujours prêt à revenir sur ses menaces. » Il le sait. C’est en ce Dieu-là qu’il croit, qu’il a mis sa confiance. C’est même ce Dieu-là qui l’a pardonné et sauvé du gouffre…

Il le sait mais il ne peut l’accepter.

En lui quelque chose de profond résiste devant cette évidence et devant cette connaissance : son Dieu, le Dieu de son peuple, fait miséricorde à l’ennemi. Il est aussi Dieu pour l’ennemi.

Dimanche dernier j’ai évoqué deux raisons données par la tradition juive pour expliquer le refus et la révolte de Jonas : la première, qui sera reprise par les Evangiles, c’est que le repentir de Ninive peut être accablant pour Israël qui ne se repent pas à l’écoute de ses prophètes.

« Luc 11:32 Les hommes de Ninive se lèveront, lors du jugement, avec cette génération, et ils la condamneront, parce qu’ils ont changé radicalement à la proclamation de Jonas ; et pourtant il y a ici plus que Jonas.

La seconde c’est que la non-réalisation de la menace contenue dans la prophétie de Jonas peut le faire apparaître comme un faux-prophète, et donc disqualifier in fine la Parole de Dieu.

Mais au-delà de ces explications, la mission de Jonas peut être considérée comme une épreuve spirituelle très profonde, car elle comporte un enjeu théologique majeur.

Et la scène entre Jonas et Dieu devant Ninive peut rappeler, de manière inversée, la scène entre Dieu et Abraham devant Sodome. Devant Sodome menacé de destruction pour ses fautes, Abraham plaidait contre Dieu au nom de la justice. « S’il y a 50 justes vas-tu détruire la ville ? Et s’il y en a 40, 30, 20, 10…. ? »

Devant Ninive c’est Dieu qui plaide contre Jonas au nom de sa miséricorde :

«Tu voudrais que moi je n’aie pas pitié de Ninive, la grande ville, où il y a plus de 120 000 êtres humains qui ignorent ce qui est bon pour eux, ainsi qu’un grand nombre d’animaux ? »

La résistance de Jonas, vue de manière critique, peut être comprise comme du chauvinisme, ou comme un signe de jalousie spirituelle. Jonas ne peut partager l’amour de son Dieu avec l’autre, avec les autres, a fortiori si cet autre est un ennemi. Ceci peut nous faire penser par exemple, à la réaction du fils aîné dans la Parabole du Fils prodigue, qui se révolte de l’accueil si festif que le Père réserve à son frère repentant.

Mais si on lit cette résistance de Jonas de manière positive, on peut la comprendre comme un signe de la liberté imprenable de Dieu.

Cette liberté fait que sa miséricorde dépasse tout ce que l’homme peut attendre, imaginer ou espérer.

Il y a en Dieu de l’inconcevable pour l’esprit humain, comme l’exprime si justement le prophète Esaïe :

« Cherchez l’Eternel pendant qu’il se trouve ; invoquez-le pendant qu’il est près.

Que le méchant abandonne sa voie,

et l’homme d’iniquité ses pensées ;

qu’il retourne à l’Eternel, qui aura pitié de lui,

à notre Dieu, qui ne se lasse pas de pardonner.

Car mes pensées ne sont pas vos pensées,

et vos voies ne sont pas mes voies. »

Le Dieu de Jonas est donc ce Dieu du monothéisme qui ne se laisse enfermer dans aucune image de lui-même, dans aucune idéologie, et que personne ne peut s’approprier, car quiconque le connaît reçoit immédiatement mission de le faire connaître aux autres, et de témoigner de lui. Dieu ne donne connaissance de lui-même que dans le but que cette connaissance devienne bénédiction pour toute les nations. C’est bien dans ce sens qu’Israël est dite lumière des nations.

Et ce qu’il y a de remarquable et d’exemplaire chez Jonas, c’est qu’il accomplit sa mission, même s’il est dépassé et en désaccord profond avec ce que Dieu lui demande.

2) Quel est le sens du repentir de Ninive ?

Notre seconde question pour aujourd’hui concerne le repentir de Ninive. Je voudrais juste faire trois remarques :

- Nous l’avons entendu : Jonas annonce une catastrophe dans quarante jours, et il est dit que les Ninivites eurent foi, eurent confiance en Dieu. « aminou » en hébreu. Notre traduction dit très justement : « Ils prirent au sérieux la Parole de Dieu. » Et ils la prirent tellement au sérieux qu’ils s’imposèrent immédiatement l’expression du repentir, c’est-à-dire le jeûne et les habits de deuil.

Cela pose deux questions :

- quel rôle joue la peur dans leur repentir ?

- quel est le sens des signes extérieurs ?

