Tel un baume versé sur tant de plaies

Marc 1:29-31

Culte du 22 avril 2018
Prédication de Richard Cadoux

Vidéo de la partie centrale du culte

Prédication du Pasteur Richard Cadoux : Tel un baume versé sur tant de plaies

Dimanche dernier Pierre-Olivier Léchot nous invitait à réfléchir sur les relations familiales et sur le ferment de vérité et de libération que l’Evangile pouvait y introduire. Dans le chapitre 9 de Matthieu, il est question, entre autres, des relations de la belle-mère et de la belle-fille. Aujourd’hui la belle-mère revient, en quelque sorte. Mais cette fois-ci avec l’évangile de Marc dont vous venez d’entendre quelques versets. Au bord du lac de Tibériade Jésus vient d’appeler ses premiers disciples : Simon, André, Jacques et Jean. Avec eux il entre dans Capharnaüm et se rend à la synagogue pour enseigner la communauté. En ce lieu également il libère un homme possédé d’un mal aussi violent qu’étrange. Jésus s’engage non seulement en paroles, mais aussi avec des actes. Il y a chez cet homme une cohérence entre la parole et l’action. Maintenant le petit groupe se dirige vers la maison de Simon. La belle-mère de ce dernier est clouée au lit, terrassée par une forte fièvre. Une forte fièvre. Elle est donc vraiment malade. Il ne s’agit pas d’un bobo ou d’une indisposition passagère. Elle appartient sans doute à cette catégorie de femmes vaillantes célébrées par la sagesse des Proverbes, industrieuses et inlassables, de celles qui ne s’écoutent pas. Mais là vraiment, elle n’en peut plus. Alors elle s’est couchée. Peut-être inconsciemment réagit-elle à l’annonce du départ de Simon qui va laisser sa femme, sa maison, sa petite entreprise de pêcherie pour courir les routes à la suite de ce prédicateur un peu fou qui parle aux hommes des lys des champs et des oiseaux du ciel. Quelle idée ! Me direz-vous. Tout cela a rendu la belle-mère malade, rongée par l’inquiétude et la peur du lendemain. Les disciples en parlent au maître, sans même oser intercéder en faveur de la femme. Tout comme Marie à Cana qui s’est contentée de signaler à son fils que les invités de la noce n’avaient plus de vin. Le Christ entre alors dans la maison et guérit la femme fébrile. A ce récit d'apparence insignifiante, trois versets, les commentaires bibliques accordent rarement plus de deux ou trois lignes.

