Sommaire du N° 801 (2015 T1)

Éditorial

  • Afin qu’ils aient la vie en abondance par par Marc Pernot

Dossier : Jésus

  • Josué et Jésus par James Woody
  • Sondage : « Qui est Jésus? »
  • Jésus au XXIème siècle par John Shelby Spong
  • Que m’est-il permis d’espérer savoir au sujet du Jésus historique ? par Andreas Dettwiller
  • Jésus dans le Coran
  • Comment pouvons-nous parler de Jésus? par Rose-Marie Boulanger et André Ducros
  • Des commandements aux droits de l’Homme par Etienne Hollier-Larousse 

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  • Promenades ?
  • Voyage ?
  • Point financier
  • Qu’est-ce que Noël ?

Aide et Entraide

  • Situation de l’Entraide de l’Oratoire

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Dossier du mois
Jésus

Josué et Jésus

La première apparition biblique de « Jésus » est dans le livre de l’Exode, au moment où il s’agit de livrer une bataille contre les Amalécites (Ex 17/9). Le lecteur s’étonnera de cette référence où il n’est pas question d’autres personnages que Moïse et Josué, jusqu’à ce qu’il réalise que Jésus et Josué sont le même nom, l’un dans sa forme grecque, l’autre dans sa forme hébraïque. Josué et Jésus sont le même mot, dans deux langues différentes.

Le lien entre Josué [Jésus] fils de Noun, qui apparaît dans la Bible hébraïque et Jésus [Josué], fils de Joseph, dans le Nouveau Testament, n’est pas aussi anodin qu’il peut paraître. L’un et l’autre ont pour objectif de conduire le peuple de Dieu en Terre promise. Concernant Josué, il s’agit de la terre où coulent le lait et le miel, cette terre promise aux ancêtres. Concernant Jésus, cette terre prend le nom de Royaume de Dieu ou Royaume des Cieux. Dans les deux cas, il s’agit moins d’un lieu identifiable sur une carte d’Etat major et dont il serait possible d’établir une frontière au sol, que toutes les fois où il est possible pour l’Homme de rendre un culte au Dieu vivant, autrement dit de célébrer la vie en plénitude. Si Josué a les traits d’un chef de guerre, les combats qu’il livre ne sont pas moins spirituels que ceux de Jésus : lutter contre la cupidité (Jos. 7), contre la rivalité (Jos. 22), donner à chacun une place (les nombreux chapitres sur le partage du territoire), gérer la présence d’étrangers (Jos 9), souder la communauté (Jos 23-24), le tout avec une forte connotation cultuelle comme l’attestent les chapitres 3 à 6.

La figure de Jésus que tracent les évangiles trouve sa source d’inspiration dans bien d’autres figures mythiques du premier Testament. Ces liens littéraires sont porteurs d’enseignements théologiques, notamment sur la continuité et la rupture nécessaires entre les générations. Cela nous met en garde, également, sur l’usage que nous pouvons faire de Jésus dans notre propre histoire. Si les créateurs des évangiles se sont inspirés d’autres figures et ont pensé Jésus au-delà de Jésus, nous ne pouvons pas penser notre foi autrement qu’au-delà de Jésus. « Qu’est-ce que Jésus aurait fait à ma place ? » est l’une des manières d’utiliser Jésus pour justifier nos choix, pour légitimer nos idéologies. Le pire est de faire répondre Jésus à des questions auxquelles il n’a pas été confronté. L’imitation de Jésus-Christ écrite par Thomas Kempis au début du XVème siècle est une illustration des limites à l’usage de Jésus, dont il faut avoir conscience : en cherchant à se conformer à une part de Jésus déterminée par un temps donné, nous quittons la terre à venir pour nous enfermer dans une terre passée. C’est le mouvement inverse à ce que les textes bibliques essaient d’initier.

En nous préparant à fêter Noël, nous pouvons d’ores et déjà nous préparer à ne pas nous fourvoyer dans une célébration d’un passé révolu auquel nous devrions impérativement conformer notre présent, au prétexte que ce fut le temps de Jésus. Les récits de ce que nous appelons désormais Noël nous révèlent un Jésus qui naît là où les croyants ne l’attendent plus, dans des conditions que personne n’imagine. Ne serait-ce que cet aspect devrait nous prémunir d’une mainmise sur la figure de Jésus qui est d’abord une figure de l’altérité, de l’inattendu.

