Sommaire du N° 826 (2022 T1+T2)

De l'usage du secret dans l'Eglise

« Il leur recommande de n'en parler à personne »
(Marc 7:36)

Éditorial par Aurore Saglio Thebault, présidente du Conseil presbytéral

« La Réforme a lutté dès ses origines contre un christianisme du secret et le protestantisme, au cours de son histoire, pour un christianisme de l’intériorité, de l’intime conviction, du respect de l’individu et de son secret » exposait Laurent Gagnebin lors des journées Évangile & Liberté 2006 dont le thème était : « Secrets, faut-il cacher ? »... [lire la suite]

De l’usage du secret dans l’église

Eloge du secret, par G. Monod, psychiatre  
5
Une vision artistique du secret, par J.-P. Cléro, philosophe
6
Transparence et discrétion, par J.-D. Roque, conseiller juridique de l’EPUdF
7
Entretien pastoral, bulle de secret, par B. Cléro-Mazire, pasteure
8
Le secret professionnel dans l’aumônerie des prisons, par A. Adeline-Schaeffer, pasteure
10
Les mécanismes d’emprise liés au secret dans les domaines religieux, par T. Bouvatier, psychanalyste
12
La victime, le silence et la loi, par P. Curiace, juriste
13
Le secret autour de Jésus, par F. Vouga, professeur de Nouveau Testament
14
Mission de l’église et ministères

Notre contribution au Synode régional
16
L’Oratoire au gré de la Covid-19 (vague 4 et début de la vague 5)

L’été 2021 et les nouveautés de la rentrée
18
Les Journées du Patrimoine 2021
20
La reprise des concerts
22
Un mois de décembre solidaire et chaleureux
24
L’agenda et les activités du premier semestre 2022
26
Le carnet
33
Les contacts
35

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Dossier du mois
De l’usage du secret dans l’église

Éditorial

par Aurore Saglio Thébault, Présidente du Conseil Presbytéral de l'Oratoire du Louvre

« La Réforme a lutté dès ses origines contre un christianisme du secret et le protestantisme, au cours de son histoire, pour un christianisme de l’intériorité, de l’intime conviction, du respect de l’individu et de son secret » exposait Laurent Gagnebin lors des journées Évangile & Liberté 2006 dont le thème était : « Secrets, faut-il cacher ? ». 

A l’aune du rapport de la CIASE sur les abus sexuels dans l’Église catholique et des débats sur le secret de la confession qui suivirent, la question de l’usage du secret dans l’église est brûlante d’actualité. Dans notre société, secret et transparence s’opposent plus que jamais. Ce qui est caché devient suspect. L’intimité devient anachronique. Il y a un vertige de la transparence, devenue exigence morale. 

Puisque nous, protestants réformés, avons lutté pour que savoir ne rime plus avec pouvoir, pour que le latin ne soit plus la langue de la Bible, de l’office, des ouvrages de théologie, qu’il n’y ait plus de sacrement de pénitence, de pouvoir clérical mais la promotion d’un sacerdoce universel, les dérives dénoncées dans le rapport de la CIASE ne concerneraient-elles que l’Église catholique ? Non, le célibat n’explique pas tout.

Les méfaits du cléricalisme et du littéralisme, les abus d’“autorité” qui y sont clairement décrits, menacent toutes les églises. Ce que la paroisse de l’Oratoire ne cesse de promouvoir depuis plus de 140 ans est préconisé sans ambiguïté dans ce rapport : « enseigner que les Évangiles donnent l’exemple d’une parole comme dynamique, non pas de pouvoir sur l’autre, mais de volonté de le faire grandir et advenir »,…, « enseigner aux fidèles et, en particulier, aux plus jeunes et aux adolescents l’exercice de la conscience critique en toutes circonstances », …, « mettre au jour les expressions bibliques dévoyées à des fins de manipulation et aider à une lecture à la fois critique et spirituelle de la Bible à tous les niveaux de la formation ». Ainsi, le verset « Malheur à celui par qui le scandale arrive » (Mt 18:7) a été largement utilisé, à contresens, par les abuseurs - et au-delà - pour faire taire les victimes et protéger l’institution qu’il ne fallait à aucun prix salir. 