Ce récit est une parabole, tout comme Jésus est en sa propre personne une parabole de Dieu. Marc nous montre comment en cet homme le salut de Dieu est à l’œuvre dans notre monde. Tout est dit en quelques mots : s’approchant, il la fit lever, en lui prenant la main. Oui Jésus s’approche, tout comme un samaritain s’est approché d’un voyageur en détresse sur le chemin qui allait de Jérusalem à Jéricho. Tout comme s’approche le royaume qu’il prêche depuis son irruption en Galilée : le temps est accompli, et le règne de Dieu s’est approché. Jésus, par toute sa vie, témoigne d’un Dieu qui se veut proche de l’homme, un Dieu philanthrope. Ce Dieu si lointain, transcendant, voilà que l’Evangile nous révèle sa proximité. Il y va, chers frères et sœurs, de l’humanité de Dieu. Un Dieu qui veut être avec l’homme, qui veut être pour lui, qui veut être son partenaire. La vérité de Dieu ne saurait être que sa philanthropie, son amitié pour les hommes. Jésus est ainsi le témoin de ce Dieu, celui qui est, qui était et qui vient dans la réalité souvent douloureuse de nos existences. Alors Jésus s’approche de cette femme. Mais pour quoi faire ? En cet instant le récit de Marc ne suit pas l’ordre chronologique attendu : s’approcher, prendre par la main et enfin relever. Non, Marc précise que Jésus s’approche et la relève en la prenant par la main. Ici l’auteur veut mettre en valeur, dans une place centrale, le mot relever. Il met en relief le geste principal de Jésus qui met la femme alitée debout. C’est la pointe du récit. Or le verbe employé ici « relever » est identique au verbe qui désigne la résurrection. Le même mot peut en effet avoir plusieurs sens. Un sens banal, celui de la vie quotidienne : on se lève en se tirant du lit, avec plus ou moins de vivacité d’ailleurs. Un sens spécifique, sortir du sommeil de la mort en se dressant ou encore être relevé par Dieu. Ici, de manière cryptée, Marc nous parle de la résurrection et de l’entrée pour le croyant dans une vie nouvelle. Christ relève cette femme. Une femme est guérie de sa fièvre : les instances du mal sont mises en déroute par Jésus. Mais dans le prophète qui relève, l’auteur de l’évangile dévoile le sauveur qui ressuscite et qui manifeste la bienveillance du Dieu vivant et vrai. Cette résurrection, elle prend très concrètement la forme d’une vie nouvelle. Elle se trouve caractérisée par le fait que Dieu nous prend par la main pour ne plus la lâcher. La promesse des prophètes, Dieu avec nous, Emmanuel, voilà qu’elle s’accomplit en la personne de celui qui ose toucher cette femme abattue par la maladie. Il lui communique une force et une présence au premier jour du reste de sa vie. Car c’est bien d’une nouveauté de vie qu’il s’agit dans cette histoire. Non seulement la belle-mère est guérie de sa fièvre, mais elle est libérée de sa peur et de ses inquiétudes. Ce Jésus qu’elle voyait comme celui qui allait perturber l’ordonnance de sa petite vie bien rangée, avec ce gendre sur lequel elle pouvait compter, eh bien ce Jésus, elle va maintenant se mettre à son service. Là encore, le récit revêt un sens symbolique.

Le service, c’est bien sûr les tâches matérielles qu’elle va mettre en œuvre pour faire bon accueil au maître de l’Evangile et à sa petite équipe. Elle va aller puiser l’eau, préparer le repas, aménager le couchage de tous ces gaillards. L’hospitalité passe par d’humbles travaux ménagers. Mais le service, la diaconie, c’est aussi un mot qui apparaît une centaine de fois dans le Nouveau Testament. Il désigne la mission du Christ en insistant sur la forme qu’elle prend, qui permet de comprendre sa visée : le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la multitude. Jésus se pense comme un serviteur. Par conséquent, le service, c’est également un élément clé du style de la communauté chrétienne : une autre manière de vivre les rapports humains, à l’opposé de la lutte pour les fonctions les plus avantageuses, avec les rivalités qui s’ensuivent. Marc souligne ce trait lorsqu’il rapporte cette parole de Jésus : si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous. La diaconie est alors à interpréter comme une manière de se comporter, accordée à celle du Christ. Elle résume l’engagement de foi de celui qui fait le choix d’adhérer à Jésus et de le suivre en lui consacrant sa vie. On comprend, dès lors, que la diaconie soit un des principaux termes utilisés pour désigner la mission des disciples, les rapports entre eux et les activités de service aux personnes. Parler de diaconie, c’est  préconiser, à la suite de ce que Jésus a lui-même vécu, des relations à l’opposé des logiques de rivalité et de domination. C’est souligner la possibilité de rapports humains différents, qui délivrent de l’obsession de faire valoir ses qualités, de devoir se protéger et d’avoir à défendre ses intérêts. C’est reconnaître que la vérité d’une vie d’Eglise est à chercher du côté d’une présence à l’autre qui va jusqu’à s’en remettre à lui, plutôt que dans la comparaison ou la compétition. On ne peut restreindre ce mot de diaconie aux seuls engagements caritatifs et aux gestes de solidarité.

