Aime ton prochain comme toi-même

Lévitique 19:18

Culte du 19 juillet 2020
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

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Culte à l'Oratoire du Louvre

Dimanche 19 juillet 2020
 Aime ton prochain comme toi-même.
Lévitique 19 : 18

Culte par le Pasteur Béatrice Cléro-Mazire
Musique : David Cassan, organiste titulaire

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Prédication

Aime ton prochain comme toi-même.
Lévitique 19 : 18

    La période estivale se prête parfois aux retrouvailles. Le temps des congés est pour beaucoup un temps pour reprendre langue ou contact avec des proches. Des amis, la famille, ceux qui nous sont liés par des fils invisibles et qui nous manquent quand nous ne pouvons pas les voir.

    Cette période est aussi, pour beaucoup d’autres, le moment de l’éloignement, de l’absence et, pour ceux qui restent, de la solitude. Les proches partent en vacances, laissant ceux qui restent amputés d’une partie d’eux-mêmes. 

    Si loin, si proche : le prochain est cet autre qui nous est nécessaire. 

    Dans le livre du Lévitique est écrit un très court verset, qui pourtant contient toute la difficulté de notre fidélité aux autres et à nous-mêmes. « Aime ton prochain comme toi-même ». Ce commandement, prêté à Dieu, nous parle de relations toutes plus difficiles à cerner les unes que les autres : Dieu nous demande d’obéir à son commandement, à moins qu’il ne nous recommande d’agir de cette façon pour notre propre bien. Dieu nous parle de notre relation à un « prochain », dont la relation avec nous n’est pas vraiment très claire : est-ce celui qui s’approche de nous et que nous n’avons pas choisi ? Est-ce celui qui est proche parce que nous l’aimons ? Enfin Dieu nous donne une indication pour régler notre manière d’entrer en relation avec ce prochain : il faut l’aimer comme soi-même. Est-ce que cela veut dire : comme on s’aime soi-même, ou bien, est-ce que cela veut dire qu’il faut aimer le prochain comme nous-mêmes nous sommes aimés de Dieu ? 

    Plusieurs difficultés se font jour dans le texte hébreu lui-même. Dans son article "L'amitié selon la Bible hébraïque", Thomas Römer écrit : « Contrairement aux langues européennes, l’hébreu biblique ne fait pas de distinction entre « amitié » et « amour ». Pour décrire ces deux relations, il utilise la racine ’ahab. La langue de la Bible hébraïque ne fait donc pas, au niveau du vocabulaire, la distinction entre eros et agapé ou philia, entre l’amour érotique et l’amour du prochain, l’altruisme ou l’amitié. Il n’existe en effet aucun terme spécifique pour désigner l’amitié ». L'amitié selon la Bible hébraïque [ Transversalités 2010/1 (N° 113), pages 31 à 45 ].

Ce commandement d’amour recèle donc toutes les nuances de l’amour. Dans le Premier Testament, la racine « ahab » est utilisée aussi bien pour une relation entre homme et femme, que pour celle de deux hommes. C’est ce qui a fait qu’on s’est emparé de l’amitié entre David et Jonathan pour en faire une histoire d’amour homosexuel dont les enjeux étaient assez anachroniques. Le récit de la relation de David et Jonathan nous parle davantage de la légitimité de la royauté davidique que de l’acceptation ou non par Dieu de l’homosexualité. Cela ne veut pas dire qu’il faille condamner l’amour homosexuel, mais la Bible ne peut servir directement à régler nos débats contemporains. 

Le même terme est employé pour l’amour entre un père et son fils, mais aussi entre un esclave et son maître ou encore entre le roi et l’émigré. Et enfin, bien sûr, Yahvé aime son peuple et Israël aime Dieu d’un amour qui se dit avec le même vocable. Ce n’est donc pas le verbe aimer « ahab » qui nous aidera à comprendre ce qui distingue cet amour du prochain d’un autre amour. 

    Alors, peut-être que la compréhension de qui l’on doit aimer et de quelle façon on doit s’y prendre, nous ouvrira la voie à suivre pour obéir à ce commandement, ou pour respecter la recommandation qui nous est faite. 

    Qui est ce prochain dont on nous parle ici ? 

    Le proche, dans la Bible, c’est celui qui est du même clan, le voisin, le compagnon, et bien sûr, l’ami. On a envers le prochain des devoirs, mais aussi une confiance. On est en droit d’attendre certains égards ou une certaine solidarité de la part du prochain. Et même si l’on est déçu par ce prochain, c’est justement parce qu’on l’estime faire partie de la même sphère que soi, avoir une connivence avec lui, qui nous permet d'en attendre beaucoup. 

