Calme et tranquille

Psaume 131:1-2

Culte du 29 septembre 1946
Prédication de André-Numa Bertrand

Notes (inachevées) prises à la dernière prédication du pasteur A.-N. Bertrand
 

« J'ai l'âme calme et tranquille... » . Combien de chrétiens, en lisant cette parole, ont dû laisser retomber le livre sur leurs genoux et baisser la tête, avec peut-être des larmes dans leurs yeux, parce que ces mots exprimaient avec une précision pénétrante ce qu'ils auraient voulu posséder et qu'ils ne possédaient pas ? Ce trésor d'une âme calme et paisible apparaît aux hommes de notre génération comme un paradis perdu ; et il faut croire que, de tout temps, il a été rare parmi les hommes. Il leur est apparu comme un de ces privilèges réservés aux enfants et que le temps, la vie, nous ravissent inexorablement. Je suis comme un petit enfant aux côtés de sa mère, dit le Psalmiste, un tout petit, qui se tient là tout près, qui ne quitte pas le contact des bras maternels. Un enfant sevré, disent nos traductions : non pas un nourrisson qui est encore sur les genoux de, sa mère, qui reste là parce qu'il ne peut pas autrement, et qui reste là où on le met, comme une chose, une petite chose exquise, mais qui n'est pas encore une personne, dont la paix, la tranquillité, n'est pas autre chose que le reflet d'un organisme bien portant, mais un enfant déjà debout sur ses pieds, qui reste là, contre sa mère, parce que là est la tranquillité et la paix.

Mais une fois disparues ces années bénies de l'enfance, qui donc conserve ce trésor inestimable ? N'est-ce pas précisément pour cela que Jésus nous demande de revenir vers ces jours de notre enfance ? Mais comment nous y prendre ? Il semble que nous ayons dans ces quelques mots simples et comme enfantins, une sorte d'hygiène spirituelle génératrice de paix, et comme dans une conclusion où la voix se fait soudain plus grave, le véritable secret de la paix intérieure et du calme.

Lorsqu'on cherche le chemin qui conduit à ces paysages enchantés du calme et de la paix, rien n'est plus précieux que d'écouter ceux qui ont trouvé et nous offrent la leçon de leur expérience et de leur vie. Tout cela nous est dit par le Psalmiste en de petites phrases simples et claires.

« Je n'ai pas un cœur qui s'enfle ni des regards hautains. » Les deux membres de cette phrase expriment les deux aspects complémentaires d'une seule et même vertu : l'humilité. Un cœur qui s'enfle, c'est un cœur plein d'ambitions et de prétentions, qui veut se grandir, se grossir, usurper des dimensions qui ne lui conviennent pas ; et des regards hautains sont la manifestation, dans la vie avec les hommes, de ce désir désordonné de se faire plus grand que nature, plus grand que de raison.

Et qui pourrait nier que si la paix nous fuit, ce soit précisément parce que nous ne savons pas résister à cette poussée instinctive des ambitions et des prétentions et que nous nous dressons ainsi à la fois contre nous-mêmes et contre les autres. Qui pourrait nier que si nous retenions en nous la poussée d'un cœur qui s'enfle, si nous ne levions pas sur les autres des regards hautains, il y aurait en nous et autour de nous plus de paix, plus de calme qu'il n'y en a aujourd'hui ? Des cœurs humbles, s'exprimant par des regards modestes, voilà la source de la paix intérieure ; ou tout au moins la condition de son maintien en nous et avec les autres hommes. Il est curieux de voir que, pour exprimer ces vérités, le Psalmiste se serve de paroles simples et concrètes au point de sembler enfantines ; ainsi se révèle, jusque dans sa façon de parler, la facilité, la simplicité des moyens à mettre en œuvre pour avoir l'âme calme et tranquille ; garde-toi du cœur qui s'enfle, garde-toi des regards hautains. Car le cœur qui s'enfle n'est pas seulement celui qui se laisse gonfler par des ambitions démesurées, c'est celui qui met sa confiance en lui-même, qui dit « Moi, et c'est assez ! J'irai, je ferai...». Insensé, en qui te confies-tu ? que ne dis-tu plutôt « si Dieu le veut et si je suis encore en vie...» (Épitre de Jacques, 4:13-15). Cette fausse confiance que nous mettons en nous-mêmes, et qui nous fait regarder de haut en bas tout ce qui n'est pas nous, voilà le principal obstacle à notre paix. Comment avoir l'âme calme et paisible, lorsque toute notre certitude se repose sur nous-même et sur notre force, et que Dieu est mis en marge de notre vie ? Maintenant nous comprenons la valeur de ce premier mot du Psalmiste : « Éternel, je n'ai ni un cœur qui s'enfle ni des regards hautains... ». La première voie qui conduit à cet abandon paisible est celle de l'humilité et de la confiance.