C’est toute la dimension relationnelle de la condition chrétienne et c’est toute la vie ecclésiale qui est appelée à devenir diaconie, au sens où les relations humaines sont remodelées par l’amour de Dieu. D’une certaine manière, il est impossible de circonscrire la diaconie à un domaine particulier de l’Eglise : personne ne peut dire « la diaconie, c’est nous », et personne ne peut non plus s’en sentir exonéré. Parler d’Eglise diaconale, d’Eglise servante, c’est redire qu’elle est invitée, dans le jeu de toutes les relations qui la constituent, à se laisser évangéliser. C’est également souligner qu’elle porte l’Evangile non pas comme un objet qui lui demeure étranger, mais qu’elle la porte dans sa chair, dans sa consistance sociale : l’Evangile est ce qui l’institue. Une Eglise diaconale parle de la Bonne Nouvelle, pas simplement par les œuvres qu’elle accompli, mais aussi par les ambiances qu’elle sécrète, lorsque celles-ci en disent la simplicité et la joie, elle parle de la Bonne Nouvelle par ses manières de s’organiser, de prendre des décisions, de solliciter et d’accompagner ses acteurs, de se laisser toucher par ce qui se passe dans le monde où elle est, et de répondre aux appels qu’elle perçoit ainsi. Dans cette perspective, la présence à ceux qui sont oubliés, seuls ou en souffrance en reçoit une nouvelle signification. Il ne s’agit pas seulement d’un devoir qui obligerait les chrétiens à œuvrer en conformité avec leurs convictions et de rendre ainsi un service à des personnes. Il s’agit d’abord d’un fruit de la proximité du Christ. Les évangiles sont remplis de la présence de malades, de mendiants, d’enfants, d’étrangers. Ceux qu’on appelle les pauvres ou les petits. Il s’agit de ceux qui ne peuvent ou ne veulent entrer dans des échanges donnant-donnant. Les approcher suppose d’inventer autre chose que nos jeux habituels de gratifications réciproques : ils demandent à être rencontrés pour eux-mêmes. Si Jésus nous invite à nous tourner vers eux, c’est parce qu’il voit en eux ceux qui peuvent nous guider aux sources de la vraie vie, là où il nous est donné de reconnaître le don de Dieu, un Dieu qui n’est pas dans la transaction, mais qui se donne gratuitement à ceux qui n’ont rien à lui rendre.

L’engagement diaconal des chrétiens en reçoit un nouvel éclairage. Il ne s’agit plus d’être en surplomb de personnes qui auraient besoin de nous. Il s’agit d’aller retrouver ceux qui nous manquent parce que, dans le champ des échanges calculés, ils ne comptent pas et deviennent alors invisibles. Or, le Royaume ne peut advenir sans eux. Dès lors, toute activité qui, d’une manière ou d’une autre, conforte leur mise à l’écart, est reconnue vaine. Au contraire, toute histoire qui amène à renouer avec eux fait goûter à la joie d’avoir été reconduit jusqu’à l’origine de toute vie, cette vie qui ne nous est pas due, mais qui nous est donnée. Les « œuvres de charité » que le terme de diaconie désigne traditionnellement dans l’Eglise, représentent en fait la pointe émergée de l’iceberg. C’est bien toute la vie de l’Eglise qui est appelée à se laisser refaçonner par le Serviteur. Et cela passe d’une manière ou d’une autre par la redécouverte de ceux qui sont laissés de côté. La réalité de leur rencontre est signe pour toute l’Eglise de la présence de ce Dieu qui relève ceux qui gisent dans les ténèbres et l’ombre de la mort. En ce sens l’emploi du terme diaconie invite à se souvenir que la Bonne Nouvelle bouleverse le champ des relations personnelles et sociales, en remettant en cause les logiques mondaines qui figent en des classifications, qui excluent ceux qui ne peuvent souscrire à leurs exigences.