Un commentateur dit que le repentir des ninivites étaient mû plus par la crainte du pouvoir d’une divinité de châtier ses sujets que par la reconnaissance de l’Eternel comme Dieu.

Mais un autre commentateur insiste sur les 40 jours de grâce : les habitants de Ninive y voient la possibilité de s’amender et d’abolir le décret divin.

En tout cas ce qu’on peut retenir, c’est que la peur peut avoir parfois une vertu pédagogique. Elle peut servir de déclic à des actions et réactions positives. Et de toute façon, l’essentiel chez les Ninivites, c’est qu’à l’écoute de Jonas ils ont foi en Dieu et prennent au sérieux sa Parole.

Et le jeûne spontané, ainsi que les habits de deuil apparaissent comme une manifestation non seulement physique mais également symbolique de ce repentir.

Pour l’instant il ne se traduit pas encore sur le plan éthique. Rien n’est dit de l’attitude de cœur des gens de Ninive, mais l’attitude du corps peut être comprise comme un signe ou une préparation d’une nouvelle orientation de leur vie.

- Seconde remarque : Paradoxalement, la dimension éthique du repentir va apparaître avec l’intervention du pouvoir politique. Est-ce parce que l’exemple vient d’en haut ?

Le roi de Ninive touché lui-même par les événements, va prendre le deuil et proclamer un décret de repentance. Et ce décret ne va toucher seulement les humains mais également les animaux. Il ne va pas toucher seulement l’apparence extérieure, mais également l’intériorité des consciences : « Que chacun appelle Dieu au secours de toutes ses forces, que chacun se détourne de son mauvais chemin et du vol qui est dans ses paumes. »

Là encore on peut s’interroger sur le rôle de la peur dans le repentir du Roi de Ninive. Mais après tout si la peur nous conduisait à pratiquer davantage la justice, le respect, et la fraternité sur le plan politique, il faudrait lui reconnaître une vertu pédagogique intéressante.

Surtout ce qui apparaît intéressant dans ce passage, c’est la solidarité de trois niveaux : le niveau politique (puisqu’il s’agit d’un décret royal et public), le niveau personnel (puisque les consciences sont sollicitées sur le plan éthique) et le niveau écologique ou cosmique (puisque les animaux sont également concernés et qu’on peut penser qu’ils symbolisent la création toute entière.)

Alors l’histoire du repentir de Ninive peut être lue comme un rêve. Un rêve qui ne concerne pas un autre monde, mais notre monde. Un rêve qui n’est pas un songe creux, une illusion ou une évasion de la réalité, mais un rêve qui réalise la volonté de Dieu sur cette terre.

Et cette volonté on découvre alors que ce n’est pas la construction babélienne du meilleur des mondes, mais c’est un monde dont le fondement, ou la clef de voûte, est le repentir. La puissance de l’amour en ce monde est liée à la possibilité du repentir.

Quand il n’y a pas de possibilité du repentir, quand il y a refus du repentir, la puissance d’amour est étouffée, elle ne peut se déployer.

Et ce qui est vrai pour les consciences et les vies personnelles l’est également au niveau des groupes humains, des peuples et des nations, c’est-à-dire au niveau de la vie politique.

Et c’est encore vrai au niveau de la création, au niveau cosmique. Sans cette possibilité fondamentale du repentir, le monde ne serait pas viable.

- Et ceci me conduit à une dernière remarque, sur le plan théologique : c’est que le Dieu créateur est en même temps le Dieu miséricordieux. La Dieu de l’Alliance, de la Loi et de la justice est en même temps le Dieu de la grâce et du pardon.

Et c’est ce « en même temps » qui importe ici. Car il évite toute chronologie trompeuse sur l’action de Dieu. Et il nous apprend que création et rédemption sont intimement mêlées.

Dieu ne donne pas la vie sans donner l’amour qui est le sens de la vie

Et sans donner cette clef fondamentale de l’amour qu’est le repentir.

« C’est le moyen préconisé par Dieu lui-même, le don fait à l’homme –peut-être le plus grand de tous ses dons, car sans lui, l’homme n’aurait aucune possibilité de se redresser après avoir trébuché. »

Chers amis, nous avons donc ainsi terminé –pour le moment- notre parcours dans le livre de Jonas.

Depuis la fuite de Jonas jusqu’à l’accomplissement de sa mission, nous avons découvert un homme et un Dieu.

Un homme dans sa fidélité et sa fragilité. Un Dieu qui se révèle être Dieu pour chacun et pour tous, pour son peuple et pour la terre entière, pour l’humanité mais aussi pour les animaux, les plantes et le cosmos. Un Dieu miséricordieux et sauveur, qui juge lucidement du bien et du mal mais dont la volonté est orientée vers le pardon et la vie. Un Dieu qui offre à l’homme ce trésor si précieux qu’est la capacité de la conscience et la possibilité du repentir.