Comme Josué avait autrefois déplacé les frontières du peuple Hébreu, Jésus a bougé les lignes de son temps, nous encourageant à ne pas faire moins lorsque c’est nécessaire. Jésus qui naît à Bethléem n’a rien de la statue du commandeur aussi immobile qu’impassible, traversant les âges sans prendre une ride. Jésus nous a fait entrer de plain-pied dans un rapport nomade à la vie, ce qui implique en premier lieu une mobilité par rapport à ce que la tradition a rapporté de lui. En évoquant la pluralité des visages de Jésus, ce dossier nous met à l’école du rabbi, du prophète, de l’ami, du messie, du grand prêtre, du nouveau roi, de celui qui incarne ce qu’être humain veut dire. A défaut de nous identifier à lui, puissions-nous trouver auprès de lui les éléments pour penser aujourd’hui notre propre manière d’incarner l’espérance de Dieu.

James Woody

Sondage : « Qui est Jésus? »

Les enfants de l’Ecole biblique avaient réalisé un sondage auprès des paroissiens, lors d’un culte. A la question « qui est Jésus ? », 68 personnes ont répondu, la consigne étant que la réponse soit faite d’une phrase courte, pouvant exprimer plusieurs traits caractéristiques ou aspects fondamentaux.

Il en ressort que les réponses sont essentiellement des formulations classiques : 24 disent que Jésus est Fils de Dieu ; 12 disent qu’il est Sauveur.

Dans un registre plus personnel, Jésus est un ami, celui qui nous accompagne quotidiennement, celui à qui je m’adresse quand j’ai de la peine, pour 7 personnes. Il est celui qui révèle l’Amour authentique, celui qui enseigne ce qu’est l’Amour, pour 7 personnes également.

6 personnes disent qu’il est un homme ou reprennent le titre de « fils de l’homme ».

Ensuite Jésus est un exemple ou un modèle, un prophète, notre frère, chaque terme étant cité 4 fois.

Les réponses classiques (« Fils de Dieu », « Sauveur », « Dieu » citées 2 fois, les formules de l’évangile de Jean « Vérité, Lumière, Chemin » citées 2 fois et « Christ » cité 1 fois) laissent entendre que Jésus est reçu comme une évidence qui ne demande pas une appropriation particulière. Soit que la figure de Jésus s’impose par ce que la tradition nous a transmis, soit qu’elle n’est pas un lieu de doutes, d’interrogations, les formules conventionnelles sont suffisantes dans la moitié des cas.

En revanche, l’identité de Jésus demande d’être réinterprétée dans des catégories contemporaines ou dégagées du vocabulaire religieux, pour mieux inscrire Jésus dans le quotidien dans 16 cas où Jésus est un élément majeur de la piété personnelle ou de notre identité (celui auquel on peut s’adresser, celui qui nous accompagne, un homme qui nous veut du bien, celui qui est comme un frère).

Sur un plan plus moral, Jésus est considéré comme une figure de référence, un modèle, un exemple, un archétype pour 4 personnes et sur un versant plus théologique, 17 voient en lui la source d’une connaissance de Dieu, soit qu’il soit considéré comme prophète (ou « envoyé de Dieu » pour 2 personnes, celui qui nous fait entendre la parole de Dieu), soit qu’il révèle l’Amour, soit qu’il établisse un pont entre Dieu et nous, soit qu’il soit celui qui nous a libérés du péché. Ajoutons qu’une personne en fait une charnière entre Judaïsme et Christianisme.

Ces éléments de réponse mettent en avant la variété des réponses dès que nous nous autorisons à une parole plus personnelle. Loin des formules de catéchisme apprises par cœur et restituées spontanément, Jésus ouvre un large champ de compréhension qui encourage chaque croyant à donner du sens à l’expérience spirituelle dont les apôtres ont rendu compte et à donner du sens à notre propre manière de venir au monde à la suite de Jésus.