Et toute l’ambiguïté est là : à qui profite le secret ? « L’Église est au service de la personne et non l’inverse ; mon rapport à Dieu définit mon rapport à l’Église et non l’inverse » aime à rappeler André Gounelle (notamment dans « Penser la foi : pour un libéralisme évangélique »).

Éloge du secret

par Guillaume Monod, psychiatre, pédopsychiatre, docteur en philosophie

Sujet d’actualité : le secret. Ou plutôt les secrets, car sous ses divers avatars, il est personnel, de famille, professionnel, médical, bancaire, d’État, de même de polichinelle. Et cependant, malgré cette belle et riche diversité, le débat contemporain ne l’appréhende que sur un mode binaire : peu importe sa nature, il doit être caché ou révélé.

On ne peut aborder la question du secret sans penser à l’Éloge de la folie d’Érasme, le prince des humanistes. Une filiation secrète d’abord, puisqu’il naquit d’une folie amoureuse : son père, illégitime, était lui-même prêtre ; une vénération secrète ensuite, puisque le titre latin de son ouvrage, Encomium Moriae, se voulait un éloge déguisé de Thomas More, son père spirituel. Qu’aurait été l’œuvre d’Érasme sans ces secrets originels ?

Notre perception quotidienne du « secret » a été déformée par son emploi courant. Du latin secerno (scinder, séparer) nous avons initialement construit secret, mais aussi sécrétion, sécréter. Puis, au fil du temps, en oubliant ces deux significations, nous avons créé une illusion sémantique, qui est à l’origine d’un appauvrissement. 

Illusion de croire que le secret est soit bon soit mauvais, soit public soit privé, car il est tout cela à la fois. Illusion de croire que notre choix se limite à la problématique du dire ou du taire, car le véritable enjeu n’est pas de trancher cette antinomie, mais de la faire fructifier. Illusion de croire que le secret ne peut être que caché ou révélé, car le seul fait de choisir l’une ou l’autre possibilité a pour unique conséquence de le figer dans un état immuable et stérile. Sécrétion de la vie psychique, le secret doit par nature rester vivant, furtif, fertile, indécis.

L’art créateur du secret

par Jean-Pierre Cléro, professeur émérite de philosophie

On pense souvent le secret de façon binaire entre le su et l’insu. Mais les contours du secret ne sont pas si simples à cerner et, plus profondément, le secret vient du fait qu’il n'est aucun savoir qui puisse rendre compte du tout de l’existence elle-même. C'est cette impossibilité qui transforme l’existence en secret.

Ce que nous ne parvenons pas à savoir de l'existence, nous pouvons essayer de le créer en une vision artiste du secret. Ce savoir porteur de création et de positivité a deux adversaires. Le premier est la superstition qui consiste à donner des sens faux et non critiqués à des mots que l'on demande de croire à ceux qui n'ont guère le loisir de réfléchir.  Le second est l’abus d’autorité et de pouvoir, en vue de son seul intérêt privé ou de celui de son camp. S'il est de bons usages du secret, il en est donc aussi de pervers.

Ne nous y trompons pas : nous ne parlons pas contre le secret qui lie une pasteure à son paroissien ; le médecin à son patient, ou l’avocate à son client. J’oserais dire que ces secrets sont, quand ils sont de bon aloi, de même nature que le secret de l'existence qui consiste moins à subir le non-savoir de notre existence qu'à faire que chacun le reprenne à son compte, sans que l'on sache qui est ce soi de la reprise en compte, ni ce qu'il reprend à son compte, ni auprès de qui il le fait. Le médecin ne sait pas plus que vous quel sera le jour de votre mort ; mais vous partagez avec lui un secret qui vous lie et vous préserve d'un contact provisoirement trop violent avec l'extérieur. Les ministres du culte, quand ils n'abusent pas scandaleusement de leur pouvoir, n’aident-ils pas une femme, un homme, un adolescent, à reconstituer un horizon dont les blessures de la vie les avaient privés ? Si nous ne nous sommes pas trompés et s’il n'y a pas d’existence qui puisse s'épuiser en quelque savoir, il reste toujours encore un projet à mener : faire du secret irréductible de nos existences le matériau assumé de nos relations à nous-mêmes et aux autres. Le bureau d’un pasteur peut alors devenir l’atelier où exercer cet art créateur du secret.

