Transformations de l'Oratoire du Louvre après 1789

Marcelle Guillemot (1907-1960), le pasteur Paul Vergara et Marcelle Vergara

La « Clairière », oeuvre sociale de l’Oratoire fondée en 1910 par Wilfred Monod, dont le pasteur Vergara était le directeur et Mlle Guillemot l’assistante sociale, aida au sauvetage d’enfants juifs en février 1943 et servit de « boîte aux lettres » à la Résistance. Paul Vergara et Marcelle Guillemot durent fuir la Gestapo en juillet 1943.

Si la direction de La Clairière entrait dans les attributions statutaires du pasteur Vergara, la direction effective, sur place, était assurée par l’assistante sociale Marcelle Guillemot (1907-1960), une femme seule et forte dont le portrait, tel qu’il a été dressé au lendemain de sa disparition, n’est pas sans évoquer celui d’autres femmes protestantes pareillement engagées aux côtés des juifs, une Adélaïde Hautval, une Madeleine Barot, une Jeanne Merle d’Aubigné, une Alice Ferrières 

À La Clairière comme partout en ces années, le sauvetage des juifs a été rendu possible par la conjonction de personnalités d’exception qui se sont révélées dans l’épreuve (sous la forme d’un héroïsme au quotidien, que la formule en vérité oxymorique de « banalité du bien » évoque assez justement), et de divers réseaux à l’une des intersections desquels s’est trouvée La Clairière - personnalités et réseaux étant juifs aussi bien que protestants, catholiques et laïques. Qui voudrait reconstituer l’exfiltration depuis Paris de dizaines et même de centaines d’enfants juifs, laissés seuls par la déportation de leurs parents, confiés provisoirement à des maisons administrées par l’Union générale des israélites de France (UGIF), devrait passer par ces associations clandestines, l’Entraide temporaire, créée et dirigée par Lucie Chevalley-Sabatier (la fille du grand théologien Auguste Sabatier), le comité de la rue Amelot, le Mouvement national contre le racisme, où s’est illustrée Suzanne Spaak, etc. Outre Vergara et Mlle Guillemot, l’Oratoire est fortement représenté dans cette conjonction d’efforts : ce sont une vingtaine ou une trentaine de paroissiennes, dont L. Chevalley-Sabatier et Odette Béchard (Juste, en compagnie de son époux Fernand), un diacre, Maurice-William Girardot (qui devait tomber dans une souricière de la Gestapo en octobre 1943, mais être libéré à la veille de Noël), et des Éclaireuses unionistes.

L’opération dont La Clairière a été le centre a permis de sauver 63 enfants dans la semaine du 16 février 1943. L’épisode a été souvent rapporté, avec un certain nombre de variations sur la chronologie et le détail des événements, variations à propos desquelles  il m’est impossible de trancher. Persuadée que des enfants accueillis dans deux foyers de la rue Lamarck et de la rue Guy-Patin, dans les 18e et 10e arrondissements, sont menacés de déportation, Suzanne Spaak alerte les responsables de La Clairière, et un scénario de sauvetage est mis au point.

Les enfants étant autorisés à une sortie hebdomadaire, le jeudi, dès lors que les accompagnent des adultes ayant dûment rempli un formulaire spécial, il s’agit de trouver des volontaires pour venir prendre ces enfants et les ramener, à la fin de l’après-midi, non pas dans les foyers de l’UGIF mais, le temps d’une nuit, à La Clairière, d’où ils seront dispersés le lendemain.

Le dimanche 12 février, Vergara lance un appel en chaire pour recruter des volontaires ; à la sortie du culte, Mlle Guillemot remet à chacune des quelque 25 ou 30 femmes ou familles qui se présentent une note d’information et/ou une fiche à remplir ; une quinzaine d’autres femmes, des militantes juives semble-t-il, se joignent à elles les jours suivants.