Marc Pernot

Jésus au XXIème siècle

Quand on vit au vingt-et-unième siècle, comment peut-on comprendre le Jésus de l’histoire ? Pouvons-nous encore croire qu’il a fait son entrée dans ce monde, accompagné par une étoile nouvellement apparue dans les cieux ou que sa naissance a été annoncée par des anges déchirant le ciel de la nuit pour chanter à des bergers sur une colline ? Pouvons-nous encore croire que sa mère était une vierge et que son père était l’Esprit Saint ? Lors de son baptême dans le Jourdain, pouvons-nous encore suggérer que les cieux se sont ouverts et que l’Esprit est descendu, avec la voix de Dieu proclamant « celui-ci est mon fils » à tous ceux qui pouvaient entendre ? Nous est-il possible de croire qu’un personnage appelé le diable a réellement tenté Jésus dans un désert réel ? Pouvons-nous encore imaginer qu’il a réellement prêché le sermon sur la montagne ou qu’il a nourri cinq mille personnes avec cinq pains et deux poissons ? Des esprits du vingt-et-unième siècle peuvent-ils encore comprendre un Jésus qui a relevé des morts une enfant, le fils d’une veuve, et Lazare ? Est-il vraiment possible qu’il ait réellement marché sur les eaux ou apaisé une tempête ? Pouvons-nous vraiment croire qu’il ait donné la vue aux aveugles, l’audition aux sourds, la capacité de sauter aux boiteux et aux invalides, et la capacité de parler aux muets ? Pouvons-nous croire que le troisième jour après sa mort, il est physiquement sorti d’une tombe en marchant ? Y a-t-il quelqu’un parmi nous pour croire encore l’histoire qui nous dit qu’il s’est élevé dans le ciel d’un univers à trois étages ou que, une fois installé dans le ciel, il a envoyé l’Esprit Saint sur ceux qui le suivaient, dans le grand moment de Pentecôte ?

Si, à toutes ces questions, je répondais un « Non » retentissant, pourrais-je encore me dire chrétien ? Cependant, le fait est que je ne crois pas qu’aucun de ces événements ait littéralement eu lieu dans l’univers spatio-temporel où nous, êtres humains, vivons et pourtant je suis encore un chrétien profondément croyant et engagé. Je suis chrétien parce que je vois en Jésus de Nazareth toutes ces dimensions de Dieu. Je vois en lui une vie vécue si pleinement qu’il me révèle le Dieu qui est la « Source de la Vie ». Je vois en Jésus un amour donné avec si peu de mesure qu’il me révèle le Dieu qui est la « Source de l’Amour ». Je vois en Jésus de Nazareth quelqu’un qui a le courage d’être tout ce qu’il était appelé à être en tout type de circonstances, même lorsque sa vie lui est brutalement retirée, et ainsi je crois que j’ai rencontré en lui le Dieu qui est le « Fondement de l’Etre ». Oui, je peux dire avec une pleine conviction, avec Paul, que « Dieu était en Christ ».

La tâche de la foi chrétienne, pour moi, n’est pas que les gens aient une religion. Jésus n’est pas venu sur cette terre d’un quelconque endroit céleste, comme le langage de la tradition le laisse entendre afin de nous sauver, nous, pécheurs, ni apporter la rédemption à ceux qui étaient perdus ni même secourir ceux qui avaient chuté. Mais dans sa vie, il a plutôt révélé la capacité de donner sa vie aux autres et ainsi il nous a fait connaître une nouvelle dimension de ce que signifie être humain, une dimension qui ultimement ouvre l’humain à participer du divin. Ainsi, Dieu est devenu pour moi non pas un substantif qu’il faut définir, mais un verbe qu’il me faut vivre. Dans l’action de vivre pleinement, d’aimer sans mesure, et d’être tout ce que chacun de nous peut être, nous vivons pleinement la perspective christique d’être agent de vie en abondance pour tous.

John Shelby Spong

Que m’est-il permis d’espérer savoir au sujet du Jésus historique ?

La question du Jésus historique – une question moderne qui présuppose les outils d’analyse développés depuis les Lumières – passionne les esprits curieux depuis plus de 200 ans. Née dans le milieu universitaire allemand, la quête du Jésus historique, aujourd’hui beaucoup plus internationale et interdisciplinaire que jadis, s’inscrit pourtant toujours dans les grandes orientations et présupposés – ecclésiaux, sociétaux, idéologiques – de chaque époque. Il serait naïf d’imaginer que nous pourrions en faire abstraction, même en nous efforçant de mener l’enquête avec la plus grande rigueur intellectuelle. Aucune description du Jésus historique n’est totalement objective et encore moins définitive. Les lignes qui suivent ne font pas exception.

Jésus a-t-il existé ?