Transparence et discrétion dans l’Eglise protestante unie de France

par Jean-Daniel Roque, Conseiller juridique de l’EPUdF

L’interdépendance des instances de l’Église protestante unie de France, caractéristique fondamentale du régime presbytérien synodal, et la solidarité entre les associations cultuelles et leur responsabilité collective, impliquent la totale information de ceux qui sont chargés de la mise en œuvre de ces principes.

Ces principes d’organisation, affirmés dès la Réforme au 16ème siècle, peuvent tout à fait se conjuguer avec les lois de notre pays : nous les respectons, tout en gardant notre liberté d’en dire ce que nous en pensons.

Localement, cela concerne les conseillers presbytéraux qui font partie, comme le précise l’article 18 (§2) de notre constitution, des « ministères collégiaux de l’union (qui) partagent la responsabilité du gouvernement de l’Église » mais également tous les membres de nos associations cultuelles. En effet, l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905, qui régit les associations « cultuelles », prévoit explicitement l’information de l’Assemblée Générale en ce qui concerne « les actes de gestion financière et l’administration légale des biens ». Cette précision du législateur est d’autant plus intéressante que l’instance « Assemblée Générale » n’est jamais mentionnée dans la loi fondatrice du 1er juillet 1901 qui régit pourtant toutes les associations en France.

Mais cette participation à la vie de l’Église doit concorder avec l’exigence de discrétion (Constitution, art. 18, § 11), qui s’applique à tous ceux qui exercent un ministère, collégial ou personnel. Elle est confortée par le secret de la confession (art. 21 § 3), caractéristique des ministres et de celles et ceux qui en ont reçu le mandat (art. 20).

Ces deux principes de transparence et de discrétion se complètent donc : l’un vise à respecter tout ce qui concerne la vie privée (dont la protection est maintenant illustrée par le règlement général sur la protection des données que nous nous devons de respecter) et l’autre pousse à la plus grande transparence en ce qui concerne les éléments de gouvernance.

Entretien pastoral, bulle de secret

par la pasteure Béatrice Cléro-Mazire

L’étymologie du mot secret nous place au cœur du problème qu’il pose dans nos églises chrétiennes.

En latin segreda / secretus ont pour signification : « mis à part ». On ne s’étonnera donc pas que la prêtrise soit liée au secret et à la mise à l’écart et relève de ce qui, du divin, doive rester caché à la connaissance des fidèles. L’institution de l’église catholique est construite sur ces ministères humains qui transforment ceux qui l’exercent en agents de l’autorité divine. Le secret de la confession est un symptôme de cette mise à part qui donne au prêtre autorité et pouvoir sur les âmes, allant jusqu’à indiquer au fidèle ce qu’il faut faire pour gagner sa sanctification auprès de Dieu. Le secret est alors exercé comme un contrôle des consciences et un outil d’orthodoxie.

Qu’en est-il du mystère ? Les religions polythéistes grecques étaient qualifiées de « religions à mystères » car elles faisaient appel à des initiés, seuls capables de déchiffrer les mystères divins. Le mot mysterion est construit sur la racine muo : « fermer la bouche », « se taire ». En grec, il existe aussi ce qui est caché, crypté, mais dans les Évangiles ce contenu relève du secret messianique que personne ne peut utiliser à des fins de sanctification. Quand le mystère réapparaît dans le christianisme, il dérive très souvent vers la superstition et exempte le religieux d’avoir à expliquer, critiquer ou dévoiler ce qui lui procure une autorité sur la communauté.