    Dans le livre des Proverbes, l’ami est celui qui rend plus heureux, mais c’est aussi celui qui a la confiance nécessaire pour être franc et dire quand quelque chose ne convient pas où quand l’ami fait fausse route. 

    Depuis des temps très anciens, l’ami est celui qui corrige l’égocentrisme de l’humain. Dans l’épopée de Gilgamesh, le peuple se plaint à Dieu de son roi qui est tyrannique et il explique cette situation par la solitude du roi Gilgamesh. Il a besoin d’un confident, il a besoin d’un ami. Alors Dieu va envoyer Enkidu, en guise de vis-à-vis qui puisse décentrer de lui-même le tyran. 

    Ne pas laisser l’homme seul, voilà bien la vocation du prochain. Rappeler par son existence, que l’homme ne s’est pas fait seul et qu’il n’existe pas seul. 

    Dès la Genèse, on prête à Dieu une constatation : « il n’est pas bon que l’homme soit seul, je vais lui faire une aide, un vis-à-vis, selon ce qui est en face de lui ». 

    L’homme sans l’autre, sans le vis-à-vis, n’est pas l’homme. Ce n’est pas seulement une mauvaise chose d’être sans vis-à-vis : l’autre en face de nous est une condition vitale de notre humanité. 

    Nous le constatons dans nos maisons de retraite en ce moment, où les personnes âgées les plus fragiles, privées de visites pendant le confinement, sans contact humain, obligées de rester seules dans leur chambre, déclinent et se laissent glisser petit à petit, faute de relations sociales. Ces personnes n’auront pas eu le virus, et c’est bien, mais elles meurent d’isolement, de manque de l’autre. 

    Plusieurs fois dans la Bible, Dieu est celui qui donne un vis-à-vis à celui qui est seul. 

    Dans le livre de Tobit, Dieu envoie son ange Raphaël auprès de Tobias pour l’accompagner dans son voyage et prendre soin de lui. 

    Dans le livre de Ruth, Noémi est seule et dans le dénuement le plus complet. Et c’est sa belle-fille Ruth - dont le nom veut dire : compagne, voisine, amie - qui va sauver sa belle-mère, laquelle finissait par se faire appeler Mara « celle qui est amère », celle qui avait perdu ses fils et donc son avenir. La solidarité des deux femmes est une lumière dans la misère ; elle nous montre que quelles que soient les différences, de foi, d’origine, d’âge, il est possible de s’entraider et de se rétablir. 

    Évidemment, c’est dans le chapitre 2 que ce don du vis-à-vis est le plus flagrant. 

    Thomas Römer écrit encore : «  Yahvé crée ensuite le vrai vis-à-vis de l’homme par une sorte de dédoublement d’Adam. Il ne s’agit probablement pas d’une côte, comme le veut l’interprétation populaire et la plupart des traductions de ce passage, mais plutôt de l’idée que Dieu scinde Adam en deux pour créer deux êtres humains qui se sentent liés entre eux. Ce lien étroit est souligné dans le texte hébreu par un jeu de mots : « Celle-ci on l’appellera ’ishsha (femme) car de ’ish (l’homme) elle a été prise » (Gn 2, 23). Le texte de la Genèse présente ici la femme comme étant le vis-à-vis. On a souvent interprété ce texte dans la perspective du mariage et de la complémentarité des sexes. D’une manière plus générale, ce texte souligne d’abord le fait que l’être est un être social et ne peut vivre sans un compagnon ». L'amitié selon la Bible hébraïque [Transversalités  2010/1 (N° 113), pages 31 à 45] 

    Cette interprétation consonne, cette fois,  plus avec le mythe platonicien des androgynes qui cherchent leur moitié coupée par Zeus, qu’avec l’idée, communément admise, d’une hiérarchisation des sexes. 

    Ce mythe de la coupure originelle, nous renvoie au désir de l’autre qui est plus profond en moi que moi-même. Cet autre qui me révèle, qui fait de moi ce qui est vu par l’autre, ce qui existe pour un autre. N’est-ce pas la position de Dieu lui-même, ce tout autre divin qui me permet d’être moi-même humain, quand bien même je ne saurais pas définir ce que c’est qu’être humain ? 

    Le prochain serait donc cet autre en relation avec moi et sans lequel ce moi n’existe pas. Le prochain c’est la distance, grande ou petite, la relation et donc la possibilité de me développer vers et pour les autres. 

    Alors aimer son prochain comme soi-même, prend un sens renouvelé. Tandis que « le comme toi-même » posait un problème à la morale qui veut que l’on s’oublie dans l’amour pour que cet amour soit sincère et désintéressé, et qui soupçonne l’altruisme de n’être en fait qu’un narcissisme, il prend, cette fois, une toute autre allure. 