Que Jésus de Nazareth ait existé est au-delà de tout doute raisonnable. Un des arguments les plus forts en faveur de l’historicité de Jésus est paradoxalement le fait de sa mort à un jeune âge, d’une violence extrême. Si le Nazaréen avait été un pur produit de l’imagination religieuse des premiers chrétiens, ceux-ci se seraient singulièrement compliqué l’affaire. Un Messie, oui ! Mais en tant que crucifié ? Difficile, voire impossible à imaginer, tant cette idée a heurté les sensibilités religieuses et les codes culturels de l’époque.

Milieu familial

L’homme s’inscrit pleinement dans le judaïsme palestinien de l’époque. Il est né vers la fin du règne d’Hérode le Grand (entre 6 et 4 av. JC), au moment où le territoire de l’ancien Israël se trouve déjà sous l’occupation romaine. Il naît et grandit au sein d’une famille nombreuse (les évangiles mentionnent quatre frères et « des sœurs ») à Nazareth, une bourgade insignifiante située au sud de la Galilée. Bethléem, par contre, ne peut entrer en considération, vu le caractère légendaire et fortement « théologisé » des récits d’enfance des évangiles de Matthieu et de Luc – le Messie attendu de la lignée de David doit venir de Bethléem ! Comme son père, le Nazaréen apprend le métier de constructeur de bâtiments. Nous ne possédons aucune autre information solide sur les détails de l’enfance de Jésus.

Jean-Baptiste, maître spirituel de Jésus

A un moment, Jésus quitte la région galiléenne pour rencontrer un prophète nommé Jean le « baptiseur ». Celui-ci annonce dans un lieu désertique proche du Jourdain – lieu de seuil hautement symbolique où l’ancienne Israël attendait son entrée dans la terre promise – l’imminence de la colère divine et appelle les gens à la conversion. Jésus se laisse baptiser par lui et devient très probablement un des disciples de Jean Baptiste pendant un certain temps.

Activité en Galilée

De retour dans sa région natale, il mène une vie de prophète juif itinérant. Son rayon d’activité principal est la Galilée – à l’époque tout aussi fortement imprégnée par la culture juive que la Judée – et les régions environnantes. Jésus attire l’attention, des hommes et des femmes le suivent qui partagent son mode de vie. De plus, il crée autour de lui un cercle de douze hommes – chiffre qui évoque les douze tribus d’Israël –, geste symbolique qui a pour ambition d’anticiper le nouvel Israël dans sa totalité.

Sa mort

Plus tard, il entreprend avec ses disciples un voyage à Jérusalem. Dans des circonstances qui restent en partie opaques, il est arrêté dans la métropole de la Judée et rapidement condamné à mort par Ponce Pilate, autorité politique romaine de l’époque. L’exécution par crucifixion a probablement eu lieu à la veille de la fête juive de Pâque en avril 30 de notre ère, en dehors des murs de Jérusalem.

Qu’en est-il de la suite ? Le tombeau vide ? Indépendamment de la question de son historicité (il y a des raisons d’en douter) : il peut être vide pour plusieurs raisons et sa compréhension religieuse présuppose ce qu’il est censé prouver. Et la résurrection de Jésus ? Elle est sans nul doute fondamentale pour l’identité de la foi chrétienne, mais je ne vois aucun moyen qui nous permettrait de la postuler comme événement historique. L’historien peut certes constater la foi en la résurrection qui a rapidement émergé au sein du christianisme naissant, mais il lui est impossible de dire quoi que ce soit sur sa réalité, ni positivement ni négativement.

Le centre de gravité de son message

Il réside dans la conviction que l’irruption du royaume de Dieu est imminente, voire qu’il est en train de se réaliser comme dynamique irrésistible à travers ses actes et ses paroles. L’avenir tant attendu a déjà prise sur le temps présent. Mais comment l’avènement de la présence de Dieu se réalise-t-il concrètement ?

D’abord par le moyen du langage poétique de la parabole : les récits paraboliques, loin d’être de simples illustrations d’un savoir religieux déjà acquis, créent, de par leurs traits narratifs extravagants, des fissures dans la perception ordinaire de la réalité, fissures qui ouvrent des imprévus d’une nouvelle compréhension du monde, de l’autre et de soi-même.

Ensuite par le biais des repas communautaires qui, par leur dimension à la fois intégrative et transgressive, anticipent la réalité du royaume futur et provoquent une relecture critique d’une certaine compréhension de pureté rituelle en vogue à l’époque : c’est la pureté offensive de l’amour qui est contagieuse et non tel ou tel état ou comportement impur (pureté défensive).