En hébreu, le mot sether, (qui a donné son nom au personnage biblique Esther), relève davantage du champ sémantique de l’abri, de la couverture, de la protection et du refuge. On comprend alors comment les institutions protestantes, constituées autour du sacerdoce universel et de la Parole partagée se démarquent de la mise à part du secretus latin pour valoriser la protection du sether hébreu, faisant ainsi du secret un besoin du fidèle plutôt qu’une ordonnance d’un clergé.

En français, le secret se rapproche des sécrétions et relève donc de la pudeur de l’intime, de ce qui sort du corps et ne doit pas être montré aux autres. Dans le bureau d’un pasteur, au chevet d’un malade ou au parloir d’une prison, cette sécrétion, tout ce que le flot de la conscience humaine charrie de décombres des épreuves de la vie, peut être entendu sans jugement et ainsi figé pour un moment entre les rives d’une vie ni plus ni moins sainte que celle d’un autre. On trouve les premières occurrences du mot secretus dans des textes du XIIème siècle qui parlent de séparer le bon grain de l’ivraie, l’entretien pastoral procède à sa façon de ce tri.

Le secret dans le ministère pastoral est avant tout service ; en cela, il ne doit jamais nuire à personne. Le pasteur ne « règle » rien, il n’a pas de solution, il se fait « consigne » où déposer les valises encombrantes d’une vie en besoin de légèreté. Ces moments de confiance absolue sont encadrés par les paroles : « ce qui est dit à partir de maintenant est dit dans le secret pastoral » et des paroles de prière qui terminent, avec l’autorisation de celui qui se confie, l’entretien pastoral.

Cette bulle de secret au milieu de nos existences est une bulle de liberté où seule la relation confiante et croyante entre Dieu, moi et l’autre a quelque chose de divin. Respect infini de la conscience de l’autre, de son histoire et de sa liberté, l’entretien pastoral est une audace de la foi, une évangélisation de la relation humaine, une théophanie durant laquelle il ne sera peut-être pas fait mention de Dieu, mais dans laquelle l’amour de Dieu sera seul maître.

Le secret professionnel dans l’aumônerie des prisons

par Agnès Adeline-Schaeffer, pasteure et aumônier des prisons

L’aumônier de prison n’est ni un agent de l’Administration pénitentiaire, ni un juge, ni un membre de la famille de la personne détenue. Mais il a dans la prison la place spécifique d’écoutant, d’accompagnant, de médiateur, de témoin, non pas sur le plan pénitentiaire, mais plutôt pour signifier que Dieu et l’Eglise, dont il est le représentant symbolique, portent sur elle un regard à la fois compatissant et plein d’espérance.

La prison est un lieu particulier où tout faux pas peut entraîner des conséquences dramatiques. Même si les aumôniers répondent à une vocation personnelle, et même s’ils sont envoyés par leur église, ils prennent connaissance du règlement intérieur de l’établissement dans lequel ils sont nommés ; et de ce fait, ils ne sont pas au-dessus des lois et des règlements. C’est le cas pour le secret professionnel. Traditionnellement, les ministres du culte sont astreints au secret professionnel, qui consiste dans l’obligation pour les personnes qui ont eu connaissance de faits confidentiels, dans l’exercice ou à l‘occasion de leurs fonctions, de ne pas les divulguer, hors les cas où la loi impose ou autorise la révélation d’un secret.  C’est donc tout à la fois une obligation de se taire et un droit de garder le silence. Reconnu dans l’Eglise, tout d’abord aux prêtres catholiques pour les confidences reçues dans le cadre du sacrement de la confession, le secret professionnel s’est ensuite étendu aux informations confiées aux prêtres dans l’exercice exclusif du ministère sacerdotal en dehors de la confession et donc aux pasteurs. Les aumôniers y sont tenus en leur qualité soit de pasteur, soit de laïcs, en raison de leur mission temporaire de personne établie par la religion considérée pour célébrer des cérémonies et conférer les sacrements admis par cette religion. Information connue de tous, ou non, celle dont l’aumônier a connaissance dans l’exercice de son ministère est un secret protégé. Il s’agit non seulement des paroles prononcées, mais aussi de tout ce qu’il a pu comprendre, déduire, voir, entendre dans le cadre de sa profession. L’information concernée est celle qui a trait à l’intimité de la personne, comme sa situation judiciaire, sa santé, sa vie privée, sa situation familiale, son patrimoine. Publique ou privée, faite à une seule personne comme à plusieurs, toute révélation est punissable, même celle qui relate un fait connu. Toutefois, en cas de confidences portant sur des faits de privations, de sévices, y compris les atteintes sexuelles, commis sur les mineurs ou des personnes vulnérables, l’aumônier est autorisé à les révéler, la loi le plaçant devant une « option de conscience » : s’il garde le silence, il ne sera pas poursuivi selon le code pénal, pour non-dénonciation de crime ou de mauvais traitements sur mineur ou sur personne vulnérable ; s’il parle, il ne peut pas être poursuivi pour violation du secret professionnel selon le même code pénal. En pratique, il peut, tout en préservant le secret professionnel, venir au secours de la victime en veillant à éloigner un enfant de son entourage à la sortie de prison, par exemple. L’aumônier peut être contraint, sur réquisition de l’officier de police judiciaire, de remettre à ce dernier toute information intéressant l’enquête. Le refus de déférer à une telle réquisition constitue un délit. Dans sa fonction particulière, le juge d’instruction peut décider de pratiquer une saisie ou à une perquisition au domicile de l’aumônier sans que celui-ci ne puisse s’y opposer. 