    « Aime ton prochain comme toi-même » nous lie à l’autre dans un amour confiant, où l’autre nous comprend mieux que nous-même. 

    Cette façon d’aimer oblige à l’humilité, car le prochain qu’il m’est donné d’aimer me rappelle toujours à moi-même et à ce que je ferais à sa place, à ce que je supporterais dans sa situation, à ce que je serais si j’étais lui et non moi. Et pourtant, il ne s’agit pas de projeter sur l’autre nos propres vues, mais plutôt de voir l’autre comme soi-même pour devenir meilleur. Plus complexe, plus mesuré, plus nuancé. 

    L’humanité s’apprend entre humains. Et même quand un grand personnage est appelé « ami » de Dieu, comme Abraham, le père de tous les croyants, qui leur ouvre la voie comme un bon patriarche montre l’exemple ;  ou quand il s’appelle « proche » de Dieu, comme Moïse, l’intercesseur des hommes auprès de Dieu pour calmer sa colère, permettant à Dieu d’être plus doux et aux hommes d’être pardonnés ; la relation est encore humaine et Dieu y est présent de façon anthropomorphique. Abraham et Moïse rendent plus humains Dieu lui-même. Et Dieu est leur ami en comprenant leur situation et en se confiant à eux. 

    Bien sûr, on pourrait comprendre ce verset comme l’apprentissage de l’amour qu’on se doit à soi-même et qui nous pousserait à faire de même avec notre prochain. 

    Mais ici, ce n’est pas moi ou l’autre qui compte de façon statique ; ce qui compte, c’est le point de vue de chacun et que chacun soit capable d’adopter le point de vue de l’autre. C’est de l’empathie, me direz-vous. Peut-être mais une empathie qui ne se limite pas à éprouver de la mansuétude à l’égard d’un autre qui resterait autre, mais qui me fait changer de point de vue pour vraiment grandir en adoptant le point de vue de l’autre, devenant moi-même autre. 

    Dieu semble dire : Aime cet autre qui est obscur à ta compréhension comme tu es toi-même obscur à ta propre compréhension. Vous êtes de la même origine obscure. 

    Aimer de cette façon, c’est s’assurer d’un grand nombre d’amis, si toutefois l’autre est capable de faire le même chemin d’amour. Nous cherchons tous cette complétude dans nos vies, et les misanthropes sont rares au bout du compte, qui n’aiment aucun autre. 

    Ce qui domine, c’est la soif d’amour. Qu’il soit pour l’ami, l’époux, l’enfant, le parent ou l’inconnu. L’homme aime être aimé, mais il a absolument besoin d’aimer. N’avoir personne à choyer, à entourer, à écouter, c’est manquer cette possibilité d’être plus humain et celle de vivre la révélation de soi comme un autre. La recherche d’un autre à aimer, à aider, dont on prenne soin, a été critiquée comme si l’un  cherchait son avantage à travers l’autre, comme si on l’utilisait pour des fins toutes égoïstes. Pourtant, quand cette dimension de la vie n’existe pas, le cœur peut être sec. 

    En nous privant de rencontres, ce confinement nous aura fait prendre le risque, pour certains d’entre nous, d’être privé d’amour, et donc d’humanité. Nous ne pouvons vivre humainement sans aimer, quoiqu’il en coûte. Aimer beaucoup, et de façon variée, dans l’amitié, la charité, la foi ou l’érotisme, toutes ces dimensions participent de la même amitié qui nous révèle. 

    Annoncer le salut de Dieu, est donc annoncer l’amour de Dieu. Pas seulement celui qu’il a pour nous, ou que nous avons par lui, mais celui que nous devons avoir pour notre prochain qui est comme nous-mêmes en Dieu, mais tout autre pour nous. Quand Jésus reprend ce commandement, il le vit en accueillant dans son amour ceux qui cherchent un salut pour leur vie, ceux qui ne sont pas certains d’être aimés de Dieu, ceux qui se sentent indignes d’un tel amour. Jésus sera avec tous ceux-là, autre qu’eux humainement et comme eux en Dieu. Et c’est cet amour sans jugement, qui sauvera ceux qui lui demandent le salut. Car il ne les sauve pas d’un point de vue moral, il les sauve d’un point de vue ontologique, il sauve leur vie même en la réhabilitant et en s’en rapprochant sans la condamner. Il les transforme en prochains. Ils deviennent importants pour sa propre humanité et sa propre foi. 

    Aimons-nous les uns les autres, et Dieu nous révélera les uns aux autres aussi à nous-mêmes.

    Nous sommes les uns pour les autres le salut de notre incomplétude.


Amen

Lévitique 19:18

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Lecture de la Bible

Lévitique 19:18

Tu ne te vengeras pas, et tu ne garderas pas de rancune envers les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l'Éternel.

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