Amen !

Lecture de la Bible

Jonas 1

1 La parole de l’Eternel fut adressée à Jonas, fils d’Amitthaï, en ces mots: 2 Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et crie contre elle! car sa méchanceté est montée jusqu’à moi. 3 Et Jonas se leva pour s’enfuir à Tarsis, loin de la face de l’Eternel. Il descendit à Japho, et il trouva un navire qui allait à Tarsis; il paya le prix du transport, et s’embarqua pour aller avec les passagers à Tarsis, loin de la face de l’Eternel. 4 Mais l’Eternel fit souffler sur la mer un vent impétueux, et il s’éleva sur la mer une grande tempête. Le navire menaçait de faire naufrage. 5 Les mariniers eurent peur, ils implorèrent chacun leur dieu, et ils jetèrent dans la mer les objets qui étaient sur le navire, afin de le rendre plus léger. Jonas descendit au fond du navire, se coucha, et s’endormit profondément. 6 Le pilote s’approcha de lui, et lui dit: Pourquoi dors-tu? Lève-toi, invoque ton Dieu! peut-être voudra-t-il penser à nous, et nous ne périrons pas. 7 Et ils se dirent l’un à l’autre: Venez, et tirons au sort, pour savoir qui nous attire ce malheur. Ils tirèrent au sort, et le sort tomba sur Jonas. 8 Alors ils lui dirent: Dis-nous qui nous attire ce malheur. Quelles sont les affaires, et d’où viens-tu? Quel est ton pays, et de quel peuple es-tu? 9 Il leur répondit: Je suis Hébreu, et je crains l’Eternel, le Dieu des cieux, qui a fait la mer et la terre. 10 Ces hommes eurent une grande frayeur, et ils lui dirent: Pourquoi as-tu fait cela? Car ces hommes savaient qu’il fuyait loin de la face de l’Eternel, parce qu’il le leur avait déclaré. 11 Ils lui dirent: Que te ferons-nous, pour que la mer se calme envers nous? Car la mer était de plus en plus orageuse. 12 Il leur répondit: Prenez-moi, et jetez-moi dans la mer, et la mer se calmera envers vous; car je sais que c’est moi qui attire sur vous cette grande tempête. 13 Ces hommes ramaient pour gagner la terre, mais ils ne le purent, parce que la mer s’agitait toujours plus contre eux. 14 Alors ils invoquèrent l’Eternel, et dirent: O Eternel, ne nous fais pas périr à cause de la vie de cet homme, et ne nous charge pas du sang innocent! Car toi, Eternel, tu fais ce que tu veux. 15 Puis ils prirent Jonas, et le jetèrent dans la mer. Et la fureur de la mer s’apaisa. 16 Ces hommes furent saisis d’une grande crainte de l’Eternel, et ils offrirent un sacrifice à l’Eternel, et firent des voeux. 17 (-) L’Eternel fit venir un grand poisson pour engloutir Jonas, et Jonas fut dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits.

Jonas 2

1 Jonas, dans le ventre du poisson, pria l’Eternel, son Dieu. 2 (-) Il dit: Dans ma détresse, j’ai invoqué l’Eternel, Et il m’a exaucé; Du sein du séjour des morts j’ai crié, Et tu as entendu ma voix. 3 (-) Tu m’as jeté dans l’abîme, dans le coeur de la mer, Et les courants d’eau m’ont environné; Toutes tes vagues et tous tes flots ont passé sur moi. 4 (-) Je disais: Je suis chassé loin de ton regard! Mais je verrai encore ton saint temple. 5 (-) Les eaux m’ont couvert jusqu’à m’ôter la vie, L’abîme m’a enveloppé, Les roseaux ont entouré ma tête. 6 (-) Je suis descendu jusqu’aux racines des montagnes, Les barres de la terre m’enfermaient pour toujours; Mais tu m’as fait remonter vivant de la fosse, Eternel, mon Dieu! 7 (-) Quand mon âme était abattue au-dedans de moi, Je me suis souvenu de l’Eternel, Et ma prière est parvenue jusqu’à toi, Dans ton saint temple. 8 (-) Ceux qui s’attachent à de vaines idoles Eloignent d’eux la miséricorde. 9 (-) Pour moi, je t’offrirai des sacrifices avec un cri d’actions de grâces, J’accomplirai les voeux que j’ai faits: Le salut vient de l’Eternel. 10 (-) L’Eternel parla au poisson, et le poisson vomit Jonas sur la terre.