En cas de convocation pour une autorité judiciaire, l’aumônier peut opposer le secret professionnel, et ne pas déposer. Mais il doit comparaître, et le cas échéant, prêter serment. Le fait de ne pas comparaître constitue un délit. Au stade de l’instruction, le juge appréciera si l’excuse du secret professionnel est valable. Au stade de l’audience du jugement, l’aumônier peut ne pas témoigner. Il ne pourrait être délié de son obligation de silence par le fidèle concerné, même s’il détenait la preuve de l’innocence de ce dernier.

Comme pour toutes les professions concernées, le champ d’application du secret professionnel du pasteur, du prêtre, de l’aumônier, ne cesse de se restreindre, principalement au nom du principe de la transparence, comme l’écrit Maître André Damien : « La transparence d’une société ouverte à toutes les polices, ou les enquêtes, va contre l’irréductibilité de la conscience. Le droit au secret fonde la possibilité d’une vie spirituelle et morale qui seule, laisse l’homme inventer son chemin ».

Ce droit participe de la mise en œuvre de la liberté de conscience et du culte en prison. Il est donc fondamental pour les aumôniers de le préserver pour rester au cœur de tout cheminement spirituel des êtres humains qu’ils accompagnent.

Avec le soutien reconnaissant pour l’article précieux de Jocelyne Le Bivic, avocate et membre de la Commission nationale Justice-Aumônerie des Prisons, dans le dossier de l’aumônier de prison, Fédération Protestante de France.

Les mécanismes d’emprise liés au secret dans les domaines religieux

par Thomas Bouvatier, psychanalyste, psychothérapeute, docteur en psychologie

L’emprise commence avec la soumission d’un individu à un autre, qui se présente avec un savoir total, porteur d’un pouvoir supérieur. On peut imaginer l’intérêt premier, pour une personne jeune, naïve ou en quête de puissance, d’entrer en contact avec un être pareil, que cela soit dans l’espace professionnel, politique, culturel et surtout religieux.

Se lier à un homme de Dieu dans un rapport dominé/dominant, engendre un sentiment d’élection, à la source d’un sentiment d’élation. Mais cet être, en retour, peut abuser de sa position et exiger qu’en plus des secrets que telle ou telle religion encourage à confier, on lui en confie des jamais assez intimes, jamais assez inavouables, comme preuves d’une confiance totale, gages d’un cœur qui se dénude et expose la transparence de ses intentions. Dans « emprise », il y « prise », l’être sûr de supériorité prend quelque chose de sa proie qu’il incite à se faire donner.

Ce n’est pas désagréable au début. En plus de l’élation, le poids de la honte, longtemps tue, peut se décharger par mots libérés, chuchotés dans l’oreille d’une personne qui incarne la bienveillance et l’aptitude à réparer l’âme.

