Histoire du protestantisme parisien et de l'Oratoire

1572 : Massacre de la Saint-Barthélémy

24 août 1572 : la Saint Barthélemy stigmatise la fracture du royaume. La cloche du Louvre, relayée par celle de Saint-Germain-l’Auxerrois donne le signal du massacre. Gaspard de Coligny, blessé la veille, est assassiné en son hôtel de la rue de Béthisy (situé à une centaine de mètres du Louvre, à la hauteur du 136 rue de Rivoli  et non du 144 comme l’indiquait autrefois une plaque). 2000 à 3000 protestants sont tués à Paris (chiffre retenu par les historiens pour les victimes à Paris, plus de 10 000 pour la France), dont beaucoup de seigneurs provinciaux venus assister au mariage d’Henri de Navarre et Marguerite de Valois célébré le 18 août.

En 1571, Catherine de Médicis décida de marier sa fille, sœur du roi Charles IX, avec le prince protestant Henri de Navarre. II semblait qu’ainsi la paix religieuse serait confirmée en France.

Coligny s’y laissa tromper, car il ne pensait qu’à la grandeur de la France. Un autre projet l’occupait lui même. Les populations belges, soulevées contre la tyrannie catholique de Philippe II et des gouverneurs espagnols des Pays-Bas, demandaient que les Français vinssent à leur secours. Si Charles IX avait accepté, la Belgique entrait dans le royaume. Le jeune roi consentit un instant à cette guerre. II appela Coligny à la Cour, écouta ses conseils et pour un temps, parut échapper à l’influence de sa mère.

Mais la conquête des Pays-Bas espagnols aurait été une victoire pour le protestantisme. Les catholiques ardents, liés à l’Espagne, ne pouvaient y consentir. La mort de Coligny et des chefs protestants fut alors décidée. On parlait depuis six ans de cette tuerie. Les grands huguenots étaient justement réunis à Paris pour le mariage d’Henri de Navarre; on ne pouvait trouver une meilleure occasion d’en finir d’un seul coup avec les réformés. Catherine de Médicis, trois seigneurs, italiens d’origine comme elle (Gondi, Birague et Gonzague), le frère du roi (Henri d’Anjou) et le maréchal de Tavannes, furent l’âme de cette infâme trahison.

Le 22 août 1572, près du Louvre, Coligny fut frappé d’un coup de feu. L’assassin échappa, ayant seulement blessé l’amiral. Le roi furieux promit qu’il vengerait le crime. Mais sa mère réussit à le ressaisir complètement, et il consentit à achever jusqu’au bout la besogne de mort.

Dans la nuit qui précéda le dimanche 24 août, jour de Saint-Barthélemy, les tueurs de Paris, qui avaient chacun leur victime désignée, assassinèrent dans leurs demeures les plus notables des chefs protestants. Le premier qui mourut fut Coligny lui-même, dont le corps fut insulté par le duc Henri de Guise, puis mutilé et traîné par la populace jusqu’au gibet.

Les gentilshommes huguenots logés au Louvre furent désarmés, réunis dans la cour et tués en un monceau. La cloche du Palais de Justice et celle de Saint-Germain-l’Auxerrois sonnaient l’émeute. Après les chefs, les bourgeois et, d’une manière générale, tous les protestants qu’on put découvrir, furent égorgés. On n’épargna pas les femmes, ni même les enfants. Les corps, mis à nu, étaient jetés dans la Seine.

Les meurtres et le pillage durèrent toute la journée du 24 et se poursuivirent jusqu’au 28. Les seuls gentilshommes qui échappèrent furent ceux qui logeaient au faubourg Saint-Germain, hors des murs, et qui s’enfuirent, ou ceux qui, dans la ville, purent se cacher chez des catholiques amis. Il périt plus de 4 000 huguenots à Paris. On inhuma vers Saint-Cloud, à une boucle de la Seine, 1 800 corps que le fleuve avait laissés sur la berge.

Les massacres en France. - Des courriers royaux expédiés aux principales villes de France portèrent des lettres de Charles IX qui parlaient d’une conspiration huguenote que le roi avait déjouée. Mais ces envoyés avaient mission d’ordonner - verbalement aux gouverneurs catholiques de procéder comme à Paris. Presque partout, on exécuta une partie au moins de ces ordres secrets : les protestants furent enfermés dans leurs maisons, ou conduits dans les prisons, et leurs biens furent confisqués.

A Meaux, à Orléans, La Charité, Saumur (26 et 27 août), les ordres du roi furent totalement suivis et la boucherie y fut aussi horrible qu’à Paris. En quelques régions, à Alençon, à Nantes, en Auvergne, à Dijon, à Grenoble, en Provence, les gouverneurs attendirent les commandements écrits, qui ne vinrent pas, et les protestants furent épargnés. En d’autres lieux, les gouverneurs, après avoir hésité quelque temps, laissèrent des bandes de fanatiques, conduites quelquefois par des magistrats de la ville, forcer les portes des prisons pour y tuer à coups de couteau les protestants enfermés (Lyon, 31 août, où 800 morts furent jetés dans la Saône ; Troyes, le 4 septembre ; Bourges, les 8 et 9 septembre, 300 morts ; Rouen, le 17 septembre, 400 morts ; Romans en Dauphiné, du 20 au 22 septembre). Dans le Midi, Bordeaux et Toulouse virent les mêmes horreurs le 3 octobre, sur un ordre tardif qu’on apporta de Paris et qui parvint aux deux villes dans la même journée. Ailleurs, des troupes isolées de massacreurs coururent la campagne pour y chercher des victimes éparses (Soissons, Vitry-le-François, Vienne en Dauphiné).