L’enjeu de la diaconie est inséparablement éthique, théologal et politique : éthique au sens où celui qui est en souffrance permet à la communauté humaine de se redécouvrir fraternelle. Et cela en vérité, c’est-à-dire non pas à partir des critères qu’elle a elle-même définis, mais en fonction des appels de celui qu’elle laisse dehors. Par là nous est également rappelé que la communauté chrétienne ne peut vivre dans l’oubli de ceux qui sont dans la détresse ou la maladie, ou sont menacés dans leur être par toutes sortes d’aléas ou d’injustices, qu’ils soient membres de l’Eglise ou pas. Cet enjeu est ensuite théologal, parce que les pauvres, les malades nous font faire un pèlerinage aux sources de la vraie vie : celle qui vient de Dieu, celle qui se donne gratuitement et qui n’entre dans aucun système comptable. Alors la diaconie, qu’elle soit vécue au sein de l’Eglise ou dans la société civile, représente une authentique expérience spirituelle, qui nous fait prendre conscience que ceux-là même que l’on compte souvent pour rien ont en réalité un trésor à partager, une expérience qui fait voir bien des choses autrement : ils conduisent en fait tout groupe – et donc aussi les communautés chrétiennes – à s’interroger sur la vérité de ce qu’il vit. Une Eglise ne peut se défausser sur une institution des questions que les pauvres lui posent. Après l’éthique et le théologal, j’ose un petit mot sur le politique. Quand l’Eglise prend conscience de l’importance primordiale pour elle de ceux qui d’habitude ne comptent pas, c’est également son positionnement dans l’espace public qui est remis en jeu. Elle cesse d’être vue comme une simple institution religieuse et se présente comme un acteur dans la société. Elle peut contribuer alors à aborder un peu autrement un certain nombre de questions, comme l’accueil des étrangers, la place faite aux personnes handicapées, la présence aux personnes dépendantes, l’accompagnement de la fin de vie, en les traitant non comme des problèmes à résoudre ou des peurs à gérer, mais comme de véritables chances pour la société. Lorsqu’elle agit ainsi, elle participe au débat politique. Non pas au sens où elle s’impliquerait dans les conflits qui divisent toute société, mais en protestant contre ce qui risque de nous faire tous perdre notre âme : la réduction de la société à un système d’échanges calculés.

Ceci étant je n’oublie pas que la diaconie, le travail d’une entraide par exemple, s’exerce à travers des engagements personnels, à travers des ministères, dans le sillon de celui qui revendique le titre de serviteur. Cela nécessite quelques qualités humaines soulignées dans cet évangile. La simplicité d’abord. Jésus va de la synagogue à la maison. Il rend visite à cette femme en souffrance. La diaconie commence dans cette démarche à la portée de n’importe qui. Le sens relationnel ensuite. Pas de grands discours, pas de paroles creuses, pas de démonstrations exagérées. Jésus trouve l’attitude juste. Il lui prend la main. Quel tact ! Et puis enfin la compassion. Ce court récit semble nous dire qu’il n’y a pas de grand et de petit geste. C’est seulement l’humain qui établit une hiérarchie et une classification des actes du Christ. La compassion est une émotion. Mais elle est aussi une capacité à passer à l’action, à répondre à un appel. La compassion, ce n’est pas la larme à l’œil, c’est la responsabilité qui nous pousse à agir au profit de l’autre blessé, abîmé par la vie. C’est une responsabilité qui se laisse guider par le souci de l’autre. Cette compassion, qui est le propre du Dieu de la Bible, elle habite Jésus le serviteur. Elle habite tant d’hommes et de femmes qui ignorent pourtant le nom même du Christ. Elle habitait le cœur d’Etty Hillesum, dont le journal du camp de Westerbork s’achève le 12 octobre 1942, sur une courte phrase, au spectacle d’un monde saccagé. Qu’elle soit pour nous un appel à la responsabilité et encouragement à l’action : on voudrait être un baume versé sur tant de plaies !

Amen

Lecture de la Bible

Marc 1/29-31
29 En sortant de la synagogue, ils se rendirent, avec Jacques et Jean, chez Simon et André.
30 La belle-mère de Simon était alitée, elle avait de la fièvre ; aussitôt on lui parle d'elle.
31 Il s'approcha et la fit lever en lui saisissant la main ; la fièvre la quitta, et elle se mit à les servir.

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