Bientôt cependant, un malaise pointe, avec des déclarations répétitives où la menace d’une dénonciation s’entend en creux : « Cela restera entre nous », « C’est notre petit secret ». Petit, comme mignon, un genre de jeu enfantin, pathologiquement pervers chez l’adulte, se met en place.

L’individu ainsi livré peut être fortement conseillé de prodiguer à l’être sacré par sa fonction ou auto-sacré la même chose, par exemple, qu’il a subie, afin de la purifier. Et de cela, il faudra en revanche qu’il garde le secret. Un secret fermé dans un secret décacheté. Le sauveur était, en fait, un prédateur.

La victime, le silence et la loi

par Pierre Curiace, juriste

Toute personne qui a connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou d’une maladie, doit en informer les autorités judiciaires ou administratives. Manquer à cette obligation expose à des peines allant jusqu’à cinq ans de prison et 75 K€ d’amende.

Modifié par la loi du 3 août 2018, l’article 434-3 du code pénal étend désormais aux faits anciens l’obligation de révéler, car il n’appartient pas à celui qui a connaissance d’une infraction d’apprécier si la prescription est acquise et si sa répression est ou non possible : autrefois, était punissable celui qui savait et n’avait pas parlé au moment où il avait su, il pouvait être poursuivi pour non-dénonciation pendant le délai de la prescription, soit trois ans à partir du moment où il avait eu connaissance des faits qu’il devait révéler. Maintenant, celui qui sait, même depuis longtemps, reste punissable tant qu’il ne parle pas, sans limitation de temps. 

L’obligation de dénoncer ne s’impose cependant pas aux personnes tenues au secret professionnel : les médecins, les travailleurs sociaux, les avocats, mais aussi les ministres des cultes. Des décisions de justice ont reconnu le caractère d’un secret professionnel au contenu d’une confession faite à un prêtre, la question se posant de la même manière pour un entretien pastoral. Mais de telles décisions sont anciennes, et rien ne permet de considérer que les juridictions continueraient d’admettre que soit couverte la connaissance d’agressions sexuelles répétées, commises sur des mineurs, et appelées à se renouveler, de la part d’un auteur ayant une attitude compulsive et réitérante.

A l’occasion du jugement de l’évêque de Lyon, à qui était reprochée l’absence de dénonciation d’infractions sexuelles commises par un prêtre sur des enfants, il a été décidé que l’obligation de dénoncer cessait quand la victime, devenue majeure, était en mesure de déposer plainte elle-même. Mais cette décision a été rendue alors que la loi du 3 août 2018 n’était pas encore applicable. Rien ne permet d’affirmer que cette solution serait maintenue.

Il est toujours difficile de parler lorsque l’on connaît une vérité gênante. En contraignant ici, sous peine de sanctions, les citoyens à dénoncer les faits parvenus à leur connaissance, la loi impose à chacun de contribuer à protéger les faibles, même au risque de s’exposer comme un dénonciateur.  Ici aussi, la parole peut sauver.

Le secret autour de Jésus

par François Vouga, Professeur de Nouveau Testament

Lorsqu’on s’aperçut que les évangiles ne nous ramenaient pas directement au temps de Jésus, mais que des mains poétiques les avaient composés après Pâques, ce qui arriva au cours du XIXème et au début du XXème siècles, on prêta attention au curieux procédé par lequel Marc, le plus ancien d’entre eux, conclut quelques-uns de ses récits de guérison par des consignes de silence. Jésus enjoint au miraculé de ne rien dire à personne. Comme s’il entendait garder l’embargo sur son identité véritable et sur le sens de sa force libératrice jusqu’à sa révélation sur la Croix ou le matin de Pâques. N’interdit-il pas à ses disciples de parler de lui avant qu’il ait annoncé la nécessité de sa mort et de son relèvement d’entre les morts (Marc 8,27-33) ? Et Pierre, Jacques et Jean ne reçoivent-ils pas pour consigne, après la transfiguration, d’attendre sa résurrection pour raconter à quiconque la vision de la voix qu’ils ont entendue sur la montagne (Marc 9,9) ? Le message semble donc clair : en bon élève de Paul, l’évangéliste insiste sur la nécessité de partir de Vendredi-Saint et de Pâques pour bien comprendre la vie et l’oeuvre de Jésus.