Enfin, son activité en tant que thaumaturge (guérisons et exorcismes) va dans la même direction. L’originalité ne réside pas dans la factualité de ces actes – Jésus n’était de loin pas le seul thaumaturge de l’époque –, mais dans l’interprétation que Jésus leur attribue : à travers eux, la puissance d’aliénation du mal (en termes mythologiques : la puissance de Satan) est brisée et l’être humain guéri retrouve non seulement son intégrité physique, mais aussi et surtout sa dignité sociale et religieuse.

Un éthos extravagant

Le centre de gravité religieux de Jésus détermine aussi sa vision éthique. Là aussi, l’homme de Nazareth ne sort nullement du judaïsme de l’époque, mais radicalise une possibilité d’exister qui s’y trouve déjà. Il reprend, concrètement, le commandement d’amour du prochain comme affirmation de base pour le pousser jusqu’à son extrême, en y incluant l’ennemi. L’impossibilité psychologique d’une telle attitude excentrique saute aux yeux, mais cet amour entièrement asymétrique, non réactif et créateur fait, selon la logique qui traverse le Sermon sur la montagne, seulement écho à l’agir « de votre Père qui fait lever son soleil sur les mauvais et les bons et qui fait pleuvoir sur les justes et les injustes » (Mt 5,45). Amour et foi s’alimentent mutuellement et ne sauraient en aucun cas être dissociés l’un de l’autre dans notre histoire.

Andreas Dettwiller
Professeur de Nouveau Testament à l’Université de Genève

Jésus dans le Coran

La naissance de Jésus est rapportée dans le Coran dans des termes assez semblables aux récits de l’enfance dans les évangiles de Matthieu et Luc. Dans la troisième sourate, « la famille de ‘Imran », Marie est choisie pour obéir à la volonté de Dieu « Ô Marie ! Dieu t’a choisie, en vérité ; il t’a purifiée ; il t’a choisie de préférence à toutes les femmes de l’univers. » Vient alors l’annonciation, par les anges, au verset 45 : « Ô Marie ! Dieu t’annonce la bonne nouvelle d’un Verbe émanant de lui : Son nom est le Messie, Jésus, fils de Marie ; illustre en ce monde et dans la vie future ; il est au nombre de ceux qui sont proches de Dieu. » Nous en savons plus au sujet du messager dans la sourate XIX « Marie » : c’est l’Esprit divin sous la forme d’un homme parfait, envoyé pour donner à Marie un garçon pur (versets 17 et 19).

Marie s’étonne et dit : « Mon Seigneur ! Comment aurais-je un fils ? Nul homme ne m’a jamais touchée. » L’Evangile selon Luc, pour sa part, fait dire à Marie « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? » Luc 1, 34. « Dieu crée ainsi ce qu’il veut : lorsqu’il a décrété une chose, il lui dit : « sois ! »… et elle est ». L’ambiance de Genèse est confirmée au verset 59 « Oui, il en est de Jésus comme d’Adam auprès de Dieu : Dieu l’a créé de terre, puis il lui a dit : « Sois », et il est. » La sourate poursuit en précisant que Dieu lui enseignera le Livre, la Sagesse, la Tora et l’Evangile. Dans la sourate XIX « Marie », au verset 20, Marie précise « je ne suis pas une prostituée ». Sans plus de précision, Marie devient enceinte et se retire au loin et accouche. Quand elle se rend auprès des siens, au verset 27, la réaction est inattendue : « Ô Marie ! Tu as fait quelque chose de monstrueux ! Ô sœur d’Aaron ! Ton père n’était pas un homme mauvais et ta mère n’était pas une prostituée ». C’est Jésus lui-même qui prendra la parole, dans son berceau pour leur dire : « Je suis, en vérité, le serviteur de Dieu. Il m’a donné le Livre ; il a fait de moi un Prophète ; il m’a béni, où que je sois. Il m’a recommandé la prière et l’aumône – tant que je vivrai – et la bonté envers ma mère. Il ne m’a fait ni violent, ni malheureux (vv 30-32). »

Par la suite, l’identité de Jésus sera source de questionnement concernant le lien qu’il entretient avec le divin. Le Messie n’est pas Dieu et « ceux qui disent : Dieu est, en vérité, le Messie, fils de Marie, sont impies. (Sourate « V. La table servie » v. 17, 72) » Face à l’élaboration d’une théologie trinitaire, le Coran réaffirme que Jésus est le Messie, fils de Marie, Prophète de Dieu, « sa Parole qu’il a jetée en Marie, un Esprit émanant de lui » tout en stipulant très clairement « Croyez donc en Dieu et en ses prophètes. Ne dites pas : Trois. (Sourates III, la famille de ‘Imran, v.49 et IV. Les femmes, v. 171) ».