Et le Psalmiste poursuit : « Je ne m'occupe pas de choses trop grandes et trop relevées pour moi. » Ici la plupart des hommes de notre temps et même des chrétiens, cessent de nous suivre et protestent intérieurement : ici commence la mauvaise, la fausse humilité. Porter en soi un cœur gonflé d'orgueil, jeter sur les autres des regards de mépris, c'est assurément un mal, et celui qui s'est libéré par l'humilité, celui-là se rapproche de Dieu et de sa paix ; voilà une bonne humilité, l'humilité du cœur. Mais s'occuper de ce qui est grand, des questions les plus élevées qui puissent se poser devant l'esprit humain, quel mal y a-t-il à cela ? Ce que vous baptisez humilité n'est ici que l'abdication de l'esprit en face de la vérité, le mépris de la pensée, et finalement le reniement de l'esprit humain dans sa recherche de la vérité. Autant était beau, dans sa simplicité, l'idéal qui s'exprimait magnifiquement : «ni un cœur qui s'enfle, ni des regards hautains », autant est médiocre celui qui s'exprime ainsi. Ne pas s'attacher aux hautes questions de la vie spirituelle, les déclarer « trop relevées » pour nous, en quoi cela peut-il nous rapprocher de Dieu ? Cela nous rabaisse au contraire à nos propres yeux comme aux siens.

Ici encore, il faut faire la part de cette forme enfantine dont sont revêtues les paroles du Psalmiste, et qui les rend par ailleurs si sympathiques. Mais n'est-il pas vrai qu'il y a un orgueil de l'esprit comme il y a un orgueil de la chair et un orgueil du cœur ? L'homme qui s'occupe de choses trop relevées pour lui, ce n'est pas celui qui se penche avec respect et dans un sentiment d'adoration sur les grands problèmes de la pensée religieuse, c'est celui qui refuse de s'arrêter devant le mystère ; c'est celui qui s'imagine que rien n'est trop haut, rien n'est trop relevé pour son esprit, ni d'une façon plus générale pour l'esprit de l'homme. Il y a ainsi certains chrétiens pour qui la foi n'est pas l'acceptation du mystère, mais la révélation de toutes ses arcanes, le refus de dire « je ne sais pas », parce que dans la foi nous sont révélés tous les mystères de Dieu. Que les théologiens ou les philosophes appellent cela comme ils voudront, rationalisme ou dogmatisme, peu nous importe ; nous ne sommes ici ni théologiens ni philosophes, nous sommes des hommes et des femmes qui cherchent ce que Dieu leur offre et ce qu'Il attend d'eux, et il me semble que le fait d'accepter humblement leur ignorance est une des conditions de cette paix après laquelle soupirent les hommes. Comment être paisible si l'on se heurte à tous les mystères, si on se révolte toutes les fois que l'on se trouve en présence d'une question trop élevée pour nous, comme dit le Psalmiste ? Il y a une sorte de discrétion spirituelle qui nous impose une réserve respectueuse devant les choses qui nous dépassent, car il y a dans le monde, et plus encore dans le monde des esprits, des choses qui sont sans commune mesure avec notre faculté de connaître et qu'il faut par conséquent savoir ignorer sans que cette ignorance porte atteinte à notre paix intérieure.

Ainsi ce que nous appelions l'hygiène morale capable d'ouvrir nos cœurs à la paix intérieure et à l'abandon entre les mains de Dieu, se résume dans un seul mot : l'humilité, avec ses formes et ses applications diverses ; humilité dans nos prétentions et ambitions, humilité dans nos rapports avec les hommes, humilité devant la pensée, devant la vérité ; en vérité, tout est dans ce peu de mots : « Je n'ai ni un cœur qui s'enfle, ni des regards hautains, je ne m'occupe pas de choses trop grandes et trop élevées pour moi ».

Mais tout cela ne contient encore que des conditions négatives de la paix intérieure, une hygiène qui nous permettra de maintenir notre tranquillité spirituelle. La condition positive, créatrice, est ailleurs et s'exprime dans les derniers mots du Psalmiste « Mettez votre espoir en l'Éternel, dès maintenant et à jamais ».

Le reste ne va qu'à créer un certain vide mais il faut aussi le remplir. L'abandon ne saurait naître de cette seule purification intérieure ; il lui faut un centre positif. On ne s'abandonne pas dans le vide, sous peine de s'écrouler ; c'est pourquoi une pareille attitude est incompréhensible pour les hommes sans foi. Pour eux, elle est une abdication, un abandon de soi-même. Mais celui qui a mis sa confiance en Dieu « dès maintenant et pour toujours », celui-là sait qu'il peut renoncer à enfler son cœur, et à chercher une pensée qui domine tout.

Et c'est là le destin magnifique du Christ. Il a été le bénéficiaire de cette paix parce qu'il a su se confier entièrement entre les mains de Dieu ; et parce qu'il a su s'abaisser ainsi, il est devenu pour les autres ce que Dieu avait été pour lui. Celui qui s'était abaissé, maintenant élève les autres. Quiconque s'abaisse sera élevé, mais, à celui qui s'est abaissé au-dessous de tous les hommes, il est donné maintenant d'élever les autres, et pas seulement d'être élevé lui-même.

Lecture de la Bible

« Éternel ! je n'ai ni un cœur qui s'enfle, ni des regards hautains ; je ne m'occupe pas de choses trop grandes et trop relevées pour moi. Loin de là, j'ai l'âme calme et tranquille. Connue un enfant sevré qui est auprès de sa mère. »
Psaume 131:1-2