Le jeudi 16 février selon certains témoignages, à partir du 13 selon d’autres, 63 enfants et adolescents, âgés de 3 à 18 ans, sortent des deux foyers pour une promenade tout à fait officielle ; mais leurs accompagnateurs, qui avaient eu pour consigne de ne pas laisser relever leur propre identité par écrit, les laissent, comme prévu, à La Clairière, où tout est en place pour les nourrir et leur faire passer la nuit. Le lendemain, munis de faux papiers, les enfants et adolescents quittent La Clairière en compagnie d’Éclaireuses aînées qui les convoient en banlieue (notamment dans une pension de Clamart) et en province (notamment en Normandie). L’argent nécessaire au paiement des pensions dans les familles d’accueil allait être récolté au moins en partie au sein de la paroisse de l’Oratoire. D’autres enfants ont bénéficié par la suite du même processus de mise en sûreté ; des listes, indiquant leurs lieux de placement, ont été constituées, dont l’une avait été confiée à une épicière de la rue Greneta, mais elles ont disparu aujourd’hui ; le jeune polytechnicien Maurice Nosley (paroissien, lui, de Paris-Luxembourg) a témoigné pour sa part avoir conduit des enfants dans quatre familles d’accueil situées en Saône-et-Loire : il oeuvrait en liaison avec l’Entraide temporaire. À la fin, Mlle Guillemot a dû cacher plusieurs jeunes employées de l’UGIF dans des familles de l’Oratoire. 

Rendant compte de ce sauvetage dans sa plaquette en hommage à Marcelle Guillemot, Paul Vergara a eu cette analyse, en 1961, qui sonne encore comme ses sermons des années 1940, surtout au moment de fustiger « des éditions atténuées de l’Évangile » (je souligne) : « L’Occupation et les monstrueuses doctrines hitlériennes plaçaient sous nos yeux, à la portée de nos mains, des persécutés innocents et sans défense, des persécutés qui étaient les frères de race de Celui que nous appelions notre Maître. Leur ouvrir des bras fraternels, les secourir, les sauver, était notre devoir présent ; un devoir dangereux, nous le savions, mais ce devoir n’était pas à éluder parce qu’il était dangereux. Il est des moments où des éditions atténuées de l’Évangile ne sauraient répondre aux besoins immédiats de ceux qui sont tombés entre les mains des brigands. Jouer de la flûte, quand le clairon convie au combat, n’est rien d’autre qu’une désertion. Nous avons répondu à l’appel du clairon et nous sommes entrés dans la lutte avec un groupe de femmes héroïques à la tête desquelles se trouvait Mme S. Spaak ».

Quelques mois plus tard, Marcelle Guillemot et Paul Vergara acceptaient de faire de La Clairière le point d’attache du secrétariat de la Zone nord de la Délégation Générale, alors dirigé par Daniel Cordier (tandis que Jean Moulin dirigeait le secrétariat de la Zone sud). La sœur de l’un des adjoints de Cordier, Hugues Limonti, était l’amie de Mlle Guillemot, ce qui explique le choix du patronage pour en faire une boite aux lettres de premier ordre, recevant postes émetteurs et récepteurs, journaux clandestins, courriers, armes, réunions de dirigeants du Conseil national de la Résistance (CNR).

Le gendre de Vergara ayant été arrêté le 23 juillet 1943 après avoir réceptionné un parachutage, la Gestapo tente le lendemain de prendre au piège Limonti, Mlle Guillemot, Vergara, mais tous trois parviennent à lui échapper, l’assistante sociale après s’être enfermée dans La Clairière pour détruire les pièces compromettantes et avoir eu l’idée, au dernier moment, de s’enfuir par une verrière.

La clandestinité pour les uns, la prison ou la déportation, parfois la mort, pour d’autres : ainsi s’écrit la fin de l’Occupation pour les principaux acteurs de La Clairière, tandis que les pasteurs Bertrand et Vidal continuent à assurer les prédications à l’Oratoire.