Les couleurs du secret

Il est vrai que l’on ne peut guère lire les évangiles sans remarquer que la clé qui permet de comprendre l’histoire de Jésus se trouve, pour eux, dans la libre décision de faire don de sa vie et dans ses apparitions, vivant, à Pâques et dans les jours qui ont suivi. Mais l’idée d’un « secret messianique » visant à retarder la reconnaissance de sa seigneurie ne suffit pas à élucider les sens du silence.

Plus que la personne de Jésus et la reconnaissance de son identité, c’est la dimension de libération, de rétablissement et d’émancipation de ses actes que servent les consignes de silence. On le repère aussitôt dans le récit de la purification du lépreux, le premier dans lequel l’évangile de Marc introduit l’impératif de ne rien dire à personne (Marc 1,40-45). Or l’ordre du secret est accompagné d’un autre, celui de faire constater la purification au prêtre « en témoignage ». En témoignage, le lépreux se hâte de proclamer la parole. On comprend donc que, par la consigne de silence, il s’agit d’éviter que le lépreux purifié ressasse le passé et s’y enlise, mais qu’il vive de la santé nouvelle et de la reconnaissance qui lui est liée.

L’aventure de la renaissance de la petite fille de Jaïrus, rétablie comme jeune femme, nous permet de faire un pas de plus (Marc 5,21-43). Le récit de l’émancipation de la personne et de sa libération résulte d’une transformation privée et intime. Or il n’y a d’intimité que dans le secret. Présenter l’intime comme un événement destiné au public, ce serait sacrifier ce qui constitue, selon l’évangile, l’humanité de l’humain, c’est-à-dire le loisir du dialogue avec soi-même, le lieu de la responsabilité à l’égard de soi-même et d’autrui, devant la transcendance du Père qui voit dans le secret (Matthieu 6,1-18) ?

Le secret de la table

« Ce ne sont pas les forts qui ont besoin de médecin, mais ceux qui vont mal. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des injustes », déclare Jésus pour expliquer la table partagée et le compagnonnage avec des gens de mauvaise société (Marc 2,17). Cet accueil inconditionnel d’êtres humains en quête de vie, de dignité et d’acceptation, indépendamment de leurs qualités, définit la raison de sa venue. Le don d’une identité offerte gratuitement par la reconnaissance réciproque d’une table commune a sans doute constitué la singularité du christianisme du premier siècle. Il explique aussi son extension dans l’ensemble du bassin méditerranéen.
Le secret de la table, c’est la distinction faite et respectée entre les apparences visibles et le secret de la personne. C’est la grâce de reconnaître quelqu’un indépendamment de ce qu’on en voit, peut et veut en voir. Sens évangélique du secret.



Notre contribution au Synode régional

Les trois prochains synodes nationaux annuels auront pour thème principal « la mission de l’Église et les ministères ». Dans ce cadre, l’ensemble des ministres des églises locales ont reçu, pour commencer à alimenter les débats, un « livre rouge »  (consultable sur le site de l’EPUdF) et une série de 8 questions. Vous trouverez ci-dessous les réponses de notre Conseil presbytéral ainsi qu’un « préambule » qu’il nous est apparu important d’ajouter à la réflexion. 

L’utilisation des termes « mission » et « missionnaire » dans cinq des huit questions posées a étonné notre Conseil Presbytéral par leur forte connotation prosélyte et volontariste. Les termes de « vocation » ou « raison d’être » auraient peut-être pu faire entrer dans ce thème une notion d’« appel » propre à rendre compte des façons très diverses de vivre l’annonce de la Bonne Nouvelle dans nos églises locales. « La mission de l’Église » sous-entend que nous connaîtrions les volontés du donneur d’ordre comme dans le cadre d’un magistère, alors que précisément dans nos églises, nous n’avons ni clergé ni magistère. C’est d’ailleurs pourquoi nous nous posons la question de savoir ce que nos églises doivent annoncer dans le monde et de quelle façon. Il y a donc « des missions » que l’Église se donne en fonction de l’appel qu’elle croit avoir discerné dans la foi. Mais cela reste ouvert et sans cesse à réévaluer.
 