Concernant son ministère, outre les miracles qui sont rapportés (créer des oiseaux, guérir le muet et le lépreux, ressusciter les morts – avec la permission de Dieu) dans la Sourate V. la table servie au verset 110, Jésus est celui qui confirme la révélation antérieure – la Tora – afin de mettre un terme à l’incrédulité, ce qui lui vaudra les ruses des Fils d’Israël en retour (Sourate III. La famille de ‘Imran vv. 50-52). Par ailleurs, Jésus annonce « la bonne nouvelle d’un Prophète qui viendra après moi et dont le nom sera : ‘Ahmad (Sourate LXI. Le rang v. 6) »

La mort de Jésus fait problème. La sourate IV. Les femmes rapportent aux versets 157-158, les propos d’incrédules affirmant « Oui, nous avons tué le Messie, Jésus, fils de Marie, le Prophète de Dieu » pour les contrecarrer en déclarant « Mais ils ne l’ont pas tué ; ils ne l’ont pas crucifié, cela leur est seulement apparu ainsi. (...) Ils ne l’ont certainement pas tué, mais Dieu l’a élevé vers lui. » C’est la thèse de la substitution (C’est un autre que Jésus qui serait mort) qui fait foi dans la tradition musulmane.

Si la figure de Jésus dans le Coran n’est pas aussi développée que dans les évangiles et ne sert pas de point d’appui à la réflexion théologique comme cela a été le cas avec les lettres de Paul, elle est néanmoins bel et bien présente et constitue une figure de référence, aussi bien par l’aspect merveilleux qui accompagne les récits de sa naissance que par le désir rapporté directement à Dieu que Jésus soit. En revanche, il n’y a pas d’enseignements de Jésus, ni de récits de son ministère qui permettraient d’en faire une source d’inspiration pour une éthique personnelle ou pour un discours renouvelé sur Dieu.

Comment pouvons-nous parler de Jésus?

Existe-t-il une bonne façon de parler de Jésus- Christ ? Il est pour chacun, le personnage que nous imaginons, puisqu’il n’y a pas de récit historique précis le concernant et que Jésus n’a rien écrit lui même. Nous le connaissons par les Evangiles, rédigés plusieurs années après son ministère et notre imaginaire. Nous avons envie de lui poser la question… mais qui es tu ? lui qui a gardé le mystère sur sa nature de Christ et qui demande à tous ceux qu’il a guéris, ou à ses disciples, de taire celle ci. S’Il est avant tout humain, qui a été présent dans ce monde parmi les hommes, il est aussi quelqu’un d’« extraordinaire » qui a changé le cours de l’histoire des hommes.

Comme eux durant sa vie, Il mange, boit, aime, rit, se met parfois en colère, mais jamais Il n'agresse, n'insulte, ne blesse par un propos. Il est dans le monde, les pieds bien ancrés sur terre. En cela la Bible est bien ce Livre unique, car en elle, la révélation divine s’exprime et se vit dans un univers humain. Il éprouve la trahison, la souffrance, l'abaissement de son humanité, la mort. Il les a vécus dans sa chair, au bout de son chemin il y a la croix. On peut imaginer, pour lui le moment de doute « Mon Dieu Mon Dieu, pourquoi m'as tu abandonné ». Sa prédication et sa parole ont marqué les esprits mais ne furent vraiment comprises qu’après coup. En fait sa mort marque la fin d’une étape et le début d’une autre. Le récit historique est insuffisant pour comprendre qui il était.