La reconnaissance à l’égard des acteurs de l’Oratoire vient de l’extérieur : Marcelle Guillemot et le pasteur Vergara sont récompensés par la médaille de la Résistance. En 1947, une exposition organisée par l’Union des Juifs pour la résistance et l’entraide rend hommage dans un panneau à « Quelques nobles figures du peuple français qui ont bravé tous les dangers pour sauver des enfants juifs de la déportation » : on trouve parmi les huit portraits alignés ceux de Marcelle Guillemot, de Suzanne Spaak, du pasteur Vergara (ou encore du médecin et maire de Beaune-la-Rolande, Paul Cabanis, un protestant cévenol né à Sumène). La même année, très probablement, Mme Gaudelette, une enquêtrice du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale recueille les dépositions de Vergara et de Mlle Guillemot.

Bien plus tard sont venus les titres de Justes : en 1985 pour S. Spaak, 1988 pour les couples Vergara et Béchard, 1989 pour Mlle Guillemot, 1993 pour L. Chevalley-Sabatier .

Un après-guerre ne s’épuise pas en reconnaissance : il est des engagements qui se poursuivent ou s’infléchissent. Le pasteur Vergara et Mlle Guillemot sont invités, par un vote du congrès, à siéger au Comité central de la Ligue Internationale contre l’antisémitisme (LICA). Vergara fait également partie du Comité central de l’Alliance antiraciste, une éphémère union entre la LICA et le MRAP. Il participe aux congrès de la LICA, dont il est l’un des vice-présidents en 1962 ; Emmanuel Debono, l’historien de la LICA, a pu repérer sa présence au cours de plusieurs réunions et meetings dans les dix dernières années de sa vie.

Mlle Guillemot siège, pour sa part, dans le Comité de Direction et d’Action d’une jeune Ligue pour la Palestine libre, laquelle, contrairement à ce que ce nom évoque aujourd’hui pour la plupart d’entre nous, renvoie aux efforts des sionistes pour créer un État pour les juifs. L’historien se doit, à ce propos, de citer la manière dont, en 1961, Vergara rendait compte de cette histoire récente : « En 1947 éclata en Palestine une guerre de libération. Les juifs établis sur cette terre et les rescapés des camps de la mort qui s’y étaient rendus désiraient constituer une nation indépendante. Ils le proclamèrent solennellement et furent immédiatement assaillis de toutes parts. Ce fut une guerre féroce où les Juifs de Palestine eurent à combattre à dix contre un et où ils l’emportèrent cependant sur leurs lâches adversaires»

En contact étroit avec l’un des chefs du soulèvement en Palestine, continue le pasteur, Mlle Guillemot a pris en charge la collecte des médicaments dont avait besoin le jeune État d’Israël. Ici encore, je m’en tiens à citer ces lignes qui étonneront peut-être plus d’un lecteur, et qui cependant doivent nous rappeler avec quelle sympathie tant de Français ont observé les débuts d’Israël : « Elle frappa à toutes les portes, elle demanda audience au Cardinal Suhard qui la reçut et lui promit l’aide du Secours catholique. Elle se rendit à Genève, au siège de la Croix Rouge internationale, elle fit paraître des appels dans les journaux (où figurait Réforme). Elle écrivit à plus de 50 laboratoires. Au comité central de la L.I.C.A., elle suggéra l’organisation d’un grand meeting pour les blessés d’Israël. Ce meeting eut lieu au Cirque d’Hiver et, entre autres concours, on enregistra près de mille noms de volontaires donneurs de sang. À l’Assemblée générale de la Ligue pour la Palestine libre, ce fut elle qui fut chargée de la lecture du rapport sur la campagne des médicaments. Pendant que cette campagne se poursuivait, elle écrivain au Colonel J. à Jérusalem : "Je vous dis tout cela, afin que vous vous sentiez soutenu et encouragé par la pensée qu’on vous aide à soulager les immenses souffrances qui vous entourent". Elle reçut du quartier général en Israël une lettre dont voici quelques lignes : "Nos soldats blessés à qui vous avez donné des médicaments, les Hébreux libérés et tous ceux qui retrouvent une patrie, vous expriment leur gratitude. Votre réponse à notre appel restera inoubliable ».

Patrick Cabanel

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