Comment définiriez-vous la mission de l'Eglise ? L’annonce de l’Évangile est la raison d’être d’une église chrétienne. D’après nous, une église se réclamant du Christ doit être humaniste, apporter la paix, transmettre une espérance et prôner la justice. Elle devrait prêcher par l’exemple.

Quels termes associez-vous à "mission de l'Eglise" ? Le terme de mission a souvent été associé à un apport de ceux qui avaient la vérité à ceux qui ne l’avaient pas encore. Nous aimerions que les églises entrent en dialogue avec le monde sans préjuger de ce qui en résultera. Les églises devraient écouter le monde et l’aimer pour mieux s’y inclure. Notre responsabilité est d’accueillir et d’aimer au nom du Christ.
 
Définiriez-vous votre Eglise locale comme missionnaire et pourquoi ? Notre église n’est pas missionnaire mais inclusive, elle accueille tous ceux qui cherchent une parole qui les libère et les édifie et transmet le témoignage de ceux qui ont cru avant elle en l’actualisant et en le rendant compréhensible par la raison. Elle ne cherche pas à convertir mais offre un espace de conversion que seul Dieu habite et qui doit rester dans l’intimité de chacun.
 
Quelles mutations de la société ont le plus d'impact (chance, obstacle) sur la mission de votre Eglise ? La société dans laquelle nous vivons est plurielle, tant sur le plan des convictions que sur celui des cultures. Cette diversité humaine est une chance pour notre foi et pour réformer sans cesse la vie de nos églises. Cette adaptation constante nous oblige à avoir des fondations solides qui sont pour nous :
1/ le droit qui garantit à chacun de partager ses convictions en préservant sa liberté,
2/ la réflexion théologique et biblique qui permet de ne pas s’enfermer dans une certitude mais de repenser nos traditions pour en inventer de nouvelles,
3/ la responsabilité et l’autonomie pour que chacun puisse assumer sa part dans l’émergence d’un monde plus humain.

 
Comment votre Eglise locale partage-t-elle la Bonne Nouvelle avec celles et ceux qui l'entourent ? En écoutant et saisissant les occasions de rencontres, dialoguant avec ceux qui -comme nous- cherchent un chemin : croyants d’autres religions, athées, agnostiques, …et ne prennent pas les textes au pied de la lettre et sont ouverts aux sciences humaines, publiant et assumant nos points de vue et témoignages, respectant la laïcité et la diversité des convictions de chacun, accueillant sans condition ceux qui entrent dans nos lieux de vie.
 
Au regard des mutations de notre société, vers qui pensez-vous que votre Eglise locale est appelée en priorité aujourd'hui ? Vers ceux qui ont été abîmés dans leur vie y compris par des dictats religieux, vers ceux qui cherchent une résonance à leur vie spirituelle intérieure et souhaitent trouver le moyen de l’exprimer. Vers ceux qui s’intéressent à un Dieu pour l’Homme.
 
Pensez-vous que l'Eglise devrait vivre des changements pour être plus à même de vivre son engagement missionnaire ? Si « l’Église » est l’ensemble des chrétiens, alors il y a de nombreux changements qui doivent y être apportés, non pour vivre son « engagement missionnaire » mais pour annoncer en actes l’amour du prochain. Le premier changement serait de faire des lieux d’église des lieux exemplaires sur le plan des rapports humains, du respect de l’autre et des lois qui nous régissent.
 
Des membres de votre Eglise locale ont-ils un témoignage particulier ? Comment l'Eglise peut-elle encourager et aider au témoignage de ces membres ? Chaque membre de l’église locale a par essence un témoignage particulier. Ce sont les institutions de nos églises qui doivent permettre que leur voix soit entendue pour nourrir le débat d’idées et enrichir le témoignage de toutes nos églises.