Le verbe s’est fait chair, a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, écrit Jean 1/14. Plus que sa personne, c’est la force de sa parole et de sa prédication qui touchent le sens de notre vie, et nous font être ce que nous sommes. Sa parole survit depuis deux mille ans, il s’adresse personnellement à chacun de nous, et non de façon impersonnelle. Chaque jour par notre lecture personnelle de la Bible, lors de chaque culte avec l’aide des pasteurs et de la communauté, nous tentons de la comprendre, de la mettre en pratique dans nos vies, de la faire vivre par nos actes. Sa parole est source de vie, si nous sommes découragés, elle nous réconforte, nous fait repartir. En réfléchissant sur les expériences vécues, les tâtonnements éprouvés par les femmes et hommes décrits dans les évangiles, nous retrouvons le bon chemin et la lumière, car nous leur ressemblons. C’est souvent après coup que nous comprenons le sens des choses de la vie à la lumière de l’expérience, aussi comme pour ses disciples peut-il s’irriter de notre lenteur à saisir la profondeur de ses paroles, à les faire nôtres. Nous risquons en permanence de placer notre vie à côté de la bonne nouvelle, qu’il apporte aux hommes. Jésus agit comme un parent vis à vis de son enfant, il enseigne avec amour et patience. Il nous assure que nous avons en nous, la force de faire des quantités de choses et nous invite à devenir meilleurs, que nous comprenions ses paroles qui nous font entrer en communion avec la révélation de Dieu, que nous appelons aussi la Grâce. Il nous invite à aimer notre prochain parce que nous sommes d’abord inconditionnellement aimés de Dieu. Avec Lui notre regard sur Dieu change. Il nous révèle un Dieu aimant, accessible. Grâce à Jésus, nous pouvons nous tourner vers Dieu et notre prochain, sans crainte. Nous devons savoir écouter comprendre et prendre le temps de prier, avant d’agir. Il nous donne un formidable outil, pour approfondir notre réflexion avant l’action, le temps de prière individuel que chacun adresse à Dieu et le temps de prière partagé que nous disons le dimanche, tous ensemble, le " Notre Père..." Prions avec l’aide de Jésus pour dire à Dieu : Je ne te demande rien, mais je veux Te dire que maintenant je suis prêt à agir, à prendre les affaires de ma vie en main. Avec ma foi simple, mais unique, qui est selon ce que je suis. Je te laisse agir en moi. Je suis prêt à apporter ma pierre à la construction de l'édifice, travailler patiemment mais avec persévérance pour ta gloire.

Rose-Marie Boulanger et André Ducros

Des commandements aux droits de l’Homme

…et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. (Mt 22,39)

L’ancienne loi ordonnait d’aimer Dieu et d’aimer son prochain. La révélation que m’apporte Jésus, c’est que ces deux commandements n’en font qu’un. Cette révélation ne rejette rien du passé, ni de mon passé, ni du passé de l’Histoire. Elle est un accomplissement renouvelé chaque fois que je m’y réfère, chaque fois que je retrouve dans la parole de Jésus ce qui m’ouvre le chemin, ce qui me permet de m’approcher de la vérité de la vie qui m’est donnée.

Elle est aussi un accomplissement dans l’Histoire : Jésus est celui qui a fait progresser l’humanité de la notion d’individu à la notion de personne ; l’individu avait pour seule valeur et pour seule définition sa place et son rôle au sein de la structure sociale ; la personne a sa valeur en elle-même, comme aimée de Dieu et égale à toutes les autres dans cet amour. Les défenseurs des droits de l’Homme, croyants ou athées, qu’ils l’acceptent ou non, sont aujourd’hui porteurs du message révolutionnaire du Nazaréen.

Nombreux sont ceux qui se demandent où trouver un fondement, une source aux valeurs indispensables pour que la vie ait un sens, pour que le lien social se constitue et se maintienne. Au point que certains philosophes en viennent à désigner une « place vide de la transcendance ». Jésus nous donne la réponse : cette source est en Dieu, et nous nous y désaltérons à chaque moment que nous vivons dans et par l’amour de notre prochain.

Jésus me libère de toute question sur sa nature, ses pouvoirs, sa divinité : c’est sa parole qui reste, sa parole qui rassemble et qui unit, sa parole qui fonde. Cette parole nous ouvre à Dieu, nous ouvre aux hommes, nous dit que c’est la même chose, et résonne sans fin dans mon esprit comme dans l’esprit des plus incroyants de mes compatriotes. Par elle je peux joindre une foi résolument théocentrique et la conviction d’être chrétien. Par elle cette conviction peut être libérée de la croyance, mais ancrée dans la confiance et dans l’espérance.

Etienne Hollier-Larousse 
Evangile et liberté