La nouvelle de la tuerie de Paris fut immédiatement portée à Rome, où le cardinal de Lorraine déclara qu’il l’avait conseillée depuis plusieurs mois. Le pape, à qui l’on parla officiellement d’une conspiration huguenote, ordonna des actions de grâces. Il fit exécuter un tableau de la scène et frapper une médaille commémorative. Rentré en France, le cardinal de Lorraine, au nom du clergé du royaume, félicita publiquement le roi de son acte ; il lui remit, de la part de l’Église, à titre de remerciements, un don d’argent considérable, avec, en plus, 800 000 livres pour Henri d’Anjou.

La Saint-Barthélemy porta un coup terrible aux Églises réformées de France. Partout on força les réchappés à rentrer dans le sein du catholicisme. A Paris, on parlait de 5 000 abjurations. Un nombre considérable de pasteurs, même des régions où les massacres n’avaient pas eu lieu, s’exilèrent à Genève, Lausanne, Bâle, sur les rives du Rhin, à Jersey, en Angleterre. Beaucoup de laïcs notables suivirent leurs ministres et s’établirent pour toujours hors de France.

Deux textes :

La mort de Coligny (1572)

Le premier tocsin entendu, le duc de Guise, le chevalier d’Angoulême et le duc d’Aumale viennent au logis de l’amiral qui, oyant le bruit, s’imagina que c’était une émeute contre le roi même. Mais il changea d’opinion quand Cosseins (chargé par Charles IX de garder la porte) s’étant fait ouvrir par celui qui avait les clefs, le poignarda à la vue des Suisses, desquels un fut tué en voulant remparer la porte.

Quelques Suisses accoururent avec d’autres domestiques, reprirent la porte en la poussant et mirent des coffres derrière. Un jeune homme s’encourut à la chambre, de laquelle s’étaient déjà sauvés les familiers de Coligny. Il n’y était resté que Nicolas Muss, interprète (pour la langue allemande) qui ne se voulut sauver, quoique prié par son maître, qui leur avait dit Mes amis, je n’ai plus que faire de secours humain, c’est ma mort, que je reçois volontiers de la main de Dieu ; sauvez-vous. »

Cosseins ayant fait rompre la porte avec quelque effort, trouva l’amiral à genoux, appuyé contre son lit. L’amiral, le voyant, et Besme (ancien page du duc de Guise) qui se jetait devant Cosseins et lui demandait : « N’es-tu pas l’amiral ? », la réponse fut : « Jeune homme, respecte ma vieillesse. » Et puis, au premier coup : Au moins, dit-il, si je mourais de la main d’un cavalier et non point de ce goujat I » A ces mots, Besme lui redoubla un coup d’épée à travers le corps, et en la retirant lui donna sur la tête un grand coup de taille.

Les ducs de Guise et d’Aumale et le chevalier d’Angoulême, qui déjà étaient arrivés dans la cour du logis, demandèrent si la besogne était faite, et Besme ayant répondu que oui, on lui demanda de jeter le corps par la fenêtre, ce qu’il fit, et l’amiral, non encore mort, se prit des mains à un morceau de bois qu’il emporta. On dit qu’ils lui passèrent le mouchoir sur le visage pour ôter le sang et le reconnaître, et aussi que le duc lui donna du pied dans le ventre avant de s’en aller par les rues pour donner courage partout à bien achever ce qui était heureusement commencé.

D’après D’Aubigné (Histoire universelle, livre VI)

 

Cantique sur le massacre de la Saint-Barthélemy

Toutes nos voix faites plaintes,
Toutes nos lampes éteintes,
Tous nos temples démolis,
Nos Églises dissipées,
Nos unions déliées
Et nos prêches abolis,

Toutes nos maisons volées,
Toutes nos lois violées,
Tous nos hôtels abattus,
Tous nos livres mis en cendre,
Tous nos cœurs prêts à se rendre,
Tous nos esprits combattus...

Nos lits et nos chambres veuves,
Nos bois, nos champs et nos fleuves
Rougis de sang épandu...
Dans le bruit de leur silence,
Sans crier, crient vengeance
Des lacs qu’on leur a tendu !...

Parmi tant d’âpres souffrances,
A tes divines vengeances,
Nous avons recours, Seigneur.
Las ! Voudrais-tu bien permettre,
Tant de meurtres se commettre
Aux dépens de ton honneur?

D’une canaille infidèle
La Jérusalem nouvelle
Est la proie et le butin,
Et Sion, ton héritage,
Est démembrée par la rage,
D’un cruel peuple mutin.

Leurs cruautés excessives
Ont bordé toutes les rives
Des corps morts de tes élus,
Et leurs lames criminelles,
Dans le sang de tes fidèles,
Ont tous leurs tranchants pollu.

Sortant comme de leurs ruches,
Ils ont dressé des embûches,
Puis en leurs cours ils ont dit
« Tuons tout » c’est la journée
Qui nous était destinée
Pour tuer tout dans le lit I »...

Étienne de Maisonfleur
gentilhomme huguenot,
texte composé le 30 août 1572,
six jours après les massacres de Paris

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